Fanfiction Diablo II

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Et le dernier posera son regard sur la montagne sainte

Par Qaillate
Les autres histoires de l'auteur

Prologue : Le prix de l’oubli

Chapitre 1 : Prélude à la guerre

Chapitre 2 : Creuset

Chapitre 3 : Cols

Chapitre 4 : Espoir

Chapitre 5 : Le siège d’Harrogath

Chapitre 6 : Sauvetage sur le mont Arreat

Chapitre 7 : La prison de glace

Chapite 8 : Trahison à Harrogath

Chapitre 9 : Le rituel de passage

Chapitre 10 : Le crépuscule de la destruction

Chapitre 11 : Les mots de l’archange

Epilogue : Larmes

Les nuits d'été, la lumière d'un hanneton paraît seule, fragile, éphémère, et pourtant, elle ne s'éteindra pas. Pareille était la lumière émise par la maison située à cheval entre quelques collines, sur le versant ouest des chaînes d'Hammëmon. L'habitation, de la taille d'une grande chaumière ou d'un petit manoir, avait été bâtie ici, isolée de la civilisation, à plusieurs heures de marche du village le plus proche. Peu de gens passaient par-là.

Et pourtant, cette nuit-là, un voyageur se tenait assis au sommet d'une butte surplombant la maison. Sa cape de voyage, trop petite et rapiécée, laissait apparaître les formes du lourd maul de guerre qui pendait à sa ceinture, ainsi que les plaques de son armure gothique. La capuche était toutefois de taille suffisante pour dissimuler la totalité de son visage. Il se leva, et foula le sol jonché de broussailles et de garrigues en un premier pas vers la maison.

A l'intérieur, un homme était attablé. Il avait les cheveux grisonnants, le visage modérément ridé mais portant plusieurs cicatrices, et était de faible corpulence. Son expression était maussade et mélancolique. S'il avait habituellement le maintien fier et noble, il était alors dans une posture avachie. Sa femme était toujours à l'étage, probablement dans sa chambre, en train de pleurer. Elle ne descendait que pour boire, ou manger, ce qu'elle faisait de moins en moins souvent. Une larme brilla au coin de l'oeil de l'homme, qu'il s'empressa d'effacer d'un revers de main. Il y une semaine maintenant, leur fils était né. Ou plutôt mort-né. Il ne tenta pas de retenir la seconde larme qui coulait déjà sur sa joue.

Le voyageur frappa un coup à la porte. Dans la maison, l'homme sécha les larmes de son visage d'un geste brusque et négligeant. Il se dirigea vers la porte, l'ouvrit et vit un homme d'assez haute stature dissimulé par une cape de rôdeur. Les relations du maître de maison avec les rôdeurs n'étaient pas excellentes, le dernier qui avait croisé sa route n'étant autre que le seigneur de la terreur lui-même. Sa main se dirigea vers le pommeau de son épée. Le voyageur prit alors la parole:

« Du calme, Lëkor, je n'ai pas de pierre d'âme au front.

Lëkor reconnut la voix de son frère sans aucune difficulté. L'expression de son visage se fit plus enthousiaste.

- Maudit sois-tu, Loekan !plaisanta-t-il. Tu sais bien que je n'apprécie pas spécialement les rôdeurs !

- Par bonheur tous les rôdeurs ne sont pas comme celui-ci qu'on a vaincu il y a un an.

- Le temps passe vite. Qu'est-tu devenu ?

- Bah, pas un grand héros aimé de tous, en tout cas. Et toi ?

- Il a décidé de se retirer en ma compagnie, ici. Nous avions l'intention d'avoir un enfant mais il est mort dès sa naissance.

La voix était celle d'une femme, charmante mais profondément attristée. Lëkor se retourna vers sa femme. Elle avait de longs et magnifiques cheveux auburn, et les traits purs de son visage attestaient de son héritage elfique. Elle paraissait avoir une trentaine d'années, alors qu'elle était âgée de cent dix-huit ans. Loekan parut tout à coup passablement ennuyé.

- Je suis désolé Nera, je n'étais pas au courant...je vous présente mes condoléances à toi et Lëkor.

- Je te remercie, mais viens, entre donc.»

Les deux hommes et la femme se réunirent donc autour de la table. Ce fut Nera qui engagea à nouveau la conversation.

«Puisque tu n'es pas au courant de la mort de notre fils, c'est donc une autre raison qui t'amène.

Loekan parut encore plus gêné qu'avant.

- Hum ! Hé bien, oui c'est exact. Je suis désolé d'arriver comme un cheveu sur la soupe, et d'ajouter encore à vos préoccupations, mais c'est quelque chose d'extrêmement grave qui m'amène chez vous. Tout d'abord, n'avez-vous pas ressentit comme un doute ou un pressentiment, à la mort de Diablo ?

Ce fut Nera qui répondit la première.

- En fait, si. Je me sentais troublée, mal à l'aise.

- Comme si tu avais oublié quelque chose de très important.

- Exactement.

Lëkor réagit alors.

- C'est également mon cas.

- J'ai effectué des recherches et nombre de méditations pour comprendre ce malaise, dit Loekan. Mais je n'ai d'abord rien découvert, puis la réponse à mes questions m'est apparue pendant mon sommeil. Diablo nous a ensorcelés juste avant sa mort, nous tous, Cain, Tyraël même.

- Mais dans quel dessein ?

- Il nous a fait oublier. Je pense que ce doit être une sorte d'amnésie collective, mais concernant une seule information.

- Et qu'aurions-nous oublié ?

- J'ai envoyé des corbeaux ou d'autres animaux aux autres pour les prévenir.

Loekan eut alors le visage plus grave que jamais. Il marqua une pause avant de reprendre.

- Baal. Il veut supprimer la barrière entre Sanctuary et les enfers. Il se dirige vers le mont Arreat. »

«Un Errant traversera les vieilles contrées, semant le chaos sur son passage.
Les Trois Frères seront réunis et le monde visible tremblera devant leur force.
Il fut ainsi prédit que les Trois, une fois réunis, seraient renversés à nouveau
Et que le dernier d'entre eux poserait son regard sur la montagne sainte.»


Extrait de Les prophéties du Dernier jour.
«Les Trois ont voulu ouvrir une porte de Sanctuary vers l'enfer pour envahir notre monde. Ce rituel nécessitait leur réunion. Après la mort de Méphisto puis de Diablo, et la fermeture de la porte de l'enfer, Baal s'est trouvé seul et prisonnier sur Sanctuary. Puis il a appris l'existence de la Pierre-monde, et maintenant, il désire lever une armée de démons afin de prendre Harrogath et pénétrer à l'intérieur du Mont Arreat. Cela lui est impossible tant qu'il n'a pas recouvré sa pierre d'âme et ses pouvoirs. Selon nos connaissances, c'est Marius, le compagnon de Diablo, qui la possède. J'ai alors tenté de retrouver sa trace.

Marius a été envoyé dans une prison pour fous. Cet endroit à été récemment attaqué par un mystérieux rôdeur qui a tué tous ses occupants...
Loekan venait de résumer les fruits de ses enquêtes.

- Donc à présent, Baal lève une armée qui va marcher sur Harrogath ?

- Exact. Je suppose qu'il doit être désormais prêt à passer à l'action, confirma-t-il.

- Alors nous devons absolument réunir notre coterie, réagit Lëkor.

- C'est déjà chose faite. J'ai envoyé des «messagers» à toutes nos connaissances. Ils sauront les trouver rapidement, où qu'ils soient sur Sanctuary. Nous devons tous nous réunir sur le versant est des chaînes de Tamoe, environ à la même latitude qu'Harrogath. Les premiers arrivants devront se rendre le plus visibles possible.

- Tu as bien fait les choses, le flatta Lëkor.

- Nous devrions partit demain, et nous reposer autant que possible cette nuit.

- Je suis tout à fait d'accord, dit Nera. Nous devons affronter ce nouveau défi l'esprit tranquillisé pour ne pas céder à la panique sur le champ de bataille. »

Elle regarda avec insistance son époux, qui ne paraissait guère enchanté à l'idée de combattre à nouveau contre les démons.

Agenouillé dans les ténèbres, l'homme priait la lumière. La petite et étroite pièce baignait dans une pénombre que seuls les reflets éclatants de son armure rutilante éclairaient. La veille, frère Itzen avait proposé à la commission des ecclésiastiques de le nommer Que-Hegan de la Nouvelle Religion de Zakarum. Milobrec ne savait que faire. Il ne se sentait guère l'âme d'un politicien, lui qui n'avait jamais été qu'un paladin, un combattant. Pourfendre le mal et répandre la Foi étaient de sa compétence, mais pas faire de beaux discours ou disserter de sujets purement dogmatiques. Il se retourna, et vit un loup. Il n'avait pu entrer d'autre façon que via la magie. Milobrec remarqua la lettre attachée à la patte de l'animal-esprit, et entreprit de la retirer. Le loup disparut aussitôt, laissant la feuille de papier soigneusement enroulée traîner sur le sol. Milobrec déroula puis lut la lettre, et la rangea dans une articulation entre deux plaques de son armure. Sa décision était prise. Il ne serait pas Que-Hegan, il allait même reprendre du service en tant que paladin combattant. Il alla faire part à frère Itzen de son refus, et de son départ pour Kurast.

«Pas question !»

L'imposant barbare préféra se retirer, le vieillard étant de toute façon trop entêté pour espérer obtenir un résultat. Alkor refusait toujours d'abandonner sa bicoque misérable aux docks pour aller habiter dans la haute-ville de Kurast. Ke-lok'tan jura. Lui et les loups de fer d'Asheara s'étaient donné un mal de chien à rebâtir et restaurer Kurast, et voilà qu'un vieil alchimiste totalement borné refusait d'honorer leur travail. Heureusement que tous les habitants n'étaient pas comme lui. Ke-lok'tan s'apprêtait à emprunter le système de portails pour arriver à la ville haute lorsqu'il remarqua un corbeau portant une lettre attachée à sa patte posé sur un mur délabré. Il s'approcha, ôta délicatement le parchemin de la patte de son messager, puis déroula et lut le texte. Ke-lok'tan rangea le parchemin dans une poche de son vêtement, puis alla sur le port négocier le prix d'une traversée avec un des capitaines.

L'ours avait flairé l'odeur il y a quelques heures, et depuis, il remontait la piste. Cette jungle obscure à la végétation envahissante ne lui plaisait guère. Il ne vit pas le piège tendu devant lui. Dès que sa patte fut posée sur la corde, il la retira, mais il se retrouva vite suspendu dans les airs, prisonnier d'un filet qu'il ne pouvait mordre. Une silhouette noire et fine apparut entre deux arbres à sa droite. Nathyle s'approcha de sa prise, et remarqua le message attaché à l'un des membres antérieur de l'ours. Elle se retrouva dans un arbre d'un saut leste et acrobatique, puis sortit un poignard de sa tenue et coupa la corde qui maintenait le filet en l'air, avant de redescendre et libérer le massif animal . Nathyle récupéra la lettre à la patte de l'ours, le laissa s'en aller et déroula la feuille de papier. Lorsqu'elle eut terminé sa lecture, elle alla récupérer son équipement de combat, puis elle commença son voyage.

Les lourdes portes s'ouvrirent, et la lumière inonda la vaste antichambre. Le jeune fit un signe à un des ouvriers de sa connaissance, puis il sortit. Il se trouvait dans une sombre caverne, mais dont l'obscurité n'avait rien à voir avec celle du passage qu'il venait d'emprunter. Treng-Al se demanda pourquoi diantre les dirigeants de la cité souterraine n'avait pas fait creuser des puits d'éclairage à la sortie de cette dernière. Il relut la lettre qu'il avait reçu par corbeau interposé tôt le matin, et entama son long voyage de la cité souterraine des nécromanciens vers Kurast, d'où il traverserait les mers jumelles.

Nek rassembla ses affaires, jeta son baluchon par dessus son épaule, et se prépara. Le bateau pour Lut Gholein partait dans moins d'une heure. Il quitta ses quartiers, et, en traversant la cour intérieure du fort, il s'arrêta pour voir le ciel, qu'il n'avait qu'à peine vu depuis son arrivée à Oswonn. Au moment de reprendre son chemin, il vit un faucon se détacher sur l'azur. Nek, en bon druide et fauconnier, remarqua que le rapace fondait exactement sur lui. Il étendit la main, et le volatile vint se poser sans encombre sur son index. Il ôta précautionneusement la lettre attachée à la patte du faucon, la déroula et la lut. Puis il se dirigea vers les docks d'Oswonn, c'est-à-dire une jetée de bois où guère plus de deux bateaux pouvaient être amarrés. Il monta à bord du sien, et parla au capitaine.

«Pour vingt-cinq mille pièces d'or de plus, vous me déposez sur la côte ouest, à peu après à la latitude d'Harrogath ?

L'autre, un individu à la mine renfrognée, lui répondit :

- Pour ce prix-là, je vous amène jusque sur les rivières de lave de l'enfer !»

Minnoca se tenait assise, pensive, sur le trône du gouverneur de Philios. A sa droite, son amie de toujours, Vedila, lui conseillait de se méfier des marchands, qui lui paraissaient peu honnêtes. Les représentants de cette compagnie de commerce maritime originaire du Westmarch étaient arrivés la veille. Ils souhaitaient négocier un accord entre les artisans des îles amazones et leur groupe de navires de commerce.

«Cette décision n'est malheureusement pas de mon ressort, affirma Minnoca aux négociateurs, vous devrez vous rendre sur Lycander, et aviser la matriarche de votre requête. Je vous souhaite bonne route.»

Les marchands se retirèrent. Elle ricana intérieurement. Un source de soucis de moins pour elle, une de plus pour sa mère, la matriarche. Minnoca nourrissait un certain ressentiment à l'égard de cette dernière, qui l'avait envoyé sur Philios à son retour victorieux, comme pour l'écarter, comme si elle craignait que sa fille lui fasse de l'ombre. Cette île n'était que la troisième en importance de l'archipel, bien moins attrayante que Lycander, le centre politique et religieux, et Skovas, avec ses paysages magnifiques et ses vignobles réputés. A côtés des grandes cités de pierre de la première et de la forêt vierge de la seconde, Philios n'était qu'un caillou nu et ennuyeux. Elle se languissait de l'aventure, du danger, et aussi, bien qu'elle n'osait se l'avouer, du charismatique Katenbau, un des solides barbares qui accompagnait le groupe.

« Maîtresse, un courrier pour vous !

Ce fut la voix maniérée d'un chambellan qui la tira de ses pensées.

- De qui est-ce ? questionna Vedila.

- Il s'agissait d'une lettre attachée à la patte d'un loup blanc, un superbe animal, soit dit en passant, bien que nous ayons du le laisser à la porte...

Les deux amazones échangèrent un regard étonné.

- Hé bien, amenez-moi ce courrier, l'interrompit-elle. »

A Sescheron, le temps était on ne peut plus maussade. La ville était recouverte d'un épais plafond nuageux annonciateur de mauvais temps. Dans une auberge du plus pur style local et à l'image du quartier environnant, c'est-à-dire totalement miteuse, les gens du coin que les vapeurs d'alcool et les rires gras et tonitruants n'effrayaient pas s'étaient assemblés. A l'étage, l'ambiance était bien plus calme, toutes les chambres étant vides à une exception près. Hösrok était seul, assis sur son lit; ses deux frères aînés Katenbau et Besakssen conversaient au rez-de-chaussée. Il alla à la fenêtre. Dehors, un éclair zébra le ciel, et l'instant suivant le tonnerre claqua si fort que les vitres en tremblèrent. Il se mit à pleuvoir à peine quelques secondes plus tard. Puis la grêle se mit de la partie, et les petits blocs de glace tapaient contre les fenêtres en produisant un vacarme fort incommodant. Hösrok resta assez longtemps devant la fenêtre en état de demi-sommeil. En revenant à lui, il remarqua que la grêle avait laissé place à du crachin. Pourtant quelque chose tapait toujours contre la vitre. A l'extérieur un corbeau perché sur le rebord de la fenêtre donnait des coups de bec contre le verre. Hösrok ouvrit et vit que l'oiseau était affublé d'un message à sa patte. Il ouvrit, recueillit le parchemin et lut la lettre. Au même moment, ses deux frères aînés arrivèrent dans la chambre; il leur passa la lettre et tous se préparèrent à partir dès le lendemain.

