Fanfiction Diablo II

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Bertogale, le corbeau

Par Bert
Les autres histoires de l'auteur

Chapitre 1 : Un banc pour trois

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Bertogale, le corbeau : chapitre 8

Note : Pour ceux qui ne connaissent pas encore bien l'histoire de Diablo, je leur recommande de lire cette page : [lien=https://www.blizzard.com/diablo3/world/timeline.xml]https://www.blizzard.com/diablo3/world/timeline.xml[/lien].


1267 : 1 ans après la mort des trois grands, Tristam.

_______________


CETTE nuit, un homme pénétra dans la légendaire cathédrale de Tristram, acte inaccompli depuis plus d'un an. Mais ce n'était point un aventurier mais un homme pétrit de haine, terrifié et détruit en même tant :

« Gormondriel ! »

Il s'approcha de l'autel au fond du monument et regarda la gigantesque croix perchée sur le mur noir.

« Gormondriel ! »

Il n'y avait point de réponse. Il attendit quelques minutes, fixant toujours la croix des yeux, puis voyant que son appel était ignoré, il s'empara d'un banc et le fracassa contre le sol avec violence. Le bois se brisant contre le marbre raisonna dans un bruit de tonnerre et les nombreux corbeaux perchés sur les gargouilles s'envolèrent en poussant des cris de terreur.

« Croâ ! Croâ ! »
« Répond lâche ! Répond ! Gormondriel ! »

Ce nom fut prononcé avec tant de rage, tant de haine qu'un homme aurait cru entendre hurlé le Seigneur de la terreur, lui-même. Mais c'était de la gorge d'un homme que venait ce son si effroyable et si déchirant. Il se nommait Bertogale, le corbeau.

« Gormondriel ! »

Son crie était désespéré, cette fois-ci. Il s'empara d'un autre banc puis lorsqu'il eut brisé celui-ci, il en prit un autre et le fracassa lui aussi contre le marbre avec une fureur toujours croissante. Enfin, il souleva le dernier banc et, alors qu'il s'apprêtait à le détruire impitoyablement, il hésita. Finalement, il le reposa et s'assit dessus, ses yeux toujours rivés sur la croix.

Les portes de la cathédrale s'ouvrirent dans un bruit vaste et ample. Un homme, vêtu d'une robe violette entra et marcha jusqu'à l'autel, une miche de pain coincé sous son bras. Sa démarche était lente et le bruit de ses pas raisonnait avec ampleur et majesté. Il s'avança vers Bertogale.

Ce dernier détourna lentement son regard de la croix et il fixa le nouveau venu. 'Un prêtre ? Existe-il encore de la foi dans ce pays tant de fois ravagé par Diablo ? Les prêtres ne sont-ils point tous mort sous les lances des rogues corrompues et des morts ressuscités ?'

« Tenez, mangez » lui dit le prêtre.

Bertogale obéit et il mangea sans répondre. Il ne voulait pas parler.

« Tant de haine dans ce regard, reprit le prêtre un peu inquiet. Puis souriant, presque d'un ton ravi il reprit : Qu'est-ce qui vous tourmente, mon fils ? »

Aucune réponse. Le prêtre exaspéré parti finalement, tandis que l'ingrat mangeait le pain. 'Moi, qui croyait que cette ville était déserte, je vais avoir un peu de compagnie. Ca tombe bien, je meurt de faim'. Puis Bertogale eut soif. Il se leva et alla chercher de l'eau. Il trouva finalement une carafe et un verre de vin dans une armoire couverte de toile d'araignée ainsi qu'une fontaine tout au fond de l'édifice. L'eau avait un teint un peu grisâtre mais une odeur de pierre, pure et agréable. Il se donna le luxe de boire une coupe, puis retourna s'allongeait sur son banc pour méditer... non pour dormir, plutôt.

Le lendemain, le prêtre revint, mais Bertogale refusait toujours de lui parler ; il se contentait de prendre la miche de pain que lui apporter ce bon monsieur. D'ailleurs c'était un prêtre assez jeune qui devait dépasser la trentaine de justesse. Comme le guerrier, il semblait satisfait que Bertogale se contente de la miche de pain, même s'il insistait toujours un peu et reposait quelques questions ; sans réponse d'ailleurs.

Cela devint une habitude. Chaque jour le prêtre revenait avec du pain, toujours de la même forme et de la même taille, et ils posaient ses questions que Bertogale prenait un malin plaisir à ne pas répondre.

_______________


Un jour les portes de la cathédrale s'ouvrirent, mais ce n'était point le prêtre qui se tenait à l'entrée. C'était un voyageur qui avait garé sa caravane dans les ruines de la ville oubliée où plus personne ne vivait et qui, en entrant dans le monument fut surpris de voir que tous les bancs étaient brisés. Il vit le dernier banc sur lequel était toujours assis Bertogale. Puis hésitant, regardant autour si il n'y avait point un autre, il s'assit à côté du guerrier assez grand et plutôt balèze. Mais sa figure, ses cheveux sombres, longs et lisses, ainsi que ses yeux marron étaient rassurants ; et surtout, il y avait son teint rouge, ses joues pourpres. 'Oui, c'était bien un vivant' pensa le voyageur.

« Bonjour étranger. »

Bertogale prit le temps de réfléchir avant de répondre :

« Bonjour étranger. » Il riait, pensant au prêtre qui avait tant de fois tenter de lui parler et qui n'avait su trouver que le silence, alors que ce petit homme insignifiant obtenait une réponse sans trop en vouloir une. 'Et puis, le prêtre, lui, ne m'a jamais salué !' pensa-t-il.

« Pourquoi..., l'étranger regarda autour de lui, pourquoi les bancs sont ils tous brisés ?
- Allons, répondit Bertogale, c'est bien connu : quand Diablo pénètre dans une cathédrale, il détruit tous les bancs !
- Ah, bon ? Diablo ? Il existe. C'était donc vraies toutes ces histoires, répondit le voyageur d'un ton sobre. Pourvu qu'elle soit vrai jusqu'au bout.
- Jusqu'au bout ?
- Diablo meurt, vous savez ?
- Comment ?
- Les héros qui vainquirent Méphisto- Vous les connaissez n'est-ce pas ?
- Je connais Méphisto. Je l'ai rencontré mais c'est une longue histoire. Continuez la votre.
- Bon, donc ces héros, après avoir vaincu le Seigneur de la haine, descendirent en enfer et ils tuèrent cette saloperie de démon ! Boum, plus de Diablo, plus de Seigneur de la terreur !
- Oui, oui, c'est ce qu'on raconte. Vous n'y étiez pas non plus. Plusieurs fois on a dit qu'il été mort. La première fois c'était il y à très longtemps : il fut vaincu par les mages horadrims... du moins c'est ce qu'on raconte. La deuxième fois c'était dans les catacombes de cette ville : mais cela aussi n'était que des racontars.
- Ah, cela explique l'état des bancs... Bertogale ria, amusait par la naïveté de son interlocuteur.
- Oui, pour la troisième fois je n'étais pas au courant.
- Moi, je n'étais pas au courant pour les deux premières fois : vous voyez, nous sommes fait pour nous entendre. Mais dîtes moi que faîtes vous ici ?
- Ah, vous savez c'est une longue histoire. »

_______________


Le prêtre s'approcha de la cathédrale, la miche de pain coinçait sous son bras pour rendre visite à son squatteur, depuis déjà une semaine. Alors qu'il s'approchait de la grande porte, il entendit les voix de Bertogale et du voyageur qui résonnait fortement dans tout l'édifice. Tout d'abords, ravi d'entendre enfin la voix de cet étrange homme, il voulu entrer dans le monument pour... pour... Pourquoi, en faite ? Ne risquait il pas de le réduire au silence comme sa présence l'avait précédemment fait ? Il lui aurait fallu pourvoir entrer discrètement mais la porte était bien trop massif et n'importe quel son émis dans la cathédrale était dupliqué par l'écho. Comment entrer ? Il eut alors une idée, que personne n'aurait osé avoir il y a 1 ans : descendre jusqu'au catacombes et remonter jusqu'à l'église. Il se rappela qu'un escalier, un peu éloigné de la cathédrale le mènerait en effet aux catacombes et se mit en route.

« Une histoire très longue. Laissez moi m'en rappeler. Par où commencer ? demanda Bertogale.
- Commencez par la situation initiale, suggéra le voyageur.
- Très bien. Je me nomme Bertogale, le corbeau.
- C'est vrai que votre corps est beau.
- Non, non, le corbeau, l'oiseau !
- Ah...
- A cause de mes cheveux. Ils sont noirs comme les plumes d'un corbeau. C'est mon maître qui m'a donné ce nom. Je lui ai répondu que le corbeau était un oiseau du mal et qu'il serait plus juste, pour un jeune paladin comme moi, de me donner le nom d'un oiseau plus pure : la colombe.
- La colombe, riait le voyageur, le corbeau, cela a pourtant beaucoup plus de style et c'est bien plus impressionnant !
- Oui, enfin, savez vous ce que m'a répondu mon maître ? Si tu as la chance de vivre jusqu'à un certain age, tu auras des cheveux blancs, blancs comme les plumes d'une colombe. Alors tu t'appelleras Bertogale, la colombe.

Il y eut un bruit soudain et sourd qui après un court instant raisonna dans tout le monument. Bertogale se leva, dégaina l'épée soigneusement attachée à sa taille et marcha en direction du bruit faisant signe au voyageur de se taire. Ses pas retentissaient dans un bruit régulier, tandis que tout autres choses étaient silencieuses, laissant le son de cette marche régner en maître suprême sur tout l'édifice. « Poc !... Poc !... Poc !... » Il s'approcha doucement des escaliers et il vit une lumière jaunâtre brillait. « Gormondriel ? » Soudain, celle-ci se transforma en une ombre qui envahit le mur, masqua la lumière et Bertogale poussa un crie d'angoisse : « Ha ! »

« Pardonnez moi, seigneur ! implorait le prêtre. Bertogale poussa un soupire de soulagement.
- Ce n'est que vous. Que faîtes vous ici ?
- J'écoutais votre conversation... C'est la première fois que je vous entends parler. J'avais peur que si vous me voyez, vous refuserez de parler comme vous l'avez fait chaque jour de la semaine passé. Pardonnez moi !
- Allons, ce n'est pas grave. D'ailleurs ça tombe bien que vous soyez là, je vais pouvoir me confesser en même tant que de conter mon histoire au voyageur. Venez vous assoire sur le banc. »

Bertogale se rassit sur le banc, suivi du prêtre.

« On est pas un peu serré, là ? suggéra le voyageur.
- C'est vrai, il nous aurait fallu un autre banc, reprit le prêtre.
- Décidemment, ce Diablo est vraiment un sauvage.
- Hein ? s'exclama le prêtre tandis que Bertogale rigolait silencieusement. Puis il reprit la parole :
- Nous n'avons qu'à prendre des tours pour qui reste debout. Le prêtre, tu es le dernier à être venu, tu es donc le premier à te lever.
- Pff, comme au monastère : c'est toujours moi. »

Bertogale s'étonna de se retrouver avec ces deux individus si puériles et de leur conter son incroyable et tragique histoire. Il se demandait s'ils s'y comprendraient quelque chose. 'Au moins, cela me fera du bien d'en parler à quelqu'un' pensa-t-il.
« Je suis né en 1241 à Tristram dit autre fois 'la belle'. La simplicité paysanne de ses habitants ainsi que les étranges ruines du monastère horadrique non loin du village avaient contribué à lui créer un charme unique dans tout les royaume et les quelques voyageurs dans la région n'hésitaient point à faire un détour pour visiter notre prospère village et y goûter ses vins prestigieux.

