Fanfiction Diablo II

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Autobiographie d'une morte

Par Attalante#229
Les autres histoires de l'auteur

Prologue

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Me revoilà des Enfers, me revoilà dans cette stupide région qui autrefois appartenait aux Rogues... mes anciennes soeurs. Cette fois-ci, ils m'ont mis dans le Marais Sombre. Durant toutes ces années, je l'ai vu sous les quatre saisons, sous tous les temps possibles et imaginables, parcouru par toutes sortes de héros, défendu par des centaines de démons... J'ai formé les « nouveaux » en leur montrant chaque recoin de cette terre qui est la notre pour l'éternité. J'ai repoussé les héros les plus jeunes, me suis faite tuer par les plus expérimentés. J'ai goûté la lame de célèbres guerriers, les flèches d'or de certaines Amazones de renom, les sorts puissants d'Ensorceleuses et autres morts-vivants de Nécromanciens... Toute cette troupe de héros qui se croient au dessus de la loi éternelle : le principe du Yin et du Yang. S'il y a le Bien, il doit y avoir le Mal. Rien ne l'en empêchera jamais, rien ni personne. Mais pour un esprit étroit, borné et vaniteux comme celui d'un Homme, ce concept est si difficile à avouer... et encore plus à admettre.

Il est pourtant si évident. Si le Mal n'existait pas, quelle définition pourrait-on donner au Bien ? Quel serait son intérêt ? Sa raison d'être ? Et comment pourriez-vous l'apprécier, vous autres, de l'autre côté de la rive ? Tout cela, tout ce que je pense, je dois avouer que c'est à des lieues de mon état d'esprit lorsque j'étais encore humaine. En ce temps là j'avais encore le cerveau embrumé par cette hypocrisie collective qui dit que le Mal doit disparaître. Depuis que je suis passée dans le côté des morts, des démons si vous préférez, je vois la chose d'une tout autre façon...

Comme à chacune de mes morts, j'ai été plongée dans un bain de lave en fusion, qui s'est étalé sur une journée. Cela aurait dû être ma seule punition pour être morte une fois de plus. Mais comme je ne me suis pas défendue pour sauver ce qui reste de moi - à quoi bon ? -, j'ai eu un supplément d'une journée dans une Dame de Fer... Enfin, cette souffrance, je devrais y être habituée à présent, nous dira-t-on. Certes, nous y sommes habitués, nous autres damnés, c'est tellement naturel de songer que l'on nous torture... mais... Parlons sérieusement. Croyez vous vraiment, damnés ou pas, que vous vous habitueriez facilement à la sensation que votre corps tout entier est brûlé par de la lave en fusion, que vos yeux cuisent à petit feu dans vos orbites ? Croyez vous que le fait de sentir les pointes en métal rouillé des Dames de Fer vous transpercer petit à petit, sans toutefois aller trop loin pour ne pas que la douleur s'atténue trop vite vous laisserai indifférent ? Même au bout de cent ans ? Et que diriez vous si les cris d'âmes torturées résonnaient en permanence dans votre esprit, où que vous soyez, vous rendant à moitié fou et vous donnant l'envie de vous tuer vous-même pour que cela cesse ? Vous diriez « Opf, je vais m'y habituer !! » ? Permettez moi d'en douter. Je suis désolée, malgré les plus de cinquante ans qui me séparent de ma première mort, je n'ai jamais réussi à ne plus éprouver de mal.

C'est bien ça d'ailleurs mon problème. Je suis encore trop humaine - ou pas assez démone, c'est vous qui voyez. J'ai encore en moi tant de sentiments que l'on prête aux vivants, comme la pitié, l'espoir, l'amour même... Oui, ma transition a été bâclée. Et vous savez à cause de qui ? Oh, non... je ne vais pas vous raconter ça comme ça, il vaut mieux commencer par le début... Mais malheureusement, ma triste histoire n'aura jamais vraiment de fin...
Avant mon enlèvement, je faisais partie d'un Ordre appelé les Rogues. En ce temps là, les personnes étrangères à cette caste nous confondaient avec les Amazones, les fameuses guerrières solitaires qu'aucun homme n'arrivait à approcher sans se faire tuer. En vérité, nous étions complètement différentes de ces farouches archères pour deux raisons : nous ne restions jamais seules, contrairement aux Amazones qui n'aimaient pas la compagnie, pas même de leurs soeurs, et, de plus, elles ne cessaient de parcourir Sanctuary pour trouver la gloire et la fortune. Nous restions, pour la plupart d'entre nous, sur la terre qui nous avait vu naître jusqu'à la fin de nos jours.

Mais les amalgames naissent vite dans l'esprits des gens, et il est vrai que nous avons cela en commun avec les Amazones : le talent d'archère incomparable qui coule dans nos veines, et un caractère décourageant tout prétendant.

On raconte d'ailleurs dans les anciens livres qu'autrefois une Alliance existait entre les Amazones et les Rogues, mais personne n'est capable de dire pourquoi cette entente a été brisée. Peut-être cherchait-on, à l'époque, à oublier cette page de l'histoire...

Tout est-il qu'au temps où j'étais encore humaine nous étions sous le commandement spirituel de notre Grande Prêtresse, Irahïa. Elle appartenait à la Sororité de l'Oeil Aveugle, une autre caste plus ou moins liée à celle des Rogues. En effet, il y a longtemps, les Rogues n'avaient aucun moyen de se régénérer lors d'une bataille, ignoraient tout des aptitudes magiques. Et un jour, une Ensorceleuse prit sous son aile une des nôtres qui lui avait sauvé la vie. Lorsqu'elle revint à son campement, ses soeurs furent éblouies par ses flèches de feu, de glace, ses traits intelligents qui poursuivaient leur cible jusqu'à ce qu'ils l'aient touché.

Elles décidèrent de demander à l'Ensorceleuse de leur apprendre également toutes ces techniques magiques dévastatrices. Ainsi fut fondé cet Ordre, qui finit par s'étendre à travers tout Sanctuary. Dans chaque camp, la Grande Prêtresse devait former une jeune élève pour la succéder lors de son passage dans l'au-delà.

Dans mon camp, cette jeune élève se nommait Akara. Fille d'Irahïa elle-même, elle avait montré très tôt un don sûr pour la magie, et s'entraînait dur tous les jours. On aurait dit qu'elle pressentait ce qui allait se passer depuis qu'elle était en âge de contrôler sa magie.

Je souris encore en me remémorant les folles après-midi que nous passions ensemble... car si Akara était la fille de la Grande Prêtresse, elle ne montrait en rien le sérieux et la monotonie de caractère spécifique à sa mère... et à l'Ordre auquel elle appartenait par la même occasion.

Nous passions notre temps à sortir du camp en cachette la nuit pour explorer la vieille caverne de la Lande, à fabriquer des flèches piégées pour les mêler aux autres dans le carquois de Flavie, la Maîtresse des Armes...

Je me souviens particulièrement de ce jour où j'avais été chercher un petit mulot dans la plaine bordant le camp, qu'Akara avait transformé en flèche qui se tordait dans tous les sens, tout en poussant des petits cris offensés et apeurés. Je crois bien que Flavie n'avais jamais eu autant peur de sa vie... même devant les armées d'Harrogath, durant la guerre contre les barbares. Elle n'aurait jamais su que nous étions à l'origine de cette sottise si cette garce de Kashya ne nous avait pas dénoncées.

Il se trouve que Kashya était la fille de Flavie, et... que nous ne nous entendions pas vraiment avec elle. Autant dire que nous nous haïssions mutuellement... ce serait une formule plus appropriée. Ah, combien de punissions et de coups nous aurions évité si elle n'avait pas été là... Je crois bien qu'aucune des jeunes élèves ne l'aimait vraiment, mais la plupart jouaient les hypocrites pour s'approprier les faveurs de Flavie.

Souvent, Akara et moi étions accompagnés dans nos escapades nocturnes par Charsi, une fille au caractère bien trempé, que nos aînées avaient recueilli dans la guerre contre les Barbares : c'est la seule fois où j'ai entendu dire que Flavie s'était laissée amadouer. La maison de Charsi avait pris feu, ses parents l'avaient abandonné là, et Flavie n'avait pu se résigner à abandonner une si jolie petite fille, surtout quand les grands yeux bleus de l'enfant remplis de larmes l'avaient supplié silencieusement de la sauver.

Elle vivait depuis avec Morgan, une Rogue trop âgée pour combattre mais qui ne pouvait pas avoir d'enfants. La petite Charsi passait le plus clair de son temps dans l'atelier de Lydie, notre forgeron de l'époque, et rêvait d'un jour reprendre cet atelier : elle suivait donc une formation intensive chez elle... et pouvait de ce fait nous fournir les pièces de métal qui parfois nous étaient nécessaires pour accomplir nos petits méfaits enfantins...

Avec le recul, je dois avouer que nous étions certainement impossibles à vivre pour notre Grande Prêtresse et notre Maîtresse d'Armes, au caractère si différent du nôtre. Mais nous mettions un peu de gaieté dans le camp triste, et bien souvent nous arrivions à dérider toutes nos soeurs, même en période difficile.

Je pense aujourd'hui que Kashya était un peu jalouse de cette joie de vivre qui nous animait toutes les trois, et une chose était sûre : elle ne pouvait pas supporter Charsi. Elle l'a toujours traité de toutes les insultes possibles pour une non-Rogue, et nous nous battions souvent à ce sujet elle et moi.

Je crois que nous avons tous eu, un jour, quelqu'un qu'on ne pouvait pas supporter, malgré tous les efforts du monde. C'était le cas me semble-t-il... .mais il est vrai que nous aurions mieux fait de nous ignorer plutôt que de nous battre... enfin... il faut aussi avouer que c'est tout de même moins amusant...

Je me surprends encore à repenser à tout ça, mais tout a tellement changé... J'ai presque l'impression de parler d'une autre vie. C'était une autre vie. Puisqu'à présent je suis considérée comme morte ! J'aurais tout donné pour que cela n'arrive pas. J'aurais tout donné pour voir Akara et Charsi réaliser leurs rêves. J'aurais tout donné pour être aujourd'hui ce que j'aurais dû être : une Rogue dont le talent d'archère serait resté célèbre dans tout Sanctuary.

Parce qu'il faut savoir qu'au temps où j'étais élève, j'étais la meilleure de ma classe. J'atteignais toujours le centre de la cible, sous n'importe quelle condition météorologique, et j'avais apparemment une prédestination pour geler mes flèches. Je passais des heures à m'entraîner avec Akara, et parfois je décochais des flèches d'une puissance que même Flavie avait du mal à expliquer.

Mais tout cela est du passé, il ne sert à rien de me faire du mal en y repensant. Et pourtant... si j'avais su...
C'était un frais matin d'automne. Les quelques rayons timides qui s'aventuraient au dessus des arbres répandaient sur Sanctuary une douce lueur rosée, faisaient scintiller l'herbe humide. Les couleurs rouges et mordorées dont se paraient les feuillages laissaient paraître la passion qui animaient encore, à cette époque, nos plaines et nos forêts.

J'étais sortie du camp alors que la nuit régnait toujours dans le ciel aux milles étoiles, et j'étais là, étendue dans l'herbe, profitant de cette aube. La dernière que je verrais de cette façon... En effet, le lendemain était le jour de mes vingt ans, et par conséquent de mon Aguerros : j'allais quitter le statut d'étudiante pour devenir enfin une vraie guerrière Rogue. On allait me remettre un arc en osmose avec mes meilleures compétences, et j'allais enfin porter ces armures reluisantes, ces robes écarlates qui constituaient l'équipement de l'époque.

Et même si c'était là la chose que j'attendais depuis des années et des années, je voulais profiter de cette dernière journée d'insouciance et de liberté. Ma dernière journée d'enfant...

Soudain, je vis deux personnes se précipiter sur moi pour me maintenir au sol sans que je ne puisse bouger... puis j'ai entendu les rires joyeux d'Akara et Charsi, penchées sur moi, qui m'ont dit :

« Alors mam'zelle, c'est demain le grand jour ?

- Tout juste Charsi. Et figure toi que j'étais en train de profiter de ma dernière journée tranquille avant d'être sous le commandement permanant de Flavie !

- Tiens, j'y pense...

- Tu penses Akara ? Première nouvelle...

- Haha, haha. Dis moi Chars, laquelle est la plus blonde de nous deux ?

- Elle était pas très très fine celle-là...

- Bon, tout est-il que je viens d'y penser : ça fait un moment qu'on a pas fait une p'tite blague à cette chère Flavie !

- Ouais, répondis-je. Faudra y penser...mais pour le moment les filles, je...j'aimerais bien rester un peu toute seule...

Elles me lancèrent toutes les deux un regard interrogateur.

- Oui, juste pour...juste pour réfléchir à tout ça. Pour profiter de cette nature dont je vais devoir apprendre à me méfier dès demain...

- Lyn, si on est venues, c'est pour deux raisons : premièrement, on voulait échapper à la colère de Kashya qui a, semblerait-il, été électrocutée par sa fiche de notes sur l'Arche de la Fureur Divine, on ne sait pas trop comment...

- Comme quoi, ces arcs, il faut toujours s'en méfier ...

- N'empêche que maintenant Kashya a les tifs tout ébouriffés...

- Les filles, je crois qu'on avait jamais fait ça encore ! Efficaces les nouveaux sorts que tu apprends Akara...

- Comme tu dis... Enfin bref, et donc deuxièmement, j'ai entendu ma mère et Flavie discuter, on raconte qu'il se passe des choses étranges à Tristam... On dit que les démons on envahi les souterrains, et que tous les héros qui essayent de s'attaquer à la vermine ne remontent jamais... et même ici, ça à l'air de commencer à s'agiter au fond des catacombes du monastère. Il paraîtrait qu'on a retrouvé une Soeur morte, au milieu d'un bain de sang - de son sang.

- C'est pas bien joyeux tout ça...même si je n'en crois pas un mot.

- Lyn, il ne faut pas que tu te promènes seule comme ça. Ca commence à devenir dangereux. Je le sais. Je le sens.

- Tu fais de la divination maintenant toi ?

- Lyn...

- Désolée Akara. Mais là, c'est non. Je veux être seule. Je veux pouvoir me balader dans les plaines. Sans personne. Et ce ne sont pas des histoires de fantômes qui vont m'en empêcher.

Comme je m'étais levée et que j'allais partir, Charsi me prit par l'épaule et me dit « Fais attention à toi ma belle, on a besoin de toi demain... », avant de me laisser partir.

Comment Akara elle-même pouvait prêter attention à ces histoires abracadabrantes ? Et Charsi ? Elle avait plutôt la tête sur les épaules elle aussi ! Je n'y prenais pas garde, mais je marchais de plus en plus vite, m'enfonçant peu à peu dans les terres en ruminant mes sombres pensées.

Je me retrouvais finalement dans le Marais Sombre. En ce temps là, il existait encore un passage qui permettait d'y accéder sans passer par les grottes, mais il a été détruit depuis. J'étais donc dans le marais, verdoyant et touffu comme une vraie jungle. J'aimais tellement cet endroit...j'y venais souvent pour me retrouver seule, confinée dans le silence épais qui enveloppait le Marais tout entier, troublé par les seuls chants des grenouilles. J'aimais la couleur verte et dorée que prenaient les rayons du soleil en passant à travers les feuillages, les joncs qui se balançaient doucement au gré des vents.

On aurait dit que cet endroit était épargné par l'automne, tant il y avait de nuances de vert dans les arbres. Quelques feuilles commençaient bien à dorer, mais cela ne faisait qu'ajouter au mystère qui se dégageait de chaque plante, de chaque arbuste, de cette eau si calme et pourtant si claire.

J'essayais de chercher la barque que j'empruntais lorsque je venais, mais, pour la première fois, elle n'était pas à sa place. Il me semblait pourtant bien que je l'avais cachée à cet endroit la dernière fois... J'ai continué à chercher ainsi durant une bonne demi-heure, après quoi j'ai dû finalement me résigner à m'aventurer dans le Marais à pied, en passant par les berges.

Les hautes herbes me chatouillaient les jambes, et plusieurs fois j'avais failli trébucher sur des mottes de terre. Mais peu m'importait : je croyais le Marais plus sûr que n'importe quel autre lieu, et même ces petits obstacles me rassuraient, m'encourageaient à avancer toujours plus loin. Si seulement j'avais pu écouter Akara...