Il faisait nuit à présent. Le loup savait qu'il touchait au but, le destinataire du message habitait ici. Un bien étrange village perdu dans les plaines du Khanduras, avec au milieu une vaste arène de bois. C'est là qu'il devait amener la lettre, mais le village était cerclé d'une haute palissade de bois bâtie pour protéger le hameau des bandits. Le loup décida de s'approcher à pied de la palissade et d'y réfléchir à un moyen d'entrer. Il ne vit pas les sentinelles. Une voix cria «Au loup!» et quelqu'un lui tira un flèche dans le flanc. L'animal paniqué tenta de s'enfuir, mais il reçu de nombreux traits dans le dos. Il parvint à traîner sa carcasse dans un sous-bois, et y mourut avant l'aube.

Ils le suivaient depuis l'aube, depuis qu'il avait quitté l'auberge. Les bandits de grand chemin avaient maintenant rattrapé le rôdeur. Ils allaient lui faire comprendre que les routes du coin n'étaient pas sûres, ça oui! De son côté, le vagabond avait bien conscience d'être suivi.

Ils l'attaquèrent à l'orée d'un bois, après l'avoir encerclé. Leur chef s'approcha du rôdeur dont le corps et le visage étaient dissimulés sous une cape de voyage usée.

«Bon, fit-il d'une voix emphatique qui se voulait intimidante, on sait que t'as beaucoup d'or. Donne-nous quinze mille pièces d'or si tu tiens à la vie.

- C'est beaucoup, lui répondit l'autre.

- Essaye pas de nous rouler, compris ? Maintenant avance le butin.

- Ecoutez, si je vous donne le double, vous menez une vie honnête ensuite, ça vous convient ?

- Le double ? Tu dois être sacrément riche! Bon, je crois plutôt qu'on va te tuer et récupérer tout ton argent.

Il se tourna vers ses hommes.

- On attaque !

- Bah, fit le rôdeur, tant pis.»

Ils étaient six. Grihor enleva rapidement sa cape, et ils purent alors voir sa lourde armure de plaques; il dégaina son épée de guerre, empoigna son pavois, et chargea un des bandits. Celui-ci tomba en arrière, une entaille énorme zébrant son ventre dans toute sa largeur, et plus ne se releva. L'instant d'après, trois autres étaient sur lui. Il para le coup du premier, décapita le second, et mis le troisième au sol à l'aide de son bouclier. Il para un second coup, puis enfonça sa lame dans le buste de celui qui était au sol, la retira, et, en se relevant, égorgea le dernier de ses adversaires. Il ne resta plus alors que le chef des brigands, ainsi qu'un de ses complices qui prit la fuite, apeuré. Grihor lança son épée sur le fuyard, et bien qu'il ne fut pas vraiment chevronné dans cet exercice, la lame alla se planter exactement entre les deux omoplates du bandit qui s'écroula de tout son long. Mais il n'avait plus que son bouclier pour se défaire du chef. Nullement effrayé, il se jeta au corps à corps, et para tous les coups qui lui étaient destinés. Son adversaire, comprenant qu'il ne pourrait le vaincre avec une seule arme, tenta lâchement de le poignarder. Grihor, lui, n'avait rien remarqué. C'est alors qu'une patte énorme et griffue surgit de derrière le chef des bandits, et, en un coup d'une puissance formidable, lui arracha la tête qui alla s'écraser contre le tronc d'un arbre. Le corps sans vie s'écroula aux pieds de Grihor, lui révélant son sauveur, un ours. Le paladin errant remarqua alors le parchemin attaché à la patte de l'animal, et s'employa à le détacher.

Ercala se redressa doucement. La méditation lui permettait de se débarrasser du démon, mais elle exigeait un calme parfait, que la jeune femme n'avait malheureusement pu trouver qu'à la pointe de la péninsule du Westmarch. Fuyant l'agitation des villes et la compagnie des hommes, elle s'était retirée là, et le seul bruit des vagues s'écrasant contre le pied des falaises venait troubler le silence. Ses efforts avaient été couronné de succès, et le démon qui l'habitait depuis l'enfance était maintenant contenu dans les tréfonds de son âme, et ne pouvait plus reprendre l'ascendant sur elle. Ercala leva les yeux vers le ciel d'un bleu parfait, à l'exception de quelques nuages fuyant à travers l'azur, d'un horizon à l'autre. Ce ne fut pas le soleil se rapprochant peu à peu de son crépuscule, ni les premières feuilles mortes voletant au gré du vent, et annonçant l'arrivée de l'automne, qui retinrent son regard mais le point noir dans le ciel qui se rapprochait d'elle. La jeune femme put bientôt distinguer la silhouette de l'oiseau de proie. A ce moment, elle aurait pu détourner son attention du rapace. Les faucons n'étaient pas rares dans la région. Mais un pressentiment l'amena à fixer l'oiseau qui fondait sur elle.

Bien lui en eut pris. Les faucons, Ercala en voyait souvent ici. Les aigles, aucun.

Elle vit alors que le majestueux rapace portait un message attaché à l'une de ses serres.
Les quais de Kurast n'avaient jamais vraiment changé : toujours les mêmes portes de bois criblées de flèches et de javelots, toujours les mêmes masures misérables et délabrées, toujours la même pyramide dédiée à de quelconques divinités skatsimis oubliées, comme un mémorial aux évènements terrible de l'an passé. Lorsque Lëkor, Nera et Loekan arrivèrent, ils virent cependant que la population avait considérablement baissé, du fait que la plupart des réfugiés avaient pu récupérer leurs habitations dans la ville même. A présent, seuls quelques individus superstitieux et vieillards séniles déambulaient sur les jetées défoncées qui tenaient lieu de rues. Seuls deux personnages retinrent l'attention des trois voyageurs. Un barbare dépassant les deux mètres, au corps musculeux mais au visage juvénile, et un paladin imperturbable dans son armure rutilante. Tous deux semblaient en grande discussion et étaient tant absorbés par leur conversation qu'il ne remarquèrent pas les trois arrivants, du moins jusqu'à ce que le vieil Alkor reconnaisse les trois héros qui avaient vaincu Méphisto.

« Ils sont là !criait le vieillard avec de grands gestes frénétiques. Ils sont de retour ! Bienvenue !

Ke-lok'tan se retourna.

- Bon sang Alkor, qu'est-ce que tu nous racontes l... Milobrec, regarde qui voilà !

Le paladin se retourna à son tour. Son visage luisait de sueur, sans doute sous la chaleur excessive accentuée par son armure.

- Vous voilà donc. Avez-vous fait bonne route? Demanda-t-il

- Aussi bonne que possible sous une chaleur pareille, sourit Lëkor, maudite jungle! Mais, oui, nous sommes indemnes.

- J'imagine que nous avons bien fait de vous attendre ici, Loekan ? Ton message nous pressait de rejoindre le point de rendez-vous le plus tôt possible.

- Vous avez effectivement bien fait, répondit-il. Autant partir tous ensemble. D'ailleurs nous attendons encore quelqu'un avant d'entamer la traversée.»

Treng-Al s'arrêta un instant pour contempler la plaine qui s'étendait à ses pieds. Passer les montagnes d'Hamëmmon, malgré la hauteur des sommets, n'était pas d'une grande difficulté, surtout grâce à l'absence de neige, même à l'arrivée de l'automne. Il n'avait plus qu'à descendre les pentes couvertes de rochers nus, et à traverser les steppes vers le nord-ouest et la jungle humide du Kehjistan. Il serait à Kurast après-demain, probablement en fin de journée.

Les rouages grincèrent, les chaînes d'acier se tendirent, puis, peu à peu, très lentement, la lourde herse se souleva, et les trois barbares sortirent de la cité. Tous trois étaient, bien entendu, immenses et armés jusqu'aux dents. Le premier, et le plus grand des trois, portait une grande épée à deux mains longue de plus d'un mètre soixante pendant dans son dos, et deux épées à une main à sa ceinture. Le second légèrement plus petit (quoique encore bien plus grand que la plupart de ses congénères) et trapu, caressait du doigt l'acier d'une énorme hache à double tranchant pendant à sa hanche en marchant. Le troisième et le plus filiforme des trois quoique son poids dépassa aisément le quintal, portait dans son dos une faux de guerre à l'aspect meurtrier. Ils se dirigèrent vers l'est, prenant la route d'un des cols traversant les chaînes de Tamoe, et plus ne furent revus à Sescheron avant bien longtemps.

Le voyage s'était déroulé sans anicroche jusque là. Grihor arpentait un sous-bois tranquille du Kanduras, près de la frontière ouest. Alors que les arbres se faisaient plus clairsemés à mesure qu'il approchait de l'orée du bois, il distingua à quelques centaines de mètres devant lui la palissade d'un village. Le soleil allait bientôt disparaître à l'horizon, derrière lui, et il voyait de moins en moins bien le sol sur lequel il marchait. Il trébucha sur un objet sec et manqua de s'étaler de tout son long; en se retournant, il vit avec horreur que l'obstacle sur lequel il avait buté n'était autre que le cadavre à demi-décomposé d'un loup. Plusieurs flèches lui avaient percé le dos et les flancs, et il dégageait une horrible odeur de chair rance. Grihor remarqua que l'animal, tout comme l'ours qui avait croisé sa route la veille, portait un message attaché à sa patte. Il surmonta son dégoût et l'ôta, puis le déroula et le lut. C'était plus ou moins le même que le sien, mais il était adressé à Omatir, un barbare qui avait été leur compagnon à l'époque où il combattait Diablo et ses frères. Celui-ci n'avait donc pas reçu sa lettre, il était urgent de le mettre au courant. Grihor se dirigea vers le village alors que le soleil disparaissait à l'horizon.

Il escalada discrètement la palissade. Le paladin n'avait jamais vu si étrange village; les maisons, loin de ressembler aux habituelles chaumières du Kanduras, avaient l'air de casernes toutes identiques les unes aux autres et une grande arène en bois, qui pouvait sans doute accueillir plus de mille personnes occupait son centre. L'attention de Grihor fut retenue par des avis placardés sur les façades de tous les bâtiments.

« A tous les combattants de Belvae. Le Grand Tournoi des Mille Lames aura lieu l'avant-dernier jour de Octath -demain, pensa Grihor. Les participants sont tenus de s'inscrire jusqu'à la veille sur les avis qui seront tous récupérés le jour du Tournoi, à l'aube.

A tous les résidents, les places sont disponibles...»

Grihor ne poursuivit pas la lecture. Parmi les différents noms inscrit figurait celui d'Omatir. Il réfléchit un instant, puis sortit une plume de son sac, s'entailla légèrement le bras gauche, trempa la pointe dans le sang qui commençait à couler et inscrivit son nom sur l'avis avant de le remettre en place.

Il s'étendit ensuite au coin d'une habitation et s'y endormit. Le lendemain, il rejoint les autres inscrits à l'entrée de l'arène et fut placé derrière une grille en attendant le début des combats tandis que les gradins se remplissaient peu à peu. Le gong retentit enfin, la herse se souleva devant lui, et Grihor foula le sable de l'arène.

Tout autour de lui, des centaines de personnes criaient dans une confusion totale. Il vit en observant autour de lui que d'autres herses s'étaient levées, laissant entrer une cinquantaine de guerriers. Il y avait parmi eux quelques barbares, et Grihor tenta sans succès de reconnaître Omatir en l'un d'eux. Un second coup de gong retentit, et les guerriers commencèrent à s'attaquer les uns les autres. Un lancier le chargea, et Grihor le décapita d'un revers de lame. Les autres combattants formaient trois mêlées et il se retrouva pris au coeur de l'une d'elle. Une dernière et énorme herse se souleva et une douzaine de lions entrèrent dans l'arène.

« Des lions d'Aranoch...grommela Grihor»

Le félin que l'on surnommait «le roi du désert» était un tueur redoutable. Les lions se ruèrent tous sur la mêlée dont faisait partie le paladin. Ils plaquaient les hommes au sol et les égorgeaient, ou parfois leur brisaient la nuque d'un coup de patte. Un épéiste attaqua Grihor, mais celui-ci para son coup et le déséquilibra. Avant même que son adversaire ait pu se rétablir, un lion lui sauta à la gorge. Grihor parvint à lui transpercer le coeur, puis en égorgea un autre. L'effet de surprise passé, les hommes reprirent l'avantage. Un groupe de lancier avait encerclé bon nombre des félins et les tuaient les uns après les autres. Un hallebardier sournois attendit que les lions fussent tous morts pour faucher l'intégralité du cercle de lanciers. Il fut presque aussitôt poignardé par un homme au visage entièrement dissimulé par un foulard, que Grihor tua par la suite. Il élimina les derniers survivant autour de lui, puis se tourna vers les autres groupes. La première mêlée s'était changé en duel d'épéistes, le vainqueur se tourna et chargea alors le survivant de la seconde mêlée, un barbare tout simplement immense, le corps entièrement protégé par une armure de plaques et se battant à l'aide d'un maul aux dimensions démesurées. L'épéiste n'eut pas le temps de frapper qu'un coup prodigieux le souleva de terre et le projeta jusque dans les gradins, lui brisant au passage la moitié des os du corps. Grihor se tourna alors vers le barbare. C'était Omatir. Lui ne semblait pas l'avoir reconnut et l'attaqua sur-le-champ.

Le moins qu'on aurait pu dire de ce duel final, c'est qu'il avait été long et difficile. Au bout de presque un heure de duel, le gong résonna pour la troisième et dernière fois, annonçant la fin du tournoi qu'aucun des deux combattants ne remporta. La récompense fut partagée entre Grihor et Omatir. Tous deux se réunir peu après, et Grihor montra à Omatir la lettre qui lui était destinée. Tous deux repartirent au milieu de l'après-midi.

Le ciel s'assombrissait à une vitesse affolante, et le crépuscule n'y était pour rien. D'énormes nuages de mauvais augure s'assemblaient au dessus des mer jumelles. Nek contemplait les cieux, seul sur le pont, lorsque le capitaine du navire se dirigea vers lui.

« Un grain se prépare, monsieur.

- C'est ce que je vois, répondit-il d'un ton léger. Croyez-vous que cela durera ?

- Probablement pas pendant plus d'une nuit, affirma le vieil homme. Néanmoins je vous conseille de regagner votre cabine sous peu. La nuit risque d'être agitée.

- Bien, cela ne nous retardera pas ?

- Nous aurons peut-être une demi-journée de retard, sans doute même moins, je pense.

- Ce ne sera pas trop grave, alors. Bon, je vais rejoindre ma cabine.»

Les trois engeances commencèrent à tirer sur la corde tandis qu'une bête d'assaut hissait le projectile dans son réceptacle. Leurs efforts leur arrachaient parfois un cri de douleur, mais elle maintinrent la corde tendue et l'attachèrent solidement à un piton dans le sol, puis elle regardèrent l'immense cité qui s'étalait devant elle.

Gerhild arpentait les rues d'un pas conquérant. Il sifflait un petit air tout en effectuant sa ronde de nuit. Un sourire s'étalait sur sa figure d'une oreille à l'autre. La cause de tant d'enthousiasme était sa toute récente affectation aux quartiers riches du sud de la ville, bien plus paisibles de nuit que le nord-est de Sescheron où des affrontements sanglants éclataient régulièrement. Moins de combats, moins de travail, moins de soucis, plus de bière. Tel était le raisonnement de Gerhild. Soudain, celui-ci s'arrêta net. Il lui sembla avoir entendu un étrange sifflement de l'autre côté des vieux murs de la cité.