Mes chers parents avaient d'ailleurs fait fortune grâce à ces voyageurs assoiffés. Ils étaient des taverniers de grande renommé et je profitais de leur argent pour m'acheter une bonne éducation. De ce fait, alors que mes amis n'apprenaient qu'un seul art en général, j'en apprenais trois : la croyance, l'équitation et la médecine grâce à ma mère qui fut autrefois guérisseuse dans le monastère rogue.

Hélas cette vie paisible ne devait durée et elle fut troublée par la venu d'un individu fort singulier, en 1264 : l'autoproclamé roi Léoric. Nous fûmes séduis par ses convictions religieuses qui convergeaient plus ou moins avec les nôtres mais qui portaient une bannière bien plus noble et plus puissante que nos traditions campagnardes : la bannière du Zakarum. Nous étions peu conservateur et même ravis que quelqu'un nous enseignent enfin les coutumes de la légendaire culture de l'Est ignorées bien malgré nous. De ce fait, nous l'acceptâmes entant que nouveau Roi.

La conversation fut donc rapide, amusante même vu qu'elle brisait quelque peu la monotonie de Tristram. Sous les ordres de l'archevêque du Roi, un individu nommé Lazarius, nous bâtîmes sur les ruines oubliées du monastère horadrique ce qui deviendra la tristement célèbre cathédral de Tristram, premier monument à la gloire du Zakarum dans notre royaume de Khanduras.

Les choses commencèrent alors à se gâter et ceux qui avaient été des guides bénis et tombés du ciel devinrent brusquement des tyrans guidés par un fanatisme soudain et inattendu. Lorsque Léoric fit exécuté toute une famille de fermiers sous prétexte qu'elle conspirait contre lui, un frisson d'angoisse parcouru tout les village et une graine de doute germa dans nos coeurs. Des rumeurs parlaient de démons resurgis de l'enfer sous la forme du Roi et de son archevêque... Je ne savais qu'en pensais.

Le fourbe Roi détourna nos yeux de ces 'démons' vers le royaume voisin de Ouestmarche en lui déclarant la guerre et les rumeurs à son égard se dissipèrent comme elles étaient venues. Pas mal de villageois partirent pour se battre sous les bannières de Léoric et les combats commencèrent à peine après le début de l'an 1265. Mon très bon ami, Kandorma, pris les armes, malgré sa philosophie pacifiste, pour échapper à ses difficultés financières.

Une semaine plus tard, je voulu le rejoindre et prendre les armes à mon tour malgré la forte opposition de mes parents. Je leur expliquais que je voulais retrouver mon ami, étant sans nouvelles de lui depuis des jours. Mais en vérité, je ne m'inquiétais point pour mon ami : j'étais jeune et attiré par la grande aventure, les combats épiques et les glorieuses victoires. Les arguments de mes parents ne pouvaient rien contre le vif élan que m'inspirait la guerre et ils ne firent que retarder de deux jours mon inévitable départ ; et pour éviter une autre confrontation inutile je partais discrètement la nuit. « Adieu. »

Ce que j'ignorais alors, c'est que une fois que la grande aventure commençait, elle ne s'arrêtait plus...
Ma marche solitude vers les champs de bataille fut de courte durée. Bientôt je rejoignais un groupe de voyageurs d'origines, d'éducations et d'ambitions diverses. Certains voulaient reprendre les armes par tradition familiale, d'autres étaient intéressés par la solde et d'autres encore, curieux, étaient attirés par l'aventure épique et le voyage lointain. Il y avait aussi un groupe d'hommes dont la joie de partir à la guerre me paraissait un peu excessive au point d'être inquiétante mais cela s'expliquait par le faite qu'ils étaient mariés et donc ravis d'avoir une bonne excuse pour pouvoir enfin prendre congé de leur femme.

Ce fut une marche agréable donc trop rapide et la camaraderie si légendaire des soldats me baignait déjà dans un bain de rire et de plaisanteries continues. Un matin, nous arrivâmes enfin dans un des camps de recrutement. Ceux-ci se trouvaient non loin du front et avaient pour mission d'organiser et de regrouper les flots de volontaires incessants depuis le début de la guerre afin qu'ils puissent être utilisés aussi rapidement que possible. Je n'oublierais jamais la face exaspérée du lieutenant lorsqu'il vit arrivé notre troupe. 'Mais qu'est-ce que c'est que cette bande de guignols ?' devaient-il se dire en observant notre marche désordonnée et le sourire superficielle sur le visage de certains (encore les hommes mariés, je suppose).

Pour ma part, j'étais plutôt inquiet et perdu. Je n'avais aucune idée de comment je ferais pour retrouver Kandorma et je commençais à être de plus en plus clairvoyant vis-à-vis de la situation. Je regardais le ciel gris et les nuages bleuâtres couvrant une vaste terre déserte et effritée sur laquelle courait un vent dont le sifflement puissant et aigu semblait nous implorer : 'Partez ! Vous ne savez pas ce qui vous attend !'. Hélas, il était trop tard.


Je fus séparé de mes compagnons et on m'affecta à un régiment sous le commandement du très fin capitaine Lachdanan. Malheureusement, je ne retrouvais point mon ami et craignais de mourir bêtement tout simplement parce que je n'avais su me satisfaire de la tranquillité de ma vie. Dans les heures qui suivirent je transpirais constamment et même la fine pluie et le doux vent marin ne pouvaient calmer l'étouffante chaleur qui parcourait mes veines.

Mais mes craintes ne furent pas vérifiées car Lachdanan était un homme remarquablement intelligent, brillant même ! Je restais cinq mois sous ses ordres et pas une seule fois j'eus à monter au front. Lachdanan savait que Léoric était stupide et donc ne voulait point envoyer ses hommes sur le champ de bataille.

« Je les garde pour un ordre intelligent. » expliquait-il aux messagers du Roi qui venait réclamer l'envoi de ses troupes.

De ce fait je passais la plus longue partie de ma carrière militaire dans un camp retranché. Mais ce temps ne fut pas perdu car pour je ne sais quel raison, Lachdanan s'attendait à ce qu'un jour nous ayons à nous battre dans une ultime bataille et en attendant, il nous formait pour devenir l'élite de Khanduras. Il était fort apprécié par ses hommes, avait tôt fait de dissiper la peur qui m'avait saisi le premier jour et grâce à son entraînement fort efficace, en cinq mois je devenais un 'As le lame'.

_______________


Un jour un cavalier vint voir notre régiment. Nous nous attendions à un autre messager du Roi et sa présence fut donc ignorée. Un peu perdu et étonné que personne ne s'occupe de lui, il vint vers moi pour me demander de l'aide :

« Excusez-moi, mon brave. Comme puis-je demander le rassemblement des troupes ?
- Non ! dis-je d'un ton surpris. Kandorma ? »

C'était lui. Il avait été envoyé pour recruter des volontaires pour une mission 'spéciale'. Ne pouvant nous l'ordonner, Lachdanan nous conseilla de refuser. Cependant, j'étais tellement ravi de revoir mon ami (car n'est-ce point pour cela que j'avais pris les armes ?) que j'acceptais de le suivre rien que pour avoir de ses nouvelles. Il me conta l'horreur des batailles et l'atrocité des combats au corps à corps. Cependant par une chance inouïe, il avait obtenu de servir l'armée en tant que messager. Je n'étais point surpris car depuis sa plus tendre enfance, il avait exprimé son dégoût profond pour la violence. Il n'était pas un homme de guerre.

Ce que je vis sur notre route m'en dit plus sur les monstruosités des combats que les récits de mon ami. La terre vaste et déserte que j'avais aperçu le premier jour était à présent parsemée de cadavres si mutilés que je n'arrivais même pas à distinguer mes alliés de mes ennemis. Des armes jonchaient sur le sol et les glorieuses bannières des deux armés ne servaient à présent plus que de perchoir pour les corbeaux. Tout n'était plus que mort et destruction sous un ciel assombri de la guerre.

Hélas, après m'avoir guidé jusqu'au campement des 'volontaires', Kandorma dut repartir. Quelques heures après son départ, tous les soldats furent réunis au centre du camp et un de nos capitaines, Kentaur, montant une magnifique jument blanche (un camarade m'apprit qu'elle se nommait Lupus), nous expliqua notre délicate mission. Il était d'une taille imposante et revêtu d'une armure tâché de sang ; ce genre de tâches ne s'enlève point une fois sèches. Il nous regarda et d'une voix forte et puissante il appela:

« Fils de Khanduras ! » et lentement, il nous dévisagea, un par un, de ses yeux d'aigle, sombres et perçants. Puis il se retourna, regarda le ciel pendant un instant et après avoir profondément inspiré, il reprit laissant se déchaîner toute la puissance de sa voix :

« Cela fait cinq mois que nous nous battons contre les armées impies de Westmarch. Cinq mois que nous voyons tomber à nos côtés des êtres chers et des proches. J'ai vu beaucoup d'hommes dégoûtés par la guerre après avoir perdu un ami, beaucoup abandonnaient lorsque la victoire devenait lointaine. Oui, la victoire est lointaine ; mais ce ne pas en abandonnant qu'elle le sera moins ! Vous l'avez compris, vous ! Je sais que j'ai devant moi l'élite de Khanduras car ce régiment n'est composé que de volontaires. Je ne vous ai pas obligé à venir ici, c'est vous qui avez fait ce choix. Et à présent, alors que la victoire est plus proche de nous que jamais, j'aimerais que vous fassiez le choix de la saisir et de gagner cette putain de guerre ! »

Nous poussâmes un crie d'enthousiasme, levant nos points vers le ciel et acclamant Kentaur. Puis il fit un signe de sa main et la foule se tut.

« Sur la cote du golfe de Westmarch se trouve un camp. Nous avons appris que la plupart des troupes ennemies se sont regroupés dans les plaines plus au Sud, laissant cette base sans défense majeure. Ainsi nous la prendrons mais nous ne nous arrêterons point ici. Nous marcherons jusqu'à la capitale de Westmarch et seulement lorsque notre drapeau flottera sur les palais du Roi, alors serons nous victorieux. Pour le Zakarum, mes frères ! »

Nous étions surexcités. L'attaque était prévue pour dans deux jours. Nous buvions, nous riions, nous criions et ma première journée dans ce camp me semblait être une fête de carnaval improvisée. Les anciens racontaient aux recrus les plus jeunes leurs épiques victoires contre l'ennemi, tandis que d'autres fêtards inventaient toutes sortes de jeux pour se distraire. Certains, assis contre un arbre, rêvaient de la fin de la guerre et de leur glorieux retour dans leur village où il serait reçu en héros par leurs frères et soeurs perdus depuis si longtemps. Une nouvelle onde d'espoir leur donnait la force de continuer. Oui, continuer après cinq dur mois de guerre, de corps à corps, d'écorchures et de blessures, de chairs déchirées et de sang craché et enfin, l'espoir d'en finir et de tenir la promesse d'un retour à la maison semblait être à porté de main.