Tout se passa alors en un éclair : d'abord j'ai entendu des petits cris stridents qui m'ont fait stopper ma course, puis j'ai senti des mains s'agripper à mes jambes et d'autres me couvrir la bouche, et on m'a entraîné dans l'eau. Après quelques mètres, j'ai été assommée en me cognant la tête contre une pierre, puis...plus rien. Avant de perdre conscience, j'ai pensé une dernière fois à Akara et Charsi, en les suppliant silencieusement de me pardonner. Ma promenade s'arrêtait là...et ma vie par la même occasion...
Lorsque je me suis réveillée, j'ai d'abord cru que j'étais devenue aveugle : tout autour de moi régnait l'obscurité d'une nuit sans lune, et seules quelques nuages pourpres et orangés témoignaient d'un faible éclairage à la bougie. Puis peu à peu, mes yeux s'étant habitués à cette pénombre omniprésente, j'ai aperçu des signes étranges tracés sur ce qui me semblait être un mur en face de moi, avec.... Avec du sang ? J'ai voulu marcher vers ce mur, mais je me suis rendue compte que j'étais attachée à une sorte de grande croix. J'avais les pieds et les mains liés, et on m'avait complètement dévêtue.

Ce n'est qu'à ce moment, cet instant où j'étais à nouveau consciente et que les souvenirs de ce qui m'étais arrivé revenaient par bribes, que j'ai senti cette douleur lancinante au cou. Comme si on m'avait arraché la peau et la chair, et que...j'étais en train de me vider de mon sang. Je n'osais pas regarder, mais en me forçant à baisser la tête j'ai pu voir une plaie béante d'où un liquide poisseux et rouge écarlate coulait en un large filet sur tout mon corps. Mon sang. Était-ce aussi avec mon sang que ces dessins sur le mur avaient été tracés ?

J'aurais voulu vomir de dégoût, mais cela m'était chose impossible : j'avais l'étrange impression qu'à l'intérieur de mon corps tous mes organes étaient comme calcinés. Mais que m'avait-on fait ? Et...pourquoi et comment étais-je toujours en vie ?

J'eu alors l'impression d'entendre un nombre incalculable de voix plaintives autour de moi, qui gémissaient en une insupportable mélopée. En essayant de faire taire la douleur rugissant en moi, je balayais la pièce des yeux, découvrant peu à peu quelques dizaines de ce qui me semblait être des démons. Ils étaient agenouillés devant et derrière moi, leur macabre ligne de damnés se poursuivant de chaque côté. Et c'est en tentant de tourner la tête que j'ai enfin vu ce que j'aurais dû remarquer immédiatement.

De chaque côté de la croix où j'étais attachée, j'ai vu quelques autres femmes, sur d'autres croix semblables à la mienne. Elles aussi étaient maculées de sang. De leur sang. Celles dont je pouvais apercevoir le visage étaient encore évanouies...ou bien peut-être étaient-elles déjà mortes.

Soudain, une voix plus forte que toutes les autres réunies retentit dans la pièce et fit trembler les murs. La paroi devant moi s'ouvrit brusquement dans un éclair rouge aveuglant, laissant place à une chose dont je n'aurais jamais pu soupçonner l'existence.

Si l'on pouvait comparer cela une femme, je dirais qu'elle était au moins quatre fois plus grande que la normale. Ses bras se terminaient par des mains recouvertes d'écailles, d'où sortaient des lames tranchantes et ensanglantées, mais elle semblait en posséder quatre autres qui lui sortaient du dos, surmontés de sorte d'énormes griffes en corne. Dans ses yeux brillait cette lueur de haine propre aux grands démons, et sa bouche se déformait en un rictus mauvais qui n'annonçait rien de bon quand à ce qui allait advenir des autres et de moi-même.

Après nous avoir contemplé durant quelques instants, elle déclara de sa voix démoniaque « Je suis Andarielle, Maîtresse de l'Angoisse, celle que vous devrez à présent considérer comme votre Reine...du moins pour celles qui ont survécu... que celles qui sont mortes servent de repas à tous ! Je vous offre des mets de choix mes agneaux... ».

Les démons s'agitèrent soudain, se ruant sur les quelques corps sans vie des femmes vidées de leur sang, tandis que les moins rapides et les plus faibles se contentaient de boire celui-ci au pied des croix.

Une fois l'orgie terminée, Andarielle continua : « Mes chers serviteurs m'ont fait remonter de la prison dans laquelle ces forbans d'Azmodan et Bélial m'avaient fait enfermer. Puisque l'on me refuse le trône des Enfers, je commencerai par m'emparer du Monastère et des régions alentours...avec votre aide mes jolies, puisque vous connaissez mieux ce pays que moi... Puis mon pouvoir s'étendra sur tout le Westmarch, et Diablo sera enfin forcé de me restituer mes anciens titres... »

Je me mis à réfléchir à toute vitesse. Diablo ? Ainsi, la tragédie de Tristam était bien réelle... Et ici même, nos Soeurs disparues servaient à ramener cette...cette chose des Enfers ? Et moi ? Qu'allais-je devenir ?

Andarielle poussa un cri dont je pourrais vous décrire la puissance et la haine, en une langue étrange que je n'avais jamais entendue. Mais cela devait avoir un sens pour les démons de la salle, qui entreprirent de détacher une des femmes à côté de moi.

Mon sang continuait de couler plus fort que jamais, et je ne savais quelle magie noire me permettait encore d'être en vie et de penser. Pour ne pas songer à cette douleur qui me rongeait petit à petit, j'ai tenté de me concentrer sur ce qu'il advenait de la pauvre fille qui hurlait à en mourir.

Elle fut ébouillantée dans un bain de ce qui semblait être du sang noir. Lorsqu'elle ressortit, elle en avait apparemment absorbé une grande quantité, et avait la peau complètement blanche. Ses yeux avaient perdu toute expression, ressemblant à deux boules de porcelaine brillant sous les flammes des bougies.

Ses plaies étaient cicatrisées mais elle semblait souffrir plus qu'il est humainement possible. Elle avait l'air de ne plus savoir qui elle était ni ce qu'il se passait. Elle était emplie de haine, cela se lisait sur son visage. Probablement l'effet secondaire de la douleur...

Les démons l'amenèrent ensuite devant leur Maîtresse. Celle-ci appela, par des incantations dont je n'ai plus le souvenir, un terrifiant esprit vert qui s'engouffra dans le corps de la pauvre fille. Elle était damnée...à jamais.

Était-ce donc ainsi que j'allais finir ? Brûlée par du sang noir ? Sans aucune forme de pensée quelconque ? A la solde de ce monstre qui se faisait appeler Andarielle ? Habitée par un esprit maléfique ?

Je voyais les démons prendre des corps de plus en plus proche de moi. On ne pouvait plus discerner laquelle des corrompues criait tant les hurlements étaient nombreux et plus affreux les uns que les autres.

Quatre petits êtres rouges s'approchèrent de ma croix. Je me laissait faire jusqu'à ce qu'ils m'aient détachée, puis je tentais de les frapper et de les brûler sur les bougies. Il ne serait pas dit que j'allais mourir sans rien faire pour l'en empêcher ! Après maints efforts, j'avais réussi à me dégager des immondes créatures et m'élançait vers la sortie lorsqu'Andarielle elle-même me saisi par la taille de ses puissantes mains, m'entaillant les hanches et la poitrine. Elle m'amena jusqu'à la grande cuve en bronze tachée par le sang et commença à me plonger dans le liquide bouillant...

Je ne saurais, même aujourd'hui, vous décrire la douleur que j'ai ressentie à ce moment là. J'avais l'impression d'être sur un bûcher, de sentir les flammes me lécher le corps... Alors qu'elle allait me plonger la tête dans cet enfer, la porte de la salle s'ouvrit dans un grand fracas, laissant apparaître... l'armée de Rogues de mon campement.

Il y eu un moment de stupeur chez les démons, puis Andarielle m'enfonça la tête dans la cuve en un geste de défi. Mes yeux brûlèrent dans mes orbites, mes lèvres étaient à vif et j'avalais du sang à n'en plus pouvoir. J'entendais vaguement des cris et des bruits de combat au-dessus de moi, mais les cris de mon propre corps surpassaient tous les autres.

Une Rogue dû toucher Andarielle, car celle-ci relâcha son emprise et je pus sortir la tête hors du sang. J'avais vu juste : une flèche traversait la cuisse de l'ancienne Reine des Enfers, et elle poussait un hurlement terrifiant empli de haine.

Voyant que le nombre de ses serviteurs diminuait dangereusement, elle tourna vers moi ses yeux rouges et un rictus déforma soudain son visage démoniaque. Elle me saisit une fois de plus par la taille et se plaça devant Flavie, puis lui dit d'une voix sournoise : « Mmh...il me semble que cette jeune Rogue a certaines de tes faveurs... ». Sous l'oeil horrifié de Flavie qui m'avait reconnue, elle entreprit de me couper la gorge à l'aide de ses griffes. « En voyant ton regard, je ne peux qu'en être sûre. Alors écoute moi bien, insignifiante mortelle. Telle que tu la voie, elle va mourir dans quelques minutes dans d'atroces souffrances. Elle a cependant une chance de survivre si je la plonge à nouveau dans la cuve de Sang de Transition que tu vois là-bas. Mais je ne le ferais pas si toi et ton armée ridicule ne disparaissez pas immédiatement. Je te propose donc un marché : si tu t'en retournes à ton camp misérable, je l'épargne ; mais si tu restes, toi et tes pauvres filles paumées, je la tue et je demande personnellement au Bourreau des Enfers de la torturer durant toute l'éternité. ».

Flavie resta silencieuse. Des larmes faillirent couler le long de ses joues, mais elle se retint pourtant. Perdre sa dignité devant Andarielle était la dernière chose qu'elle voulait faire. Elle tenait là une opportunité de tuer la Démone, mais...il fallait me sacrifier pour cela.

Je vis alors apparaître derrière elle une forme sombre, apparemment une jeune fille couverte d'une cape noire. J'eus un coup au coeur quand je la reconnus : c'était Akara. Elle me regarda tristement, et sembla chuchoter quelque chose à Flavie - qui sursauta à la vue de mon amie : elle ne devait pas s'attendre à ce qu'elle les ait suivi.

Après quelques instants, Flavie finit enfin par dire : « Tu as gagné, Démon, mais je ne partirais qu'à cette seule condition : je veux que tu épargnes également l'esprit de Lyn. Je ne te laisserai pas la corrompre comme les autres. Je te demande donc de ne pas lui intégrer un esprit maléfique comme à toutes les pauvres filles là-bas. Est-ce clair ? ».

Andarielle parut offensée de cette réponse. Mais voyant qu'elle ne pouvait faire autrement, elle céda. Flavie et les autres s'en allèrent donc, jetant des regards furibonds aux démons ricaneurs. Akara fut la dernière à partir, et je la vis ouvrir ses yeux une dernière fois, pour me lancer un regard empli d'amour. Il me semble même me souvenir d'une larme solitaire coulant sur sa joue...
Je ne saurais vous dire ce qu'il est advenu de moi ensuite, puisque j'ai perdu connaissance lorsque l'on m'a plongée une seconde fois dans la cuve de sang noir. Mais en revanche, je me souviens parfaitement du désespoir que j'ai ressenti quand j'ai vu ce liquide poisseux et bouillonnant juste au dessous de moi. J'avais perdu tout ce que j'avais. Tous mes rêves. Tout disparaissait à mesure que le temps avançait.

Lorsque je me suis réveillée, j'ai senti le contact de la pierre froide sur ma peau blanchâtre, vu de longues mèches rouges me tomber devant le visage. Comment ce Sang avait-il pu me transformer de la sorte ?

Alors que je tentais péniblement de me relever, je balayais la pièce du regard et découvris une grille rongée par la rouille en face de moi. Puis, tout autour de moi, je vis les autres filles qu'Andarielle avait fait enlever. Certaines étaient évanouies et les autres... les autres tenaient leurs mains plaquées sur leurs oreilles, comme si un quelconque bruit les assourdissait. Leur visage semblait déformé par la douleur, et je remarquais avec épouvante qu'elles étaient toutes semblables. Les mêmes yeux vides, les mêmes cheveux noir jais, les mêmes peaux blanches paraissant dures comme la pierre.

J'étais la seule à avoir les cheveux écarlates. Et apparemment j'étais la seule à ne pas entendre ce bruit qui les tourmentait.

Comme je prêtais l'oreille pour comprendre ce qui se passait, je fus surprise par un choc assourdissant : une étrange créature venait de frapper contre la grille avec ce qui me semblait être une hache, et me désignait à présent du doigt en me faisant signe de le suivre.

Je contemplait un instant cette chose que je ne saurais qualifier, me disant pour moi-même qu'on aurait pu croire à une alliance entre un homme et un bouc : le torse du premier, la tête et les jambes arrière du second.

Voyant que l'animal s'impatientait, je me relevais complètement et me dirigeais vers la grille avec méfiance. Il ouvrit celle-ci, puis, une fois que je fus sortie, me fit à nouveau signe de le suivre tandis qu'il m'entraînait dans des couloirs de plus en plus sombres et humides.

Nous arrivâmes enfin dans une grande pièce éclairée de centaines de bougies, où trônait sur un siège fait d'ossements l'ancienne Reine des Enfers, Andarielle.

La créature qui m'avait conduite me força à m'agenouiller, puis repartit après qu'Andarielle lui en ai donné l'ordre.

« Jeune Damnée, je t'ai fait venir ici pour t'expliquer certaines choses. Saches que tu n'as pas la permission de partir, de m'interrompre ou de poser des questions tant que je ne t'y autorise pas. Il y a... appelons cela des lois qu'il faut que tu appliques, bien qu'ici il n'y pas d'autres justice que la mienne - qui soit dit en passant n'est absolument pas juste, et vise uniquement au développement de mon pouvoir personnel.

Elle reprit son souffle quelques instants en me considérant, puis continua de sa même voix surnaturelle :

« Afin d'honorer la promesse que j'ai faite, je ne t'ai pas soumise à ma volonté maléfique comme je l'ai fait avec les autres. Par conséquent, tu n'entends pas les voix des milliers de suppliciés qui résonnent dans le crâne des autres, et tes cheveux ainsi que tes yeux n'ont été que partiellement transformés. Mais cette misérable Flavie n'a fait qu'ajouter à ton malheur. Étant en pleine possession de tes capacités intellectuelles, tu vas devoir accomplir des meurtres en mon nom de ton plein gré, c'est-à-dire exterminer tes propres soeurs tout en sachant ce que tu fais et ce dont tu es responsable. Et ne cherche surtout pas à te faire tuer à leur place, puisqu'au lieu de la mort rapide que tu as le pouvoir de leur donner, je ferais capturer tout ton clan lorsque j'en aurais la puissance, et alors je me chargerai moi-même de leur mort... lente et très douloureuse. Mais le génocide auquel tu vas participer n'est pas la seule affreuseté à laquelle tu dois t'attendre : la plupart des autres damnés ne sont pas aptes à avoir une discussion. Tu seras donc seule. Seule avec toutes ces mortes sur la conscience. Et enfin, lorsque tu te feras tuer, la douleur que tu endureras n'en sera que décuplée, et ton séjour aux Enfers sera plus dur à chaque fois. Je crois même que les voix que les autres entendent apparaîtront avec les années. ».

Je ne pouvais plus respirer. Ce n'était pas tant la douleur que j'allais ressentir, mais le fait de devoir tuer celles que j'avais aimées durant tant d'années. Et si un jour je devais tuer Akara ? Ou Charsi ? Et... même Kashya. J'en serais incapable.

« Ainsi, en croyant te sauver, ton ancienne Maîtresse d'armes n'a fait qu'empirer les choses. Et sais-tu pourquoi ? J'aurais eu bien du mal à voir le Bourreau des Enfers, puisqu'à la moindre apparition que je ferais je serais immédiatement enfermée. Il y a bien des années, les trois autres démons mineurs et moi nous partagions les Enfers, régis par Diablo et ses frères. Et puis Azmodan et Belial, les plus ambitieux et avides de pouvoir, voulurent les chasser et se partager les Enfers. Ils nous enfermèrent donc Duriel et moi dans une prison bien en dessous des Enfers, gardée par de nombreux sorts de magie noire.

« Je ne sais pas quelle raison obscur, certains de mes sujets me restèrent fidèles et élaborèrent un plan pour me faire sortir de cette prison où j'étais enfermée. Ils mirent des années à trouver, mais Bishibosh, certainement le plus fidèle de tous, ne perdit jamais espoir et je suis finalement revenue de ces Enfers.