Une flèche enflammée s'éleva dans le ciel. C'était le signal. Une des engeances trancha la corde, et fut imitée par une centaine d'autres. Dans un grondement sourd, une centaine de trébuchets s'actionnèrent, projetant autant d'énormes projectiles sur la muraille de Sescheron.

Juste à côté de Gerhild, un pan entier de mur s'effondra, broyé par une boule de pierre de plus de trois mètres de diamètre. Un autre projectile s'abattit sur une grande demeure derrière lui. La bâtisse commença à prendre feu.

Les milliers d'archers en positions non loin des murs tirèrent tous en même temps. Le reste de l'armée de Baal se prépara à charger.
Gerhild entendit le bruissement de dizaines de milliers d'arcs dont les cordes se relachaient toutes presque en même temps. Il saisit son cor, mais une pluie de flèches s'abattit sur lui au moment où il le portait à sa bouche. Il s'effondra mollement, le corps entièrement criblé de flèche, le visage figé dans une expression de surprise assez niaise.

Partout, des brèches, s'étaient ouvertes sur la muraille. Plus de trente milles démons s'y engouffrèrent, et mirent Sescheron à feu et à sang en une seule nuit d'horreur et de cauchemar.

Le soleil s'était levé voilà déjà plusieurs heures sur Karadas, le principal port de Philios, lorsque le capitaine leur annonça:

« Les messagers disent que nous pouvons prendre la mer dès maintenant, la tempête est passée.

- Bon, alors le plus tôt sera le mieux, lui répondit-elle. Nous sommes trop loin de notre destination pour tarder à partir.

- Nous lèverons l'encre dans une demi-heure.

- Je vais en informer ma maîtresse.»

Treng-Al émergea enfin de la jungle. Il était complètement épuisé par plusieurs jours de marche à travers des cols escarpés, des plaines désertes et des forêts étouffantes. Un sourire se dessina sur son visage famélique lorsqu'il vit qu'il était enfin arrivé à Kurast. Il entra dans la ville et se dirigea vers un groupe de cinq personnes qui semblaient très agitées. Ils ne tardèrent pas à remarquer sa présence.

« Te voilà, Treng-Al, s'exclama Lëkor, on ne t'attendais pas si tôt !

- Le contenu de la lettre que Loekan m'a envoyée m'a porté à conclure que ma présence était requise le plus tôt possible.

- En effet, et c'est une bonne chose que tu sois arrivé en avance. Nous allons pouvoir partir dès ce soir.

- Je vais avertir le capitaine dans l'instant, dit Milobrec.

Il s'en alla avec une démarche quelque peu grotesque, du fait de l'inconfort de son armure sous la chaleur étouffante de Kurast. Nera le regarda marcher avec un léger sourire aux lèvres, puis elle se tourna vers Treng-Al.

- Tu as l'air affamé, tu devrais peut-être manger avant de monter à bord?

- Oui, tu as sans doute rais...

- Je ne te le conseille pas, le coupa Ke-lok-tan.

Les autres se tournèrent vers lui. Lëkor haussa un sourcil.

- C'est juste que... le vieil Alkor n'a plus de potion contre le mal de mer, alors tu risques de nourrir davantage les poissons que ton estomac.»

Treng-Al éclata de rire, et ils montèrent tous sur la bateau quelques instants plus tard.

Le voyage se déroula sans trop de problèmes, même si Ke-lok'tan retrouva la terre ferme le lendemain avec un soulagement non dissimulé. Le teint de son visage avait viré au verdâtre durant la totalité du voyage.

« Bien, fit Loekan alors qu'ils quittaient le port où leur navire était amarré, nous ne sommes plus très loin du point de rendez-vous que j'avais demandé aux autres de rejoindre. Nous allons marcher vers ces montagnes, il désigna la chaîne de Tamoe du doigt. Si d'autres sont arrivés avant nous, ils ont pour consigne d'allumer un feu pour être visible de la côte. Si nous sommes les premiers arrivants, nous choisirons un endroit bien en vue et nous y installeront notre campement.»

Mais à peine eurent-ils passé les premières vallées, qu'ils aperçurent, sur une corniche les surplombant d'environ quatre cent mètres, le flamboiement d'un grand feu de camp.

Là, ils trouvèrent Katenbau, Besakssen et Hösrok, les trois frères aînés de Ke-lok'tan, qui étaient arrivés l'avant-veille. Le soir même, arrivèrent Grihor le paladin, et Omatir, le dernier frère barbare, né entre Besakssen et Hösrok. Ce fut donc à onze que les compagnons s'endormirent. Lorsqu'ils s'éveillèrent le lendemain, Nathyle était arrivé durant la nuit. Aucun n'osa demander comment elle avait pu s'infiltrer malgré les tours de garde qu'ils s'étaient répartis, mais il ne faisait nul doute qu'elle avait usé de ses talents de viz-jaq t'aar. Nek arriva par bateau aux alentours de midi, et Ercala se téléporta au milieu du campement dans la surprise générale vers le crépuscule. La coterie fut réunie au grand complet le lendemain matin lorsque arrivèrent Minnoca et Vedila, les deux amazones. Tous passèrent ensemble une mémorable et très arrosée ( Minnoca avait fait apporter un tonneau de vin de Skovas) soirée, mais les visages redevinrent graves lorsque Lëkor et Loekan fixèrent le départ pour Harrogath pour le lendemain.

«Et à présent, enfin, la tempête se lève et s'étend depuis les terres du sud.
Et les mains de la Destruction surgissent pour défaire les actes des Anciens.
Les vagues de l'Enfer roulent, prêtes à s'écraser sur les rivages du monde visible
Pour noyer le coupable et l'innocent sous la même déferlante.»
Extrait de Les prophéties du Dernier jour.
Katenbau se réveilla et jeta un regard autour de lui. Tous les autres étaient endormis. Son regard s'attarda sur Minnoca, et il songea à la réveiller pour pouvoir lui parler seul à seul, mais Lëkor remua légèrement à côté de lui. Il se leva et alla remuer les braises du feu de la veille. Puis il alla s'asseoir au bord de la falaise et contempla la mer.

«J'ai reconnu les alentours, fit la voix de Nathyle derrière lui. Il n'y a pas l'ombre d'un ennemi.

Il ne l'avait entendue arriver et sursauta si fort qu'il manqua de tomber dans le vide.

- Ah, dit-il d'une voix pâteuse, heu... c'est bien.

- Je croyais que les barbares étaient réputés pour leur résistance à l'alcool ?

- Les barbares devraient être réputés pour d'autres choses que les beuveries...

- ...s'ils étaient capables de s'en passer, le coupa-t-elle avec un ton a mi chemin entre l'amusement et la réprobation. Nous autres viz-jaq t'aar vivons dans la plus stricte hygiène de vie.

- «Point n'est besoin de jeûner pour qui sait manier l'épée.» répondit-il. Mais c'est vrai qu'on aurait parfois moins mal à la tête le matin.
Katenbau changea rapidement de sujet, comme s'il craignait de salir l'honneur de son peuple en reconnaissants les torts de certaines de ses moeurs.

- Alors, tu as reconnu les environs ?

- Oui, et comme je te l'ai dit, il n'y a pas traces d'ennemis. Cependant, j'ai remarqué qu'il commençait à neiger sur les sommets les plus hauts.

- C'est étrange, en effet. D'habitude, il ne se met à neiger qu'au moins un cycle de lune plus tard, par ici !

- Très étrange, en effet, fit la voix de Lëkor.

Katenbau et Nathyle se retournèrent.

- Il n'y a pas que les assassins qui savent se montrer discrets, poursuivit-il. J'espère que les cols ne seront pas bloqués. Normalement, nous ne devrions pas avoir à nous faire de soucis à ce sujet, mais qui sait lorsqu'il se produit tant de choses anormales.

- A quoi penses-tu, demanda Katenbau ?

- Il n'est pas normal que parallèlement à la tempête que le bateau de Nek a du essuyer, la neige tombe en avance ici. Je ne serais pas étonné d'apprendre que Baal soit capable de commander au temps.

- Tu penses qu'il veut nous empêcher de passer les chaînes de Tamoe ?

- C'est possible. Mais nous ferions mieux pour l'instant de nous soucier du voyage que nous nous apprêtons à entreprendre plutôt que des conditions météorologiques durant notre voyage, choses auxquelles nous ne pouvons de toute manière rien changer. Nathyle, pourrais-tu essayer de trouver une source pour nous approvisionner en eau ?

- J'y vais, dit-elle, et elle s'en fut.

- Katenbau, j'ai amené là-il désigna de la main quelques sacs qui étaient entassés à l'écart- du pain et du porc salé. Aide-moi à en déballer un peu, s'il te plaît.»

Les autres se réveillèrent un par un. Après un encas qui satisfit les appétits et remplit les panses, ils se décidèrent à partir. Ils grimpèrent toujours plus haut, traversant les vallées, progressant le long de falaises à pic et escaladant des parois vertigineuses, et ne tardèrent pas à trouver un col. Il s'arrêtèrent sur le versant d'une montagne dont la cime disparaissait dans d'épais nuages au dessus de leur têtes. Lëkor, Katenbau, Loekan et Grihor se réunirent. Devant eux, par delà un chaos de vallées et de monts, ils pouvaient voir la mer.

« Nous ne devons pas être loin des deux mille cinq-cents mètres d'altitude, remarqua Grihor.

- En effet, fit Katenbau, et nous ne sommes plus très loin des plus hauts sommets. Vous voyez les deux montagnes qui nous surplombent, entre les deux, il y a le col de Gharaenras. C'est le plus proche, mais il n'est que peu utilisé. A cette période de l'année, il ne devrait pas y avoir de neige, mais Nathyle m'a assuré ce matin qu'elle en avait vu.

- Il culmine à plus de trois mille mètres, environ, observa Lëkor. Mais c'est le plus proche, dis-tu ?

- Oui, réaffirma Katenbau, et je pense que nous ferions bien de monter là haut le plus vite possible. Nous pourrions bien réussir à l'avoir passé avant la tombée de la nuit.

- J'ai quelques réserves à emprunter ce chemin-là, dit soudain Loekan.

- Et pourquoi donc ?

- Parce que c'est justement le chemin le plus proche. Si jamais Baal est au courant de nos agissements, comme je te l'ai dit hier soir, dit-il à son frère, c'est là qu'il s'attend à nous voir passer.

- Penses-tu que nous risquons d'être pris en embuscade ?

- Non, mais il se pourrait que Baal possède des pouvoirs que nous ignorons.

- Peut-être, oui, dit Lëkor, mais nous devons prendre le risque. Y a-t-il un autre col près d'ici ?

- Il y a bien Annur-Ien-Snëh, mais il est plus loin au sud, et puis, il a mauvaise réputation. Aucun barbare ne passe jamais là-bas.

- Entre deux maux potentiels, choisissons le moindre, dit Grihor. Gharaenras est le plus proche, allons-y donc.

- Bien, rétorqua Loekan, mais si jamais nous rencontrons le moindre problème, il faudra passer par Annur-Ien-Snëh.»

Ils repartirent peu après, et ne tardèrent pas à trouver la neige. Les nuages menaçants s'étendaient maintenant partout au dessus du col. Un sentier grimpait à flanc de montagne, mais il était recouvert de neige et on ne le distinguait plus guère. Bientôt, il se mit à neiger, d'abord doucement, puis ensuite si fort que la couche de neige montait à vue d'oeil. Alors qu'ils approchaient du sommet, la neige leur arrivait déjà par dessus le genou. Aveuglés par le vent et les flocons tourbillonnants, gelés jusqu'au bout des orteils, ils durent s'arrêter.

« Nous devons chercher un abri !hurla Grihor tant bien que mal.

- Là ! dit Loekan en montrant une falaise sur leur droite qui, vers le bas penchait un peu vers l'extérieur.

Ils se pressèrent tous le long de la falaise.

- Si vous appelez ceci un abri, autant appeler un mur sans toit une maison, grommela Milobrec.»

Il restèrent là plus d'une heure, grelottants, se réchauffant autant que faire se pouvait. Lëkor invoqua un golem de feu auprès de lui, mais celui-ci ne se révélait que d'une efficacité limitée, ne pouvant vraiment le réchauffer sans le brûler. Ercala se servait de sa magie pour enflammer l'huile incendiaire que possédait Nathyle, mais, dans le vent glacé, la flamme ne durait que quelques instants. Enfin le blizzard se calma, laissant derrière lui un paysage d'un blanc parfaitement uniforme. Il ne purent cependant poursuivre leur chemin, en raison de la couche de neige qui leur arrivaient au torse; ils durent rebrousser chemin tant bien que mal. Les barbares se relayaient en tête de la file, utilisant leur forte carrure pour dégager la neige devant eux. Ercala avait tenté de faire usage de l'inferno, mais la neige fondait si subitement que le groupe décida d'employer une méthode non magique lorsque tous baignèrent jusqu'au genou dans une eau glacée. Enfin, ils parvinrent à se dépêtrer du linceul blanc et quelle ne fut pas leur surprise de voir qu'après la congère, la neige diminuait tout d'un coup et laissait apparaître même les pointes des brins d'herbe.

« C'est bien ce que je disais, dit Loekan, ce n'était pas une tempête ordinaire. Bien, maintenant, je crois qu'il est maintenant clair que nous devons trouver un autre passage.»

Après un bref discours explicatif de Lëkor, la côterie se mit en route pour Annur-Ien-Snëh. Ils partirent vers le sud et peinèrent encore deux jours avant d'atteindre leur objectif. Ils se trouvaient au pied d'un immense glacier qui montait jusqu'à faire la liaison entre deux sommets. Là se dressait une haute tour, dont la base circulaire se prolongeait d'un haut mur barrant l'intégralité du glacier. En approchant, ils virent que la pierre noire dans laquelle il était bâti était parfaitement lisse, ne laissant aucune prise pour l'escalader. Il était assez large pour que cinq personnes puissent y marcher de front. Il ne semblait pas y avoir d'autre entrée qu'une lourde porte à la base du bâtiment circulaire.
«Entrons, dit Lëkor.

Il frappa trois coups contre le montant droit, puis il y eut un long silence avant qu'elle ne s'ouvre révélant une grande pièce circulaire, épousant les formes de la tour, au milieu de laquelle se tenait un vieillard vêtu d'épaisses capes de laine.

- Entrez, entrez, nobles voyageurs, ne restez pas dehors, s'écria-t-il.

Tous pénétrèrent à l'intérieur.

- Qui êtes-vous, demanda Loekan ?

- Moi ? Je suis Mûgond, le gardien du col d'Annur-Ien-Snëh, et le propriétaire des lieux. Mais vous, qui êtes-vous donc ?

Lëkor croisa le regard de son frère puis répondit:

- De simples voyageurs. Nous devons passer les chaînes de Tamoe.

- Alors vous avez de la chance. Cet endroit-il désigna de la main toute la pièce-, a été construit il y a fort longtemps précisément à l'intention de voyageurs tels que vous. Ce bâtiment sert de relais. Les voyageurs peuvent s'y arrêter pour manger ou encore passer la nuit. Bien qu'il ne soit plus maintenant très utilisé.

Lëkor observait avec minutie les décorations et motifs gravés sur les murs.

- C'est un bâtiment très ancien n'est ce pas ?

- Il servait déjà bien avant que les barbares n'arrivent à l'Ouest, bien avant la fondation des royaumes de l'ouest.

- Impressionnant... hé bien, à présent que nous sommes là, nous accorderez-vous le droit de passer la nuit ici ?

- Mais certes ! N'est ce pas d'ailleurs là ma fonction ? Les chambres sont au premier et au second niveau. Vous pouvez vaquer à vos occupations comme il vous le plaira. Je vous demande seulement de ne pas aller au troisième étage.»