_______________


La nuit, alors que j'allais chercher de l'eau à la rivière proche du camp, je passais devant la tente des capitaines et je ne pus m'empêcher d'écouter leur conversation, tant leurs voix semblait agitées et inquiètes.

« Ce plan ne fonctionnera jamais, disait l'un, notre armée est trop moindre.
- Allons, l'effet de surprise sera total ! répondit un autre.
- Vous ne croyez pas si bien dire, reprit Kentaur qui venait d'entrer dans la tente, d'une voix maîtresse et déterminée.
- Que voulez vous dire ?
- Ce que je veux dire c'est que lorsque nous attaquerons le camp ennemi, ce sera toute l'armée planquée dans les plaines du Sud qui nous tombera dessus. Inutile de vous préciser que nous n'avons que faire de la survie de nos troupes.
- Mais c'est une mission suicidaire, alors ! Kentaur prit un crayon et dessina sur une carte.
- Ce que vous oubliez, c'est que le gros de l'armée de Léoric est, lui aussi, planquait dans les plaines du sud. Ainsi, dès que l'ennemi aura envoyé ses troupes au nord, Léoric attaquera en passant par les plaines sans qu'aucune résistance ne le ralentisse. Ses troupes tomberont sur la capitale à une vitesse hallucinante et de plus, du coté que nos ennemis croyaient être le mieux défendu. L'effet de surprise sera total ! »

Je fus choqué, coincé entre un sentiment de dégout absolu mais aussi un sentiment d'admiration envers ce brillant stratagème. Je refusais de me faire manipuler mais je n'osais croire à un acte aussi odieux. Je devais m'assurer de la véracité de ce que j'avais ouï. J'attendis donc que les capitaines sortent et me faufilait dans la tente pour récupérer les plans de Kentaur. D'un pas furtif, je m'approchais de la table sur laquelle était posée la grande carte, craignant de voir écrite sur elle ce que j'avais ouï quelques minutes auparavant mais avec l'étrange espoir que j'avais mal compris. Fol espoir ! Je voyais là, la triste illustration de l'immonde stratégie de Kentaur. Ah, l'infâme ! Et Lachdanan qui m'avait conseillé de ne pas me porter volontaire ! Mince, mince, mince ! Merde !

Soudain un des capitaines revint vers la tente. Je m'emparais du plan, le pliait soigneusement avant de dissimuler sous ma veste et rapide comme l'éclaire, je bondissais hors de la tente courant vers l'écurie pour déserter.

« Hé, la ! » Et d'un geste instinctif, il dégainait son épée.

Je m'empressais de sceller le premier cheval et l'enfourchais alors que le général me suivait déjà sur son destrier suivi d'un garde lui aussi monté.

« Yah ! Va mon brave, galope ! »

Rapidement je m'égarais dans les ténèbres de la nuit mais mes poursuivants, déterminés, n'abandonnaient pas. Au début, je faisais des efforts pour les semer et essayer de les vaincre par la ruse mais la fatigue et le désespoir devinrent insoutenables et bientôt je ne faisais plus que galoper en avant, frappant ma monture sur le ventre avec violence, espérant les prendre de vitesse. Soudain une hachette jaillit de la nuit et frôla mon épaule avant de fendre le crâne d'un de mes chasseurs : c'était le garde. Le capitaine prit de terreur fit demi-tour, clamant qu'un démon m'avait sauvé avant de disparaître.


Je regardais devant moi et vit une grande silhouette s'approchait. A son allure et à sa physionomie, je reconnu le héros de tant de contes : un Barbare d'Aréat. Il se précipita vers sa victime pour récupérer son arme et je le suivais, tout en lui exprimant ma profonde gratitude ; qui ne l'intéressait point d'ailleurs. Lorsqu'il retira la hache de la chair du garde, il y eut un bruit de craquement et je fis une grimace.

« Quelque chose ne va pas ? demanda le barbare.
-Non. C'est juste... c'est juste le sang. » Il rigola.

J'avais menti. L'homme mort était un camarade avait qui j'avais trinqué quelques heures auparavant.
Le barbare se nommait Iljuîte. D'après ses dires, il voyageait depuis fort longtemps. Au début, son objectif avait été Kurast, sainte destination des pèlerins, mais lorsqu'il avait foulé de ses pieds cette terre maudite, il s'y était attardé pour mieux comprendre la nature du mal qui hantait ce royaume.

« Ce mal, c'est les hommes, lui expliquais-je.
- As-tu donc si peu de foi en tes propres frères ?
- Nous nous sommes faits manipuler et avons aveuglement suivi les ordres de celui qui se fait appeler Roi. Je voudrais bien le pourfendre de ma lame.
- Ai confiance, les guerriers de Westmarch sont vaillants. Ils exécuteront ta tache.
- Sang noir ! Comment ais-je pu oublier ? Demain, Westmarch ne sera plus ! Léoric marchera sur la capitale, tandis que l'armée de Westmarch se battra contre un leurre.
- Mais peux-tu confirmer tes paroles ?
- Oui, j'ai volé des plans-
- Silence, on approche ! »

Effectivement au loin, une demi-douzaine de cavaliers approchait avec célérité. Leur silhouette, presque masqué par la lumière du soleil levant, s'élargissait lentement avant de devenir des formes complètes et définis. Ils étaient en tenu de guerre et leurs visages reflétaient une sorte de satisfaction, comme s'il avait terminé un travail difficile. Avant de nous croiser, ils s'arrêtèrent. Leur capitaine, vêtu d'une longue cape rouge, parla, d'un ton un peu joueur:

« Allons donc, que font donc deux hommes et un cheval en ces lieux hostiles ?
- Et bien, nous... Nous cherchons justement le deuxième cheval, répondis-je. Iljuîte plaqua sa main contre son front.
- Bon, trêves de mensonges. Je sais très bien qui vous êtes. Un fugitif, un homme plutôt baraqué- et j'admets ne pas être déçu- et une magnifique jument blanche. (Il sourit) Ah, j'oubliais : les plans d'attaque de Léoric.
-Et les armes pour les défendre, interrompit Iljuîte en saisissant sa hache. En réponse, les cavaliers sortirent leurs lances et pointèrent le barbare. Il posa sa hache.
-Je crains que vous deviez me suivre, » termina le chef.

Comme il y avait un cheval de moins que d'hommes, nous n'avançâmes pas très rapidement. D'ailleurs, il aurait très bien pu abandonner l'un de nous ou tout simplement nous voler les plans mais ils ne le firent pas. Alors que nous marchions, Iljuîte me donna un coup d'épaule :

« Dis-moi, qui sont ces futures victimes ?
-Des hommes de Kentaur, sans doute. »

Ah, Kentaur ! Rien que de l'idée de me retrouver nez à nez avec ce sauvage faisait bouillir mon sang. D'un bon coup d'épée, je lui aurais ôté la vie. Mais je n'avais point ma lame et dû me résoudre à la pensée qu'il m'humilierait royalement avant de m'exécuter devant mes camarades pour trahison ; et au fur à mesure que nous nous approchions du camp, mon angoisse s'accroissait.

« Messire, fis-je au chef de la troupe, n'avons-nous pas dépassé le camp de Kentaur ?
-Kentaur ? Vous avez entendu les gars ? On a dépassé le « camp » ! On fait demi-tour, alors ? Ses hommes éclatèrent de rire.
-Que signifie cette ironie? Vous n'êtes pas les hommes de Kentaur ?
-Oh, non. Les hommes de Kentaur sont morts après nous avoir raconté tout ce qui s'était passé à votre sujet. Remarque, c'était ça ou mourir castré.
-Mais alors, vous êtes...
-Ceux d'en face, ouais ! »

Au début, j'étais un peu confus. Mais postérieurement, je me rendais compte que c'était là l'occasion de mettre fin à cette guerre. Avec ces plans, Westmarch devrait infliger une défaite tellement cuisante à Léoric que les troupes de Khanduras retraiteraient et cela définitivement. Pourtant les sacrifices seraient lourds : tous ces hommes qui furent mes camarades. De toute façon, je n'avais plus le choix.

Après quelques heures de marche, nous arrivâmes à un petit village de tentes, au bord de la côte de Westmarch- tiens sans doute le petit camp mal défendu dont avait parlé Kentaur. Les quelques gardes à l'entrée saluèrent leur capitaine et, d'un bond rapide, ce dernier posa ses pieds sur le sol et me fit signe de le suivre. Nous entrâmes dans une vaste tente, colorée d'un rouge éclatant et décorée de fresques d'or, et dont la fine toile laissait pénétrer les rayons du soleil de telle sorte à ce qu'une pourpre clarté illumina l'intérieur. Sur une petite table, deux hommes, eux aussi vêtu d'une cape rouge, disputaient une partie d'échec.

L'un d'eux semblait perplexe, dévisageant chaque pièce de bois lentement, comme pour desceller le secret du sculpteur qui les avait conçus. Par moment, ses mains s'approchait d'un pion, puis jetant un regard fulgurant sur le sourire confiant de son adversaire, il la retiré et reprenait ses longues réflexions.

« Fichtre ! Ca sent le piège... souffla-t-il.
- Si je puis me permettre, commençais-je. Puis j'hésitais, craignant de finalement ruiner leur partie en intervenant. Je regardais le capitaine et il fit une expression signifiant 'pourquoi pas ?'. Donc je repris : La tour en H 11.
- Diable ! s'écria l'adversaire. Je n'y avais pas pensé. »

Le premier joueur fut tellement enthousiasmé qu'il me céda sa place. Cela faisait longtemps que je n'avais pas posé mes yeux sur les 64 cases noires et blanches d'un échiquier. Pourtant, bientôt, la mémoire me revint et j'enchaînais les coups de plus en plus rapidement ; et au bout de 14 coups, j'avais gagné. C'était assez rapide et les généraux me regardèrent d'un air plutôt impressionné.

« Qui est donc cet homme que tu nous apporte, Hypérion ? demanda le perdant au capitaine.
- Cet homme, c'est celui qui nous permettra de crier haut et fort : 'échec et mat'. »

Je leur ais tout dit- avais-je le choix ? De plus il m'importait peu qui gagnait cette guerre donc si au passage je pouvais sauver ma peau...

Aux environs du soir, alors que les soldats de Westmarch levait le camp, Hypérion me proposa soit de participer à la défaite de Léoric, soit de repartir. Iljuîte serait bien resté pour la bagarre mais les manoeuvres prévues étaient beaucoup trop militaire et il n'aurait supporté d'attendre en rang pendant qu'on on se battait devant. Donc nous partîmes.

Derrière nous, l'agitation était à son comble. Il y avait des ordres, des ordres répétés, des tentes qui se démontaient et rapidement, le camp redevint le vide naturel qu'il fut il y a quelques jours. La centaine d'hommes qui y était, commença sa marche vers le sud, aussi excité qu'anxieux, redoutant et espérant en même temps, l'approche de la bataille : la dernière bataille.