« Vois-tu Lyn, puisque tu t'appelles ainsi, la mort t'aurait libéré. Les Démons seront toujours plus forts que ces stupides humains, et tu sais pourquoi ? A cause de cette chose méprisable que vous appelez les sentiments. Vous êtes si faciles à manipuler... et je dis vous parce que je ne te considère pas comme les autres damnés. Tu n'es qu'un hybride. Une créature sans monde, sans peuple. Tu vas errer durant l'Éternité sans savoir ce que tu es, sans savoir ce que tu veux. Tu seras rejetée où que tu ailles, quoi ou qui que tu côtoies. Tu n'es pas avec nous. Tu n'es pas avec eux. Tu n'es rien, si ce n'est une erreur de la nature... »

Elle éclata alors d'un grand rire démoniaque qui se répercuta dans toute la salle, ses yeux vengeurs posés sur moi en un mélange de satisfaction et de dégoût, puis appela ses sujets pour qu'ils m'équipent et qu'ils m'emmènent dans les Catacombes, là où je devais accomplir mon premier meurtre...

On me remit un arc minable rongé par le temps en temps qu'arme, et une toile matelassée de mauvaise qualité pour toute protection. Dès que j'eus un carquois de flèche dans la main, des petits démons rouges m'entraînèrent en me tirant par les bras. Nous passâmes devant d'effrayantes créatures, des sortes de buffles à l'oeil mauvais, nous croisâmes quelques squelettes puis nous vîmes enfin le grand escalier de pierre qui devait nous mener au niveau supérieur. J'avais peur. Là-haut se trouvaient certainement des membres de mon clan. Et je devrais les tuer, je n'en avais guère le choix.

Alors que nous arrivions en haut des marches, les autres me firent signe de me plaquer contre le mur. J'en vis un se pencher pour voir l'intérieur de la pièce, puis me faire un signe de tête. Comme je ne comprenais pas ce que voulait dire ce petit démon, il parla pour la première fois : « Il y a une fille dans la pièce. Tue-là !! ». J'avais tellement peur que j'en avais mal à l'estomac. Comment pouvais-je ? Comment pouvais-je donc tuer une Rogue, alors que j'en étais encore une dans mon esprit ?

Il allait malheureusement falloir que je m'habitue à cette idée. Tuer. C'était à présent la seule chose que je pouvais encore faire.

Je sortis doucement du recoin dans lequel je m'étais glissée pour m'avancer à pas de loup jusqu'à l'ouverture. Elle était là, me tournait le dos. C'était si facile de l'atteindre... J'ai pris une flèche du carquois, bandé mon arc... et j'allais décocher la flèche lorsque je me suis aperçue que je la connaissais. Mais je ne pouvais plus m'arrêter.

La flèche fendit l'air dans un léger sifflement, transperçant la poitrine de Marie. La soeur de Kashya. Elle ne poussa aucun cri. Ce n'est que lorsque j'ai entendu le bruit sourd de son corps inanimé touchant le sol que j'ai réalisé ce que je venais de faire.

J'ai lâché mon arc et mes flèches, puis j'ai commencé à m'enfuir et à redescendre l'escalier, lorsque j'ai senti les petits démons rouges s'accrocher à moi. Ils me forcèrent à revenir dans la salle, et me firent m'asseoir dos à une paroi. J'avais le cadavre de Marie devant moi.

Un des démons se mit devant moi. Nous faisions à présent presque la même taille, puisque j'étais assise et lui debout. Il m'a regardé dans les yeux, a posé une main sur mon épaule, et m'a dit qu'il fallait que je sois forte, parce que ce n'était qu'un début. Il m'a semblé qu'un sourire s'esquissait sur son visage déformé par le mal.

Je crois que c'est grâce à lui que j'ai finalement accepté ma condition de demi-damnée. Puisque je ne pouvais pas vivre avec les vivants, autant me ranger du côté des morts...

Je les ai supplié de redescendre, pour qu'ils me laissent le temps de m'habituer à cette demi-vie, à ce corps que je ne connaissais pas. Et, contre tout espoir, ils acceptèrent. On me remit dans une cellule, mais j'étais seule cette fois.

J'ai passé le restant de la nuit et la journée suivante à essayer de dormir, mais j'étais sans cesse tourmentée par le souvenir de mon ancienne vie, tourmentée par ce meurtre que je venais de commettre, et aussi... par l'expression du visage de ce curieux petit démon qui avait su se montrer compréhensif. Qui aurait cru cela ?

La nuit suivante, il revint me chercher avec ses compagnons. J'ai appris qu'il s'appelait Kalis pendant que nous marchions jusqu'à l'escalier, mais il ne se montrait guère très bavard. Lorsque nous sommes arrivés en haut des marches, nous nous sommes aperçus que le cadavre de Marie avait été enlevé... .et qu'une autre Rogue montait la garde. Il me fut aisé de lui décocher une flèche dans le coeur, et curieusement cela ne me procura aucune tristesse, aucune difficulté. Je lui ai même pris son arc, qui avait le pouvoir de décocher des flèches de glace. Mais je n'ai pas eu le courage de la dépouiller de son armure. Cette viande morte ne m'inspirait pas.

Nous avons continué à avancer, traversant deux pièces non gardées. Puis nous nous apprêtions à ouvrir une grande porte, quand nous avons entendu des voix derrière. Des voix de femmes. Il y avait un petit campement dans cette pièce.

Nous sommes restés à écouter à travers la porte et avons évalué le nombre de Rogues à quatre ou cinq. Pas plus. Nous étions quatre. J'interrogeais Kalis du regard, et il nous fit signe de nous préparer. Je prenais une flèche de mon carquois, les autres brandirent leur haches ou leur glaives de mauvaise facture en serrant les dents tandis que Kalis me faisait signe d'approcher pour ouvrir la porte. Je m'avançais doucement, puis décochais un puissant coup de pied dans le grand panneau de bois qui s'ouvrit avec fracas.

Les Rogues n'eurent pas le temps de réagirent que j'en tuais déjà une et que Kalis fendait le crâne d'une autre. Elles étaient quatre, et nos deux autres compagnons transpercèrent les dernières de leur glaives.

Du sang frais recouvrait le sol, embaumant la pièce de son odeur sucrée. Et contre toute logique, j'étais heureuse lorsque je regardais mes nouveaux amis. Un peu comme si j'avais finalement trouvé ma place. Mais j'eus aussitôt honte de ce sentiment. Comment pouvais-je être heureuse alors que je venais tout juste de massacrer mes Soeurs, et que je traînais avec une bande de démons sanguinaires ?

Le sourire que j'arborais disparut immédiatement, et, une fois de plus, je laissais là mes armes pour me ruer vers la porte par laquelle nous étions arrivés. Kalis ne tenta pas de m'en empêcher, pas plus que les autres.

J'ai couru jusqu'à la cellule où on m'avait enfermé le jour précédent, et découvris qu'elle était toujours déserte, la grille grande ouverte. J'étais complètement démente. Si j'avais eu un couteau sous la main je me serais sans doute tuée toute seule. Mais je me suis contentée de mes ongles... et me suis lacérée la peau en de grandes griffures sur tout le corps. Je me suis cognée sur tous les murs de la pièce, contre les barreaux. Et puis finalement je me suis recroquevillée sur moi-même, adossée à un des murs, et j'ai pleuré.

J'aurais tout donné pour disparaître totalement de la surface de Sanctuary. Tout donné pour n'avoir jamais commis ces meurtres qui pourtant me procuraient... de la joie. Faire couler le sang était une pensée qui me hantais malgré toute la raison dont j'étais capable, et je crois bien que c'était ce qui me rendait le plus triste, et qui m'entraînait dans une folie que je ne saurais décrire...
J'ai dû rester ainsi quelques jours, sans que l'on se soucie de mon sort. Cela ne m'étonnait pas outre mesure, ma vision des choses ayant repris son allure originelle et bornée. Encore une fois, c'est à Kalis que je dois la seule lueur qui a réussi à me sortir de cet état vaseux...

Il est venu dans ma cellule, plutôt méfiant, quant à moi je le suivais des yeux sans mot dire, ne sachant trop que penser. Il s'est d'abord accroupi loin de moi, diffusant une petite aura de lumière rouge dans la pièce sombre.

Et puis soudain, j'ai senti quelque chose dans mon esprit. Pas vraiment des mots, pas vraiment des images. Plutôt des impressions, des sentiments, rien de précis...et pourtant je voyais défiler une véritable histoire. Son histoire.

Il m'a tout raconté ainsi, depuis l'époque où il était encore humain jusqu'à cette nuit où lui et ses semblables avaient fait revenir Andarielle de sa prison souterraine. Il m'a montré les injustices dont son peuple avait été victime. Au début je trouvais cela tellement absurde ! Les démons qui se plaignent d'injustice ? Je n'y prêtais pas vraiment attention malgré les forts sentiments qu'il m'envoyait. Et puis petit à petit...je commençais enfin à entrevoir ce qu'il voulait réellement me dire.

Il y a longtemps de cela, lorsqu'il était encore humain, il vivait dans un petit village qui se situait dans le camp des Rogues. Mais un jour, les farouches guerrières sont arrivées, cherchant une terre. Kalis et ses amis refusèrent de leur léguer les terres qu'ils cultivaient, ce qui mit les archères en colère. De petits esprits malins en profitèrent pour leur insuffler de macabres pensées...et elles massacrèrent les villageois. Certains allèrent en Enfer, et furent changés en démons par les nombreuses tortures qu'ils y endurèrent.

Depuis cette nuit, Kalis et les autres villageois devenus démons ne rêvent que de reprendre cette terre, ainsi que la vie paisible qu'ils avaient. Ils avaient réussi à combattre le démon qui s'était emparé d'eux et pouvaient, pour certains, penser par eux-mêmes.

S'ils avaient fait revenir Andarielle, c'était parce qu'elle symbolisait...leur dernier espoir. Elle seule pouvait rassembler assez de pouvoir pour reprendre possession de leur ancienne « Terre Promise ».

Je crois que c'est la détermination et l'intensité des sentiments de Kalis qui m'ont définitivement fait changer toutes mes convictions idiotes sur le monde. Toujours est-il qu'après cette nuit, je n'ai plus jamais été la même.

Andarielle avant raison, j'étais un hybride, une chose sans peuple. Mais il est faux de dire que, où que j'aille, on m'aurait rejeté...j'avais trouvé le clan le plus tolérant des deux, et je comptais bien y rester.

Une seule chose m'inquiétait vraiment. Kalis savait qu'Andarielle ne se contenterait pas de prendre cette terre pour quelques petits démons. Il savait qu'elle comptait se rebâtir un royaume à la surface. Pourquoi alors, même si elle était leur dernier espoir, l'avaient-ils fait revenir ?

Mais je décidais de laisser cette question dans un coin de ma mémoire, pour en poser une autre qui me tenait à coeur : Pourquoi était-il encore venu me voir ? Et pourquoi avoir attendu si longtemps ?

- Je suis venu parce que tu es la seule autre à être complètement indépendante de la volonté d'Andarielle. Les deux autres déchus que tu as vu et qui nous accompagnaient n'arrivent pas totalement à combattre ceux qui les habitent et, parfois, ils perdent le contrôle de leurs actes.

- Et pourquoi as-tu tellement attendu ?

- Crois-tu que tu m'aurais réservé un bon accueil si j'étais venu plus tôt ? A voir ces griffures sur ta peau, je dirais que non. Et puis je voulais te trouver quelque chose qui pourrait te prouver que je tiens à ce que tu restes avec nous...

- ... ?

Il prit un air malicieux, et se dirigea vers la porte de ma cellule. Il fit alors signe à deux autres petits êtres rouges d'entrer. Ils portaient une reluisante armure, alliant l'efficacité des cottes de maille à l'esthétique des tenues des amazones : le buste, auquel était attachées trois bandes de cuir faisant office de cache-sexe, était gravé de centaines de dessins tribaux luisant d'une belle couleur pourpre, et le métal lui-même était coloré de cette douce teinte vermeil ; un autre petit démon apporta les jambières de l'armure, ornées des mêmes dessins que le buste et allant du milieu de la cuisse à la cheville. Je n'avais jamais vu une telle merveille de toute ma courte vie.

Après l'avoir contemplée quelques instants, en caressant la douce idée de m'en revêtir, une évidence me vint à l'esprit :

- Mais où est-ce que tu as déniché cette armure Kalis ?

- Ne me le demande pas. Je ne te répondrai pas, cela ne t'apporterait rien. Je veux juste que tu la portes, en la considérant comme un présent de bienvenue dans le monde du mal...

- Pour ce qui est de la porter, ne t'en fais donc pas : je ne m'en séparerait pour rien au monde. Mais je t'en prie, dis-moi comment tu te l'es procurée...

- N'insiste pas, je suis plus têtu que toi... Viens maintenant. Andarielle veut nous voir, mais je n'ai aucune idée de ce qu'elle nous veut. Mieux vaut ne pas la faire attendre.

Je le suivis à travers le dédalle des couloirs, pour enfin arriver devant les immenses portes de la salle où elle trônait ; elles s'ouvrirent d'un coup, dévoilant un spectacle qui défiait l'imagination : les murs étaient recouverts de sang, de grandes cuves de ce même liquide étaient disposées un peu partout dans la colossale pièce. Des cadavres gisaient ça et là, d'autres étaient suspendus à des crochets ou encore attachés à des bûchers. Et, au milieu de toute cette horreur, se tenait Andarielle sur son trône d'os, une lueur malveillante dans les yeux.

Nous nous avançâmes jusqu'à elle, puis deux créatures mi-chèvre mi-homme nous obligèrent à nous prosterner en nous frappant dans le dos. Nous entendîmes alors l'effrayante voix de la Maîtresse des Enfers :

- Kalis ! C'est à toi que je vais m'adresser en premier lieu. Je sais quels espoirs tu nourris quand à la terre que tu souhaites reprendre. Je voulais simplement t'enlever tes douces illusions : cette province, une fois conquise, m'appartiendra. Je ne t'en donnerai rien.

- Mais... Maîtresse, vous me l'aviez promis...

- Où as-tu entendu ça ? Je ne t'ai jamais rien promis. J'ai dit que j'allais reconquérir cette minable terre.

- ...

- A présent, tu ne m'es plus d'aucune utilité. Et je n'aime guère l'idée que les esprits n'aient plus d'influence sur toi... Je vais me voir dans l'obligation de te renvoyer aux Enfers. Ne compte sur aucune pitié de la part de tes confrères là-bas : ils me haïssent, et quand ils sauront que tu m'as fait libérer...j'ai bien peur qu'ils ne te laissent guère de répit...

Kalis ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortait. Andarielle éclata de rire, apparemment satisfaite de l'horreur dans laquelle elle allait plonger le pauvre petit déchu.

- Qu'on l'emmène à la grande porte et qu'on le jette dans le tourbillon infernal !

Alors qu'on emmenait Kalis, j'ai soudain réalisé toute la sympathie que j'avais à son égard, tout ce que je lui devais...et combien j'avais besoin de lui. J'ai crié, sans réfléchir :

- NON !

- Qu'as-tu, stupide hybride ?

- C'est injuste ! Vous ne pouvez faire cela à Kalis ! C'est en partie grâce à lui que vous êtes revenue !

Elle se pencha vers moi, et me murmura, tout près du visage :

- Mais qui t'as dit que quoi que ce soit était juste ici ?

- ...

- Ne t'avais-je déjà pas dit que la seule justice qui existait était celle qui servait mon intérêt propre ?

Puis, se tournant vers ses serviteurs :

- Jetez-le !

- KALIS ! NON !

- Trop tard fillette...

Sous mes yeux, Kalis fut jeté dans une ouverture béante du mur, une sorte d'énorme tourbillon. Je me souviens encore des yeux terrifiés qu'il a tourné vers moi avant de disparaître, de ses cris tandis qu'il s'enfonçait de plus en plus dans l'horreur. Je n'ose pas imaginer ce qu'il est advenu de lui. Mais je sais que, pour la deuxième fois, j'avais perdu un être cher que je n'allais jamais revoir...

Avec le même rictus mauvais au coin des lèvres, Andarielle se tourna une fois de plus vers moi, pour me dire :

- A toi maintenant. Voilà ce que je t'ordonne : va au camp des Rogues, trouve celle qui remplacera leur espèce de sorcière guérisseuse, et tue-là. Sans les soins qu'elle pourrait leur apporter, ces stupides archères seront plus vulnérables...