Sur ce, avec des murmures de remerciement, la plupart des membres de la coterie allèrent prendre possession des leurs quartiers. Seuls Nera, Lëkor et Loekan restèrent en compagnie de Mûgond.

«Si ce bâtiment a pour but de faciliter le passage du col, pourquoi y a t'il un mur en travers du chemin ?

- Cc'est une excellente question. Voyez-vous, cette tour est bâtie directement sur le glacier. Or, le problème, c'est que les glaciers descendent, lentement certes, mais ils descendent et, au fil des siècles, la tour se serait effondrée, ou aurait été transportée à plusieurs dizaines de mètres de son emplacement initial, ce qui la rendrait obsolète. Le mur, lui, est relié à la tour, mais surtout sa base traverse le glacier et repose sur la terre ferme. Il assure donc le maintien de l'ensemble de la structure.

- Et comment peut-on passer de l'autre côté ?

-C'est encore un système ingénieux. Il faut savoir que, derrière le mur, le terrain n'est pas stable. Il y a de nombreuses failles et crevasses dissimulées sous la glace, dans lesquelles on peut facilement faire une chute mortelle. A partir du second étage, on peut rejoindre le mur. De là, une chaussée de pierre part et traverse tout le col jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de risque pour le voyageur. Il suffit de l'emprunter.

- Bon, hé bien je vous remercie. Je crois que nous pouvons aller nous coucher maintenant.»
Ils eurent tous un sommeil réparateur, et purent repartir dès le lendemain matin. Après moult remerciements, ils prirent congé de Mûgond et de son étrange refuge. Ils sortirent de la tour, marchèrent sur le chemin de ronde, puis empruntèrent la chaussée d'Annur-Ien-Snëh. C'était une vision assez atypique. Ils se tenaient au milieu d'une large vallée glaciaire, d'un blanc immaculé, au travers de laquelle se trouvait une longue et rectiligne chaussée de pierre noire sur laquelle ils devaient marcher en file indienne. Après un petit kilomètre de ligne droite, la chaussée plongeait et zigzaguait au gré des dénivelés, épousant l'inclinaison de la pente, puis elle remontait en flèche et disparaissait de leur vue en passant sur une hauteur. Après une longue marche, ils parvinrent à en atteindre le sommet. Le spectacle qui s'étala alors sous leurs yeux était à la fois admirable et terrifiant. La chaussée se muait en pont dont les piliers disparaissaient dans un gouffre si profond qu'ils n'en devinaient pas le fond et si long qu'il s'étendait à perte de vue si bien à leur gauche qu'à leur droite. Il était large d'environ cent-cinquante mètres.
«Il nous faut traverser ce pont, constata Katenbau.

- Il me paraît solide, dit Lëkor. Mais méfions-nous, s'il est aussi vieux que le refuge.

- Je crois que notre premier problème sera d'abord de trouver comment y accéder, glissa Loekan.

L'entrée du pont était bloquée par une porte de pierre noire qu'il était difficile de distinguer de son encadrement.

- Mince alors ! Fit Katenbau en s'approchant de la structure. Comment va-t-on l'ouvrir ? Peut-être que...

Il poussa de toutes ses forces, et, malgré la qualité de celles-ci, la porte ne bougea pas d'un millimètre. Il remarqua un levier fixé sur le montant gauche.

- Humph, peut-être que cela fonctionnera comme çà.

Il tira le levier, et la porte glissa vers le haut à travers un interstice pratiqué sur le montant supérieur. Elle se maintint ouverte durant un instant assez court, puis retomba brutalement.

- Je ne crois pas que plus de deux personnes puissent passer à la fois., dit Loekan.»

Les premiers volontaires furent Katenbau et Grihor. La porte se baissa juste après le passage du paladin, vérifiant les dires du jeune druide. Il apparut bien vite que la porte refusait de se rouvrir tant qu'ils n'avaient pas atteint l'autre extrémité du pont. La traversée par groupe de deux prit beaucoup de temps, et le ciel se chargea à nouveau de nuages menaçants tandis que ceux qui avaient traversés le pont se faisaient de plus en plus nombreux. Un orage éclata au moment où il y eut autant d'aventuriers d'un côté que de l'autre du pont. Le tonnerre grondait et se répercutait en écho dans les vallées, produisant un vacarme assourdissant. Quand Nathyle et Treng-Al atteignirent l'extrémité du pont, les deux derniers compagnons, Ke-lok'tan et Vedila s'engagèrent sur le pont. Alors qu'ils en étaient environ à la moitié du trajet, un coup de tonnerre particulièrement bruyant ébranla les contreforts enneigés. Ils entendirent, loin en dessous un grand vacarme tandis q'une immense avalanche dévalait les flancs de la vallée en dessous d'eux. Ils reprenaient leur marche lorsque le pont se mit à trembler violemment: un ou plusieurs piliers avaient été détruits par l'avalanche.

Un gigantesque et sinistre craquement s'éleva depuis les profondeurs du gouffre, et le pont se déroba sous eux. D'immenses fractures le parcouraient. Ke-lok'tan et Vedila se mirent à courir, le barbare en tête. Un pan entier d'édifice s'effondra dans le vide derrière eux. Celui sur lequel ils couraient penchait en faisant avec la verticale un angle qui allait croissant. Vedila comprit alors qu'elle ne pourrait jamais atteindre l'extrémité du pont. Elle sortit précipitamment une corde de son sac, puis fit un noeud solide autour d'un de ses javelots. Elle prit son élan sur une dizaine de mètres, puis le lança. Le javelot s'éleva haut dans le ciel gris, puis redescendit et se planta dans le sol juste à côté de Besakssen et Omatir qui s'en saisirent immédiatement. Vedila, elle, saisit la corde juste au moment où celle-ci allait lui échapper et se laissa entraîner vers le bord opposé. Ke-lok-tan, qui avait vu la scène en se retournant, se remit à courir aussitôt, car lui ne pouvait espérer lancer sa pique, qui était bien trop lourde. Une partie du pont s'effondra juste derrière lui. Il était encore à quarante bon mètres de la terre ferme. Il courut de toutes ses forces, sauta par dessus une fissure de deux mètres. Le pont entier s'effondrait derrière lui, le rattrapant rapidement. Il restait encore vingt-cinq mètres. La partie sur laquelle il se trouvait l'instant précédent bascula dans le vide. Il fallait très vite trouver une solution. Vedila avait utilisé sa spécialité, le javelot, pour s'en sortit. Quelle était la sienne ? Le combat, pensa d'abord Kel-lok'tan, rien d'utile la dedans, non. Rien d'utile dans la situation présente, si ce n'est peut-être...

Plus que quinze mètres. Le pan de pont sur lequel il se trouvait penchait vers la gauche, faisant déjà un angle inquiétant. Tout s'effondrait autour de lui. Onze mètres. Il prit appui sur son pied droit, puis fit un bond phénoménal. Il s'éleva à plus de deux mètres du sol, tandis que sous lui, la dernière partie du pont s'affaissait comme au ralenti. Six mètres. Il cessa de s'élever, et amorça sa chute. Quatre mètres. Il voyait bien les visages inquiets et étonnés de ses compagnons devant lui, et ses deux frères aînés qui aidait Vedila à remonter. Deux mètres et demi. Vedila. Il ne pouvait pas mourir maintenant. Un mètre. Il tendit les mains devant lui, tandis que disparaissaient au dessus de lui les figures inquiètes, et saisit...le bord du gouffre.

Il s'écrasa contre la paroi de roche, mais tint bon. Au dessus de lui, une clameur enthousiaste et admirative se fit entendre. Ke-lok'tan poussa un soupir de soulagement, et entreprit de remonter sous les applaudissements et les vivats de ses compagnons.
Après l'épisode mouvementé du pont d'Annur-Ien-Snëh, les seize héros ne connurent plus de problème, et ils parachevèrent leur traversée de la chaîne de Tamoe deux jours plus tard. Lorsqu'ils atteignirent la fin de la chaussée, après une ultime montée en zigzag, le blanc uniforme du linceul de neige céda au vert du gazon frais et humide. Ke-lok'tan et Milobrec, d'ailleurs saluèrent ce retour en s'inclinant bien bas, comme devant un grand et magnifique seigneur, et baisèrent l'herbe avec autant de dévotion et de respect que s'il s'était agit des pieds de leurs dieux respectifs.

Cependant une bien mauvaise surprise attendait la coterie lorsqu'ils atteignirent les immenses steppes s'étendant à perte de vue depuis les pieds des monts de Tamoe. Ercala, Minnoca, Treng-Al et Milobrec, qui avaient mal supporté la rigueur du climat de montagne et espéraient trouver là un temps plus doux, furent désagréablement surpris par le vent glacial et cinglant qui régnait en maître sur les steppes qui elles-même semblaient dénuées d'aucun abri de quelque sorte qu'il fut. Seuls les barbares semblaient heureux et enthousiastes de retourner dans leur contrée natale. Omatir, Hörsok, ke-lok'tan mais surtout Besakssen avaient bien du mal à dissimuler leur joie, et ne le faisaient que par égard pour ceux qui ne supportaient pas la bise glacée des steppes. Katenbau, toutefois, se montrait plus prudent :

«Il y a quelque chose qui me dérange, expliquait-il à Loekan. Le paysage est toujours dénudé de cette manière, mais quelque chose me paraît différent. On dirait qu'il y a une vigilance à l'affût, par ici.

- Il s'agit peut-être de celle de Baal.

- De plus, on ne voit personne. L'endroit n'a jamais été très populeux, mais on n'est sans doute plus très loin de Sescheron, et il y a souvent des aller-retour. Or on ne voit personne.

Il ignorait que les habitants de Sescheron pour la plupart, servaient de repas aux corbeaux et aux autres charognards et opportunistes.

- Harrogath est à environ cinq jour de marche, les interrompit Lëkor. Nous partirons demain avant l'aube. J'espère que nous n'arriverons pas trop tard.»

A cinq jour de marche de là, au nord-ouest, l'armée de Baal entamait le siège d'Harrogath. Au grand désespoir de Nek, qui était un bon dormeur, la coterie reprit donc sa route avant les plus pâles lueurs de l'aube et marcha vers le nord-ouest à travers un paysage nu et venteux. Ils marquèrent une pause vers midi. Milobrec et Grihor se portèrent volontaires pour aller chercher du combustible.
«Alors, frère paladin, dit Milobrec tandis qu'ils s'éloignaient des autres, qu'as-tu donc fait après la mort de Diablo?

- Comme avant, j'ai vagabondé un peu partout dans l'Ouest, j'ai arpenté le Westmarch en tous sens, fit Grihor d'un air vague.

- Tu n'es pas retourné auprès de ton clan ?s'étonna l'autre.

- Ils voulaient que je devienne leur chef. J'ai refusé, car l'humilité a toujours été une vertu de ceux que vous appeliez «les déchus».

- Noble décision. Vois-tu, mon destin as été étrangement semblable au tien. J'avais décidé de revenir à Travincal pour y refonder la religion de zakarum. Et j'ai été imité par nombre de paladins qui étaient en mission sur Sanctuary durant la chute du Grand Conseil. Nous avons tout nettoyé, purifié, et nous avons même condamné toutes les entrées de la tour du gardien. Après, un de mes collègues à proposé de me nommer Que-Hegan, et j'ai refusé. La lettre de Loekan a fait office de justificatif. Je me suis rendu compte que les responsabilités politiques n'étaient pas pour moi.

- Mêmes effets, mais causes différentes, dit Grihor. Car les responsabilités ne m'effraient pas.

- Enfin, tout n'est pas si mal. Nous nous retrouvons tous après presque un an; j'oserai presque dire que le retour de Baal est une bonne chose, si jamais nous pouvons le vaincre sans qu'il ait eut le temps de faire trop de victimes.

Au moment même où il disait cela, l'armée de la destruction venait de laminer complètement la tentative de sortie orchestrée par le chef militaire d'Harrogath.

- Tiens, voilà du bois mort, poursuivit Milobrec, rama...

Grihor ne témoignait pas le moindre intérêt au bois mort. Il avait subitement placé sa main devant la bouche de Milobrec, et, comme pour répondre au regard interrogateur que lui adressa ce dernier, il montra le ciel du doigt. Un petit nuage noir se détachait sur l'horizon et avançait rapidement vers eux.

- Partons !dit Grihor, et tous deux s'élancèrent vers les autres.

Lorsqu'ils arrivèrent en courant, essoufflés et bredouilles, force sourcils se levèrent.

«Que faites-vous ? demanda Lëkor.

- Des espions, il faut se cacher!»

Nathyle disparut presque aussitôt. Tous les autres allèrent se glisser sous des anfractuosités situées sous de lourds rochers qui se trouvaient çà et là dans la plaine, et tout autour de leur campement. Quelques instant plus tard, un vol de corbeaux passa au dessus d'eux, décrivit plusieurs cercles au dessus du campement, puis repartirent vers le sud.

«Il va falloir voyager de nuit, dit Lëkor. Si Baal nous envoie des espions, c'est qu'il a déjà atteint Harrogath. Notre seul espoir est la surprise, il nous faudra enfoncer par derrière les lignes du siège, et ce sera sans doute assez difficile. Si jamais des espions nous repèrent, Baal aura en plus tout loisir de nous créer un «comité d'accueil». Si nous tardons trop, nous trouverons Harrogath prise et alors il n'y aura plus d'espoir.
A partir de maintenant, nous voyagerons de nuit, nous nous cacherons le jour pour dormir et établirons des tours de garde.»

Ce fut une bonne initiative. Ils devaient progresser à l'aveuglette la nuit, mais en contrepartie, ils ne risquaient pas d'être repérés par les espions qui étaient de plus en plus nombreux à sillonner le ciel, passant et repassant au dessus d'eux. Trois nuits plus tard, ils purent voir distinctement leur objectif :le mont Arreat, dressé seul au milieu des steppes, et Harrogath, juste à son pied. Une masse noire indiquait que grand nombre d'êtres encerclaient la cité. Ils dormirent la journée sous de gros rochers, divisés en plusieurs groupes pour autant d'abris. Grihor, allongé, ne dormait que d'un oeil quand Ercala vint vers lui:

«Serons-nous bientôt arrivés ? chuchota-t-elle. Je t'ai vu parler avec Lëkor et Katenbau.

Son visage était pâle et très légèrement creusé, mais cela n'ôtait rien à sa grande beauté, pensa Grihor.

- Bientôt arrivés...heu...oui, oui nous devrions y être demain, bafouilla-t-il.

Il se sentait exceptionnellement ridicule et stupide. Il espérait au moins n'avoir pas rougi.

- Milobrec a dit que c'était uniquement grâce à toi que l'on a pu échapper aux espions. Je dois avouer que c'est seulement maintenant que...que je réalise que c'est sérieux. Je veux dire, j'étais presque heureuse d'apprendre que nous serions réunis, et je n'avais pas vraiment réalisé la gravité de la cause de cette réunion.

- Ah ? hé bien, bredouilla Grihor, au moins tu es sur tes gardes maintenant...

Presque aussitôt, il eut envie de disparaître tant il se sentait idiot. Ercala ne sembla pas l'avoir écouté, et se rapprocha de lui. Elle était vraiment très belle.

-J'ai mal vécu le fait de me retrouver à nouveau seule, tu sais... j'ai dû m'isoler pour combattre le démon qui me possédait quand j'étais petite, et la méditation n'était vraiment pas une chose agréable. Pour trouver la volonté de continuer, j'ai très souvent pensé à toi.

Le visage d'Ercala se rapprocha encore du sien. Elle semblait avoir les larmes aux yeux.

- Je ne te l'ai jamais dit avant, mais je suis vraiment très heureuse que tu sois là...»

Elle était bien trop près. Grihor vit la lueur évanescente d'une larme qui, retenue un moment par l'un de ses cils, brilla comme une étoile à la beauté pure, éternelle et inaccessible. Leurs lèvres se rapprochèrent lentement, irrésistiblement, puis se joignirent, et Grihor connut un bonheur délicieux, comme il n'en avait encore jamais connu auparavant.