« Ya ! Lupus, ya ! Nous partons pour Tristram ! Ya ! »

Tout ce que je voulais à présent, était rentrer chez moi et revoir mes parents. Iljuîte me suivit, monté sur un étalon noir. Il était inexplicablement attiré par Tristram... comme si sa quête devait aboutir là-bas : mais pourquoi Tristram ? Cela, il ne me l'avait pas encore dit.

Le vent soufflait avec violence et les rayons du soleil se couchaient derrière l'horizon : le froid devint insupportable. Nos chevaux avançaient lentement, ralenti par la brume qui se levait. Une heure plus tard, c'était le noir complet. La respiration lourde des chevaux donnait un aspect abstrait au monde qui nous entourait. Le néant engloutissait les paysages et le vent s'éclipsait dans ces ténèbres infinies. Il me semblait être dans une mine. Une vaste mine.

Ce furent des heures et des heures de chevauchés. Le plus terrifiant était que l'on ne savait si l'on était réveillé, endormi ou peut-être même mort. Il fallait s'arrêter. Mais où diable étions-nous ? Le sol me paraissait assez plat et le silence du vent m'indiquait que nous nous étions éloignés de la mer. Dès que j'étais descendu de son dos, Lupus se coucha parterre et s'endormit. Postérieurement, ce furent les puissants pieds d'Iljuîte qui écrasèrent le sol.

« Bonne nuit. » dit-il de sa voix grave.

_______________


Le soleil me brûlait les paupières mais je ne voulais me réveiller. Je me mis sur le ventre poussant un gémissement et me recroquevillait sur moi-même pour me réchauffer. Puis le vent se leva. 'Au diable toutes les forces de la nature, je ne me lèverais pas !' Puis soudain, il y eut un bruit puissant et imposant qui s'étendit sur toute la plaine. Postérieurement le même son mais venant de l'autre côté, cette fois. Je me bouchais les oreilles. Ne pas se réveiller était devenu un défi que je voulais absolument accomplir. Puis les sons reprirent et ils furent accompagnés de cris. De centaines de cris. De milliers de cris.

« Mais c'est quoi ce bordel ! m'écriais-je. On ne peut pas dormir en paix ? »

Je les vis alors : deux gigantesques armés, chacune à une extrémité de la plaine, brandissant les armes, levant leur bannière et chantant la gloire de leur royaume. D'un côté, les soldats de Khanduras menée par Kentaur, tous vêtu de leurs armures en cuir et brandissant haut leurs boucliers de bois et leurs épées de fer ; et de l'autre, les soldats de Westmarch, vêtu de leurs armures miroitantes, éclatant sous la lumière du jour, presqu'aveuglant.

Kentaur cria alors de sa puissante voix : « Chargé ! »

Et simultanément, les deux armées chargèrent sur Iljuîte et moi, coincés au milieu de la plaine.
« Qu'est-ce qu'on fait ? demandais-je à Iljuîte.

- Bah, comme tout le monde ! » dit il en s'emparant de sa hache.
D'une tape rapide je fis fuir les chevaux afin qu'ils échappent à l'imminente bataille et ne se fassent point compresser par les deux armées... quant à Iljuîte et moi...euh,... Disons que, d'après mes calculs, même en courant aussi rapidement qu'un étranger qui, après avoir participait à une messe de Lazarius, s'enfuit terrorisé, nous n'aurions jamais réussi à échapper au carnage, tant la surface couverte par les deux armées était importante. Alors -réflexe- je sortis mon épée ; mais par où la pointer ?

« Iljuîte, lui fis-je, qui goutera de notre fer ?

- Et bien... » Soudain une flèche sifflante vint se plantait entre ses larges pieds ; elle venait de Westmarch.
« Ah, les lâches ! Se servir d'une flèche pour m'abattre! C'est eux qu'on attaque !» Et comme pour mieux me mettre dans l'ambiance, je le suivis criant fort : « Pour Khanduras ! » Iljuîte, se contenta d'un hurlement qui ne manqua pas de terroriser les deux armées. Kentaur ne comprit pas ce qui se passait : comment c'est deux hommes avaient pu le dépasser dans sa charge ?

Mais alors que nous nous approchions des fantassins de Westmarch, des centaines de flèches plurent sur nos têtes comme si tous les archers du royaume nous avaient prit pour cible. Mon modeste bouclier se brisa sous la pression de mille pointes de fer.

« Elles sont trop nombreuses ! criais-je à Iljuîte. Que devons nous faire ? » Nous nous regardâmes une fraction de seconde dans les yeux avant de hocher simultanément la tête.

« Pour Westmarch ! »

Nous avions fait demi-tour. Kentaur n'en cru pas ses yeux. Les hommes de Westmarch non plus mais ils avaient arrêté de nous tirer dessus. Ceux de Khanduras eurent soudainement peur en nous voyant 'fuir' devant l'ennemi ce qui donna naissance à des désertassions improvisées.

« Nous sommes maudits. Retraite ! Retraite ! »

Kentaur fit demi-tour et d'un coup de sa grande épée, il trancha le gossier qui avait crié ces mots.

« Attrapez moi ces déserteurs ! »

L'armée de Khanduras freina sa course pour mieux contenir les déserteurs. L'ordre de leur chef donna lieux aux tueries les plus impitoyables et les plus sanglantes : les fantassins abattirent naïvement leurs camarades, pris d'un élan fanatique et incontrôlé. Fatalement, ces exécutions soudaines ne firent que tourmentés encore plus les âmes épuisées des soldats.

C'était là ma première bataille. Je ne savais que penser lorsque je vis les deux armées fonçaient l'une sur l'autre. Je tenais fermement ma lame, contractant mes muscles et me concentrant, laissant mon coeur battre au lent rythme du vent, oubliant presque les cris animaliers des soldats et le bruit de cent pieds heurtant fortement le dur sol. Puis, poussé par le puissant cri d'Iljuîte, je me précipitai contre les miens levant mon épée derrière ma tête et me fondant dans la masse militaire.

Puis ce fut le choc ! Les deux armées s'écrasèrent les unes contre les autres dans un bruit de tonner massif et assourdissant. Les lances volaient en éclats, les boucliers se brisaient, les épées se scindaient et les armures se déchiraient. De tout côté, le sang giclait, répugnant les uns, régalant les autres... La boucherie avait commencé.

Les bannières disparurent derrière un étouffant rideau de poussière. La confusion fut totale. Il était impossible de distinguer ami ou ennemi (ce qui pour moi revenait sensiblement au même). Chacun ne se battu que pour lui-même, luttant avec acharnement pour survivre. Ah ! Combien d'amis furent tués par leurs camarades ce jour là ! Tous s'adonnèrent à la sauvagerie la plus totale et à la cruauté la plus inhumaine.


Mon premier coup libéra toute la fureur énergétique de mon angoisse. Avec force, je rabaissai ma lame fendant l'aire avant d'heurter violemment un bouclier. Cette collision brisa mon élan et, mon mouvement brusquement interrompu, je trébuchai, heurtant mon genou contre une roche coupante. C'était une de ces blessures dont la douleur est rageante et qui, en instant, vous draine toute votre vitalité. M'attendant donc à une fin soudaine, j'inclinai légèrement la tête avant de soupirer ma dernière prière. 'Dieu est mon âme.'

Le temps s'immobilisa pendant quelques secondes. A présent, j'étais attentif au son : toutes ces armes qui se télescopaient, cette chaire qui se tranchait, le tout enrobé dans une insupportable chaleur. Je sentais le bouillonnement du sang et l'ardeur des muscles. Je sentais aussi la répugnante sueur de tous ces hommes : tous ces hommes qui depuis cinq mois subissait cette infernale guerre... cinq mois.

« Courage, mon brave ! »

Un homme, portant une armure blanche m'attrapa par le coude et me releva énergétiquement. Cet homme, avec une détermination inouï, avait la force d'aider les autres alors qu'il se précipitait, lui-même, dans la plus profonde des abymes. Je repensais alors à Iljuîte- 'oui, survivre pour le revoir, pour rentrer à Tristram- et Kandorma ! peut-être es-tu là mon ami !' Je fermai les yeux et respirai profondément avant de me précipitai au côté de celui qui m'avait sauvé.

Il m'était difficile de voir clairement. J'avançais difficilement, trébuchant sur les cadavres. Des coups me frappaient aléatoirement, des flèches me frôlaient et du sang m'éclaboussait. La chaleur m'épuisait. Devant moi, mon sauveur se battait. Il en avait peut-être déjà tué cinq ou six. 'C'est un grand guerrier, me dis-je, il s'en sortira'.

Soudain ses épaules furent dépourvues de tête. Cette tête, dont le visage était masqué par un magnifique heaume argenté tomba, il me sembla, longuement. Le vent siffla dans mes oreilles. Son corps tomba lentement en arrière. Sa belle armure étant à présent d'un teint pourpre. En dernier, ce fut sa main droite qui se posa sur le sol. Cette main qui m'avait attrapé le coude et m'avait donné la force de continuer. Puis, abandonnant de mes yeux le cadavre de ce héros, je regardais qui était l'impitoyable meurtrier qui... Kentaur !

« Salopard ! »

Ma figure fut déformée par la haine. Mes dents se serrèrent, mes yeux s'ouvrèrent et mes sourcils se froncèrent. Puis poussant un cri terrible, je me jetai sur cet homme que je haïssais tant, que je voulais absolument exterminer, tuer, oui tuer ! Il eut à peine le temps de me voir lorsque d'un coup de pied, je lui ôtai son arme des mains et d'un coup de poing, je lui éclatai le nez. J'enchaînai sur un revers foudroyant, laissant libre cours à ma haine destructrice, complètement possédé par un démon sauvage.

Kentaur s'effondra sur ses genoux, abattu par cent coups. Il me regarda de ses yeux durs, comme si il eut voulu conserver toute sa dignité avant de mourir. Mais, lentement, son visage se décontracta et je vis une larme glissait sur sa joue gauche, coulé à travers les taches de sang. Il était terrorisé. Son regard me scrutait, cherchant méticuleusement une part d'humanité sur mon visage.

Je posai mon bras avec force sur son épaule et la serrai. Pour mieux m'appliquer au meurtre, je me remémorai toutes les horreurs dont il était l'auteur. Puis, je levai ma lame et posai sa pointe sur sa poitrine.

Comprenant enfin que je ne l'épargnerais point, il souffla une dernière prière. Puis ses yeux se durcirent à nouveau, cherchant à masquer ce court moment de faiblesse qu'il avait eu et à retrouver toute leur gloire passé. Oui, je n'oublierais jamais ses yeux d'aigle.

D'un simple geste, j'enfonçais mon épée dans son coeur. Il ouvrit ses yeux et sa bouche, cracha en deux vagues un sang noirci, puis mourra... C'était là mon premier pêché.