- Que... que j'aille tuer Akara ?

- Appelle-là comme tu veux mais dépêche toi, ou bien tu risques sérieusement de le regretter. Car si je ne peux te faire torturer par le Bourreau des Enfers, saches que je suis également apte à te faire souffrir plus que tu ne l'as jamais imaginé... Va maintenant, et ne me déçois pas.

Je suis restée stoïque quelques instants, sans parvenir à réaliser ce que l'on me demandait. Puis j'ai été emmenée de force par un homme bouc dans ma cellule, et, une fois dans celle-ci, j'ai vu mon armure qui m'attendait dans un coin de la pièce. Je n'ai pas pu retenir une larme en repensant à Kalis. Maintenant qu'il n'était plus là, que devais-je faire ? Ou plutôt...que pouvais-je faire ?

La solution s'est alors présentée d'elle-même, conduite par une haine nouvelle qui naissait en moi. J'ai esquissé un sourire dans la pénombre en serrant les poings, puis j'ai enfilé mon armure. Elle était incroyablement légère, et pourtant je me sentais invulnérable. Dès que j'eus fini d'attacher mes jambières, j'ai eu l'impression que quelque chose changeait en moi, comme si je devenais plus forte, comme si mon aptitude à combattre se trouvait décuplée.

Je me suis avancée dans le couloir qui permettait d'accéder au niveau supérieur des catacombes, j'ai pris l'arc et les carquois qu'un petit déchu me tendait, et, ainsi armée, j'ai gravi les marches qui me séparaient de la première pièce...
Comme je le pensais, il n'y avait personne dans cette pièce. Je me suis cependant arrêtée quelques instants afin de me poser un peu avant de commencer la traversée. J'allais certainement devoir tuer bon nombre de Rogues pour remonter à la surface, à moins que les Soeurs aient finalement réalisé le projet de mettre un Portal au deuxième niveau des Catacombes. Étant donné la situation, il était très certainement fini ou en cours de construction. Il allait en revanche me falloir le chercher à travers toutes les pièces...si il existait bel et bien.

Je fus interrompue dans mes réflexions par un bruit sonore venant de derrière la porte. Je tirais lentement une flèche de son carquois, commençais à bander mon arc, et, après avoir inspiré profondément, ouvris le lourd battant avec mon pied...pour découvrir un rat assommé, près d'un casque : il avait dû s'y cogner. C'était donc cet animal l'origine du bruit que j'avais entendu...et qui m'avait affolé. Je ne pouvais pas me permettre de perdre ainsi mon sang-froid, ou je n'allais jamais résister aux arcs qui s'armeraient contre moi.

J'ai traversé ainsi plusieurs pièces non gardées, avant d'arriver à la salle principale du niveau. Elle contenait plusieurs tombeaux de Rogues renommées de notre clan, comme des guerrières héroïques ou encore des Maîtresses d'armes s'étant sacrifiées pour assurer la victoire. Je savais qu'au moins cinq ou six Rogues montaient la garde dans cette salle sacrée, et cette fois j'étais seule contre elles.

Les deux battants qui me séparaient d'elles me paraissaient terriblement lourds, avec leurs nombreux ornements d'acier et leurs panneaux en bois épais ternis par le temps. Il était temps de prouver ce que je valais en temps que guerrière...sauf que cette fois-ci j'étais du mauvais côté. Je misais sur l'effet de surprise pour m'en tirer mais j'étais morte de peur. Seule la réconfortante vue de mon armure me donna le courage d'ouvrir les portes, en bandant mon arc de quatre flèches à la fois.

Lorsque les six Rogues qui veillaient dans la sombre pièce s'aperçurent de ma présence, j'avais déjà décoché la première volée de traits meurtriers. Une était à présent morte, une autre gravement blessée à l'estomac. Je les ai vu se précipiter sur leurs arcs mais j'avais déjà pris une autre flèche. Je sentis soudain le bout de mes doigts geler...et transmettre ce froid à la pointe de celle-ci. Lorsqu'elle a transpercé le dos d'une des Rogues, la glace s'est propagée à travers tout son corps et elle n'a plus bougé.

Il restait encore deux survivantes...qui avaient déjà commencé à bander leur arcs. Je me suis repliée dans la pièce que je venais de quitter, entendant des flèches siffler près de ma tête. Je pris deux flèches de mon carquois. C'était ma seule chance de passer.

Lorsque qu'elles ont cessé de tirer dans le vide, j'ai fait demi-tour pour me trouver face à la porte...face à elles. J'ai décoché mes deux flèches sans qu'elles aient le temps de tirer.

Les quelques fractions de secondes qui ont suivi l'envoi m'ont paru durer des heures, comme si le temps s'arrêtait...jusqu'à ce que je les voie s'affaisser sur les genoux puis sur le ventre, chacune une flèche dans la poitrine. Je suis restée immobile, tentant de réaliser que j'avais réussi, jusqu'à ce que j'entende le dernier souffle de la Rogue que j'avais blessée. Elle aussi avait succombé à mes flèches.

Je les ai contemplées, étendues là. Curieusement j'éprouvais presque de la pitié pour ces pauvres créatures qui ne voient pas plus loin que leurs principes bornés. Je ne me considérais déjà plus comme l'une d'elles...

Je me rendis soudain compte de la présence de quatre tombeaux dans la pièce, dont un particulièrement somptueux légèrement surélevé par rapport aux autres. Je savais que lorsqu'Andarielle aurait pleinement pris possession du monastère, ils seraient très certainement détruis, ou pire encore, qu'elle y mettrait des pièges.

J'essayais de ne pas penser à Andarielle, cela ne faisait que décupler la haine que j'avais en moi et qui ne cherchait qu'à exploser. Je m'aperçus de la présence d'escaliers dans le fond de la pièce, ce qui signifiait que le deuxième étage et plus particulièrement le Portal pour le camp des Rogues me tendait les bras.

J'ai monté une à une les marches, partagée entre l'excitation que cette nouvelle vie me procurait et le remord de laisser tant de mortes derrière moi. Une fois parvenue en haut, je me suis retrouvée dans une pièce comportant deux portes ; seule celle de droite était ouverte. Et sur l'autre était gravée...le schéma d'un portal.

Lentement, je m'approchais de la porte, tout en sachant que des Rogues montaient la garde dans l'autre pièce. Lorsque j'ai essayé d'ouvrir le battant gravé, un horrible grincement se fit entendre...et je vis avec stupeur les archères tourner la tête vers moi.

Nous avons saisi nos arcs au même moment, elles et moi. Deux contre une. Cela me semblait pourtant si simple... J'ai sorti de mon carquois deux flèches que j'ai gelées et décoché avant même qu'elles aient eu le temps de me viser correctement : leurs flèches allèrent buter contre le mur et le plafond, et leur corps tomba mollement sur le sol.

Sans les regarder, j'entrais dans la pièce du portal et activais celui-ci par les incantations gravées à même le sol, et me retrouvais en quelques fractions de secondes dans ce camp que je connaissais si bien, et qui pourtant m'était étrangement hostile à présent.

Il faisait nuit, une nuit sans Lune. Quelques braises rougeoyaient encore dans les cendres du feu de camp, les torches étaient éteintes. Et pourtant je voyais dans cette obscurité presque comme j'y aurait vu en plein jour. Je me dirigeais vers la tente qu'Akara partageait avec sa mère, y entrais sans bruit. Je suis restée quelques instants à contempler mon amie dans son sommeil. Jamais je ne l'avais vu comme ce soir-là ; elle semblait briller légèrement dans l'obscurité, quelques mèches de sa chevelure noire lui tombant gracieusement sur le visage.

J'hésitais longuement avant d'accomplir ce pour quoi j'étais venue. Mais il fallait qu'elle sache. Il fallait que je lui dise.

Je m'approchais d'elle à pas de loup, puis lui plaquais doucement la main sur la bouche pour ne pas qu'elle pousse un cri de frayeur. Elle sursauta dans son lit, puis ses grand yeux noisette s'écarquillèrent lorsqu'elle me reconnut. Je lâchais mon étreinte en lui adressant un grand sourire qu'elle me rendit aussitôt, puis lui fis signe de sortir de la tente.

Elle s'emmitoufla dans une grande cape mauve et me rejoignit dehors, puis me serra si fort dans ses bras que j'ai cru qu'elle allait m'étouffer. Nous nous sommes assises dans l'herbe fraîche, sans se quitter des yeux. Elle raviva les quelques braises encore rouge pour nous procurer un peu de lumière, et, dès qu'elle s'aperçut de mon apparence, elle me regarda d'un air horrifié en se plaquant la main sur la bouche.

- Lyn ! Que t'es-t-il arrivé ? Ta peau, tes cheveux...

- Je ne vis plus Akara. J'aurais voulu attendre un peu avant de t'en parler, mais tu ne m'en laisses guère le choix.

- Me parler de quoi ? Lyn, tu me fais peur. Tu ne comptes pas repartir, maintenant que tu as réussi à revenir ? On avait laissé des gardes dans les Catacombes pour t'aider à t'échapper...apparemment, elles ont réussi...

- ...Akara... Bon, écoute moi. Ne m'interromps pas. Il faut que tu comprennes Akara que je ne suis plus une Rogue. Je n'ai qu'une demi-vie, une vie de damnée. Je suis une démone, mais grâce à toi et à Flavie j'ai pleinement conscience de ce qui m'arrive.

- Pourquoi dis-tu cela ? Et pourquoi fuis-tu mon regard ?

- Je suis une démone Akara ! Tu comprends ce que cela signifie ? Je ne peux plus vivre comme avant. Je ne peux plus me mêler à vous. Je ne peux plus...me laisser aveugler par des convictions obsolètes. Je suis passée du mauvais côté ! Et je compte bien y rester. J'ai bien rencontré quelques Rogues. Mais je les ai tuées.

- Tu...tu as fait quoi ?

- Akara, c'était moi ou elles. Dès qu'elles m'ont vu, elles ont eu peur et elles m'auraient massacré si je n'avais pas réagi, or je ne veux pas aller en enfer. Je sais que tu penses que je suis devenue un monstre d'égoïsme, mais je suis désolée, je ne peux plus ressentir de pitié ou de compassions pour...pour vous.

- Qui nous ?

- Les humains. Les vivants. Je suis une hybride comme dit Andarielle, une « chose sans peuple ». Mais sais-tu que les démons sont plus accueillants que vous ?

- Lyn...tu es devenue complètement folle. Je me demande si cette sale démone d'Andarielle n'a pas rompu la promesse qu'elle avait faite...

- Pas du tout. Mais j'ai appris à voir au-delà des concepts trop faciles que vous considérez comme vos idéaux. Je sais ce que je dis, ce que je fais...ou ce que je dois faire...

- Ce que tu dois faire ?

- Andarielle m'a demandé de te tuer.

- ... et ... tu comptes lui obéir, en toute bonne démone que tu es ?

- Akara, tu me connais donc si mal... Tu sais que j'ai toujours tenté de n'obéir à personne d'autre qu'à moi-même depuis que j'en ai l'âge. Ce n'est pas cette peau blanchâtre ou ces cheveux rouges qui vont y changer quoi que ce soit. Mais comment peux-tu penser que je te tuerais ?

- Tu as tellement changé ! Tu n'es plus la Lyn que je connaissais. Je t'en prie, va-t-en. Laisse-moi.

- Mais... pourquoi ?

- Pourquoi ? Durant quelques instants j'y ai cru Lyn. J'ai vraiment cru que tu t'étais échappée et que tu revenais parmi nous. Et en fait de ça, qui vois-je ? Une sorte de démone révoltée contre l'humanité toute entière et qui me dit qu'elle ne me tuera pas parce qu'elle est trop bonne pour ça. Lyn, j'aurais aimé ne jamais te revoir.

Une larme écarlate coula sur ma joue. Je m'attendais pourtant à ce qu'elle me dise ça...mais ses paroles me transperçaient le coeur. Je n'ai rien pu répondre tant j'avais l'estomac noué. Je me suis levée, et j'ai commencé à partir, mais j'ai senti la main d'Akara s'accrocher à mon bras.

- Lyn...excuse-moi. Je ne voulais pas dire ça.

- Peut-être ne le voulais-tu pas, mais je sais que c'est ce que tu penses. Je ne vais pas t'importuner plus longtemps. Je voulais simplement te dire adieu avant de partir.

- Partir ? Où ?

- Je vais à Tristam. Je veux voir ces démons qui hantent les sous-sols de la ville de mes propres yeux. J'ai entendu dire que le roi Léoric était devenu une sorte de spectre vengeur, je veux tenter de le raisonner. Des événements terribles se préparent, Akara.

- Prends garde à toi Lyn. Malgré ce que j'ai pu dire sous l'effet de la colère, je t'en prie excuse-moi.

- Il faut que vous fassiez attention à vous aussi : Andarielle n'a pas encore assez de pouvoir pour se constituer une armée efficace, mais ce jour arrive. Ne prends pas de risques inutiles...

- Promis. J'en toucherai un mot à Flavie...

- Une dernière chose. Dis à Charsi qu'elle a intérêt de devenir un grand forgeron ! Dis-lui de le faire pour moi.

Après nous être étreintes une dernière fois, j'ai escaladé la palissade pour ne pas passer devant la Rogue qui gardait l'entrée, et j'ai commencé ma marche vers le sud-ouest...
Plus j'avançais dans la nuit et plus mes peurs se dissipaient. J'aimais décidemment cette vie que je m'étais imposée, cette liberté qui s'offrait un peu plus à moi à chaque instant. De temps à autre je vérifiais ma position grâce aux milliers d'astres brillant au-dessus de moi, comme Akara m'avait appris à le faire, et à chaque fois je sentais mon coeur se serrer dans ma poitrine tant le souvenir de mon amie m'était cruel.

Pour ne pas y penser j'essayais de me concentrer sur le paysage, la nature vierge de toute construction humaine. Je pensais beaucoup à Tristam aussi, à ce que j'allais y trouver, à ce que j'allais y faire. Car si j'avais dit à Akara que j'allais raisonner le roi Léoric ce n'était ni plus ni moins pour la rassurer. Si je lui avais dit que je voulais voir comment se défendaient les « héros » qui allaient là-bas en quête de fortune et de gloire... je ne sais pas si elle aurait réellement apprécié. J'avais entendu, durant le peu de temps que j'avais passé dans les catacombes, que certains humains tentaient de semer le trouble dans les armées de Diablo lui-même. Je voulais simplement voir s'ils y parvenaient... et si je pouvais faire mieux qu'eux.

Au bout de quelques heures de course effrénée à travers le Khanduras, la nuit commençait petit à petit à prendre fin et la voûte céleste se teintait de douces couleurs roses et jaunes. C'était la première fois que je voyais le jour depuis ma mort, et c'est il me semble une chose dont je me rappellerai toujours. La sensation que tout s'éveille enfin, les étoiles disparaissant chacune à leur tour et la nuit qui s'efface... J'avais oublié à quel point un simple lever de soleil pouvait être magique. Je courais à une allure difficilement égalable pour un humain et, bien avant que le dernier astre ait disparu dans le ciel rose, j'aperçus enfin les toits de chaume de Tristam.

Entre deux rivières se dressait fièrement le petit village, baigné de la timide lumière matinale ; cependant je me suis bien vite rendue compte que l'endroit était déjà envahi par les démons : il se dégageait de la terre une ambiance malsaine, une odeur de mort. Mais étrangement, je me sentais chez moi...

N'oubliant pas ce pourquoi j'étais venue, je me remis en route et arrivai aux premières maisonnettes une heure plus tard ; les rues de la ville étaient encore désertes, les volets fermés. Je me dirigeai donc vers le seul bâtiment déjà ouvert, c'est-à-dire une auberge miteuse dont l'enseigne grinçait lugubrement. Lorsque je suis entrée, je me suis aperçue que je n'étais certes pas la seule étrange personne a avoir débarqué dans ce village : quelques guerriers fortement armés et couverts de plaies étaient attablés au fond de la pièce, le regard mauvais ; un homme venant visiblement d'Orient étudiait minutieusement les écrits d'un antique parchemin tandis que des lueurs bleutées s'échappaient de sa main droite. On m'avait déjà parlé de ces guerriers qu'on nomme les Vizjerei, un clan de puissants magiciens aux pouvoirs incroyables, mais jamais je n'avais eu le privilège d'en rencontrer un. Enfin, un autre homme ronflait bruyamment, la tête dans les bras, quelques bouteilles vides posées sur la table. Il avait probablement passé la nuit là...