Lorsqu'il fut réveillé par la lumière orange du crépuscule, Grihor la trouva allongée à ses côtés, sublime dans son sommeil. Il regarda autour de lui, et, lorsqu'il vit ses amis, pour la plupart endormis, il fut partagé entre le désir de tout leur raconter et celui de ne rien dire jusqu'à la mort. Finalement, il attendit que le soleil disparaisse derrière l'horizon pour aller réveiller les autres, et ne leur dit rien des évènements de la journée.
Lorsque le ciel fut tout à fait noir, ils reprirent leur voyage et marchèrent sur Harrogath. Ils y arrivèrent une demi-heure plus tard. Le mont Arreat était bel et bien solitaire dans la plaine, mais son pied était un paysage jalonné de combes et de collines. La cité barbare avait été bâtie sur l'une des plus hautes, tout près du pied de la montagne. Sous les murs, la pente était donc assez raide, et l'on avait ainsi une cuvette en forme de cercle autour de la ville, parce que tout autour s'élevaient d'autres corniches. L'armée de Baal remplissait la cuvette de manière anarchique, encerclant la cité, puis de là partait une colonne qui grimpait sur Arreat. La coterie se trouvait juste derrière une des collines enserrant la cité, n'osant en atteindre le sommet de peur d'être repérés. Là étaient assis en cercle quinze des seize compagnons. Nathyle, que l'on avait envoyé en éclaireur pour sa discrétion, revint et glissa un mot à l'oreille de Lëkor. Celui-ci se leva et se plaça au centre du cercle.
«Bien, commença-t-il, nous sommes ici au sud-sud-est par rapport à Harrogath. La porte est orientée face au nord-ouest-ouest. D'après Nathyle, la corniche se prolonge en faisant le tour de la ville. Nous pourrons donc atteindre une position orientée au sud-ouest-ouest. Nous passerons la nuit là-bas et chargerons à l'aube.»
Sur ce, la troupe se mit en branle et atteignit son objectif, où elle passa le reste de la nuit à se reposer avant la bataille. Seuls Lëkor, Loekan, Katenbau et Grihor restèrent éveillés.
«Nous devrons être le plus efficace possible. Il ne s'agit pas de repousser à nous seize une armée de plusieurs milliers de démons, mais bien de traverser les lignes jusqu'à atteindre la porte. Pour cela, il faudra qu'un barbare se montre, fasse mine de passer là par hasard, et attire quelques monstres de ce côté de la colline.
-Je suis volontaire, dit Katenbau.
-Tes frères le seront peut-être aussi. Nous devrions de toute façon mettre cela au point demain au réveil. En attendant, reposons-nous.»
Ils s'endormirent tous les uns après les autres, puis l'aube arriva. Une fois qu'ils furent tous sur pied, Lëkor convoqua les cinq frères barbares à qui Katenbau avait expliqué la situation.
«Un seul d'entre vous devra faire diversion. Comme vous semblez tous être volontaires, nous devrions tirer au sort celui à qui échoira la tâche. Il y a dans ce sac quatre potions de dégel, et une d'endurance. Celui qui tirera la potion d'endurance sera le «gagnant». Vous allez tirer les uns après les autres du plus âgé au plus jeune.
Katenbau s'avança donc le premier; il fouilla donc un moment, puis sortit une potion de dégel. Sa mine se renfrogna un peu. Besakssen vint ensuite. Lui aussi parut déçu lorsqu'il vit la potion de dégel qui avait tiré. Tout se jouerait donc entre Omatir, Hösrok et Ke-lok'tan. Omatir tira une potion de dégel et parut fort contrarié. Hösrok, avant dernier, tira la potion d'endurance.
-Hösrok, tu devras donc nous amener quelques démons.
-J'y vais.»

Dans la cuvette, les démons s'affairaient toujours à alimenter les catapultes qui faisaient pleuvoir la mort sur Harrogath. Parut alors un barbare seul, derrière eux qui lança un puissant cri de guerre, et fondit sur les lignes arrière des assiégeants. Il en faucha quelques-uns uns, puis s'en alla rapidement. Un capitaine hurla un ordre, et une troupe de démon partit à sa poursuite, tandis que les autres reprirent leurs occupations.
Bientôt quelques démons revinrent sur le sommet de la corniche, mais leur peau était gris sombre. Lorsqu'ils furent rejoins par force squelettes guerriers et squelettes mages, ainsi qu'un puissant grizzly et un vol de corbeaux, le capitaine qui avait gardé un oeil sur ses arrières comprit qu'il s'agissait de ressuscités. Il hurla à ses troupes de se tourner et de faire face au moment même où les créatures invoquées chargèrent. Puis une étrange créature qui semblait voler en l'air apparut. C'était Ke-lok'tan, qui termina son saut magistral au milieu de ses ennemis, en tuant l'un d'eux dès sa réception. Là, il se battit avec rage, jouant de la lance et aussi parfois du poing. Reparut ensuite Hösrok, qui entra dans une trombe interminable qui fit grand nombre de victimes. Puis, ensuite, deux silhouettes effrayantes, un ours et un loup-garou, qui foncèrent, en proie à une rage aveugle, sur les assiégeants.

Non moins enragés et effrayants, Katenbau, Besakssen et Omatir fondirent sur leurs ennemis et firent un carnage. Puis, Ercala, Nera et Treng-Al firent pleuvoir un déluge de sorts :feu, froid, poison et foudre se déchaînèrent sur les démons. Nathyle ne fut pas en reste: elle se glissait comme une ombre derrière ses ennemis, elle les égorgeait, et ses serpes katar tranchèrent des dizaines de cous. Vedila embrochait tout démon qui passait à sa portée. Minnoca et sa walkyrie firent une véritable boucherie à l'arc et à la lance. Lëkor enfin se montra, et réinvoquait ses troupes, puis les dirigeait mentalement, en multipliant manoeuvres hardies et attaques sur les flancs. De temps à autres, il jetait des sortilèges qui causaient grands dommages. Enfin, côte à côte, pavois contre pavois, les deux paladins Grihor et Milobrec chargèrent en même temps, balayant tous les démons devant eux. Brûlés, gelés, foudroyés, empoisonnés, tranchés, démembrés, broyés, empalés, annihilés, massacrés, laminés, tels furent les démons de l'armée de Baal. Mais ils étaient surtout innombrables. Et bientôt les seize héros s'étaient arrangés en cercle, les plus forts, barbares, paladins, ours et loup-garous, ainsi que Vedila la lancière, s'étant disposés de manière à protéger les sorcières, nécromanciens, assassins et Minnoca, qui préférait l'arc au corps à corps. A l'intérieur de la ville, on avait entendu les rumeurs du combat, et les gardes regardaient d'un air dubitatif les seize héros résister face à plusieurs centaines de démons qui se massaient autour d'eux. Ils progressaient toutefois vers les portes, et là se placèrent en demi cercle le temps que les gardes, puissent soulever la herse. Une fois ceci fait, ils passèrent les portes un à uns, en s'assurant que les démons ne puissent les suivre dans la cité. Les lourdes portes se refermèrent derrière eux, tandis que le matin se levait sur Harrogath, un matin synonyme d'espoir.
Bien que le matin ne se levât qu'à peine, de nombreux habitants étaient dehors. La rumeur selon laquelle une poignée d'étrangers étaient venus en traversant les lignes ennemies s'étaient répandue comme une traînée de poudre. Mais les visages n'étaient pas soulagés, heureux, ni même bienveillants. Les seize héros restèrent un moment ainsi, dévisagés par tous, sur la place principale de la ville, jusqu'à ce qu'un vieux barbare, à la barbe longue et d'argent, portant fièrement une armure d'apparat, vint se présenter à eux comme étant le chef militaire de la ville.

«Bonjour, dit-il d'un ton solennel, je suis Qual-Khek, le commandant des forces armées d'Harrogath. Comme vous avez pu le remarquer de la façon la plus directe, nous sommes en guerre. On peut même dire que nous sommes en état de siège. L'armée de Baal, plus nombreuse et mieux équipée, a laminé celle d'Harrogath. Nos forces ici sont trop faibles pour même espérer faire une sortie. Nombre de mes hommes sont encore dans les cols sur Arreat. Le peuple souffre de famine et misère, et ces maudites catapultes font pleuvoir la mort sur les murs, et parfois jusque dans la cité ! Grand est notre désespoir, et notre situation est urgente.

Mais ce n'est pas pour autant que vous serez considérés ici comme des sauveurs. Nous sommes un peuple fier, même dans la détresse. Ce n'est pas votre «arrivée en fanfare» qui suffira à vous faire passer pour des héros. Vous n'êtes que des soldats de plus. N'espérez pas qu'on vous pleure si vous venez à périr.

- Nous avons traversé toutes les lignes du siège pour venir jusqu'ici, s'indigna Milobrec. N'est-ce pas là une preuve suffisante de notre valeur ?

- Votre charge n'a rien arrangé à notre situation. Nous n'avons nul besoin d'étrangers pour nous venir en aide !

- La peste soit des barbares et de leur nuque roide ! S'écria Milobrec.

S'en était de trop pour l'orgueilleux Qual-khek. Il sortit son épée d'un air menaçant, et Milobrec fit de même dans l'instant suivant. Les choses auraient pu mal tourner si Katenbau ne s'était pas interposé. Lëkor prit alors la parole:

- Du calme, messieurs, allons ! Dit-il d'une voix forte. Nous ne sommes point venus ici pour déclencher un esclandre. Songez donc à ce que penserais de nous Baal, s'il nous voyait. Que ne rirait-il, en nous voyant aussi prompt à la querelle !

- Nous devrions nous retirer, dit Katenbau, viens, Milobrec.»

Et tous trois s'en allèrent rejoindre les autres, qui s'étaient dispersés dans la ville.

Plus loin sur la place, Loekan, Nera, Ke-lok'tan et Minnoca parlaient avec un vieillard qui ne leur était pas inconnu.

«Cain ! Sursauta Ke-lok'tan. Vous, ici ?Quelle incroyable surprise !

- Et une bonne surprise assurément, ajouta Nera. Il est heureux que vous soyez là.

- Mes recherches m'ont amené à découvrir que Diablo nous avait tous jeté un sort, qui nous a fait oublier la quête de Baal. Je me suis empressé de venir à Harrogath d'où je comptais vous contacter. Mais l'armée du seigneur de la destruction m'en a empêchée, en encerclant cette cité. Mais si vous êtes ici, c'est que Lëkor a réussi à découvrir également la supercherie de Diablo.

Nera sourit.

- En fait, Lëkor, n'a pas découvert la même chose que vous.

- C'est moi qui l'ai fait, et j'ai également contacté les autres, dit Loekan.

- Vraiment ! Hé bien tu as du mérite, jeune druide, d'avoir été plus vif d'esprit qu'un horadrim. Mais peu importe la personne, Baal est démasqué, c'est bien le plus important.

Deckard regarda autour de lui puis dit :

- On ne peut pas dire que vous êtes fêtés en sauveurs, dites-moi.

- La fierté du peuple barbare, dit Ke-lok'tan. Elle va déjà jusqu'au chauvinisme, et pourrait même frôler la xénophobie par moments. Cela changera, je l'espère, si les étrangers que la plupart d'entre nous sommes, viennent à sauver Harrogath.

- Oui, marmonna Cain, si vous parvenez à la sauver.»

Alors que Nathyle, Omatir et Treng-Al se promenaient au sud de la ville, le regard de ce dernier fut retenu par un homme, tentant vainement de réchauffer ses mains à la chaleur d'un petit feu, qui était vêtu à la manière des nécromanciens. Voyant l'intérêt que lui portait le jeune homme, celui-ci ne tarda pas à s'approcher d'eux.

«Permettez que je me présente, voyageurs. Je suis Nihlathak, membre de l'ancien cercle des patriarches. Je vous ai vu arriver du sud. C'est fascinant de voir comment vous autres combattants, vous ressemblez à des papillons de nuit. Vous tournez toujours autour de la mort, comme l'insecte le fait avec une flamme, vous tournez toujours, attirés, par la mort. Souvent vous vous approchez tout près, mais, juste après, vous parvenez à vous retirer. Et puis, irrémédiablement, vous finissez par brûler, par toucher la mort.

Personne ici ne croit en votre valeur, car de toute manière, on ne peut arrêter cette armée. Il vous sera impossible de vaincre, car personne n'est assez fort pour le faire. L'insecte croit toujours qu'il ne fait que tourner, mais il finira par mourir, il en est de même pour vous.
Toutefois, si votre folie vous amène tout de même à vouloir approcher la mort, je peux peut-être vous procurer armes et armures qui permettront de repousser la fatalité de votre sort.»

Treng-Al, Nathyle et Omatir, sans la moindre politesse, quittèrent le vieil homme comme s'ils n'avaient jamais cessé de marcher.
Hösrok, Ercala et Grihor passaient devant une grande bâtisse en pierre qui semblait être d'origine volcanique, lorsqu'ils virent à l'intérieur une vieille femme, les cheveux gris, le visage ridé et fatigué et le dos courbé qui leur faisait signe d'approcher discrètement. Intrigués, ils échangèrent un regard avant de la suivre. L'intérieur était une grande salle, dont la plupart des murs se couvraient d'immenses bibliothèques, étagères et armoires. De lourds manuscrits, des récipients bombés ou allongés, des bocaux contenant d'étranges poudres et des organes d'animaux baignant dans un liquide vert translucide, de vieux grimoires couverts de poussière dont les reliures s'émiettaient, des bouteilles et des flacons renfermant gaz et liquide de couleurs diverses, des potions de soins et des poisons mortels et moult fioles vides s'y alignaient à perte de vue. De nombreux lits de pailles avaient été aménagés le long d'un mur nu, et maints guerriers blessés y étaient allongés, endormis ou mourants. Grihor ouvrit la bouche dans l'intention de demander à la vieille femme où ils se trouvaient, mais celle-ci lui incomba de se taire d'un geste brusque. Elle les amena, par un escalier mitoyen au fond de la pièce, à une salle vide de tout occupant.

«Je me présente, dit-elle en fermant avec soin la porte derrière elle, je suis Malah, guérisseuse à Harrogath. Cet endroit est mon établissement. Je ne vous ai pas parlé, car nous aurions pu être entendu par des oreilles indésirables. Qual-Kehk ne souhaite pas que je m'entretienne avec vous.

- Et pour quelle raison ? demanda Hösrok

- Il se méfie de vous et de vos amis, comme la plupart des gens ici.

- Cela signifie-t-il que vous, vous nous faites confiance ? La questionna Grihor.

- Je pense effectivement que votre arrivée ici est une bonne chose. Bien que Qual-Kehk se refusera à jamais l'admettre, nous avons besoin de vous. Vous devez comprendre que c'est un homme fier, comme tous ici. Et la fierté, mélangée à l'impuissance et au désespoir, ne fait pas bon ménage. La seule chance pour vous de vous faire accepter par les hommes de cette cité sera de faire vos preuves au combat. En attendant, vous pourrez compter sur mon soutien, qui consistera à vous vendre des potions et onguents de guérison. C'est malheureusement la seule chose qui soit en mon pouvoir.

- Avez-vous aucune idée de la manière dont nous pourrions «faire nos preuves» ?lui demanda Ercala

- Vous devriez aller voir le forgeron Larzuk, qui consentira sans doute à vous éclairer. Maintenant, excusez-moi, mais j'ai là de nombreux blessés qui ont besoin de mes soins. Bonsoir.»

Ils prirent congé de la vieille guérisseuse, et se mirent en quête de rejoindre les autres.

Plus loin, Besakssen, Vedila et Nek se rendaient chez le forgeron. Ils le trouvèrent affairé à son échoppe. Il rangeait une épée fraîchement forgée dans un coffre qu'il referma avant de les saluer.