C'est alors qu'un guerrier se jeta sur moi. Il était sans arme (sans doute l'avait-il perdu en heurtant sa main involontairement contre le bouclier d'un camarde). Ecrasé par son poids, je m'écroulai sur le sol, perdant mon arme sous le choc. Mon ennemi, à moitié fou, m'étrangla. Je pouvais à sentir la répugnante odeur de fer et de chair sur ses mains. La violence avait laquelle il me saisissait été insupportable. Doucement, je succombai à la mort.

Comment un homme, si pieux dans son art martial, pouvait-il me tuer alors que je venais de vaincre le puissant Kentaur ? Ce champ de bataille n'était-il donc qu'une fatale loterie ? Oui, il fallait avoir de la chance pour survivre... être au bon endroit, au bon moment : tout n'était que chance. Le hasard décidait impitoyablement du sort de chacun d'entre nous...

Une main puissante s'empara de l'épaule de mon agresseur et le projeta littéralement cinq mètres en arrière. C'était Iljuîte. A peine avait-il achevé ce mouvement, qu'il se retourna et continua le combat avec une superbe brutalité. Sa hache dansait entre les épaules et les têtes, vêtue d'une robe pourpre dont la couleur s'intensifiait à la fin de chaque mesure. Oui, il y avait une certaine musicalité à sa façon de se battre, un rythme, une régularité. C'était assez reposant de se savoir protégé par cet invincible géant.

Essuyant mes joues du sang et des larmes, toujours parterre, je tâtai le sol cherchant désespérément une arme pour rejoindre Iljuîte. Je tombai sur une hache. J'aurais de loin préférai une épée ou un bouclier. Puis me portant lentement à travers les cadavres, je continuai à chercher des armes qui me conviendraient mieux. Mais je ne voyais rien. Tout semblait recouvert par une pourpre brume et une vapeur sanglante.

C'est alors que je vis, près de moi, le heaume argenté de mon sauveur, briller telle une étoile, d'un éclat pur et divin. Tendant ma main, je m'en emparais et avec une détermination héroïque, je coiffais ma tête de ce magnifique casque, laissant tomber la tête qui s'y cachait (et je me fis la promesse de revenir sur le champ de bataille pour l'enterrer une fois que cette guerre sera fini). Etrangement, je parvenais à ressentir le courage et la bravoure de son ancien propriétaire comme si il avait scellé en ce heaume son aura bienfaitrice.

« Teins, attrape ! » me fit Iljuîte en me lançant une épée qu'il avait arrachée à l'une de ses victimes.

Avec une certaine habilité, je l'attrapai fermement. Elle était légère, courte, tranchante : c'était une bonne épée. Je scrutai au milieu de la terrible bataille une échappatoire et après une minute d'observation, je vis un chemin tout tracé qui me sortirait de cette mortelle situation.

« Iljuîte, suis moi ! »

Je couru alors, sabrant sans regret ceux qui me barraient la route, couru encore, encore et toujours. Mon élan me donnait un avantage et de plus, j'étais épaulé par l'effet de surprise. Plus rien ne me dégoutait- c'était se battre ou mourir. J'en tuai deux, trois, quatre. J'étais essoufflé. La sueur était lourde sur mon front. Mais au moins, le nombre de soldats se réduisaient lentement, au fur et à mesure que je quittai la bataille. Au bout d'une bonne demi-heure de course violente, je retirai mon heaume, triomphant. Il portait déjà quelques marques : l'une d'elle était pour ma vie.

« Nous avons réussi à nous en sortir, mon brave Iljuîte. C'est un exp- Iljuîte ? »

Hélas, le fier barbare n'était point à mes côtés. Paniqué, je me rejetai dans la bataille cherchant le grand corps de mon ami.

« Iljuîte ! »

Après avoir couru quelques minutes sans rencontrer d'ennemi, je m'arrêtais. Il fallait se rendre à l'évidence : je l'avais perdu.
Le soleil s'enfonçait dans l'horizon. A l'Est, s'étendaient sur le sol les bannières brisées de Léoric. A l'Ouest, les hommes de Westmarch contemplaient, immobiles, le vide silencieux. Les rapaces, qui regardaient la bataille depuis un long moment, se précipitaient à présent sur la chair sans âme pour y enfoncer leurs becs affamés. La lumière avait disparu derrière de sombres nuages qui engloutissaient le ciel lointain. A mes pieds, était une terre dure sur laquelle un gazon écrasé gisait. Et du Nord, un doux vent soufflait, apaisant quelque peu la colère de ses douces caresses.

Pendant des heures, j'étais resté assis, sans bouger, attendant calmement la fin de la bataille. Puis, quand les derniers hommes étaient tombés, quand les cris d'agonie s'étaient tuent et les râpasses avaient envahi la plaine, je m'étais levé, mon heaume à la main et avais jeté un dernier regard sur le champ de bataille.

Puis l'orage éclata. Une lourde pluie tomba, nettoyant l'air de l'odeur nauséabonde de la mort. Après avoir étouffé si longtemps sous la chaleur, j'avais à présent froid. Je revins sur mes pas, retraçant ce difficile parcours que j'avais suivi pour m'en sortir. Mon coeur était serré. Je me remémorais l'horreur de la bataille et fatalement repensais toujours à mon grand ami. Le terrain devint mou et boueux, parsemé de flaques d'eau. Celles qui avoisinaient les cadavres étaient vermillons ; les autres avaient la couleur, moins répugnante, de l'argile. En scrutant ces nuances de couleurs, je me rendis compte que j'avais soif, très soif. Je m'agenouillais pour saisir l'eau qui coulait à mes pieds et, un peu inconscient, j'en bu une bonne gorgée.

« Pouuaaah ! »

Si je n'avais pas vu la pluie tomber, j'aurais douté que ce liquide fut bien de l'eau. Il n'en avait du moins, ni le goût, ni la fraicheur.

« Eh, l'ami prend ma gourde ! »

Je me retournai, étonné d'entendre la vie en ces lieux désolé. Pourtant, le destin me gâta d'une agréable surprise.

« Kandorma !
- Par le Zakarum ! Bertogale, est-ce toi ?
- Il me semble. » Je m'emparai de sa gourde et avalai les quelques gouttes qui y demeuraient.
« Je m'étonne de te voir en ces lieux. N'avais-tu pas la sagesse de déserter ?
- Hélas, errant dans les ténèbres, j'eu la malchance de m'endormir sur cette plaine. Inutile de préciser que le réveil fut difficile... Ah ! Je pleure la mort de tant d'hommes ; pourtant je me réjouis bien plus de notre survie !
- La lumière brille toujours d'un plus grand éclat dans les ténèbres, mon ami. »

_______________


Nous partîmes, car les fantassins de Westmarch investiguèrent bientôt les lieux, enfonçant leurs bannières sur la plaine et rassemblant les quelques survivants. Après cette énorme bataille, il me paru on ne peut plus évident que la guerre s'achevait et que nous l'abandonnions sur cette terre maudite à la frontière des deux royaumes. Quant à Kandorma et moi, le temps était venu de rentrer chez nous. Pendant deux jours nous courûmes les champs, hurlant sous la pluie et le tonnerre : « Réjouissez vous, peuple de Khanduras, la guerre est finit ! » Heureux, les paysans nous accueillaient, nous gâtant de nourritures grasses et consistantes.

La nuit, nous ne dormions plus. La seule chose qui nous préoccupait, était d'arriver à Tristram, d'annoncer la fin de la guerre et de dénoncer le Roi félon. Mille fois, nous pensions à la façon dans nous le ferions. Serait-ce après avoir regrouper tout les habitants devant la cathédrale ou en courant dans les rues, jetant des fleurs aux fenêtres ? Nous nous imaginions les chansons qui nous seraient dédiées- bien que je n'avais pas l'intention de leur conté toute la vérité ; d'une certaine façon j'étais tout de même un traître-.

A l'aube du troisième jour, envieux d'un bon déjeuner, nous entrâmes dans une auberge, hurlant notre discours incroyablement sophistiqué: « Réjouissez vous, peuple de Khanduras, la guerre est finit ! » Quelques têtes se retournèrent mimant une expression qui signifiait 'mais qui sont ces deux idiots ?'.

« Et depuis quand, je vous pris ? demanda l'aubergiste d'un ton sec.
- Depuis la bataille qui opposa les armés des deux royaumes sur les plaines de Westmarch, à une centaine de kilomètre d'ici. Elles s'annihilèrent totalement et au point que nul n'eut la force de continuer à se battre. Le Roi Léoric mourut durant ce cataclysme. Ne comprenez vous donc pas, il n'y a plus de généraux, ni d'armée à diriger : la guerre est finit !
- Cela n'est hélas point ce que nous rapportait un émissaire monté venu de l'Ouest, ce matin-même, il y a une ou deux heures. »

Nous étions démolis lorsque l'aubergiste eut fini de nous rapporter les nouvelles de cet émissaire. Le Roi Léoric se serait échappé et l'armée de Westmarch avait entreprit de le chasser jusqu'à Tristram s'il le fallait ; et accessoirement on ne nous offrit point de petit déjeuner. Que pouvions-nous faire ? L'armée de Léoric avait été complètement détruite sur les plaines de l'Ouest et plus rien ne pouvait à présent arrêter la vague de fer venante de Westmarch.

« J'ai peut-être trahi Khanduras, mais il ne saura pas dit que j'ai trahis Tristram, expliquais-je. Nous continuons notre route et tenterons une évacuation de la ville. C'est le moins que l'on puisse faire.
- Je te suivrais, dévoué et fidèle, Bertogale. » conclut Kandorma.


Notre marche reprit à un rythme beaucoup plus soutenu. Aujourd'hui, le soleil battait fort et le ciel bleu en était presque terrifiant. Pas un seul nuage. Nous étions pris au piège, car errant dans les vastes landes, au centre du royaume, nous n'avions l'abri des arbres pour nous soulager de la chaleur. A mesure que nous avancions, notre chemin devint sentier et au bout de quelques heures, ce fragile sentier s'évanouit, lui aussi. Aucun village ne se présentait, aucune montagne, aucun bois, aucun nuage. Rien qui nous aurait permis de nous orienter. Et pourtant, il fallait continuer.

Vidant pour la deuxième fois la gourde de mon compagnon, je m'arrêtais pour m'assoir sur un rocher et essorais lentement mon visage de toute sa sueur en essuyant ma main dessus.

« C'est foutu. On n'arrivera jamais à Tristram si on continu comme cela.
- Tu as raison. J'y pensais moi-même et à mon avis, le plus sage serait d'attendre la nuit et de laisser les étoiles nous guider.
- Si l'on doit compter sur mes compétences en astronomie, on n'est pas sortit de l'auberge.
- Rassure-toi. En tant que messager, j'ai appris à lire ces runes célestes. Mais nous devons continuer un peu pour ne pas laisser ce funeste soleil drainer toutes nos énergies, surtout si nous devons marcher la nuit. Il nous faut au moins continuer, jusqu'à trouver un abri à l'ombre pour s'y reposer un temps. Cependant, nous devons nous débarrasser de nos armures et de nos armes. »

L'épée qui pendait à ma ceinture me rappelait amèrement mon ami tombé. C'était grâce à lui, si j'avais pu m'en sortir finalement et grâce à cette arme même qu'il m'avait audacieusement lancée. Pourtant, il me fallait l'abandonner. Contemplant une dernière fois sa pourpre lame, j'y gravai d'une pierre aiguisée le nom d'Iljuîte puis d'un geste solennelle, je l'enfonçai profondément dans la terre. Je regrettais sa mort, m'en sentant presque coupable, car j'aurais dû rester à ses côtés. Mais je savais aussi que j'aurais eu encore plus de regret à perdre Tristram. A présent il me fallait continuer mon ambitieuse quête pour peut-être laver mon honneur et quelque peu consoler mon âme.