Je fus interrompue dans mes observations par l'aubergiste qui me lança un sonore « Bienvenue à l'auberge du Soleil ! » auquel je ne répondis que par un vague hochement de tête. Malgré mon manque évident d'enthousiasme, il continua de sa voix enjouée à me parler d'aventuriers visitant sa taverne et de quelques citations ridicules tandis que je m'asseyais au comptoir.

- J'ai vu bien des guerriers s'aventurer par ici, mais que vient donc faire une jeune femme dans notre contrée maudite ? Et si je puis me permettre, vous ne devez pas souvent voir le soleil... à en juger par votre couleur de peau. Vous êtes nordique peut-être ?

- Pour ta gouverne l'aubergiste, je ne viens pas du nord et suis née avec cette couleur blanchâtre qui m'a toute ma vie valu des remarques désobligeantes. Quand à la raison de ma venue dans ce village perdu, cela ne te regarde absolument pas.

- Vous énervez pas ma p'tite dame, c'était juste histoire de causer.

- Je voudrais tout de même te demander quelque chose. Dis-moi ce qui est arrivé ici pour que vos sous-sols soient aux mains du Seigneur de la Terreur.

Ce fut comme si je l'avais insulté. Il me toisa du regard, avant de déclarer froidement :

- Si vous voulez savoir quoi que ce soit sur l'histoire du village, allez voir Cain le Conteur. Je ne suis pas là pour raconter quoi que ce soit. Ne m'importunez plus.

- Aubergiste ! Il me semble que tu pourrais faire preuve d'un peu plus d'égards à une guerrière qui va descendre dans vos maudites Catacombes !

Mais il n'écoutait déjà plus. Il était parti nettoyer la table de l'ivrogne, sans un seul regard. J'entendis alors une voix de femme qui semblait venir d'un coin d'ombre dans le fond de la pièce poussiéreuse : « Ainsi je ne suis pas la seule femme courageuse dans ce monde d'hommes».

Je me dirigeais lentement vers la table de la guerrière qui devait être à peine plus âgée que moi et m'assis sur une chaise qui produisit un grincement inquiétant.

- Je me nomme Mathéïe et suis une ancienne Amazone, mais j'ai renié mon ordre pour chercher ici gloire et fortune. A dire vrai je me soucie assez peu de la condition de ces pauvres villageois. Ce n'est peut-être pas vraiment la bonne façon de me forger une réputation honorable mais au moins je n'ai pas l'hypocrisie de ces hommes là-bas, qui disent combattre pour la destruction du mal alors qu'ils sont les premiers à se jeter sur les trésors.

- Je m'appelle Lyn et suis une ancienne Rogue. A l'inverse de toi je ne suis pas vraiment partie de mon plein gré. J'ai été... chassée de mon clan. Enfin disons plutôt que je ne pouvais plus rester parmi elles... que je ne le voulais pas. Et qu'elles n'auraient pas pu m'accepter.

- Et que t'est-il arrivé ? D'après ce que j'en sais les Rogues sont plutôt tolérantes... je me trompe ?

- Il y a certaines situations où la tolérance n'est plus vraiment le mot adapté. Mais si cela ne te dérange pas j'aimerais ne pas trop aborder le sujet. Surtout ici.

- Bien sûr. Je comptais descendre dans les Catacombes vers midi, le temps de faire réparer mon armure et de récupérer les quelques affaires que j'ai dans ma chambre. Voudrais-tu m'accompagner ?

- Pourquoi pas...

Après tout, quoi de mieux que d'être aidée par une Amazone renégate ? Peut-être aurais-je même pu lui dévoiler mon secret... mais je ne voulais pas qu'elle prenne peur.

Alors que nous allions nous lever, le mage qui nous observait du coin de l'oeil vint vers nous et dit « J'ai malgré moi entendu que vous comptiez aller tuer quelques damnés. Mon nom est Jered, je suis un Vizjerei. Pourriez-vous me faire l'honneur d'accepter ma compagnie dans ces sous-sols ? ». Nous lui répondîmes d'un hochement de tête qu'il était évidemment convié à nous accompagner.

Lorsque le soleil fut au plus haut de sa course, nous nous retrouvâmes au centre du village, près de la fontaine où un vieil homme aux cheveux blancs et au visage grave était assis. Dès qu'il nous vit il se leva en nous adressant un sourire édenté. Mathéïe me chuchota qu'il s'agissait de Cain l'Ancien, un homme sage qui en savait long sur le passé de Tristam et la guerre du Péché. C'était donc de lui que l'aubergiste m'avait parlé. Je demandai quelques instants à mes compagnons et me dirigeai vers l'homme, esquissant un sourire que je n'éprouvais aucun plaisir à afficher.

- Etes vous bien l'homme que l'on nomme Cain l'Ancien ?

- Bonjour mon amie. Je suis bien celui que tu voulais voir.

- Je viens à vous pour que vous me contiez l'histoire de ce village. Je veux savoir comment Tristam est tombée aux mains des démons.

- Ahh, l'histoire du Roi c'est ça ? La déchéance tragique de Léoric est un coup dur pour ce pays. Le peuple a toujours aimé le Roi, et maintenant ils en ont une peur mortelle. La question que je n'arrête pas de me poser est de savoir comment il a pu s'éloigner autant de la Lumière, lui qui a toujours été le plus pieux de tous.

Je savais bien comment ce Roi avait pu être attiré par les forces sombres... mais je préférai m'abstenir de lui dévoiler le secret qu'il recherchait.

- Certes, mais comment se fait-il que le Seigneur de la Terreur soit réapparu ? Il ne devait pas être assez puissant pour posséder un esprit adulte.

- En effet. Le vrai traître du pays n'est autre que l'archevêque du Roi lui-même, Lazarus. Il semblait guidé par des forces invisibles... Toujours est-il qu'un jour il mena le jeune prince Albrecht dans le Labyrinthe, et qu'il le livra à son nouveau maître : Diablo. Le démon a pris possession de l'esprit du prince et à présent il sévit dans son enveloppe corporelle. Il a appelé des démons de toutes sortes, corrompu presque tous les hommes s'étant aventurés dans le Labyrinthe. Le Roi fut tué par ses soldats dans le monastère. Ils furent tous damnés avec lui et, depuis, ils se battent contre quiconque ose pénétrer dans leur tombe éternelle.

Je ne pouvais plus dire un mot. Abasourdie par la véritable histoire du village, je remerciais Cain d'un signe de tête et me dirigeais vers Mathéïe et Jered. Durant tout le court chemin qui nous séparait du monastère, je ne cessai de me demander si j'allais être vraiment capable de défendre l'un ou l'autre des clans. Et bien avant que j'aie pu prendre une décision nous nous enfoncions déjà dans les entrailles sombres du bâtiment qui ne l'était pas moins.

Les vieilles pierres lézardées et noircies par une végétation pourrissante suintaient la mort, le chaos : on aurait dit que le monastère tout entier était possédé par l'âme de Diablo. Plus nous descendions les escaliers crasseux et plus le silence se faisait pesant, menaçant.

C'est seulement arrivés à la dernière marche que nous nous sommes regardés, beaucoup moins sûrs de nous que dans le village... mais que malgré nos peurs nous avons pénétré dans l'immense salle pour enfin affronter les damnés de Tristam.
Dès que nous eûmes posé le pied sur le sol maudit, un silence de mort nous enveloppa comme pour nous emprisonner dans la solitude et l'angoisse. Une goutte de sueur froide me descendit le long du dos tandis que j'observais la pièce dans laquelle nous étions. Peut-être était-ce à cause de ma nature de démon, mais je sentais que quelque chose m'attirait dans cette obscurité, et c'était justement ça qui m'inquiétait : quelque chose ici ne nous voulait pas que du bien...

Soudain, des bruits nous parvinrent d'une porte close dans le fond de la pièce. Nous nous sommes regardés, essayant de nous rassurer mutuellement, mais rien n'y fit : on pouvait lire dans nos yeux la même peur. Non pas que je m'inquiétais pour moi, mais je ne savais pas vraiment si j'allais aider mes compagnons ou... si je me préparais finalement à rejoindre les damnés de ces caves.

C'est avec ce doute me pesant sur le coeur que je m'avançais vers la porte, suivie de près par Mathéïe et Jered. Lorsque la porte s'ouvrit en un lugubre grincement, je crus d'abord que j'avais été abusée par un quelconque rongeur, comme dans les catacombes : il ne semblait rien y avoir dans cette pièce.

Et sans que nous ne puissions réagir, des dizaines de petits monstres à quatre pattes nous sautèrent à la gorge en poussant des cris assourdissants. Jered fut le premier à réaliser ce qui nous arrivait et il lança des sorts à tout va qui, sans être vraiment efficaces, eurent le mérite d'effrayer les démons. Mathéïe se débarrassa aisément de la petite créature restée accrochée à son bras, et quand à ceux qui s'étaient attaqués à moi... ils m'avaient tous mordue et s'étaient tous enfuis au contact de mon sang.

Mes compagnons me regardaient étrangement. Jered finit par me demander « Lyn, je ne suis pas dupe : aucune femme n'a cette couleur de peau, ni ces yeux. Quel genre de créature es-tu donc ? ». Cette question resta en suspens quelques instants : je ne pouvais pas répondre. Ce n'est pas vraiment que je ne voulais pas, mais cela m'était impossible. La seule réponse que je pus lui faire était de lui demander ce que cela changeait...

Sans relever outre mesure, nous continuâmes à avancer dans les entrailles des Caves, tuant quelques démons qui ne bénéficiaient plus de l'effet de surprise, seul facteur qui leur permettait de survivre.

Lorsque nous parvînmes à l'escalier menant à la tombe de Léoric, nous avons hésité quelques instants avant d'entamer la descente : Jered avait entendu dire que l'armée de squelettes était immense et que, bien que peu résistants, les démons avaient souvent vaincu par le nombre. Puis, n'osant pas vraiment nous regarder et avec un sentiment de méfiance mutuelle grandissant nous descendîmes les marches en pierre.

Nos pas résonnaient sur le pavé en une lugubre mélodie, renforçant l'idée soudaine de solitude qui nous envahissait. Notre démarche hésitante et nos yeux affolés ne traduisaient que trop la peur qui nous tenait au ventre; il n'est jamais bon de montrer son manque d'assurance à des démons...

Nous avançâmes ainsi jusqu'au centre de l'immense pièce, sans apercevoir le moindre démon. Et puis soudain... des centaines de cliquetis inquiétants nous parvinrent de toutes parts, des bruits d'armes et des cris rompirent le silence. Et c'est avec une horreur grandissante que, de chaque colonne, de chaque coin de mur, de chaque tonneau nous vîmes jaillir des squelettes qui nous encerclèrent rapidement, nous coupant toute retraite. Ils commencèrent à avancer vers nous d'un air menaçant quand, du fond de la salle, nous parvint un hurlement plus fort et plus rauque que les autres. Tous nos ennemis s'immobilisèrent, comme paralysés par une soudaine appréhension.

C'est alors que, dans un fracas de pierre et de bois brisés, un imposant squelette blanchâtre sortit du sol et se dressa derrière son armée. Il devait mesurer plusieurs mètres, dépassant ses soldats de quelques têtes. Et contrairement aux autres, on pouvait apercevoir une lueur rouge dans ses orbites noires. Il avait une épée plus énorme que toutes celles que j'avais pu voir ici ou ailleurs, gravée de signes étranges, et sur son crâne fendu reposait une couronne noircie par le mal. C'était donc sous cette apparence que Léoric allait passer l'éternité.

Je savais que quelque soit le courage de mes compagnons nous étions perdus. Ils étaient trop nombreux et nous pas assez puissants pour que nous puissions les battre. Mais, à la différence de Mathéïe et Jered, j'étais déjà morte...

Alors que nous ne savions plus quoi faire, Léoric poussa un autre hurlement qui nous glaça le sang et toute la horde de ses sujets se jeta sur nous. Après que quelques unes de nos flèches soient passées à travers leurs côtes, Mathéïe et moi comprîmes que seule la tête devait être touchée si nous voulions les renvoyer en Enfer. Nous avions réussi à abattre une dizaine de squelettes mais ils ne reculaient devant rien, et bientôt ils étaient sur nous.

Je vis alors une chose étrange : Léoric ressuscitant un de ses soldats. Sans vraiment réfléchir à ce que je faisais, je pointai une flèche sur le crâne de Léoric et y imprimai le froid, avant de tirer le plus fort que mon arc le permettait. Le démon la reçut de plein fouet, entre ses deux orbites vides.

Un cri déchirant retentit dans toute la pièce, tandis que les squelettes se démembraient. Léoric s'agenouilla, et disparut lui aussi peu à peu, ne laissant qu'un petit tas de poussière sur la pierre grise. Puis il y eu un silence encore plus oppressant peut-être que les cris du Roi : malgré le fait qu'il soit mort, nous nous sentions encore plus vulnérables.

Lorsque je me tournai vers mes compagnons, je m'aperçus qu'ils avaient été blessés par les lames des squelettes : Mathéïe avait une entaille à la jambe, et le bras de Jered saignait abondamment. Il m'adressa un regard où se mêlaient étonnement et rancoeur, puis il me lança « T'es-tu seulement rendue compte qu'ils ne se sont pas attaqués à toi ? Lyn, je veux savoir : qui es-tu ? ». Encore une fois je restais silencieuse, la gorge nouée. Plus le temps passait et plus leurs regards étaient méfiants. Je finis par fermer les yeux, mais rien n'y fit : j'avais l'impression d'être, pour eux, du même bord que les squelettes du Roi, alors que je venais de leur sauver la vie. Je sentais la haine monter en moi... je sentais une insatiable envie de tuer. Lorsque j'ouvris les yeux, je sus qu'ils étaient nimbés de ces sentiments et je crois bien que les pauvres fous qui m'accompagnaient prirent peur. Ils avaient compris ce que j'étais... mais ils avaient compris trop tard.

Ils voulurent courir vers les escaliers... j'en avais presque pitié pour eux. Alors que j'avais déjà bandé mon arc de deux flèches et que je m'apprêtais à tirer, je sentis comme un serpent noir me parcourir le corps, une excitation que je ne connaissais pas. Ils n'avaient aucune chance de s'en sortir et je m'en délectais délicieusement, retardant le moment de leur mort pour les faire espérer jusqu'au dernier moment. Puis, lorsqu'ils avaient presque atteint la première marche, mes doigts commencèrent à lâcher la flèche... mais je sentis un bras osseux passer autour de mon cou comme pour m'étrangler.

Je laissai tomber mon arc pour tenter d'arracher les os du reste du corps mais il était trop tard : le squelette avait déjà brandi ce qui semblait être un genre de masse et tout ce dont je me souviens est un éclair violent, puis plus rien. Un rideau noir comme une nuit sans Lune. J'ai encore cette étrange impression que ce jour là j'ai vu la vraie couleur de mon âme...
La première chose dont je me souviens est la sensation de ce liquide chaud et doux, qui dégageait une familière odeur de sucre. J'avais été entièrement dévêtue, et le contact de cette substance sur ma peau m'ensorcelait littéralement. J'y étais si bien...j'aurais pu y rester des heures, somnolant à demi. Et puis... j'ai ouvert les yeux. Je baignais dans une cuve en pierre remplie de sang humain, écarlate et dans lequel on pouvait encore palper un peu de vie. Et étrangement, cela ne me déplaisait pas. Pour tout dire, je crois même que j'aimais ce bain macabre. Mon désir de tuer ne s'était pas amoindri et j'avais envie de plus de sang, je voulais le faire couler de mes mains...

En tournant la tête sur les côtés, je pouvais voir un amoncellement de corps blanchâtres, tous égorgés. Et soudain... j'ai reconnu le visage d'Akara dans cet amas lugubre. Et alors que je poussai un cri d'une voix que je ne me connaissais pas tout en me relevant dans la cuve,... j'ai repris connaissance.

J'étais allongée sur un sol de dalles froides, entendant tout autour de moi des voix et des bruits étranges. Des lumières dansaient devant mes yeux comme autant de lucioles démoniaques tandis que je me relevai doucement, mes yeux ne pouvant me donner qu'une image floue de ce qui m'entourait. Mon songe était encore si présent... Le visage d'Akara la bouche béante d'horreur, cette envie de tuer qui me tenait au ventre. J'avais l'impression que cela m'était vraiment arrivé. Je sentais presque encore le sang sur moi...