- Bonjour, dit-il, je suis Larzuk, forgeron d'Harrogath. Soyez les bienvenus dans ma boutique !

- En fait, dit Besakssen, nous désirerions que vous répariez nos armes.

- Mais certainement; passez-moi votre hache, et suivez-moi à ma forge.

Arrivé là-bas, il observa l'énorme hache du barbare, au manche solide et à la vaste lame.

- C'est une belle arme que vous avez-là.

- N'est-ce pas ?

- De facture remarquable, poursuivit Larzuk. Mais le bord de la lame s'est légèrement émoussé. Vous avez du trancher un peu trop d'os ce matin, sourit-il d'un air entendu.

Il se mit au travail, et répara successivement la hache de Besakssen, la pique de Vedila (devant laquelle il déclara n'avoir jamais vu une lance aussi étrange), puis la faux de Nek. Son corps luisait de sueur dans la chaleur étouffante de la forge, malgré la brise froide qui s'y infiltrait. Il sifflait un air lent et grave en travaillant, mais gardait les yeux fixés sur son labeur. Sans quitter des yeux l'enclume sur laquelle il réparait le tranchant, il leur dit :

- Si vous êtes ici pour vaincre Baal, vous devez faire vos preuves ! Alors même que nous parlons, Harrogath est assiégée par les démons de Baal. De l'extérieur des remparts de la ville, les catapultes font pleuvoir la mort. Quant à Baal, il se rend au sommet de la montagne sacrée après avoir laissé le commandement des ses troupes à l'un de ses plus vicieux généraux, Shenk le surveillant. C'est un tyran sans pitié qui lâche sur le champ de bataille ses sbires en proie à une folie meurtrière et suicidaire. Si vous voulez faire vos preuves, détruisez Shenk, ce monstre qui commande les catapultes infernales à l'extérieur d'Harrogath. Si vous réussissez, vous obtiendrez le respect des habitants de cette cité.»
Il leur rendit leurs armes, puis ferma boutique.

Tous se réunirent dans les appartements de Deckard à l'heure du déjeuner. Ils parlèrent un peu de sujets et d'autres, puis ils en vinrent rapidement à l'accueil plutôt froid qui leur avait été réservé.

«Le chef militaire refuse de prendre en compte notre valeur au combat, dit Katenbau. Il est convaincu que nous ne pouvons pas vaincre Baal et sa clique, pas plus que ses hommes.

- Un certain Nihlathak, un marchand, est du même avis, ajouta Nathyle. Il est même persuadé que nous allons mourir de la main des serviteurs de la destruction. C'est nos motivations même qu'il met en doute. Cependant, il veut bien nous ouvrir sa boutique...

- Il ne me plaît pas, la coupa Treng-Al. Tout paraît faux chez lui, et même sa cupidité semble cacher autre chose de bien pire.

- Il ne me plaît pas non plus, rétorqua-t-elle, mais s'il est le seul à nous proposer de l'équipement...

- Je vois que l'hostilité des assassins pour les mages «corrompus» est très relative et contextuelle, ironisa le jeune nécromancien.

Nathyle saisit ses griffes, mais Lëkor la retint.

- Allons, allons, sachez vous tenir, jeunes gens, dit Cain d'un ton autoritaire qui provoqua une surprise générale. N'y a-t-il personne d'autre qui puisse vous assister ?

- La vieille guérisseuse Malah est totalement acquise à notre cause, dit Hösrok en se levant. Elle veut bien nous vendre potions et parchemins. Elle nous a aussi recommandé de voir un certain Larzuk, un forgeron, qui saurait comment nous faire gagner la confiance des habitants.

Vedila se leva à son tour.

- Nek, Besakssen et moi même l'avons rencontré.

Elle leur répéta alors les paroles du forgeron, et lorsqu'elle eut terminé, Lëkor dit:

- Il est donc clair que le seul moyen à notre connaissance d'obtenir la confiance des habitants est de tuer ce Shenk. C'est donc ce à quoi nous nous appliquerons dès cet après-midi.»

Ils quittèrent bientôt les murs de la ville. Leur premier objectif était de vider la cuvette qui enserrait la ville, et qui était encore occupée par une armée de démons. Ils se divisèrent en deux groupes. Le premier, composé de Lëkor, Katenbau, Omatir, Besakssen, Nera, Nek, Milobrec et Minnoca, prit la direction du nord après les portes, et fit le tour de la ville dans le sens des aiguilles d'une montre. A l'inverse, le second groupe, composé de Loekan, Hösrok, Vedila, Ke-lok'tan, Treng-Al, Ercala, Grihor et Nathyle prit la direction du sud entreprit l'opération inverse. Les deux groupes progressaient rapidement, repoussant les démons devant eux, abattant systématiquement ceux qui résistaient, détruisant quelques catapultes et renversant des barricades de fortune. Ils se rejoignirent au sud-est, et les démons se trouvèrent alors coincés entre deux feux, mais il en restait encore un petit millier. Les gardes qui se tenaient sur les murs purent alors voir la scène, et se souvinrent à jamais de l'incroyable boucherie. En moins d'une heure, seize aventuriers avaient brisée une armée forte de quatre mille démons.

Au nord-est, la cuvette circulaire se réduisait à une vallée qui montait en serpentant vers le pied de la montagne. Là se tenaient encore des légions fraîches. Leur capitaine fut alors empli d'un courroux sanguinaire à la vue des aventuriers qui approchaient de sa position, et ordonna une charge. Les démons envahirent une nouvelle fois la cuvette telle une déferlante. Les aventuriers se trouvèrent bousculés, et manquèrent d'être emportés par la vague de démons enragés. Ils perdirent du terrain, puis finalement reprirent peu à peu le contrôle de la situation. Une charge de démons ressuscités sur les flancs de leurs anciens camarades paracheva la défaite totale de l'armée de Baal. Leur capitaine fut vaincu en duel par Loekan. Les seize purent alors s'enfoncer dans la vallée à la recherche de Shenk le surveillant et de ses catapultes infernales. Là leur progression fut plus difficile, car bien que leurs ennemis y étaient moins nombreux, leur chemin était barré de nombreuses tranchées et fossés dont le sol était garni de pointes dressées. A la tombée de la nuit, ils durent abandonner, fatigués et blessés. Ils se promirent de revenir à la charge dès le lendemain.

Ils passèrent la nuit à l'étage de la demeure de Deckard. Seul Lëkor ne semblait pas devoir trouver le sommeil. Finalement, il se leva discrètement et sortit de la maison, puis s'adossa à un mur, et contempla le paisible ciel étoilé. Il entendit le son de pas qui s'approchaient.

«Tu n'arrives pas non plus à t'endormir ?demanda Loekan

- Non. Répondit-il simplement avant de reporter son attention sur les étoiles.

Loekan ne dit rien pendant un moment, puis:

- Tu n'est pas très heureux de ce qui se passe, dirait-on.

- Qui le serait ?

- Ne me prend pas pour un idiot. Je veux dire que tu n'as pas trop envie de recommencer à combattre le mal.

Lëkor se retourna.

- C'est vrai. Contrairement aux autres, j'aurai préféré ne pas quitter la quiétude de ma retraite. J'en ai assez de me battre.

- C'est de ton devoir. Tu es le plus fort d'entre nous. Tu es notre chef !

- Ne serais-ce donc pas la moindre des reconnaissances que de pouvoir couler des jours tranquilles après avoir sauvé Sanctuary ? Tempêta Lëkor. Faudra-t-il que nous protégions ce monde contre la menace démoniaque jusqu'à ce que nous soyons vieux et gâteux ? Est-ce là notre récompense pour avoir vaincu deux des Trois que de devoir remplier pour combattre le troisième, et ce sous les insultes de barbares incompétents et bouffis d'orgueil ? Est-ce ainsi que l'on nous remercie d'avoir vaincu Diablo ?

- Tu sais très bien que ce mal que nous combattons n'est le fait ni de l'ingratitude ni de la lâcheté de ceux que nous avons sauvé par le passé. Tu sais très bien de qui c'est le fait, et tu sais aussi que tu n'es pas trop vieux pour combattre sa volonté.

- Qui sais...mon corps a bien vieilli en un an, bien plus vite qu'il ne l'aurai du. Je me sens vieux, Loekan, vieux et inutile.

- Tu as vieilli, mais tu n'as point dépéri, mon frère, tu es toujours le chef, et chacun a confiance en toi.

- Peut-être ne suis-je plus digne de leur confiance. Je ne suis plus un meneur, c'est à toi, et aussi à Katenbau d'assurer la relève. Je ne suis guère plus qu'un symbole, à présent. Je ne me bats plus aussi bien qu'auparavant.

- Cela, seul le temps le montrera. Tu dois te montrer fort, et vaillant, et cela tu le peut toujours. Tu sais mieux qu'aucun de nous autres motiver ceux qui te suivent.

- Peut-être as-tu raison. Je me dois encore de montrer l'exemple.

Il se redressa de toute sa stature.

- Il ne sera pas dit de Lëkor qu'il abandonne devant la difficulté. Baal ne me fait pas trembler. Demain sera une journée rouge, et le sang pleuvra sur le champ de la bataille ! Et l'honneur sera taillé à coup d'épée dans la chair des ennemis ! Demain périra Shenk, et Harrogath verra alors quelle est notre valeur. Allons, maintenant, reposons-nous jusqu'à l'aube, et que demain soit le témoin fugace d'un carnage glorieux et historique !».
Lëkor n'était point devin, mais il avait prédit juste. Les seize progressèrent rapidement dans parmi les collines sanglantes, et seul à les ralentir fut un commando de farfadets qui leur tendit une embuscade à un moment où la vallée qu'ils empruntaient s'amincissait. Ils étaient très mobiles, et se déplaçaient rapidement à l'aide de la téléportation. Seuls les sortilèges de glace de Nera purent en venir à bout, mais ils n'avait nulle emprise sur leur chef, Dac Farren. Après un combat haletant, Minnoca, qui était restée en arrière, le tua d'une flèche en plein front.

Par la suite, l'étroit chemin s'élargissait en une large gorge. Ils y affrontèrent non seulement des servants damnés, qu'ils avaient déjà combattu la veille, mais aussi des malfaisants sombres, créatures de cauchemar possédant deux tentacules aux mains qui avaient la faculté de se mouvoir sous terre et d'en ressortir afin d'empaler l'ennemi sur pied. Ils évitèrent les tranchées, mirent le feu aux catapultes, abattirent les palissades, mirent en déroute l'armée de Shenk. Cependant, quand ils arrivèrent vers celui-ci, il durent faire face à un ennemi singulièrement déplaisant. Shenk le surveillant était un démon à la vaste panse, presque entièrement couvert de plaques d'acier à l'exception de son ventre énorme et disgracieux, et armé d'un fouet à la lanière d'un longueur exceptionnelle. Il se tenait sur un promontoire, en compagnie de nombreux servants damnés; mais lorsqu'il fouettait ces derniers, ceux-ci changeaient. La partie supérieure de leur corps, s'emplissait de gaz explosif au point que l'on ne pouvait plus distinguer la tête du torse, et là, en proie à une folie suicidaire, il fonçaient sur leurs ennemis et explosaient violemment à leur contact.

Les aventuriers avaient déjà bien du mal à éviter les monstres suicidaires, ils ne pouvaient pas atteindre Shenk.

«Il va falloir le prendre à revers !cria Lëkor. Divisons-nous en trois groupes, l'un restera là pour contenir l'ennemi, les deux autres contourneront par la gauche et la droite.

Ainsi, deux groupes de cinq partirent respectivement vers la gauche et la droite. Celui de Lëkor alla à gauche. Ils abattirent quelques démons, mais Lëkor donna l'ordre de ne pas détruire les catapultes.

- Regardez !

Il montra le second groupe, au loin, ceux qui étaient passé par la droite avaient chargé dans l'espoir d'enfoncer Shenk par le flanc. Mais ils étaient également bloqués par les suicidaires.

- Nous échouerons aussi si nous les imitons. Faites pivoter les catapultes !

Les engins de siège tournèrent sur eux mêmes dans un grincement strident. Des projectiles apparurent par magie dans les réceptacles.

- Feu !»

De leur côté, les autres groupes connaissaient de grandes difficultés. Les monstres suicidaires se renouvelaient au fur et à mesure qu'ils explosaient. Shenk était tout proche de la victoire lorsque plusieurs projectiles enflammés s'écrasèrent sur lui en même temps. Les servants damnés, paniqués, n'opposèrent plus grande résistance, et ils purent retourner à Harrogath, harassés de fatigue mais victorieux.
Des quelques combattants que Qual-Kehk avait envoyé sur le champ de bataille vint la nouvelle de la défaite de Shenk. Ainsi, lorsque les seize compagnons revinrent à Harrogath, ils virent qu'il y avait déjà la fête, car les habitants étaient fort heureux de la fin du siège de leur cité. De tous côtés on les acclama, on les congratula et on les remercia. Enfin, pour parfaire leur succès, Qual-Kehk vint leur parler.

«Il me faut reconnaître avoir été injuste envers vous. Vous êtes de puissants combattants, et nous vous devons entièrement la fin de ce siège. Vous avez déjà fait beaucoup pour nous, et nous devrions sans doute vous être redevables plutôt que le contraire, mais je me permets de vous demander de me rendre un service.

Je m'inquiète pour mes hommes faits prisonniers sur le champ de bataille par les démons de Baal. J'ai peur de ce qui a pu leur arriver. Au cours de votre voyage dans les montagnes, gardez un oeil ouvert et, si vous découvrez où ils sont, essayez de me les ramener.

- Nous ferons tout notre possible pour que le maximum de ces hommes soit libéré, dit Lëkor.

- Et soyez-en assuré, ajouta Milobrec, qui semblait n'avoir pas conservé de griefs contre Qual-Kehk depuis les excuses de celui-ci.

Tous les habitants d'Harrogath, à l'exception de Nihlathak peut-être, semblaient convaincus de leurs chances de tenir bon contre les armées de Baal. Larzuk enfin leur annonça:

- Je vous avais promit une récompense. Sachez que vous pouvez à tout moment m'apporter une arme ou armure en votre possession, afin que je l'adapte pour qu'elle puisse être ornée. Vous pourrez ainsi bénéficier, en plus de celles de votre objet à l'origine, des propriétés des gemmes, joyaux ou runes que vous incrusterez dessus. Vous pouvez à tout moment venir me voir pour cette opération.»

Loin au nord-est, sur les pentes de l'Arreat, ils relâchèrent Alerssen. Il s'écroula de tout son long, au milieu des autres, le visage dans la boue. Un autre corps s'écroula à côté de lui. Il releva les yeux et croisa le regard vide d'expression d'Oleg. Mort. Un filet de sang et de salive barrait son menton, et ses yeux étaient exorbités et injectés de sang. Il tenta péniblement de se redresser, mais son corps brisé n'avait plus la force de se mouvoir. On le souleva et on le mit debout, et il put voir où il était. De nouveau dans l'enclos. Une dizaine de barbares étaient là, la mine hâve et le teint maladif, la silhouette décharnée, depuis plusieurs semaines. La douleur s'effaça peu à peu, et il put alors se remémorer les derniers évènements. Les démons l'avaient emmené pour le torturer, avec Oleg. Ils en emmenaient régulièrement; certains revenaient, d'autres pas. Il s'adossa à la palissade en compagnie d'un type qui venait de l'Ouest du pays, un dénommé Haggörson. Alerssen tenta de remuer sa jambe droite. La douleur lui arracha une grimace, mais il pouvait au moins la bouger. Ce n'était pas le cas de sa jambe gauche; les articulations du bassin et du genou formaient des angles inquiétant, et elle était tout enflée et avait bleui depuis la nuit dernière. Ses deux bras étaient couverts de sang et de blessures, mais il pouvait les utiliser. La pointe d'une lance vint alors lui chatouiller le dos à travers les palissades. Il s'en éloigna rapidement, mais Haggörson ne l'imita pas. Il ne bougeait plus, puis s'écroula en avant, un épieu enfoncé dans le dos.