Dans ces heures de désespoirs, je m'emparais du heaume de mon sauveur et le contemplais presqu'avec nostalgie pour me redonner espoir. Puis, régénéré, revitalisé, je me levai et doublai le rythme de ma marche, à la grande stupéfaction de mon camarade. Décidément, ce heaume dégageait vraiment une étrange puissance.

En milieu d'après-midi, des arbres commencèrent à recouvrir la lande et à bout de force, nous nous effondrâmes sous un grand chêne, usant des ses grandes larges racines comme berceau et jouissant de son ombre bénite. Poussant un long soupir, je fermais enfin les yeux et avant de succomber dans une profonde torpeur, j'entendis Kandorma prononcer ces quelques mots :

« Bon, tout se passe pour le mieux. »
Après quelques heures de repos, je me réveillais, engourdi et surtout affamé. Si seulement ce satané aubergiste nous avait donné quelques vivres. Je me rendais alors compte que nous étions sans sous, perdu au milieu de nulle part et en plus, pressés par le temps. J'avais une migraine et ce court sommeil me fit plus de mal que de bien finalement. Je me levais m'appuyant sur le tronc du chêne pour m'étirer les muscles et même les os qui eux-mêmes devenaient faillible et me concentrant pour oublier mes douleurs, je fis un effort pour tenir sur mes jambes. L'exploit accompli, j'appelais mon ami mais il n'y eut aucune réponse. Saisit d'une rapide crainte, je redoublais la force de mon appel.

Je me frottai les yeux et distinguai à présent dans les ténèbres, la haute silhouette de Kandorma qui contemplait le ciel.
« Imbécile ! Réponds quand on t'appelle !
- Tais-toi et vois ! » me lança-t-il.

Effectivement, cela valait le coup d'oeil. Une nuit, noir, non blanche, tant les étoiles qui l'ornaient étaient brillantes. Puis me saisissant par l'épaule, mon compagnon me fit savoir où se situait l'étoile du Nord et celle de l'Ouest (car il y en avait une à Sanctuary et celle-ci devenait l'étoile de l'Est, une moitié de l'année durant) et les constellations qui redessinaient les profils d'illustres héros, qui, si leurs noms étaient connus, demeuraient de vagues légendes lointaines.

« Vois, Tal Rasha, le légendaire mage ! s'extasia Kandorma.
- Oui, le vieux Cain nous contait son histoire quand nous étions jeunes...
- Un mythe sinistre, si je m'en souviens bien.
- Tant que cela reste un mythe.
- Et remarques-tu cette étoile, légèrement violette. C'est notre guide vers Tristram, car si mes calculs sont exacts, elle est à l'opposé de l'étoile du Nord et de celle d'Ouest, donc au sud-est.
- Oui, cela devrait bien nous mener vers Tristram. Mais si la nuit ce guide brille pour éclairer nos pas, comment ferons nous le jour ?
- Pour cela, j'ai une idée. »

Et nous marchâmes sous le ciel étoilé, suivant l'Œil de Tal Rasha, dons la teinte magenta ressortait parmi ses congénères blanches. Distraits de la fatigue par la satisfaction d'avoir retrouvé un chemin à suivre, nous nous enfonçâmes dans ce qui ressemblait de plus en plus à une forêt. La végétation n'en était cependant encombrante et le ciel restait visible. Enfin, l'aube se pointa et le noir s'éclaircissait lentement, tandis que chaque astre s'évanouissait dans cet océan de lumière. Kandorma s'empara alors de deux branches qu'il planta à une dizaine de mètre l'une de l'autre :

« Regarde, Bertogale, l'ingénieux plan : ces deux poteaux, ainsi que notre étoile guide, forment une droite. Au fur et à mesure que nous avançons, nous continuerons la plantation de poteaux. Si ceux-ci forment toujours une droite, cela signifiera que nous suivons toujours notre trajectoire ; dans le cas contraire, il nous sera aisé de retrouver le droit chemin.
- Oui, tout cela est ingénieux, mais j'aurais préféré trouver un sentier. Je ne vois sur « le droit chemin » qu'une forêt qui s'assombrit à vu d'oeil, sans la moindre promesse d'y trouver une auberge ou même un paysan. Cette forêt dégage une étrange aura, presque familière si je la compare aux terres de l'Ouest, où nous nous bâtâmes il y a quatre jours. De plus, j'ai faim, très faim.
- Alors, nous trouverons dans ce bois un gibier.
- Mais comment le chasser ? Nous avons abandonné nos armes et je suis trop faible pour lutter à mains nues.
- Alors, resserre ta ceinture !
- C'est que, elle aussi, je l'ais abandonnée.
- Et bien, pas moi ! » Et il resserra d'un coup sec sa ceinture avant de vomir le peu qui lui restait dans le ventre. Cela dura un moment et après avoir finit ce pénible acte, il s'agenouilla, épuisé. « Oui, même moi je n'en peux plus, reprit-il d'un ton essoufflé, mais il faut continuer, pour Tristram. Pour être honnête, j'y crois à peine à mes calculs mais pourtant, je le fais, pour garder espoir, peut-être parce que juste de savoir qu'il y a cette étoile pour nous guider et que quoi qu'il advienne elle veille sur nous, cela nous sauvera de la fin trop plausible. Il nous faudra de la chance pour nous en sortir, beaucoup de chance ; mais de la chance, on en a bien méritée après toutes nos péripéties, non ? »

Je m'emparais à nouveau de l'heaume argenté que je gardais dans une petite sacoche. Je me souvenais du guerrier qui l'avait porté, qui m'avait aidé alors que lui-même courait à sa perte. Cela m'avait semblé illogique, ridicule, stupide, courageux tout au plus. Mais aujourd'hui, je comprenais son sentiment, ce sentiment de responsabilité et de compassion. Lui-même était désespéré mais personne ne venait à son secours et il savait que personne ne le ferait. Pourtant quand il vit quelqu'un, accablé par ce même sentiment, il décida d'aller le consoler, en se disant que comme pour cette homme, quelqu'un viendrait pour lui, car si lui pouvait le faire, pourquoi pas un autre ? Je repensais à Iljuîte... J'avais l'étrange impression qu'il aurait été d'un grand secoure. Au fond, lui aussi m'avait sauvé. Et, coiffant ma tête de cet heaume, ce heaume qui était à moi ce que l'oeil de Tal Rasha était à mon compagnon, je saisissais Kandorma et le portais sur mon dos.

« Par le Zakarum, comme tu dis, je te porterais jusqu'à Tristram, et je planterais des poteaux sur notre chemin, et je traverserais cette satanée forêt ! Et si je n'ai plus de force pour le faire, alors empare toi de mon casque et termine ce que j'ai commencé, qu'au moins l'un d'entre nous sauve notre village.»

Et je commençais mon travail d'Hercule, m'avançant dans les ombres des bois, plantant tout les dix mètres une branche et écrasant la terre de mes pas dont la fermeté était toujours croissante. Lorsque je fléchissais, je disais : « Courage, mon brave.», m'adressant à mon compagnons et un peu à moi-même. Par chance, je n'eu pas à m'enfoncer plus loin dans la forêt, car la droite que je suivais, ne faisait que couper une partie extérieur du bois. Je regagnais à nouveau de vastes landes brûlées par un impitoyable soleil. La chaleur devint étouffante sous ma coiffure et l'effort trop pénible.

Au loin apparu alors une silhouette, vague et imprécise, mais en mouvement. Humain ou pas, c'était quelque chose de vivant. De la vie ! Enfin ! Je n'eu pas besoin de pousser un cri d'appel, l'être se dirigeant vers moi, et à une vitesse vertigineuse. L'ombre informe devint progressivement quelque chose de concret et de matériel et semblait-il, un cheval, mais pas n'importe quel cheval : Lupus ! Cette brave jument m'avait suivi, moi, son maître si éphémère, plutôt son voleur ! Puis me retournant vers le visage inconscient de Kandorma qui gisait sur mon épaule, je soupirais :

« Nous sommes sauvés mon vieux. »

Je réussissais à enjamber ma monture et m'écroulais sur son dos, frappant d'un coup de cuisse son ventre. Le cheval partit difficilement (c'est qu'il devait transporter deux corps) mais au bout de quelques minutes, il réussit à atteindre un bon rythme et se dirigea tout droit, toujours tout droit. Notre chevauché dura jusqu'au soir.

Il était difficile de dormir, mais encore plus difficile de rester complètement conscient. C'est pour cela que j'eu un peu de mal à répondre quand on me demanda mon identité. Heureusement pour moi, mon locuteur me reconnue même si je dois avouer que je ne lui rendis pas tout de suite la pareille. Ce cavalier, un peu sortit de nulle part m'emmena, à travers la lande, jusqu'à un camp composé de quelques tentes dont l'image me rappela douloureusement la guerre. Mais cela importait bien peu ; on me donna de l'eau, du pain et mon cheval fut placé dans une écurie. Enfin, je pouvais dormir.

Au matin, je trouvais à mes côtés Kandorma, paisible, et curieux, je me risquais à sortir de ma tente. L'aube s'était déjà levée. Le camp était un peu désordonné ; on avait dû le construire récemment et très rapidement. Des hommes étaient postés tout autour, le pique à la main, regardant inévitablement l'ouest, tandis que d'autres, à peine levés, faisaient leur toilette, cachant leur tracas évident derrière des blagues grossières et des rires simulés. Pourtant, malgré cette angoisse, certains se consolaient de leur misère mutuellement, puis chantaient pour s'encourager. Je connaissais ce chant d'ailleurs. Mon coeur fut heureux de le retrouver.

« La famille vous a manqué, hein Bertogale. »

Et derrière moi, les yeux posé sur ses hommes, bienveillant, était Lachdanan, dernier capitaine de l'armée de Léoric.