Lorsque je fus entièrement debout, on me mit un arc dans les mains sans autre forme de présentation. Je vis alors d'où venaient les lumières que j'avais aperçues : des sortes de [mages] s'entraînaient à lancer leurs sorts, des boules de feu explosives ; des Chevaliers Noirs s'exerçaient au maniement de l'épée sous l'oeil de ce qui semblait être leur chef, et j'étais au milieu de tout ce monde sans savoir ce que j'y faisais.

Derrière moi, je pouvais entendre deux démons parler d'un humain étrangement puissant, un guerrier dont le seul nom pouvait faire trembler les armées de Tristam. Voulant noyer les souvenirs troublants de mes rêves dans la curiosité, je me retournai vers eux pour participer à la conversation :

« C'est pour le combattre que vous vous entraînez ainsi ?

- A ton avis ? Bien sûr que oui. Les éclaireurs ont dit qu'il se rapprochait dangereusement du Pentagramme Noir, ce qui signifie qu'il sera bientôt là. Or jusqu'ici y'a pas grand-chose qui lui a vraiment posé de soucis... Surtout que Lazarus n'est pas au meilleur de sa forme en ce moment.

- Comment se fait-il qu'un humain puisse accomplir de pareils exploits ?

- Bonne question, tu lui demanderas !

- Je voulais aussi vous demander... L'un de vous sait-il pourquoi je suis ici ?

Ils me regardèrent un instant, visiblement interloqués par cette question insolite. Celui qui n'avait pas encore parlé me dit alors :

- Comment veux-tu que nous le sachions si toi-même tu l'ignores ?

- Elle devrait pourtant le savoir !

Le Chevalier Noir qui avait parlé était plus grand et possédait plus de trophées que les autres, c'était celui que j'avais identifié comme un genre de chef.

- Cette succube a été amenée ici parce qu'elle a agit bien étrangement : elle aide d'abord des humains à liquider Léoric et ses soldats, avant de décider soudainement de les tuer. Le soldat qui l'a amenée s'est dit qu'elle pourrait nous être utile...mais très sincèrement il n'y a pas de grand prodige à abattre ce grand tas d'os qu'est le Roi Noir.

- Il n'est de toutes façons pas question que j'aide qui que ce soit.

- Non seulement tu nourris de faux espoirs, mais en plus tu es insolente. Tu n'as plus le temps de fuir. L'humain a tué Lazarus et il s'apprête à passer par le Pentagramme Noir, tu n'as donc pas d'autre choix que de te défendre...puisqu'il tuera tout ce qui se dresse sur son passage.

Sur ce, il s'en alla vers ses soldats et leur ordonnant de se mettre en position d'attaque pour tenter de surprendre le guerrier dès son arrivée dans la pièce, ce qui me sembla un bien vain espoir. Presque humain même...

Mais je dus interrompre là mes réflexions car un bruit étrange résonna sur tous les murs, bruit qui provoqua sur mes acolytes une réaction de panique que je ne connaissais pas chez les démons. Je ne voyais dans leurs yeux que bien peu de courage, mais leur détermination à servir celui pour lequel ils étaient damnés dépassait l'entendement : les affres de l'Enfer leur importait à dire vrai bien moins que la vision de leur Maître abattu par un humain.

Comme guidée par une prémonition, je m'écartai doucement du centre de la pièce pour aller m'asseoir dans un coin sombre, recroquevillée sur moi-même ; l'instant d'après jaillit d'un éclair éblouissant un homme au regard froid, impénétrable, un regard inhumain. Il ne laissa même pas le temps aux démons de comprendre ce qui venait de se passer et déchiqueta les premiers membres qui passèrent à proximité de son immense lame.

Le carnage qui s'en suivit restera à jamais gravé dans ma mémoire. J'avais beau mettre ma tête dans mes mains pour échapper à cette horreur, je ne pouvais que sentir l'odeur du sang impur se répandre, entendre les cris et les bruits de chairs arrachées, d'os broyés. Je devinais les entrailles damnées recouvrant le sol de pierre, les membres encore palpitants se juxtaposer en un macabre amas. Jamais je ne percevais de cris de l'humain, jamais je ne le sentais reprendre son souffle. Mais par-dessus tout cela, par-dessus cette horreur qui m'entourait, j'avais peur d'aller aux Enfers. J'avais peur qu'il ne me trouve, qu'il extirpe mon âme de mon corps, j'avais peur de disparaître dans ce tourbillon infernal qui avait englouti Kalis. Le souvenir du petit déchu m'arracha des larmes, les larmes de ce sang qui coulait à flot dans la pièce. Dans mon esprit résonnaient les cris désespérés, le dernier son que j'ai entendu sortir de sa bouche, mais ce fut l'image de son visage qui me tourmenta le plus : ses traits déformés par la peur, ses yeux brillants de désespoir. J'aurais tant eu besoin de lui en cet instant...

Et puis, d'un coup, tout s'est arrêté. Un silence de mort m'enveloppait, troublé par le seul souffle rauque du guerrier. Lorsque je me suis découvert le visage, j'ai vu cet homme, qui m'est apparu comme...inhumain. Son épée recouverte de sang reposait sur le sol, il baissait la tête. Il n'avait aucune blessure et tout autour de lui s'étalait un chaos de chair, d'entrailles sanguinolentes, et lui se dressait au milieu de tout cela sans s'en formaliser outre mesure.

Il releva la tête, son visage affichant toujours le même regard glacial et dénué de tout ce qui fait d'une chose une créature vivante : de sentiments. Il s'est dirigé vers une partie de la pièce que je n'avais pas remarquée, et quelques instants plus tard le sol se mit à trembler comme si l'Enfer lui-même s'apprêtait à surgir de terre.

Un hurlement déchirant retentit dans toute la pièce, plus terrible que tous ceux que j'avais pu entendre. C'était un cri où se mêlaient désir de vengeance, de tuer, mais aussi souffrance et douleur. C'était un cri de désespoir.

Je ne pouvais pas imaginer que ce désarroi émanait du Seigneur de la Terreur, que la détresse que l'on ressentait dans cette voix surnaturelle faisait partie de l'âme dite noire de Diablo. Les démons majeurs eux-mêmes étaient donc nimbés de ces sentiments que l'on associe aux humains ?...

Je vis une immense créature rougeâtre courir dans le milieu de la pièce, suivie par le guerrier criant de toutes ses forces. Diablo se retourna et tenta de lui asséner plusieurs coups, de se servir de sa magie, mais rien n'y fit : il ne parvenait pas à affaiblir le puissant humain qui lui faisait face, à tel point que je me demande aujourd'hui encore s'il était vraiment de la race des hommes. Peu à peu il perçait la carapace de Diablo, lui entaillait les chairs tendres du torse et des jambes.

Et, dans un hurlement tout simplement inhumain, le guerrier enfonça son épée déjà rouge dans la poitrine du Seigneur jusqu'à la garde. Une pointe ensanglantée sortait du dos du démon, et pourtant je n'y croyais toujours pas. C'était impossible. Le grand affrontement ne pouvait avoir cette issue.

Le regard rouge de Diablo changea imperceptiblement de teinte, et il s'emplit soudain de soulagement, presque de joie. L'âme prisonnière savourait sa liberté retrouvée...

L'immense corps se métamorphosa pour prendre l'aspect de celui d'un jeune homme, celui du Prince Albrecht. Une pierre rougeoyant qui luisait faiblement, seule trace de l'ancienne présence du démon dans cette enveloppe charnelle, était encastrée dans son front. Le guerrier s'agenouilla auprès du corps, dégagea la pierre à l'aide d'une dague... Et l'enfonça dans son propre visage.

Le choc fut terrible. Un bruit assourdissant et un souffle que je ne saurais décrire se sont propagés dans la pièce, balayant les corps alentour et me plaquant contre le mur, si violemment que j'en perdis conscience.

Juste avant de sombrer dans les ténèbres, j'ai vu les deux prunelles nouvellement rouges du guerrier se tourner vers moi, oh, ce regard si froid et si haineux. La puissance d'un Démon Majeur venait de se déverser dans l'âme humaine la plus noire qu'il m'avait jamais été donné de voir, et j'étais la seule à le savoir. J'étais la seule à pouvoir y changer quelque chose. Mais je n'en avais pas la moindre envie...
Lorsque je me suis réveillée, j'ai d'abord dû rester quelques instants allongée sur le sol : j'avais l'impression que mes jambes ne répondaient plus à mes appels désespérés et que j'avais perdu la vue. Puis, peu à peu, l'obscurité m'est redevenue familière, et j'ai pu ignorer la douleur lancinante qui résonnait dans tout mon corps suffisamment longtemps pour m'asseoir.

Alors que j'étais à peine redressée me vint dans la bouche le goût sucré du sang, mon sang : ce n'est qu'à cet instant que la raison pour laquelle je me trouvais ici ainsi que ce qu'il s'était passé dans cette pièce se sont rappelés à ma mémoire. Le combat, la pierre rouge...mais surtout le regard du nouveau démon de cette terre.

Je me rendis soudain compte qu'une vague lueur bleutée provenait d'une partie de la pièce que je ne pouvais pas voir. Le guerrier était donc toujours dans la pièce ? J'ai tenté de me relever mais rien n'y fit : je perdais constamment l'équilibre. Je me suis traînée comme j'ai pu jusqu'à l'angle du mur et ai rassemblé tout mon courage pour regarder ce qu'il se passait de l'autre côté... pour m'apercevoir qu'il n'y avait de fait rien qu'une sorte de tourbillon bleu.

Rassurée, je me suis à nouveau assise contre le mur en me disant que savoir où menait cette chose n'était pas des plus urgents. J'allais même m'endormir doucement lorsque j'ai entendu un bruit étrange derrière moi, immédiatement accompagné de nombreuses voix humaines. Cette porte était donc reliée au village ! Le seul moyen pour moi d'échapper à cet endroit sombre...

Sans même écouter ce qu'ils venaient faire là, j'ai appelé de toutes mes forces mes jambes à mon aide pour qu'elles supportent mon poids et me suis précipitée vers le tourbillon dès que les villageois eurent tourné le dos avant m'y jeter...pour atterrir la tête dans l'herbe.

Le crépuscule tombait doucement sur Tristam, lui conférant un petit air surnaturel avec les grandes ombres que les rayons du soir prêtaient aux chaumières. Il ne fallait pourtant pas que je reste à contempler ce paysage trop longtemps, les villageois ne tarderaient certainement pas à revenir et je n'avais aucune envie de les rencontrer. J'eus encore la force de courir derrière un arbre non loin du tourbillon avant de céder aux appels insistants de la douleur et m'écrouler sur l'herbe fraîche. Comme son contact était doux, infiniment plus que celui des dalles froides que je venais de quitter... On aurait presque dit que cela atténuait le mal qui me parcourait de bout en bout. Ce n'est qu'à cet instant que j'ai remarqué que toutes ces petites choses, ces petits riens dont je prenais conscience m'étaient totalement inconnus lorsque j'étais encore humaine. Il y avait tellement plus de nuances, tellement plus de saveurs et d'odeurs différentes dans ma nouvelle vie !

Mais une fois de plus je dus m'arracher à ma rêverie pour me cacher tant bien que mal derrière le tronc de l'arbre, de façon à ce que les villageois ne me voient pas à leur retour. J'allais enfin m'accorder un temps de repos pour reprendre mon souffle et mes esprits lorsqu'ils revinrent, portant une couche de fortune sur laquelle gisait le corps frêle et meurtri du jeune Prince Albrecht. Mort. C'était donc là la raison de leur témérité : ils avaient voulu récupérer le cadavre, même si pour cela il leur avait fallu braver l'air malsain de l'antre du démon... Le tourbillon avait certainement dû être crée par Diablo (puisqu'il s'agissait en fait de lui...dans ce corps d'humain) et laissé ouvert. Il ne le resta cependant pas longtemps : un des hommes prononça une formule aux mots barbares, qui eut pour effet de faire disparaître la seule chose qui pouvait vraiment leur rappeler l'horreur à présent.

Lorsqu'ils eurent disparu dans l'obscurité du village je m'étendis dans l'herbe, les yeux dans les étoiles, l'esprit dans du coton. Sans vraiment m'endormir je me perdis dans les songes des jours passés, de cette mort damnée qui me permettait de vivre. J'avais envie de m'enfuir de Tristam et de me couper du monde pour oublier tout ce qui avait meurtri mon coeur, ce coeur encore trop humain que j'avais en moi. Mais la curiosité était la plus forte... Je voulais savoir où Diablo comptait aller à présent qu'il était libre, mais aussi et surtout en quoi consistaient ses étranges desseins. Après tout je faisais partie de ce monde, et puisque j'avais choisi mon camp autant savoir à quoi je devais me préparer...

Pendant plusieurs jours j'ai joué à me cacher de ces humains trop aveugles à mon goût, à épier celui qu'ils portaient aux nues sans savoir ce qui se terrait au fond de son âme. Je pressentais qu'il ne tarderait pas à partir, il le fallait. Il ne pourrait pas supporter bien longtemps de rester ainsi entouré d'humains sans perdre l'esprit et tous les massacrer.

Mais avant de partir il devait combattre l'âme humaine pour établir un contrôle parfait de l'enveloppe charnelle et s'insinuer dans la moindre de ses pensées. J'étais intimement persuadée que l'homme s'était damné de son plein gré sans vraiment en saisir les conséquences, pensant pouvoir jouir pleinement de cet immense pouvoir maléfique et le détourner pour son utilisation personnelle. Je savais que jamais il n'avait même effleuré l'idée qu'il devenait esclave du Seigneur de la Terreur à l'instant même où il l'avait tué. Son destin était même, je pense, scellé bien avant cela : lorsque Diablo s'est rendu compte de la facilité avec laquelle cet humain décimait ses troupes et de l'ambition qui l'habitait, il a dû lui être aisé d'insuffler à cette âme quelques pensées tentatrices...

Les gens du village, s'ils faisaient bonne figure devant lui, s'inquiétaient à son sujet : depuis qu'il était remonté à la surface, il n'avait plus parlé, ou si peu... Les imbéciles. Ils ont été jusqu'à inventer que les « horreurs qu'il avait dû voir l'avaient rendu muet de terreur ». Il s'isolait chez lui et poussait de grands hurlements parfois dans la nuit, prétextant un mauvais cauchemar lorsqu'un téméraire osait frapper à sa porte. Mais il m'était aisé de comprendre la signification de ces crises de folie : son âme hurlait de désespoir lorsque le Démon s'encrait un peu plus profondément dans la chair humaine, elle criait à l'aide mais personne n'avait le pouvoir de lui porter secours.

Cette démonstration de possession d'un corps que Diablo donnait me fascinait. J'imaginais sa puissance grandissante, j'imaginais les deux prunelles roussir lorsque le Seigneur de la Terreur prenait un contrôle quasi-total de l'enveloppe charnelle. Je me délectais de chaque victoire du Mal sur cet homme qui avait voulu le détruire, satisfaite du juste retour des choses.

Et puis, un soir, les villageois décidèrent d'organiser une fête au nom de leur héros afin de le sortir de sa torpeur et de son isolement, mais ce fut évidemment un échec auquel ils devaient s'attendre : il leur faussa compagnie au beau milieu de la soirée. Cependant la plupart d'entre eux avaient par trop abusé de l'alcool et n'étaient même plus capable de voir qu'il s'éclipsait. Il retourna dans la masure que les habitants lui avaient offerte et resta quelques instants sur le seuil. On pouvait voir des flammes dans ses prunelles, de la haine dans ses traits crispés ; sur son front s'était rouverte la plaie béante de la Pierre d'Ame. Diablo avait pris le contrôle de son esprit et de son corps : les Ténèbres avaient triomphé...

Alors qu'il venait de revêtir une longue cape et qu'il avait caché son visage sous un capuchon, Deckard Cain vint le voir contre toute attente : il voulait s'enquérir de la santé du démon sans savoir toutefois à qui il avait à faire. J'entendis alors pour la première fois le Seigneur de la Terreur parler de sa voix damnée : « Le temps est venu de quitter cet endroit. Mes frères m'attendent dans l'Est. Leurs chaînes ne doivent pas les retenir plus longtemps ». C'était une belle voix grave, un son délicieusement surnaturel qui résonna dans tout mon être ; cependant Cain n'avait pas dû la ressentir de la même façon, à en juger par la peur qui se dessinait sur son visage, se propageait en lui plus vite qu'une traînée de poudre jetée au vent. Il prit congé le plus vite qu'il le pu, ne désirant qu'une seule chose : s'éloigner au plus vite de cet être qui le terrifiait.