«On ne touche pas à la palissade ! Se gaussa un démon derrière les barricades.»

Puis la porte de l'enclos s'ouvrit, et trois servants damnés entrèrent. Le premier resta en arrière, et les autres vinrent s'emparer d'Unferth et Lûck, deux amis d'Alerssen. Celui-ci s'empara discrètement du pieu qui avait tué Haggörson, puis se rua sur le troisième servant damné et le poignarda à plusieurs reprises. Dans le chaos qui s'en suivit, Alerssen, Unferth, Lûck ainsi que trois autres barbares se jetèrent sur les démons qu'ils tuèrent à l'aide de pierres. Les autres étaient trop faibles pour s'en aller, et de nouveaux démons approchèrent.

«Courons !» Cria un des fugitifs en s'enfuyant, et les autres le suivirent.

Deux servants damnés et une bête d'assaut étaient sur leurs talons. L'un des trois barbares qu'Alerssen ne connaissait pas fut tué d'un coup d'épée. Les deux autres s'emparèrent d'armes qui traînaient sur le sol et se mirent en tête de venger leur compagnon. Alerssen reconnut l'un d'eux qui n'était autre qu'Emund, le capitaine de sa compagnie. Il tua à lui seul les deux démons, mais ne put sauver son camarade.

Comme pour ramener Alerssen à la réalité, son pied droit se prit dans une irrégularité du sol et il s'écroula de tout son long. Le visage empêtré dans la neige boueuse et à demi-fondue, il commençait à désespérer de jamais pouvoir se relever lorsque Unferth et Lûck vinrent le soutenir sur leurs épaules. Emund arriva derrière eux.

«Il ne faut pas perdre de temps !»

En effet, ce n'était pas tant la lente bête d'assaut qui allait les menacer, mais nombre de diablotins qui faisaient pleuvoir un déluge de boule de feu sur eux. L'un d'elles atteint Unferth dans le dos, et celui-ci s'effondra en hurlant, entraînant Alerssen et Lûck dans sa chute. Emund vint les aider, et les trois derniers survivants repartirent de plus belle au milieu de la tempête de vent, de neige et de feu. Mais leur précipitation les amena à se retrouver piégés dans un cul-de-sac. Devant eux s'élevait une falaise, et derrière eux la bête d'assaut les rattrapait lentement mais sûrement. Alerssen, n'ayant presque plus usage de ses mains pour s'agripper dut trouver un épieu de guerre qui avait été abandonné là par un guerrier sans doute défunt à présent. Tous trois durent escalader la falaise tandis que la bête d'assaut arrivait sous eux. Lûck fut alors trahit par un de ses appuis. Il fit une chute de plusieurs mètres mais parvint à se raccrocher au rocher.

Malheureusement pour lui, il se trouvait désormais à portée du bras de l'énorme démon qui le mis au sol. Le monstre le maintint au sol du pied puis exerça une pression telle que toutes les côtes du barbare cédèrent en même temps. Un dernier hoquet de souffrance et c'en fut fait de lui tandis que son sang rougissait la neige sous son corps. Les diablotins accoururent alors et arrosèrent copieusement Alerssen et Emund de sortilèges de sorte que ceux-ci durent fort se démener pour esquiver les sorts tout en restant solidement accrochés à la paroi rocheuse.
Puis apparut aussi soudainement qu'un éclair une silhouette sombre au beau milieu des démons. Passé un court temps de surprise, la forme décima tous les diablotins en quelques secondes avant d'en faire de même pour la bête d'assaut, puis s'élança et courut sur la falaise verticale comme s'il s'était agit de la verte herbe des steppes, et disparut lorsqu'elle eut passé son sommet. Alerssen et Emund redescendirent alors la falaise tout étonnés, et entreprirent de rentrer tant bien que mal à Harrogath.

Ils atteignirent sans se faire repérer le sentier qui menait aux collines sanglantes, mais ce dernier était gardé par plusieurs servants damnés.
«Ici s'arrête notre espoir de survie. Le passage qui mène aux collines sanglantes est gardé, et quand bien même nous vaincrions nous-même cette brigade-là -Emund montra du doigt les servants damnés-, il nous faudrait encore traverser les lignes du siège, ce dont seule une armée serait capable.

Ils étaient tous deux cachés derrière un empilement de gravats. Alerssen dit alors.

- Je suis blessé, et simple soldat. Ma mort ne coûtera que peu à la cité. Je vais tenter une diversion pour que tu puisses au moins parvenir aux collines sanglantes.

- A cloche-pied, ne sois pas ridicule, répondit Emund. Et cela ne servirait qu'à retarder ma mort. Ton sacrifice serait inutile.

- Je m'en moque...»

Avant qu'Emund aie pu faire quoi que ce soit, il sortit de leur cachette.

Au moment même où Alerssen allait être repéré, un flamboiement bleuté apparut à proximité des démons, puis un imposant barbare armé d'une hache démesurée apparut là où il n'y avait rien encore l'instant précédent.

«Aaaaaaaaarrrrh !»

Il poussa un terrible cri de rage, qui l'amena instantanément dans un état de berserk proprement terrifiant, puis se rua sur les servants damnés dont il ne fit qu'une bouchée. Puis il finit par s'apercevoir de leur présence.

Besakssen se présenta à eux, puis se hâta de les accompagner à Harrogath une fois qu'ils en eurent fait de même. Qual-Kehk les reconnut dès qu'ils eurent franchit les portes. Les deux hommes, cependant, ne trouvèrent pas la force de raconter leur histoire, et on les accompagna chez la guérisseuse.

Malah les accueillit d'un air anxieux qu'elle arborait toujours lorsque arrivaient des blessés de guerre. Elle fit allonger Emund et Alerssen dans son établissement, puis se barricada à l'intérieur, refusant d'ouvrir à quiconque. Une foule grandissante de curieux se massa devant les portes de son établissement, puis, à partir du crépuscule, se dispersa peu à peu. Vers minuit, Qual-Kehk, Lëkor et Katenbau s'y présentèrent et ordonnèrent à la guérisseuse d'ouvrir pour eux, ce qu'elle fit sans rechigner. Il y eut un instant de silence semblable à un recueillement, puis:

«Alors ?

- Emund a de nombreuses cicatrices sur tout le corps, il souffre de nombreuses gelures et infections localisées, il est assez gravement brûlé à l'épaule gauche, et il manque terriblement de nourriture, mais il devrait s'en tirer, et même récupérer rapidement.

Qual-Kehk semblait avoir hérité du rôle d'interrogateur, car il demanda derechef:

- Et Alerssen ?

Malah répondit très vite, et d'un voix volontairement monocorde, mais qui ne parvenait à dissimuler son émotion, et s'emporta bien vite.

- Les muscles de sa jambe droite ont beaucoup trop travaillé. Il a beaucoup de cicatrices et il sembla avoir perdu une quantité non négligeable de sang. Mais c'est sa jambe gauche qui m'inquiète. Elle est toute enflée, et couverte de blessures, toutes infectées. Et les chairs sont noircies par endroit, tandis qu'ailleurs elles sont rouge comme de la viande crue, autre part elles sont jaunes comme un citron, tantôt bleues, parfois même vertes, comme si elles étaient rances, et le peu de peau saine que l'on retrouve sous cet amas boursouflé est blanc comme un linge ! Et elle pue, ah ! Elle exhale des odeurs nauséabondes. Et quand on la coupe, il sort du sang, de la lymphe, du pus, mille humeurs de toutes les couleurs de la nature, et qui puent comme rien d'autre dans la nature, et je ne sais quoi d'autre encore ! Je me demande ce qu'ils ont bien pu faire à ce malheureux... j'ai testé presque tous mes onguents sur sa jambe, mais aucun n'a véritablement marché comme il aurait du. Et dans la soirée, il a commencé à délirer sous le coup de la fièvre, et j'ai du utiliser des somnifères. Je craint qu'il ne faille l'amputer s'il ne va pas mieux demain.»

Sur ce, ils prirent congé d'elle, et revinrent le lendemain. Emund allait mieux, «il se repose», avait dit Malah. Alerssen avait été amputé de sa jambe gauche dans la matinée. Le membre sembla danser tout seul une fois qu'on l'eut ôté à son propriétaire, et on dut le clouer au sol pour le brûler. Au milieu de l'après-midi, Emund sortit de la demeure de la guérisseuse, mais il se rendit directement chez Qual-Kehk. Puis ils virent apparaître Malah.

«Alerssen perdait trop de sang... il est mort voici une heure.

Qual-Kehk voulut la réconforter, mais elle fondit en larmes, se répandit en excuse, et se retira chez elle.

- La pauvre doit souffrir encore plus que nous de cette guerre, expliqua Qual-Kehk à Lëkor, Katenbau et Grihor qui étaient également présents, surtout que son fils est mort.

- Malah a perdu un fils ? Demanda Grihor.

- Malah a perdu son seuls fils dans une embuscade, et nous nous avons perdu le meilleur archer de la cité.

- Cela est terrible, conclut Lëkor.

- Mais nous ne sommes point là pour pleurer les morts, reprit Qual-Kehk, mais pour empêcher d'autres vivants de les rejoindre. Je vous avais dit que certains de mes hommes avaient été fait prisonniers au mont Arreat. Emund a des informations qui pourraient vous aider.

Ce dernier leur tint alors conférence, et leur raconta son histoire, leur indiqua le nombre d'enclos et une approximation du nombre de barbares qui y étaient retenus, et enfin leur communiqua les positions de ces enclos, si bien qu'ils furent prêts à partir à la recherche des otages dès le lendemain, après avoir assisté aux funérailles d'Alerssen.

Malgré les difficultés qu'avait eu Emund a raconté l'enfer qu'il avait subit pendant plusieurs semaines, ils possédaient à présent des informations suffisamment précises, relevées avec une étonnante minutie par le jeune lieutenant, pour entreprendre une opération pour aller libérer les barbares retenus prisonniers sur les hautes-glaces.

Treng-Al, Loekan, Besakssen, Nathyle et Milobrec se déclarèrent volontaires. Alors qu'ils partaient, de nombreuses personnes s'était assemblées sur la place principale, qui donnait sur les portes de la cité, dont Qual-Kehk et Nihlathak. Ce dernier glissa sournoisement :

«On sait déjà que vous pouvez semer mort et destructions, guerriers. Mais cela ne fait point de vous des héros. Etes-vous seulement capables de sauver des vies ? Nous le saurons bien vite, et là les masques tomberont...»

Treng-Al lui adressa un regard si courroucé qu'il jugea préférable de se retirer en marmonnant.

Les quelques démons qui subsistaient dans les collines sanglantes n'offrirent qu'une résistance symbolique. Il en fut cependant autrement dans les hautes-glaces. L'endroit grouillait de diablotins, des démons ridiculement petits et faibles, mais pouvant se téléporter et lancer des boules de feu bien plus grosses qu'eux. Ils harcelaient les combattants, et même la malédiction de décrépitude de Treng-Al ne put rien y changer. Les choses empirèrent encore avec l'arrivée des énormes bêtes d'assaut, des monstres hauts de trois mètres et d'une force prodigieuse, heureusement handicapés par leur lenteur. La tactique des diablotins consistait à harceler les héros avec leurs boules de feu, puis de se téléporter sur les bêtes d'assaut lorsque le combat tournait à leur désavantage. Cette stratégie réussit non seulement à gêner les cinq compagnons, mais aussi à les isoler les uns des autres, tandis que le blizzard achevait de les désorganiser.

Besakssen se retrouva encerclé par un groupe d'une dizaine de bêtes d'assaut. Il poussa un énorme cri de guerre et entama un combat acharné, aveuglé par le vent et ivre de rage, en tranchant tout ce qui passait à portée de sa hache. Quelques instants plus tard, il reprit conscience de lui même, entouré d'un monceau de cadavres. Assez loin devant lui, Nathyle menait un combat acharné contre des diablotins aux abois. A sa gauche, Treng-Al et Milobrec reprenait le dessus sur autre bande de petits démons, qui elle avait préféré se jucher sur des bêtes d'assaut pour vomir des torrents de flammes, tandis qu'à sa droite Loekan et son armée de créature invoquées combattait une horde de servants damnés. Avant qu'il eut le temps de réfléchir à qui aider, il entendit la voix de Nathyle derrière lui:

«Hé là ! Cesse de rêvasser !

Besakssen, se retourna, puis regarda successivement la Nathyle qui se trouvait loin derrière lui, et celle qui se tenait devant lui, les sourcils légèrement froncés, le regard perplexe.

- Euh...Nathyle ?

- Oui, c'est moi, répondit-elle d'un ton agacé et surpris, mais si ça ne te dérange pas, on a une bataille à finir...hé, arrête !»

Besakssen se détourna d'elle et se dirigea dans la direction opposée. Bientôt, il arriva auprès de celle qu'il avait confondu avec Nathyle. C'était une femme assez mince, d'une allure comparable à cette dernière, les cheveux longs et noirs comme le jais, et le visage aux traits hybrides, qui montraient de façon évidente son métissage humain-elfique. Elle se battait avec deux griffes semblables aux serpes katar de Nathyle. Elle acheva un dernier diablotin, puis se tourna vers lui, et hésita un instant, puis s'adressa à Besakssen d'un ton abrupt:

«Avec qui êtes-vous ?

- Avec quatre de mes compagnons, nous...

- Vous n'avez pas comprit. Etes-vous avec eux ?-elle montra un diablotin mort-

- Non, certainement pas !

Elle parut alors moins méfiante.

- Vous venez de la cité, vous et vos mais, c'est ça ? Que faites-vous ici ?

-Nous aidons Harrogath à se défendre. Nous sommes arrivés après le début du siège, et nous allons maintenant chasser les démons de la montagne. Nous sommes ici à la recherche d'hommes qui ont été fait prisonniers ici.

Il lui tendit la main d'un geste sincère.

- Je me nomme Besakssen. Je suis né dans cette contrée. Mes amis sont pour la plupart des étrangers, mais ils sont tous très expérimentés. Nous avons combattu de nombreux démons avant de venir ici. Nous sommes venu protéger la montagne, nous sommes dignes de confiance.
Elle le dévisagea longuement avant de serrer sa main.

- Mon nom est Metaxa. J'habite sur les flancs d'Arreat depuis toujours. Ces monstres ont détruit ma maison, et assassiné ma famille. Je les affronte afin de me venger, et de venger aussi l'honneur de la montagne, qui est souillée par leur présence.

- Vous pourrez vous venger entièrement des torts qui vous ont été fait si vous nous rejoignez. Et vous pourrez sauver des vies. Votre connaissance de la région et vos aptitudes nous seront fort utiles. Aidez-nous.

Elle attendit encore une fois longtemps avant de répondre, si bien que les autres combattants les rejoignirent les uns après les autres.

- C'est d'accord, je peut vous mener jusque tout près du sommet.

- C'est une noble décision que vous prenez, assura Besakssen. Laissez-moi vous présenter mes compagnons, Metaxa. Voici Milobrec, l'un des paladins les plus puissants du Kehjistan, son épée à tranché la gorge de plusieurs milliers de démons.

- C'est grand honneur que de vous rencontrer, fit Milobrec en s'inclinant aussi bas que les plaques de son armure le lui permettaient.

- Ce jeune homme est Treng-Al, fils d'un des plus brillant nécromanciens qui aient jamais été, et lui-même très puissant mage.

Le jeune nécromant fit un rapide signe de tête.

- Nathyle est sans doute une des guerrières les plus respectées du Viz-jaq T'aar, et son style de combat est d'ailleurs assez proche du votre.

Nathyle fit un bref salut, ne cherchant pas à découvrir sa nuque trop longtemps.

- Et voici Loekan, le plus talentueux druide de notre époque.