« Mon capitaine !
- C'est bon. Laissez tomber le protocole. Alors, dîtes moi : comment se fait-il que je vous retrouve ici ?
- C'est une longue histoire, mon capitaine. Pour faire court disons qu'après la bataille de l'Ouest, mon compagnon et moi avions entrepris de partir pour Tristram pour tenter une évacuation car comme vous devez le savoir, les forces de Westmarch sont en marche.
- Oui, et c'est pour cela que je suis ici.
- Mais comment avez-vous pour réunir tant de troupes après l'attaque du Roi et la funeste bataille qui suivit ? Je ne me rappelle pas avoir vu autant de survivants, si ce n'est même aucun.
- Il n'y en eu aucun. L'hécatombe fut totale. Seul votre compagnon et vous avez survécu, ainsi que le Roi mais je doute qu'il est même posé les pieds sur le champ de bataille.
- Vous êtes ici sous ses ordres ?
- Par le peu de bien qui reste dans ce royaume, non ! C'est bien pour lui avoir désobéi que mes hommes sont encore en vie.
- Mais oui, c'est vrai... cela explique tout. Et maintenant que comptez vous faire ?
- Maintenant, j'ai bien peur que nous ne devions nous battre.
- Pourquoi ne pas leur livrer Léoric ?
- Même lui ne mérite pas cette indignation. Sachez qu'après l'avoir exécuté, j'ai même l'intention de l'enterrer.
- Bon, votre décision est prise. Je suppose que vous avez un plan pour la bataille ?
- Oui. Plus un espoir qu'un plan mais c'est mieux que rien. Nous irons cet après-midi à la rencontre de nos ennemis et profiterons de notre cavalerie pour les écraser sur la lande. Quant à vous, je devine les tourments que vous avez dû endurer : vous n'êtes pas obligé de venir. Cependant, votre ami et vous, ayant survécu la grande bataille, vous augmenterez assurément le moral des troupes. »

Je pris le temps de réfléchir encore un temps. Retourner sur le champ de bataille, alors que Tristram semblait enfin à porté de main...

« Bon, j'accepte. »
Kandorma désapprouvait l'idée de retourner se battre. Cela était compréhensible car en plus d'avoir vécu la guerre pendant cinq mois, il avait un dégout naturel pour la violence. La solution me semblait « bonne » (ou du moins meilleure que notre plan initial) et peut-être même le seul moyen de sauver Tristram de la destruction. Mais mon compagnon maintenait que c'était une bataille perdue et que nous devrions utiliser le peu de force militaire qui nous restait pour évacuer la ville de ses habitants.

« Si nous perdons cette bataille, expliquait-il, je ne peux imaginer avec quelle folie vengeresse les fantassins de Westmarch marcherons sur Tristram.
- Mais si nous gagnons la bataille, répliquais-je.
- Si nous gagnons la bataille ? Avec une centaine d'homme, tu veux en défier deux milliers ? De plus, les soldats de Westmarch ont déjà montré leur bravoure sur le champ de bataille. Ceux sont des guerriers nobles et puissants, des adversaires redoutables ! Qu'est-ce qui te fais croire une seconde que cette poignée d'hommes a la moindre chance de... tenir...tenir, tu m'entends, pas gagner, juste tenir une heure à peine ? »

Un soldat qui passait par là regarda mon interlocuteur d'un mauvais oeil, sans doute très embêtés qu'on lui rappelle la certaine défaite vers laquelle il marchait. Puis lorsqu'il retourna la tête, je repris, m'assurant du coin de l'oeil qu'il ne nous écoutait plus.

« Ecoute. J'obéis à Lachdanan.
- Pourquoi ? m'implora-t-il, presqu'exaspéré.
- Tu te souviens lorsque tu vins recruter des volontaires pour une mission spéciale.
- Oui, je m'en souviens, répondit-il un peu honteux.
- Lachdanan ne m'avait-il pas mis en garde ? N'avait-il pas tout de suite deviné l'odieux complot ? Même au début de la guerre, il savait que la folie avait envahi Léoric et dans les cinq mois qui suivirent, il s'efforça sans cesse de lui désobéir. Te rends-tu compte ? Cet homme avait tout deviné depuis le commencement. Et s'il y a une chose que je regrette, c'est de ne pas lui avoir fait confiance.
- Soit. Nos chemins se séparent ici, Bertogale. Si ta mission réussit, alors nous nous retrouverons à Tristram. Mais cela, je le souhaite plus que je l'espère.
- Tu n'as donc plus d'espoir ? Après tout le chemin que nous avons parcouru ?
- Le seul espoir que j'ai, c'est d'atteindre enfin le bout de ce chemin une bonne fois pour toute. Adieu, mon ami. »

Il se retourna et marcha vers sa tente, d'un pas lourd et hésitant, comme si il attendait une réponse.

« Adieu Kandorma. »

_______________


Lachdanan me convoqua dans sa tente, quelques heures avant la bataille. Il ne fut pas surpris de me voir seul, comprenant parfaitement la réaction de mon ami, même si il lui reprochait de faire preuve de peu de sagesse. Mais il mesurait très bien notre folie, et de nous tous devait le plus douter qu'une victoire était possible. Pourtant, son devoir était de consoler et non d'être consolé. Il devait faire preuve de détermination, de courage et de fierté sans montrer le moindre indice de peur. Le noble capitaine me donna une bannière.

« Porte-la fièrement. »

Les hommes s'étaient déjà rassemblés. Chacun montait un destrier. Leurs armures étaient fort bien ajustées, leurs heaumes épousaient parfaitement la forme de leur crâne et leur main tenait fermement le pommeau de leur épée. Sur leur dos était un bouclier rond, fait d'un bois solide et résistant que quelques clous épais renforçaient. Ils étaient tous silencieux, en parfait alignement. Il n'était plus question de crainte, de peur ou d'hésitation. Il était trop tard pour revenir sur ses pas. A présent ils étaient tous concentrés, sans émotions. Lachdanan mena la chevauchée, épaulé par un lieutenant et moi-même.

Le ciel était parsemé de nuages fins et argentés que le soleil pénétrait de ses doux rayons. Le vent était muet comme si lui-même attendait l'ultime bataille. Le seul son était celui des galops réguliers et des armures qui s'effritaient à chaque pas. L'horizon paraissait incertain. Rien n'apparaissait. Nous continuâmes encore une demi-heure. Puis Lachdanan s'arrêta, saisit d'une rapide frayeur. S'était-il trompé de chemin ? Avait-il dépassé l'armée de Westmarch ? Le capitaine parcourra le paysage des yeux, inquiet. Des murmures commencèrent à s'élever au sein de la troupe. Certains énervés demandaient pourquoi la troupe n'avançait plus. De plus en plus d'hommes exigèrent de continuer la chevauchée. Mais Lachdanan s'empara de ma bannière et la planta sur le sol.

« Pied à terre. »

Les soldats étaient frustrés par un tel ordre, s'étant mentalement préparés pour l'imminente bataille. Lachdanan murmura alors quelques instructions à son aide de camp, puis se tournant vers l'ouest, il chevaucha vivement, abandonnant sa troupe. Le voyant fuir ainsi, j'enfourchai Lupus pour le suivre. Par chance, ma monture était plus rapide et lorsque j'eu atteint ses côtés, je lui demandais haletant :

« Que se passe-t-il mon capitaine ?
- Nous nous sommes trompés de chemin. Le lieutenant mènera la troupe mais pour qu'elle puisse intercepter nos ennemis, nous devons les retarder.
- Comment ?
- Nous verrons. »

Nous chevauchâmes une dizaine de minutes avant de rencontrer une large masse d'humains se déplaçait lourdement, au rythme d'une symphonie de fer et d'acier. Ce n'était plus la fière armée que j'avais aperçue cinq jours auparavant. Il y avait devant moi une large poignée d'hommes usés et fatigués par une difficile bataille puis une longue marche. Leurs armures étaient assombries, leurs pavois écorchés et leurs épées avaient un teint rouge foncé. Il se dessinait dans leur marche la misère et la fatigue. Régulièrement les capitaines hurlaient des ordres et tentaient de réjouir le coeur de leurs soldats au moyen d'un chant ; mais on ne chantait jamais plus que la première strophe.

Lachdanan s'arrêta net, à une centaine de mètres de la vaste armée. Comme terrifié par le courage de cet homme, elle s'arrêta, attendant les instructions de leurs chefs qui eux-mêmes ne savaient pas quoi faire. Discrètement Lachdanan m'adressa un regard pour m'ordonner de ne pas le suivre. Sans doute son stratagème était-il plus efficace s'il était seul. Hochant de la tête, je frappais ma poitrine gauche de mon poing droit pour lui souhaiter bonne chance.

C'était un spectacle assez impressionnant. Cet homme, seul, devant deux milles soldats armés, pétrifiés par son impitoyable regard et complètement hallucinés par son incroyable courage. Au bout d'une dizaine de minute, Westmarch envoya enfin un ambassadeur, lui aussi monté qui m'était étrangement familier. Il s'agissait d'Hypérion. C'était bel et bien lui qui m'avait capturé et m'avait obligé à confier les plans de Kentaur aux généraux de Westmarch. Jamais je ne pensais le revoir un jour. Pourtant il était là, et dialoguer avec Lachdanan à quelques kilomètres de Tristram.

Les deux capitaines échangèrent quelques mots, puis mirent tout deux le pied à terre, avant de jeter leur bouclier et de s'emparer de leur épée. Quel étrange pacte avaient-ils conclus ? La vaste armée était silencieuse et tous ses yeux étaient fixés sur les deux rivaux qui se dévisageaient tout en tournant l'un autour de l'autre. Du coin de l'oeil, j'aperçu alors une haute silhouette, seule, qui elle aussi regardait l'étrange duel. Je ne pu deviner s'il était un homme de Westmarch ou un simple paysan. Les duellistes arrêtèrent leur rotation et échangèrent encore quelques mots.

La seconde suivante, il se jetait l'un sur l'autre, battant du sabre avec fureur et colère. La force de leur coup était telle, que j'entendais moi-même le fer raisonnait et les cris de rage qui les accompagnaient. Puis, d'un coup de pied Hypérion envoya son adversaire au sol. Les hommes de Westmarch commencèrent alors à pousser des cris de joies barbares, ordonnant la mort de ce téméraire ennemi.

Je voulu intervenir mais roulant sur le côté, Lachdanan esquiva l'épée de son adversaire qui s'enfonça profondément dans le sol. Puis se levant habilement et récupérant son arme, le dernier capitaine de Khanduras se jeta sur celui de Westmarch, lui assaillant un coup de poing dans la mâchoire, puis un coup de genou dans le ventre. Sous le choc, Hypérion perdit son heaume et son front sentait à présent la pointe d'une lame aiguisée qui menaçait à tout moment de le percer et de trancher vif dans la cervelle qui se réfugiait derrière.

J'eu alors l'espoir que Lachdanan avait fait un ultime pari et qu'en gagnant ce duel, il ferait retraité l'armée de Westmarch. Hélas, une flèche fut décochée et ne manqua pas de le toucher à l'épaule et de le faire lâcher son arme dont son adversaire s'empara. Cette fois-ci, j'intervins, me précipitant vers mon fidèle capitaine, mon si cher ami et de toutes mes forces, j'hurlais son nom :

« Lachdanan ! »

Les archers de Westmarch me prirent alors tous pour cible et en quelques secondes ma monture s'effondra, le corps criblé de flèches. Saisissant le bouclier qu'il y avait sur mon dos, je me protégeai de ces projectiles infernaux, me réfugiant derrière la carcasse de mon fidèle destrier.

« Non, pas ça, Bertogale... » murmura mon capitaine. Hypérion épaté par l'identité de ce fou sortit de nulle part pour protéger son maître poussa un cri de joie :

« Bertogale ? Arrêtez ! Arrêtez ! Ne tirez plus !»