Dès lors que les premiers timides rayons rosés se furent frayés une place dans le ciel d'encre, le Rôdeur (puisque c'est ainsi qu'il a été nommé par la suite) quitta le village, sans même un regard en arrière. Je voulais le suivre mais il valait mieux lui laisser une journée d'avance, pour ne pas qu'il me repère. Peut-être était-ce déjà chose faite me direz vous mais je ne voulais en rien le déranger ou le gêner même de manière infime dans sa quête. Il partait visiblement vers l'Orient, vers le désert d'Aranoch et surtout...vers Lut Gholein, mais je n'avais toujours pas la moindre idée de ce qu'il comptait y faire et les paroles qu'il avait prononcé la veille au soir m'intriguaient un peu plus à chaque instant.

J'avais cru, peut-être un peu naïvement certes, que les relents maléfiques que je ressentais à Tristam et que j'affectionnais tant se seraient évanouis en même temps que la présence du Rôdeur, mais j'ai vite compris combien je me trompais. A peine avait-il disparu à l'horizon que les Terres d'En dessous résonnèrent à mes oreilles damnées de cris démoniaques et d'appel à se battre. L'Enfer se réveillait. Le Mal renaissait de ses cendres, et cependant quelque chose empêchait ses dignes enfants de remonter à la surface. J'ai alors pensé que Diablo était certainement parti dans l'Est, vers Lut Gholein pour cette raison et cela éveilla encore plus ma curiosité. Sans la présence du Rôdeur, le village avait à mes yeux perdu tout son attrait et tout son charme, et j'eus beaucoup de mal à patienter toute une journée et toute une nuit avant de me lancer dans les pas du Seigneur de la Terreur...

Le Soleil n'était même pas encore dans le ciel que Tristam était déjà dans mon dos ; le vent chaud de l'Est ne m'avait jamais paru à la fois si doux et si vif, il avait l'air d'annoncer ce qu'il se préparait sous les sables brûlants d'Aranoch. Autour de moi s'étendaient des forêts vertes et luxuriantes mais curieusement, aucune joie ni aucune vie ne semblait vraiment s'en dégager : tout était encore dans un silence envoûtant, comme endormi, comme mort. Oui, j'étais si bien dans cette forêt...
Il me semble que la traversée de cette forêt est un de mes premiers vrais « bons » souvenirs depuis que je suis passée du côté des Ombres, disons que c'est tout au moins une chose qui m'a beaucoup marquée. J'y retrouvais des relents maléfiques à chaque pas, j'y retrouvais la présence du Rôdeur dans chaque brise ; la rosée elle-même semblait être le sang translucide de la nature, cette nature qui nous acceptait au fond bien plus qu'elle n'acceptait les humains. Le plus magique était sûrement les couchers de soleils ; depuis ma Transition, je les regardais avec beaucoup plus d'attention et d'admiration qu'auparavant sans vraiment comprendre pourquoi. C'est en les observant depuis la cime des arbres que j'ai enfin saisi cette douce nuance : pour moi, ils représentaient en fait la mort de cet autre monde qu'est le ciel. Il devenait d'abord rouge comme s'il saignait, toute la voûte céleste semblait comme déchirée. Puis ce sang passait du rouge au noir... de la Lumière à l'Ombre. Je savourais cette victoire des Ténèbres chaque soir, avant de reprendre ma route sous les étoiles.

Le Rôdeur avançait beaucoup moins vite que le lui permettaient ses forces de démon : peut-être l'humain qui lui servait d'enveloppe charnelle n'était-il pas encore capable de les utiliser pleinement, et je devais faire attention de ne pas trop me rapprocher de lui. Toujours est-il que nous mîmes plusieurs jours pour parvenir à la lisière de la forêt...et arriver dans un endroit que je connaissais bien. Contrairement à ce que j'avais cru, nous n'étions pas directement partis pour le désert d'Aranoch : Diablo voulait emprunter la route des caravanes, celle qui partait du Monastère Rogue.
J'avais immédiatement reconnu la plaine, et ses quelques arbres avaient perdu leurs feuilles, comme c'était le cas dans la forêt depuis quelques kilomètres. Le ciel était noir, mais pas ce noir nocturne si doux que j'affectionnait tant : c'était un gris anthracite, celui des nuages annonçant la tempête. Je devinais au loin cette silhouette étrange sous sa cape élimée qui avançait de plus en plus difficilement, et qui pourtant dissimulait le plus terrible des cataclysmes... C'est ce moment précis que les nuages choisirent pour se décharger de leur poids, et il se mit à tomber non pas de la pluie comme je l'avais cru mais bien de la neige. Tandis que les gros flocons inattendus recouvraient de blanc l'herbe et les branches nues, je vis le démon encapuchonné se diriger vers ce qui semblait être une auberge sinistre, traînant son épée derrière lui, faisant mine de s'effondrer à chaque pas.
Je n'ai appris ce qui s'était passé dans cette auberge que beaucoup plus tard. A cette époque, j'avais simplement vu quelques éclairs verts au loin mais surtout, surtout ces corps ensanglantés qui recouvraient le sol de l'auberge en flammes. Lorsque j'étais arrivée la moitié de la vieille baraque avait brûlé, répandant une odeur de chair calcinée sur la plaine enneigée. Et j'avais vu, avant qu'ils ne soient engloutis par les flammes, les cadavres de ces hommes bien souvent coupés en deux, ou bien un trou béant à la place du ventre. Que j'aurais aimé assister à ce carnage...

Quelques jours plus tard, alors que le camp des Rogues était en vue, je me suis rendue compte que Diablo s'était accompagné d'un homme. Pourquoi, je n'en avais pas la moindre idée mais je le jalousais de pouvoir se tenir si près du Seigneur de la Terreur sans avoir été tué. J'avais envie de me glisser jusqu'au camp pour voir Akara mais je savais que je ne devais pas. Pas encore. Je ne me souvenais que trop bien de ce que mon ancienne amie m'avait dit, de ce qu'elle pensait au fond d'elle, et je n'avais aucune envie de m'y trouver confrontée de nouveau.

Le désert d'Aranoch n'offrant que peu de possibilité de me dissimuler, je décidais de leur laisser à nouveau une journée d'avance et partis donc la nuit suivante vers l'Orient. Cette précaution était sans nul doute inutile, puisque je doute que Diablo ne m'eut pas repérée fut-il à quelques kilomètres de moi, mais je pense qu'il se souciait autant de ma présence que des hommes qu'il avait pu tuer au cours de sa... « vie » ? De son existence dirons-nous, puisqu'au fond je doute qu'il ait jamais été réellement « vivant ». Quoiqu'il en soit, le désert, s'il ne m'a pas posé de difficulté particulière, m'a offert des paysages que je ne soupçonnais pas. Une fois encore le crépuscule m'a ensorcelée, le sable si chaud et si doux était chargé de toutes sortes de pensées maléfiques ; et dans tout ce chaos naissant dans cette région de l'Est je sentais les songes affolés et perturbés de l'humain qui accompagnait Diablo. Il n'était pas avec lui de son plein gré...mais personne ne l'y avait vraiment forcé non plus, comme si une force invisible l'attirait à suivre cet homme étrange.

Et puis, en une fin d'après midi plus chaude encore qu'à l'habitude, j'aperçus Lut Gholein et l'étendue bleue qui la suivait : c'était la première fois que je voyais les Mers Jumelles, la première fois que je voyais plus d'eau que dans le Marais Sombre. Ce n'est que lorsque qu'un vent maléfique vint me fouetter le visage que je repris conscience de ce qui m'avait amené ici. Le Rôdeur avait certainement évité la ville, et les pierres du désert bordant celle-ci m'attiraient inexorablement...je partis donc dans cette direction, poussée par cet instinct diabolique qui faisait rage en moi.
A mesure que j'avançais, la même envie que celle qui me tenaillait parfois naissait dans mon esprit. Je sentais la vie qui se dégageait de la ville, tous ces coeurs battaient dans ma tête, tout ce sang qui bouillonnait dans le corps chaud des humains... Cela faisait bien longtemps que je n'avais plus tué et, il est certainement inhabituel de lire de telles choses, cela me manquait. Voir ces gens se tordre de douleur sous mes mains...je n'avais jamais vraiment torturé quelqu'un et pourtant l'impression d'avoir toujours su comment faire me hantait. L'idée me vint que jamais encore je n'avais essayé mes pouvoirs de succube, à présent que j'en étais une... cette ville qui n'attendait que moi... tout ce sang... cette odeur si particulière... même aujourd'hui j'en ai encore des frissons.
Alors que je m'apprêtais à céder à mes envies, un hurlement retentit dans tout le désert. Cette voix surnaturelle ne pouvait être que celle d'un démon, d'un puissant démon... C'est à ce moment précis que je me suis remémoré les paroles de Diablo à Tristam : il avait parlé de ses frères. Était-il donc venu les chercher ? Sans plus attendre je m'enfonçais toujours plus loin dans cette immense étendue de sable, cherchant ce que Diablo aurait pu semer de maléfique, mais je ne suis pas parvenue à les retrouver. Peut-être avaient-ils emprunté un portal spécial, peut-être y avait-il une grotte dissimulée quelque part dans le désert. Il n'était cependant pas question que j'arrête de les suivre, je devais donc les attendre près de Lut Gholein, ils repartiraient forcément par là...

Mais me rapprocher de cette ville peuplée d'humains en activité n'était pas une des meilleures choses...tout au moins pour eux, d'autant que les rayons du Soleils disparaissaient déjà dans la mer pourpre. Le ciel avait succombé à ses blessures. Les Ténèbres reprenaient possession de leurs terres...et je m'en sentais galvanisée. Je voulais faire couler du sang, cela faisait bien trop longtemps que je n'en avais pas senti sur mes mains, bien trop longtemps que je n'avais pas vu la vie d'échapper par bribes des yeux d'un homme. Et puis j'avais tellement envie d'essayer mes nouveaux dons...
Lorsque je suis arrivée près de la ville, j'ai constaté avec satisfaction que chaque entrée était gardée par un homme. Un militaire isolé, en bonne forme et avec une conception bien définie du Mal...que pouvais-je rêver de mieux pour ma première fois ? Je me suis glissée près de l'un d'eux comme une ombre, tout juste assez silencieusement pour qu'il entende un murmure derrière lui, pour qu'il ressente sa fin proche avant même de me voir. Il se retourna vivement, la bouche entrouverte, les yeux apeurés, et son visage changea du tout au tout quand il me vit, adossée contre la porte en bois.
Dès lors que son regard eut croisé le mien j'ai su - et lui aussi - qu'il ne pourrait s'échapper : il était en mon pouvoir. Il était mon jouet. Je l'ai entraîné loin dans le désert, là où ses cris ne pourraient se faire entendre de personne, et je voyais dans ses yeux qu'il ne pouvait lutter contre l'envie de me dévorer du regard. Il brillait dans son esprit comme un fou désir qu'il ne pouvait repousser et pourtant il avait peur, si peur, il savait que j'allais le tuer mais ne pouvait faire autrement que de se soumettre à mes caprices. Ce dont il ne se doutait pas, c'est que j'allais faire bien pire que le tuer...j'allais le faire souffrir.

Nous étions seuls dans le désert, le silence était épais comme du brouillard. Je pouvais entendre les battements de son coeur s'affoler tandis que je le faisais s'allonger, je sentais ses pensées de dérober de tout sens. Toute cette vie... Cela me rendait ivre de désir, je ne pensais plus qu'au sang qui déferlait dans ses veines, à l'instant où je le ferais couler.
Je me suis assise à califourchon sur lui, lui mettant un doigt sur la bouche alors qu'il allait parler. J'ai posé ma main sur son cou...je savourais ce moment où le temps semblait s'arrêter, ce moment qui précédait ce qui m'obsédait tant. Et alors qu'il allait poser ses lèvres brûlantes comme de la lave sur moi, j'ai très lentement commencé à planter mes ongles dans sa gorge. C'est alors que son regard a changé : il s'y mêlait terreur et désir, il avait envie de fuir et pourtant il en était incapable. Il était en mon pouvoir. J'ai retiré mes ongles de sa chair et me suis levée, le regardant d'un air espiègle tandis que je goûtais au liquide pourpre que je venais de lui voler. Son sang avait un délicieux goût sucré... Je lui ai retiré son uniforme déchiré et ai contemplé ce corps si vivant avant de le savourer une fois mort.
J'ai commencé par lui entailler légèrement la poitrine, me délectant du spectacle du mince filet de sang qui se répandait sur son torse. Il ne criait pas. Pas encore... Il était encore subjugué par cette créature trop irréelle pour être humaine, ne se rendant pas vraiment compte de ce qui l'attendait. J'ai continué en insinuant mes ongles entre ses côtes, sentant sa respiration de plus en plus saccadée, appréciant chaque instant et son affolement qui grandissait. J'ai pris de son sang sur mon doigt, et je me suis encore une fois mise sur lui pour qu'il me voie en train de me nourrir d'une partie de lui. L'horreur qui se lisait dans son regard n'avait d'égal que le plaisir au fond de mes yeux : jamais je n'avais ressenti pareille impression de satisfaction. Alors qu'il se vidait peu à peu de son sang, je lui ai entaillé les poignets, et le cou : c'est là qu'il a commencé à hurler de désespoir, mais pas forcément celui de mourir... Peut-être celui de savoir que je ne lui donnerai pas ce qu'il avait tant désiré. On aurait dit un porc que l'on égorge, mais personne ne l'entendait. Personne sauf moi. Le seul réconfort qu'il pouvait trouver était le contact de ma peau sur lui lorsque je lui coupai la chair, le seul regard qu'il pouvait croiser était celui d'une succube désirant qu'il rende son dernier souffle. Et juste avant qu'il expire, je me suis approchée de son visage, pour lui dire qu'il allait revivre ces tortures et bien d'autres durant toute l'éternité...

Lorsque ses yeux se sont figés, son corps était froid et gris. Il avait perdu tout attrait, il n'avait plus une once de vie. Le sable était pareil à une immense flaque de sang, donnant à l'air ambiant cette odeur de sucre et de sel, cette douceur pareille à du velours.

Je ne saurais vous décrire comment je me sentais en cet instant. Ce n'était pas vraiment de la puissance, ce n'était pas vraiment de l'invulnérabilité, ni du bonheur : c'était peut-être un mélange des trois. Toujours est-il que si je ne m'étais pas retenue j'aurais été chercher les deux autres gardes pour leur faire subir le même sort, mais je me suis dit qu'il ne valait mieux pas donner l'alerte : il m'aurait été impossible de me défendre contre toute une légion. De plus l'aura du Rôdeur se faisait de plus en plus présente, ce qui signifiait qu'ils n'allaient pas tarder à parvenir à Lut Gholein.

J'étais impatiente que nous reprenions la route. J'avais encore tant de choses à découvrir...
J'étais encore allongée à côté du corps ensanglanté de celui qui m'avait initiée à la torture lorsque j'ai senti une très forte aura maléfique se diriger vers moi, qui émanait sans doute possible d'un puissant démon, peut-être même de deux : Diablo était-il donc accompagné d'un « frère » à lui ? Je me relevai et me dirigeai vers la ville, abandonnant aux vautours le cadavre du garde, songeant avec délice aux visages horrifiés de ceux qui allaient le découvrir. Lorsque j'arrivai dans Lut Gholein, les étoiles à l'Est avaient laissé place à quelques timides lueurs rosées qui délestaient le ciel de sa belle couleur noire ; j'entendais ça et là quelques marchands qui ouvraient leurs boutiques, les patrouilles infatigables attendaient patiemment la relève, les saoulards sortaient de la taverne en titubant, en un mot la ville s'éveillait doucement. Ils ne savaient pas encore que l'un d'eux les avait quittés, ils ne savaient pas non plus que bientôt le désert serait rongé de créatures démoniaques en attente de sang. Ils étaient heureux, ou tout au moins le croyaient-ils.