La pluie de flèches cessa. J'accouru à mon maître qui s'était allongé sur le sol et qui lentement perdait son sang. Hypérion retira la flèche et sortant un mouchoir, il essuya la plaie.

« Ne vous en faîtes. Tout se passera bien. Courage. »

Pour le moins confus, d'autres capitaines de Westmarch accoururent vers les trois hommes qui essuyaient tous des larmes de tristesse et de joie.

« Bertogale ! Moi qui croyais ne plus jamais te revoir..., gémis Hypérion. N'es-tu point rentré à Tristram ?
- Ah, Hypérion ! Je n'aurais jamais cru être aussi heureux de te revoir ! Finalement la guerre a fait de nous de forts bons compagnons.
- Et Iljuîtes ? Ne t'accompagne-t-il plus ?
- Hélas ! Hélas ! Ce ne sont que des « hélas ! » qui résultent de cette guerre. Tant de mes camarades sont morts. Il y avait le bon Mathieu qui me poursuivit la nuit où je désertais et qu'il fallut tuer... puis ce soldat que Kentaur décapita... puis Iljuîtes que je perdis dans les plaines maudites de l'ouest... puis Lupus qui me voua une telle dévotion... et maintenant Lachdanan... Quant cela finira-t-il ? Pourquoi continuez-vous ? N'avez-vous point gagné la grande bataille ? Alors pourquoi nous infliger toutes ces souffrances supplémentaires ? »

Hypérion me regarda, le visage rouge de larmes, ne sachant quoi répondre, honteux à présent d'avoir participé à tant de carnages et de s'être battu si longtemps contre ceux qui n'étaient rien d'autres que des frères, des humains comme lui pour en arriver à ce fatidique moment où plus aucune solution ne s'offrait à personne.

« Nous chassons le Roi félon, expliqua un général de Westmarch d'un ton frustrant et prétentieux. Et rien ne nous arrêtera. Ni vous, ni votre stupide capitaine. »

Rien ne pouvait décrire mon écoeurement à entendre cette insulte envers mon maître, lui, le meilleur d'entre nous. J'étais impuissant et humilié. Dans un ultime effort, j'aurais voulu dégainer mon sabre et trancher le gosier de cet immonde personnage, afin de mourir quelque peu apaisé.

« Moi je vous arrêterais, s'interposa Hypérion.
- Vous ? Serait-ce de la trahison ?
- Justement. Je reste fidèle à mon compagnon et à mes vrais camarades. S'ils périssent, je périrais avec eux !
- La mort est une erreur stupide, Hypérion ! Que comptez-vous faire à deux contre deux mille ?
- Ils ne sont pas que deux : ils sont trois, par Aréat ! »

Mon souffle fut coupé net. Iljuîtes ! Le plus grand combattant de tout les temps, l'invincible géant du nord, qui maintes fois me sauva des griffes de la mort. C'était donc lui, cette haute silhouette qui observait le duel. Je n'aurais pu espérer de meilleur allié en ces temps de désespoir. Lachdanan fit alors un grand effort pour se lever à son tour et murmurait ce mot d'espoir et de victoire :

« Quatre ! »

Le général de Westmarch nous regarda d'un oeil méprisant, puis suivi par ses capitaines, il retourna vers son armée. Mes trois compagnons et moi-même nous regardâmes inquiet, puis comprenant que la mort était de toute façon inévitable nous nous mîmes à rire heureux de nous être enfin retrouver et souriant à l'idée qu'après la mort, nous serions unis à jamais. Lachdanan lança alors une conversation :

« Hypérion, si je survis, je ne vous oublierais pas.
- J'espère tout de même qu'après cette bataille, je ne serais pas juste un souvenir, répondit-il.
- Faîtes moi confiance, reprit Iljuîtes, avec la raclé qu'on va leur mettre, non seulement beaucoup d'entre eux ne seront plus que des souvenirs, mais en plus les quelques survivants ne risquent pas de nous oublier.
- Ce sera une bataille mémorable, concluais-je. »

Le général hurla quelques ordres et toute l'armée se mit en marche vers notre petit groupe. Pas de flèches, cette fois-ci. Ils voulaient nous écraser sous le poids du fer et de l'acier pour que notre mort en soit plus douloureuse. Les pas de milliers d'hommes raisonnèrent sur la lande. Tandis que le général continuait d'hurler ses incompréhensibles consignes de haine et de vengeance, une hachette vint s'enfoncer dans sa nuque et le meneur tomba contre le sol, dans un bruit lourd tant son armure était massive.

« Et d'un. »

Les lances de nos adversaires s'abaissèrent, tandis que les épées se dégainaient. Les nôtres étaient sorties et Iljuîtes aiguisait sa hache d'une pierre qu'il avait trouvée sur le sol. Après avoir resserré les liens de mon armure et ma ceinture, je coiffais mon visage du légendaire heaume argenté. Dessus était gravé deux anges qui se tenait la main et dont les larges ailes formaient les contours du casque ; car telle était l'essence divine et protectrice de ce casque.

Un cor puissant sonna au loin. Son son grave raisonna longtemps sur la vaste lande, imposant un silence solennel à tous ; et au son des tambours réguliers, une ligne se traça sur l'horizon, noire et haute. Une voie forte se fit entendre et, à cet appel, cents épées se dégainèrent simultanément. On pouvait apercevoir l'éclat de ces lames qui miroitaient puissamment les rayons du soleil ; puis, obéissant à un cri de fureur, l'oiseau ténébreux se mit en marche, rasant la plaine à une grande vitesse et laissant le vent sifflant porter chacune de ses plumes. L'éclat brillant se dissipa, car les blanches lames étaient à présent rabaissées.

Les chevaliers de Khanduras chargèrent à notre rescousse, à la rescousse de leurs compatriotes, de leur capitaine et de deux étrangers ralliés à notre noble cause. Tandis que ces fières soldats nous rattrapaient, nous chargeâmes nous même vers nos ennemis qui fléchissaient de plus en plus face à un tel courage et à une telle détermination.

D'un coup de hache, Iljuîtes trancha six têtes formant un demi-cercle de sang autour de lui. Hypérion esquiva et brisa les lances qui menaçaient de l'enfourcher. Lachdanan s'efforçait tant bien que mal de donner des coups d'épée, malgré sa blessure à l'épaule droite. Quant à moi, je consacrais mon arme à briser les obstacles qui séparaient notre groupe, pour éviter que nous soyons dispersés et noyés dans cette mer d'ennemis. La vague de chevalier nous épaula alors nettoyant tout sur nos flancs et achevant les restes d'hommes que nous affrontions.

Notre force et notre volonté les écrasa et bientôt, ils furent contraint de retraiter tant notre attaque était puissante. Hélas, plus nous tuions d'ennemis, plus il en venait. Lentement, nos hommes commençaient à tomber et le monstre martial de notre ennemi se reformait et résistait par sa force massique à la charge de nos cavaliers. Les chevaliers retraitèrent vers les côtés. Une dizaine resta à nos côtés pour nous soutenir, car étant dépourvu de chevaux, mes compagnons et moi ne pouvions retraiter avec eux.

Nous reculâmes doucement, essayant de repousser les ennemis qui, acharnés, nous poursuivaient. Finalement, nous parvînmes à sortir de la gueule du monstre pour retourner sur les landes où une trentaine de cavalier qui avait survécu à l'attaque nous attendaient. A nouveau, deux armées se distinguaient parfaitement. Epuisés par cette première charge, nous nous arrêtâmes. Ceux d'en face firent de même.

Les rangs de Westmarch se brisèrent alors pour laisser place à un cavalier, vêtu d'une robe blanche sur laquelle se dessinait une croix rouge et montant un destrier argenté à la crinière d'or. Un halo semblait brillait autour de sa tête ou du moins, il dégageait une aura enivrante, apaisante. Tout les regards étaient tournés vers lui, comme si ce juge suprême déciderait du sort de la bataille, de la guerre, de nous tous. Lorsqu'il se dirigea vers notre groupe, je pensais qu'il demanderait à s'adresser à Lachdanan. Pourtant, ce fut vers moi qu'il vint :

« Où as-tu trouvé ce heaume, fils de Khanduras ?
- Il n'est pas à moi, répondis-je.
- Je sais. Je veux savoir comment il est entré en ta possession.
- Je le porte depuis cinq jours. Je l'ai trouvé sur le corps décapité d'un soldat de Westmarch qui m'avait sauvé la vie. Après l'avoir vengé, je m'en suis emparé car je n'avais pas de casque et voulais m'échapper de la terrible bataille. »

Mon interlocuteur me regarda perplexe, quelques instants.

« Et sais tu qui était ton sauveur ?
- Etait-ce vous ? Je reconnais son allure dans la votre et la même aura bienfaitrice.
- Ton sauveur était, comme moi, un paladin. Quant au heaume que tu porte, c'est une relique sacré. Nous l'appelons la Coiffure de Patrius, en hommage au puissant seigneur qui le façonna, il y a de cela quelques siècles. Nous pensions qu'il était destiné à mon frère, mort il y a cinq jours. Pourtant, je me rends compte à présent que nous nous étions trompés. Ce heaume n'était pas destiné à mon frère mais à toi.
- Moi ? C'est impossible ! Je ne suis même pas un paladin et cette relique, je l'ai dépouillée d'un cadavre.
- Oui, c'est effectivement étrange. Pourtant, ne ressens-tu point la puissance de ce heaume et le secoure qu'il t'apporte dans les pires moments ? J'ai vu la force qu'il te donna sur le champ de bataille et, ai compris que nous nous battions pour la mauvaise cause ; car la coiffure de Patrius a approuvé ta lutte contre nous. Maintenant que je comprends que nous étions dans l'erreur, je renonce à ma vengeance et abandonne cette terre maudite. La guerre est finie. »

Des deux côtés, les hommes poussèrent des cris de joies et se mirent à jeter leurs armes parterre dans un immense bruit de tonnerre. Certains criaient et hurlaient, d'autres pleuraient leurs amis tombés posant leur tête sur le buste d'un camarade, et enfin, certains ayant longtemps rêvaient de cet instant, s'assirent pour méditer, quelque peu incrédule. Mais les plus heureux étaient les cavaliers de Khanduras, qui acclamaient à présent leur chef :

Vivant ! Toujours vivant ! Il a dupé la mort,
Par un ultime effort, il objecte son sort !


« Soyez bénis, si fidèles camarades ! chanta Lachdanan. Puis se retournant vers moi, il reprit : nous avons réussis, Bertogale ! La guerre est finie !
- Bertogale ? continua le paladin. Tel est ton nom, alors. Et bien, écoute moi, Bertogale. Je ne connais pas le destin de celui qui porte la Coiffure de Patrius. Mais s'il y a un chemin que tu dois suivre, c'est celui qui te mènera jusqu'à Kurast. Va, traverse les montagnes, le dessert et la mer. Fais le pèlerinage du Zakarum. Deviens un paladin. »

Hésitant, je contemplais le heaume comme pour déchiffrer quelle serait ma destiné si j'acceptais de commencer cette nouvelle armure. Puis comme redevable envers cette relique, j'hochais la tête :

- Je le ferais.
- Ainsi soit-il. Amen. »
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