Ne voyant que cette solution pour passer le temps sans enlever un autre garde, je me dirigeai vers l'auberge miteuse de la ville avec il est vrai assez peu d'enthousiasme, et y entrai en regardant avec mépris les quelques humains qui s'y trouvaient : ils offraient un spectacle assez affligeant, à mi-chemin entre un troupeau de vaches mortes et une nuée d'insectes encombrants. Tout en faisant taire l'envie de les tuer qui m'occupait l'esprit, j'essayai de trouver une table libre et raisonnablement propre et m'y installai pour réfléchir à ma première vraie expérience de succube. Ç'avait été si grisant de voir cet humain tomber dans mes filets au premier regard, si facile de le manipuler, si doux de le faire souffrir et de voir la crainte mêlée au désir au fond de ses yeux... Encore aujourd'hui je frissonne à cette pensée : j'ai certes commis d'autres meurtres depuis mais celui-ci restera toujours en ma mémoire puisque c'est lui qui m'a véritablement faite entrer dans le monde du Mal. Comment oublier pareille impression de volupté, comment oublier que, pour la première fois, je savais qui j'étais et ce que je voulais devenir, comment oublier que j'avais enfin trouvé un but ?
Je pensais à tout cela lorsqu'un « Regardez mon fils comme il est beau ! » retentit dans l'auberge. La femme qui avait poussé cette exclamation enjouée n'était autre que celle qui se tenait derrière le comptoir : elle regardait avec amour et fierté un jeune garçon en uniforme de garde, bientôt imitée par un homme sortant de l'arrière salle. Je n'avais pas apprécié qu'elle interrompe mes pensées mais il aurait été mal venu de me lever afin de lui arracher sa langue avec mes dents, je me ravisai donc pour reprendre ma réflexion là où je l'avais laissée. Malheureusement, il n'était apparemment pas dans les habitudes de ces gens de parler normalement, j'entendis donc malgré moi que le jeune homme faisait sa première journée de service militaire et que toute la petite famille s'en trouvait ravie. Pour ma part, j'imaginais avec emphase ce « fils prodige » enlevé et saigné comme un porc jusqu'à la dernière goutte par quelques damnés.

L'aura maléfique se fit de plus en plus présente, et je dois avouer que j'avais du mal à contenir mon impatience ; de plus, j'étais certaine que Diablo n'était pas seul, ce qui accentuait la curiosité qui me tenaillait. Je n'eus cependant pas vraiment à attendre : il ne se passa pas longtemps avant que deux silhouettes encapuchonnées ne passent devant l'auberge. Diablo avait visiblement repris des forces, tandis que son frère titubait et avait du mal à marcher. Il paraissait difforme sous sa cape, mais personne ne semblait trop s'en soucier : la vie suivait son cours dans la petite ville, tandis que sous son nez passaient ses plus grands ennemis. Je sortis précipitamment de l'auberge pour ne pas les perdre et vis qu'ils embarquaient sur un navire marchand. Ne pouvant raisonnablement pas y monter moi aussi, je me renseignai quant à sa destination et embarquai sur un autre navire, sans que son propriétaire ait vraiment envie de me réclamer son dû... Qu'il est doux de pouvoir manipuler les hommes...

J'avais déjà entendu parler de Kurast et de sa jungle, mais surtout de ses disciples du Zakarum : on racontait partout que ces hommes et ces femmes avaient des pouvoirs extraordinaires, tant et si bien qu'ils ne paraissaient presque pas humains. Diablo et ses frères en auraient certainement besoin en temps voulu, pensais-je à l'époque : je constate aujourd'hui avec satisfaction que je ne m'étais pas trompée quant au sort réservé aux enfants du Zakarum, même s'il est vrai qu'ils ont quelque peu perdu de leur superbe.

La nuit précédant notre départ, alors que j'étais assise sur le pont du navire, je vis un petit homme se glisser à bord ; son allure misérable et sa faiblesse apparente ne m'étaient pas méconnues : c'était l'homme qui avait osé marcher aux côtés de Diablo, qui avait osé le regarder sans subir le courroux du démon. Ainsi devait-il à présent suivre le Rôdeur clandestinement... Intéressant. Peut-être me dirait-il ce qui s'était passé et comment Diablo avait retrouvé son frère, et peut-être me permettrait-il d'en savoir plus quant à notre but...celui des deux frères trop longtemps séparés. Après s'être caché il s'endormit d'un sommeil agité, plus éreintant au fond que s'il était resté éveillé ; et soudain, des images apparurent dans ma tête. Des images floues, saccadées, sombres, comme si l'on racontait une histoire morcelée... Je mis un moment à comprendre que ce que je voyais n'était autre que le songe de cet homme qui avait suivi Diablo par delà le désert, dans ces couloirs lugubres que je découvrais à travers ses yeux. J'avais plus que tout désiré lire dans ses pensées ce soir là, peut-être que cela m'avait donné un nouveau don mais je suis encore sûre aujourd'hui que ce n'est qu'une « amélioration » du don de succube : nous pouvons contrôler l'esprit des hommes, pourquoi ne pas pouvoir y apercevoir quelques pensées...

Toujours est-il que ces rêves -ou plutôt ces cauchemars- m'offrirent bien plus que tout ce que j'avais pu espérer soutirer à ce misérable, que j'enviais tant d'avoir pu approcher le Seigneur de la Destruction et le libérer de ses chaînes. Mais avant ce triomphe, je vis la nette transformation de Diablo ; il devenait si puissant, on le sentait invulnérable, et il avait fallu un certain temps à l'humain pour en comprendre la réelle signification : il perdait enfin les quelques bribes d'humanité qu'il lui restait encore. Soudain des lumières vives m'apparurent, des formes complètement floues et déformées qui ne cessaient de bouger ; sans toutefois comprendre pourquoi, je savais que je voyais le tristement célèbre Archange Tyraël, cette créature assez prétentieuse pour prétendre arrêter le Seigneur de la Terreur. Puis vint l'image de Baal, attaché contre son gré à une immense pierre magique et tentant de berner l'humain qui m'offrait ce rêve tandis que Diablo menait une lutte acharnée contre Tyraël, dans une multitude d'éclairs et de cris rageurs. Je compris alors le sens de ce que je voyais lorsque l'humain s'approcha de Baal pour lui ôter du torse la pierre d'âme qui retenait le démon dans cette geôle. Oui, je vis combien les hommes étaient stupides et combien les forces du « Bien » étaient impuissantes face au Mal. Je sus ce soir là que notre victoire n'était plus qu'une question de temps.
J'appris également pourquoi Marius (puisque c'était son nom) suivait toujours les Frères : Tyraël l'avait chargé de détruire la pierre d'âme qu'il avait extirpé du corps de Baal... Cette confiance était ridicule et totalement infondée, mais les méandres mystérieux de l'esprit d'un Archange seront toujours insondables pour un être tel que moi.

Toute la nuit j'ai jalousé cet humain d'avoir assisté à pareil spectacle, toute la nuit j'ai dû me répéter qu'il me serait sans doute encore utile pour m'empêcher de lui arracher les yeux afin qu'il ne les pose plus sur les Seigneurs de la Destruction et de la Terreur. J'ai tourné et retourné ces images marquantes dans mon esprit jusqu'à en avoir le tournis, et lorsque je me suis enfin endormie c'était pour aller me battre aux côtés de Diablo contre Tyraël. J'étais obsédée par l'image de cet Archange orgueilleux et de son épée de Lumière, par l'idée de l'affronter, et pourtant j'étais consciente d'en être parfaitement incapable. Mais les rêves sont aussi là pour matérialiser nos désirs les plus profonds et les plus fous...

A l'aube, lorsque le ciel s'emplit de rose et la mer de turquoise, le navire des Frères largua les amarres ; je le vis partir au loin, comme suivi par un sillon noir dans l'eau bleue, glissant tel un être surnaturel à sa surface lisse. J'aurais tant voulu être à l'intérieur. Le nôtre appareilla à midi, partant vers l'horizon en même temps que le Soleil vers le Désert d'Aranoch. Nous voguâmes quelques jours sur les Mers Jumelles, attendant avec patience l'arrivée. Marius ne s'était pas remontré depuis qu'il était monté à bord et je n'avais aucune idée d'où il pouvait bien dissimuler son corps crasseux mais au fond cela m'importait bien peu. Tout ce dont je me préoccupai était cet horizon désespérément vide qui s'étendait devant nous, et qui resta sans surprise durant un trop long moment.

Et puis enfin, alors que je regardais le Soleil finir sa course à l'Ouest et inonder la mer de sang, j'entendis le cri que j'attendais depuis si longtemps : « Terre ! Terre ! ». Je me précipitai à la proue du bateau pour vérifier ces dires moi-même et aperçus avec plus de joie que je ne saurais l'écrire l'étendue verte qui s'offrait à nous. Mon but était là, entre les arbres verts de cette jungle luxuriante. Il avait fallu que j'attende ma mort pour enfin faire quelque chose de ma vie...
Dès que nous eûmes débarqués au port de Kurast, une sensation étrange s'empara de moi : je baignais -ainsi que toute la région- dans une aura maléfique plus puissante et plus abondante que ce à quoi j'avais pu m'attendre. Il ne pouvait y avoir à cela qu'une seule explication : un autre démon accompagnait Diablo et Baal ; et c'est à cet instant seulement que je me suis souvenue de quelque chose qui aurait dû me revenir bien avant : une phrase prononcée par une des doyennes de mon ancien camp juste avant de mourir. J'étais à son chevet avec ma mère, et, avant de trépasser, elle m'a regardée droit dans les yeux pour me dire « Ils reviendront ! Les Trois Frères dévasteront le monde et c'est à ta génération qu'il incombera de les chasser ma petite Lyn ! N'oublie jamais ça ! ». J'étais encore enfant, personne jusque là ne m'avait jamais parlé des Frères du Mal et jamais plus on ne m'en parla, comme si ce sujet était tabou depuis plusieurs siècles. C'est cette nuit là que je compris le sens de ces paroles singulières pour l'enfant que j'étais, mais cela ne changea rien : au contraire, je vis qu'avant même de réapparaître les Démons terrorisaient déjà les humains. La race des hommes était décidemment incroyablement pitoyable et lâche...et il me semble que rien ne la fera jamais changer.

Marius descendit prestement du navire et s'enfonça dans la jungle verdoyante, la sueur coulant dans son dos et son coeur battant de plus en plus vite tandis que je le suivais à bonne distance, quoiqu'il ne m'aurait pas remarquée où que je fusse en raison de sa nervosité. Tout comme de la forêt du Khanduras, de cette jungle émanaient les pensées démoniaques des Frères du Mal, je m'y sentais ainsi parfaitement à mon aise et me délectait de l'horreur qui envahissait peu à peu Marius. Nous marchâmes ainsi toute la nuit pour arriver à Kurast ; le Bazar, la ville Basse et la ville Haute étaient encore endormis, profitant des quelques heures de sommeil qu'il leur restait encore et au fond ce n'était pas plus mal : je n'avais aucune envie de traverser une foule d'humains.

En faisant le moins de bruit possible Marius se faufila jusqu'à Travincal, le lieu saint, là où les disciples du Zakarum suivaient leur enseignement, et se dirigea vers un temple immense d'où s'échappaient nombre de relents maléfiques. Les Trois Frères du Mal étaient là, quelques pieds sous terre. Ils étaient réunis.

Nous nous enfonçâmes dans les méandres sombres des étages inférieurs, parcourant des pièces éclairées par la faible lueur de quelques torches pour arriver dans une immense salle obscure et emplie d'énergie négative. Marius s'avança en se cachant derrière de larges piliers sculptés tandis qu'une voix glaciale aux intonations irrésistiblement lugubres retentissait de toute sa majesté dans la pièce, une voix dont je savais qu'elle appartenait à Méphisto, le troisième Frère du Mal, le Seigneur de la Haine, sans toutefois comprendre pourquoi je le savais. Je m'avançai le plus que je le pus et vis enfin ce pourquoi j'avais entrepris ce voyage vers Kurast : j'avais devant moi l'assemblée du Mal, Diablo Baal et Méphisto se consultant à propos de l'avenir du monde, de la destruction des hommes. Mais je crois que je n'ai rien apprécié plus que la transformation de Diablo : tout a commencé par un hurlement déchirant, les cris de l'humain qui mourrait définitivement. Et puis la silhouette du Rôdeur s'est courbée jusqu'à poser les mains au sol, quelque chose remuait sous la cape élimée, comme si elle était soudain devenue trop petite. C'est là que des cornes immenses percèrent le tissu grossier, que le corps de Diablo retrouva sa forme et sa taille, qu'une couleur vermeil reprit le dessus sur la chair rose des humains. Diablo jeta la cape d'un air nonchalant en prenant pleinement conscience de ses nouveaux pouvoirs, une lueur délicieusement rouge occupant son iris. D'un pas qui fit trembler le sol il se dirigea vers une magnifique porte d'où s'échappaient mille et un cris de damnés, la Porte des Enfers, et s'y engouffra après un dernier regard pour ses Frères. Tout avait commencé. L'humanité voyait enfin ses jours comptés.

Je me forçais à détourner le regard pour observer Marius. Il tenait d'un air effrayé la Pierre d'Ame de Baal entre ses mains décharnées, ne sachant que trop bien ce qu'il était censé en faire, mais connaissant assez sa peur pour savoir qu'il en était parfaitement incapable. La couardise des Hommes n'étant plus à prouver je le vis sans surprise courir vers la sortie, sans même un regard en arrière, sans que le moindre scrupule lui ronge le coeur : il ne savait peut-être pas qu'il venait de sacrifier les siens pour sa petite vie mais il savait qu'il lui fallait fuir loin et vite, fuir pour ne plus jamais voir qui que ce soit.

Décidant que je ne devais pas rester plus longtemps à contempler les Seigneurs du Mal, je me faufilai moi aussi vers la sortie et goûtai à l'aube bercée d'une lueur démoniaque qui s'offrait à moi, devant le Temple du Zakarum. Cette ironie me fit sourire : c'était dans un lieu saint que l'horreur infernale allait vraiment sévir en premier, c'étaient ces disciples tous dévoués corps et âme à leur Ordre qui allaient les premiers devenir les instruments des Trois.

Je devais à présent rentrer dans mon Khanduras natal, je devais aider de mon mieux... les miens. Il y avait bien longtemps que j'avais cessé d'être une Rogue, mais je me surpris à penser que « les miens » représentaient alors cette horde de démons sanguinaires que j'avais toujours méprisée de mon vivant. Je me surpris également à songer à Kalis et à toutes les façons dont il avait pu m'aider, à ses regards réconfortants, à son histoire, et alors la haine que j'avais éprouvée pour Andarielle refit surface comme si une plaie cicatrisée s'était ouverte de nouveau. Il était hors de question que je sois sous ses ordres et pourtant c'était là-bas que je voulais aller, là-bas que voulais tuer, puisque c'est par là-bas que les futurs héros passeraient en premier pour aller à Kurast. Je voulais défendre ceux qui avaient su m'ouvrir les yeux.

J'entamai donc le voyage retour le matin même, à la fraîcheur de l'aube, et eus le plaisir de constater que l'aura maléfique se faisait de plus en plus présente non seulement au Kehjistan mais également dans le désert d'Aranoch. J'étais persuadée qu'avant longtemps surgiraient les démons promis par les Trois, dévastant la région et accomplissant ma vengeance contre l'aubergiste qui avait interrompu mes pensées. Ces songes me firent oublier l'inconfort du voyage dans le désert, m'occupant assez l'esprit pour ne pas sentir les tempêtes de sable et les vents brûlants de cette partie de monde, tant et si bien que je me retrouvai sans tarder au Khanduras.

Je n'étais pas partie depuis si longtemps, et pourtant, pourtant... Tout ici avait changé, de la couleur de la végétation aux cris des animaux de la forêt ; en y réfléchissant, pas une fois je n'avais croisé de caravane en revenant de Lut Gholein, ce qui était en fait plutôt singulier en cette saison. Quelque chose les empêchait donc de passer, et un rictus mauvais s'esquissa sur mes lèvres lorsque je compris ce que c'était. Ce que j'avais espéré était bel et bien la réalité : les démons avaient pris possession de mon ancienne terre natale, et chaque chose baignait dans ces doux relents maléfiques que j'avais cherché durant tout mon voyage, dans cette moiteur démoniaque épaisse et silencieuse. J'aimais cette contrée comme elle était bien plus que comme je l'avais connue, puisqu'au fond elle reflétait ce en quoi je pouvais croire depuis cette journée où j'étais morte.

Une ombre noire planait sur Sanctuary, annonciatrice du chaos et de la terreur démoniaques, et j'allais enfin faire partie intégrante de ce combat éternel. Au fond, qu'est-ce qu'une vie de Rogue aurait pu m'apporter de plus ?...
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