- Très heureux, dit le druide, qui n'aimait apparemment pas être complimenté.

Il y eut un silence, gêné, puis Loekan reprit:

- Nous devons repartir en quête des barbares tenus en otages.»

Affublés d'un guide performant, les héros parvinrent bien vite à retrouver leur chemin, puis les enclos dans lesquels étaient retenus prisonniers les barbares. Ils étaient au nombre de trois, chacun contenant une dizaine de prisonniers. Besakssen, Metaxa et Milobrec menèrent une charge qui laissa le chemin libre à Nathyle, Loekan et Treng-Al pour s'approcher des enclos. Besakssen, pratiqua une porte dans chacun des enclos, et les barbares purent s'enfuir, aidés par Milobrec et Metaxa, et couverts par les pièges de Nathyle et les animaux de Loekan tandis qu'ils empruntaient des portails ouverts par Treng-Al en direction d'Harrogath.
Treng-Al, Nathyle, Milobrec, Besakssen, Loekan, Metaxa et les otages barbares furent donc de retour à Harrogath avant la tombée de la nuit, épuisés pour les premiers, blessés et affamés pour les derniers. Malah emmena parvint à sauver tous les prisonniers, même si certains furent amputés, et la plupart inaptes au combat pour une longue durée. Metaxa fut présentée à l'ensemble de la coterie, puis aux dignitaires de la cité c'est-à-dire Qual-Kehk, Larzuk, Malah, et bien entendu Cain, qui alla consulter ses grimoires pour tenter de retrouver les traces d'une présence elfique dans les steppes barbares presque aussitôt qu'il eut vu le visage de la jeune femme. Nihlathak préféra s'éclipser lors du retour des héros, se montrant étrangement agité.

La coterie, grâce à l'aide précieuse de Metaxa, parvint facilement à atteindre le Mont Arreat, et à remonter peu à peu ses pentes. L'humeur générale dans la cité s'en ressentait: Qual-Kehk se montrait fort affable, et cela s'expliquait par la progression rapide des dix-sept héros, qui reprenaient cols sur cols et faisaient chaque jour reculer l'armée de Baal. Seule Malah semblait de plus en plus soucieuse, mais elle ne se confia à Hösrok que plusieurs jours plus tard.

«J'hésite à aborder ce sujet, mais je pense que vous et vos amis êtes les seules personnes qui puissent m'aider, dit-elle à voix basse. Anya, jeune alchimiste et fille d'un des anciens qui ont été tués, a disparu depuis quelque temps. C'est une femme forte et rusée, à la force d'âme sans pareille. Une nuit, juste avant votre arrivée, je l'aie entendue se disputer avec Nihlathak au sujet de la mort de son père. Le matin suivant, elle avait disparu. Nihlathak affirme savoir où elle s'est rendue et pourquoi. Ne le croyez pas ! Je crains qu'il ne soit à l'origine de sa disparition. S'il vous plaît, partez à la recherche d'Anya si vous le pouvez et ramenez-la nous. Elle saura ce qu'il convient de faire au sujet de Nihlathak.

- N'y a-t-il pas un moyen de faire parler Nihlathak ? demanda Hösrok.

- Aucun qui ne le permette sans attirer sa méfiance. Il se pourrait bien qu'il ait séquestré cette pauvre femme.

- Dans quel dessein ?

- Je ne sais pas, dit Malah précipitamment, et en jetant des regards de plus en plus frénétiques autour d'elle, mais si Nihlathak s'est vraiment arrangé pour la faire disparaître, c'est qu'Anya a découvert quelque chose de compromettant à son sujet.

- Pensez-vous qu'il complote pour notre ruine ?

- Je n'en sais rien, mais il se comporte de manière plus qu'étrange depuis le début du siège. Je vous en supplie, vous explorez actuellement le mont Arreat, vérifiez bien si Anya n'est pas retenue prisonnière dans quelque trou affreux.

- Bien, vous pouvez compter sur moi.

- N'en parlez pas à Nihlathak, ni à quiconque d'autre, est-ce compris? Pas même à des membres de votre groupe, car ils pourraient tenter de faire avouer Nihlathak, ce qui ferait échouer toute tentative de retrouver Anya. Gardez cela pour vous, et menez vos recherches discrètement.»
Hösrok jura de ne souffler mot à personne, et s'en tint à sa promesse. Alors que la coterie progressait dans sa remontée des pentes de l'Arreat, il se chargeait d'explorer de fond en comble toutes les zones qu'ils parcouraient. Alors qu'ils en étaient arrivés à mi hauteur de la montagne, leur progression fut bloquée par un fort dénivellement, une haute falaise dont il apparut bien vite qu'elle leur interdisait le passage sur tous les versants. Dépités, les héros durent abandonner devant cet obstacle infranchissable. Ils étaient, comme à leur habitude, réunis autour d'un feu lorsque Qual-Kehk vint les rejoindre.

«Je pense que le sauvetage miraculeux que vous avez effectué sur les hautes-glaces mérite une juste récompense, déclara-t-il.

- Il n'est pas nécessaire...commença Lëkor.

- J'ai donc décidé de mettre à votre disposition une partie des restes de mon armée. Si jamais vous avez besoin de soutien, venez me voir pour engager certains de mes hommes.

Ce geste généreux fut remercié comme il se doit par moult vivats.

- Ce n'est pas tout, poursuivit Qual-Kehk. J'ai entendu parler de la récompense que Larzuk vous a offert, et j'ai pensé qu'elle serait plus intéressante si vous aviez ceci en votre possession.

Il sortit trois petites runes de son manteau.

- Ce sont des runes assez rares par ici. Je sais que Larzuk vous a proposé d'orner un de vos objets. Ces runes, si vous les enchâssez dans cet ordre dans un bouclier, lui conféreront des propriétés extrêmement intéressantes. Bien, je vous souhaite le bonsoir.

Ce don fut accueilli par une seconde vague de remerciements. Qual-Kehk se retira en marmonnant un «c'est tout naturel» dans sa barbe impressionnante.

- Bien. Ce cadeau s'adresse donc à un seul d'entre nous, qui possède un bouclier. Grihor, Milobrec, je vous laisse débattre entre vous de l'heureux élu. Reprenons à présent. Cette falaise sur la montagne semble présente sur tous les versants. Cependant, nous vérifierons demain ce qu'il en est du côté sud-est, que nous n'avons pas eu le temps d'explorer.

Grihor et Hösrok se portèrent volontaires.

- Espérons qu'il y aura là-bas de quoi traverser la falaise, conclut Lëkor.»

Ils retournèrent chez Cain afin d'y passer la nuit. En chemin, Milobrec se laissa convaincre par Grihor de prendre les runes pour lui. Alors que les autres s'endormaient, Milobrec se dirigea donc vers la forge de Larzuk, muni de l'énorme pavois, pour y faire enchâsser les runes.

Hösrok et Grihor partirent donc le lendemain matin accompagnés d'une escouade de vingt barbares, dont faisait partie Emund. Ils atteignirent facilement le versant sud-est, et y livrèrent une bataille acharnée qui coûta la vie de deux soldats. Puis ils parvinrent à la falaise, toujours aussi haute et infranchissable, mais Grihor repéra un creux à la racine du talus, qui ouvrait un couloir à l'intérieur de la roche. Ils s'y engouffrèrent. Hösrok, Grihor et les dix-huit barbares marchèrent assez longtemps au milieu dans ce ravin étrange. La neige s'y était déposée peu à peu, impeccablement lisse, pure, d'un blanc éclatant. Les parois de glace, séparées d'un espace si étroit qu'ils devaient marcher en file indienne, reflétaient leur silhouette, et grimpaient à un hauteur indéterminable, d'où tombait une lumière douce et agréable. Soudain, l'harmonie merveilleuse de la beauté du décor et du silence ponctué par le crissement de la neige sous leurs pas fut brisée par d'immondes tentacules qui jaillirent de la neige, à la tête et en queue de la file. Avant même que les barbares aient pu réagir, deux groupes de malfaisants obscurs s'extirpèrent de la neige. «Aux armes, une embuscade !» cria Grihor, et les barbares chargèrent séparément les deux groupes de démons. Finalement, les monstres furent vaincus après avoir cependant tué trois autres soldats. Hösrok, Grihor et les quinze restants reprirent leur marche, et arrivèrent à un cul-de-sac.

«Bon sang ! s'exclama Hösrok, on n'est quand même pas venu jusque là pour faire demi-tour. On n'a quand même pas perdu cinq hommes pour rien!

Les barbares échangèrent des regards déçus, ne sachant que faire.

- C'est impossible, murmura Grihor. Il y a forcément un moyen de passer. Baal n'aurait pas pu aller au sommet.

- Peut-être Baal sait-il voler, ou alors il s'est fait pousser des ailes, ou que sais-je encore? Mais la vérité est là: il est passé, nous non.

Grihor ne trouva rien à dire de plus. Hösrok, dans un geste rageur et stupide, envoya sa faux dans la paroi de glace, qui s'effondra en partie, révélant un passage. Un murmure de surprise parcouru le groupe.

- Ce doit être le passage ! dit Grihor. Venez m'aider à le déblayer.»

Cinq soldats vinrent se joindre à lui dans cette tâche. Bien vite, ils détruisirent la dernière couche de glace qui les séparait du souterrain qui se trouvait devant eux. Mais à l'instant même où ils se préparaient à y pénétrer, un souffle glacé s'échappa du tunnel, et gela sur place tous ceux qui se trouvaient devant la brèche, à l'exception de Grihor. Ce dernier ne perdit pas de temps et chargea immédiatement à l'intérieur du souterrain. Là, il vit un petit groupe d'horreurs des glaces, des monstres faits d'eau gelée, qui se servaient de leurs griffes aiguisées et de leur souffle mortel pour abattre leurs victimes. Il occit tous les monstres à lui tout seul, mais ceux-ci avaient eu le temps de tuer trois des cinq barbares gelés. Les deux autres furent dégelés à l'aide de potions. Grihor, quant à lui, trouva la raison de sa nouvelle résistance au froid: trois petites runes étaient incrustées sur son pavois.

Hösrok et lui pénétrèrent dans le passage cristallin accompagnés de leur escorte qui ne comptait plus à présent que douze soldats. Ni les horreurs des glaces, ni les nombreuses succubes ne parvinrent à endiguer leur progression dans le tunnel, sous la surface rocheuse. Il semblait que le passage menait bel et bien à la surface, et ce derrière la falaise qui les avait bloqué, car la pente s'accentuait au fur et à mesure de leur marche. Ils parvinrent alors à une vaste salle, où se trouvaient un grand nombre de démons ressemblant à des sortes de taureaux bipèdes armés jusqu'au dents. La musculature de ces créatures, d'après le peu qu'ils purent voir, n'avait rien à envier à celles de barbares particulièrement bien entraînés, et ils étaient armés tantôt de haches, tantôt de fléaux. Ils chargèrent les barbares dès que ceux-ci furent dans leur champ de vision.

Le combat fut long et éprouvant, mais Hösrok et Grihor furent vainqueurs, en ayant toutefois à déplorer quatre morts. Hösrok remarqua un escalier qui s'enfonçait dans les profondeurs, et, se remémorant la mission que lui avait confié Malah, dit:

«Nous devrions aller par là.

- L'autre chemin monte, répondit Grihor. Il nous mène certainement vers la surface.»

Ils décidèrent finalement de se séparer, quatre barbares suivant Hösrok dans l'escalier, les quatre autres, dont Emund faisait partie, suivirent Grihor.

Ils arrivèrent dans une vaste salle, dans laquelle serpentait une rivière gelée entre de très nombreux îlots et colonnes qui empêchaient l'oeil d'en voir le fond opposé. Après être resté le plus longtemps possible sur la même berge, en combattant de nombreuses succubes, les cinq barbares durent se résoudre à traverser via l'un des ponts de bois qui étaient jetés en travers du cours d'eau tantôt solide, tantôt liquide, mais toujours immobile et limpide. Ils s'enfoncèrent ainsi vers le centre de la salle. Alors qu'ils arrivaient sur un îlot d'une surface assez importante, ils furent attaqués par d'étranges mort-vivants, dont ils se débarrassèrent sans aucun problème. Hösrok proposa aux quatre autres de s'arrêter un instant. Tous acceptèrent de concert, mais aucun ne se rendit compte qu'un des réanimés vaincus se relevait lentement. Ils ne le constatèrent que lorsque le mort-vivant éventra l'un des barbares, et durent l'abattre à nouveau, et veillèrent cette fois-ci à ce que le monstre reste bien mort.
«Ils semble qu'il faille les tuer plusieurs fois, dit Hösrok en désignant du doigt deux autres réanimés qui marchaient vers eux.»

Au bout d'un certain temps et d'un autre barbare tué, ils prirent l'habitude de mettre le feu aux corps de ceux qu'ils tuaient. Les trois derniers barbares parvinrent ainsi au centre de la salle, qui était occupé par un lac d'eau gelée au centre duquel se trouvait une presqu'île de glace. Là, encerclée par un nombre conséquent de yétis et à demi-prisonnière d'un linceul de givre, se trouvait une magnifique jeune femme inconsciente. «Anya», se dit Hösrok. Il ordonna une charge, en même temps que le chef des yétis, une créature immense et simiesque, aux longs poils collés par le gel.

Le choc fut terrible, et les trois barbares décimèrent les yétis. Mais bientôt, l'un d'eux tomba sous les coups de poings de la taille d'un projectile de trébuchet. Il ne resta plus alors qu'Hösrok, et un lieutenant de la cité, un certain Heorogar, pour combattre le chef yéti et ses derniers comparses. Après moult trombes, Hösrok vint à bout des laquais, mais il ne put être que le spectateur du sort d'Heorogar, qui, après avoir tenu bon fort longtemps, encaissa un coup qui le décolla du sol, puis retomba lourdement sur la mince surface de glace qui recouvrait la rivière et qui se rompit instantanément, le laissant disparaître dans les eaux glacées. Hösrok fut alors emplit d'une ire sanguinaire, et chargea Frakenglace, le chef des yétis, tant et si bien qu'il ne resta plus de ce dernier que des lambeaux dont les meilleurs tanneurs au monde n'auraient pas même pu faire un paillasson. Ils utilisa alors un portail pour retourner à Harrogath, fit mander Malah, et lui expliqua sa situation. La vieille femme lui donna un élixir, affirmant qu'il dégèlerait Anya. Hösrok fit couler le liquide dans la gorge gelée de la jeune femme, et la glace se retira miraculeusement. Il la prit dans ses bras, et utilisant un nouveau portail, la ramena à Harrogath.

Malah la prit aussitôt dans son établissement, tandis que Hösrok expliqua à Qual-Kehk, Larzuk, Cain et à ses compagnons de quoi il retournait. Qual-Kehk déplora la perte de tant d'hommes vaillants, mais se félicita du retour d'Anya. Lorsqu'on s'enquit de Nihlathak, pour le faire s'expliquer, on se rendit compte qu'il avait disparu. Son échoppe était verrouillée.

Grihor, lui, fut de retour avec l'intégralité de son escorte dans la soirée, déclarant, pour parfaire le bilan de la journée, qu'il avait découvert le moyen de passer des pentes de l'Arreat à la toundra glacée, tout près du sommet, et qu'il y avait activé le téléporteur. La soirée fut donc festive, et Anya vint se joindre aux réjouissances un peu plus tard.

Grihor, lui, prit Milobrec à part:

«Pourquoi diable as-tu amélioré mon bouclier au lieu du tien ?

- Figure-toi, dit Milobrec, que je n'ai pas supporté de t'entendre dire que les paladins errants savaient se faire plus humbles que les fidèles. Je t'ai donc démontré le contraire.

- Peut-être ais-je mal jugé ceux qui ont persécuté les miens durant des décennies, ricana Grihor.

- C'est certain, sale déchu, plaisanta Milobrec.»

Hösrok, qui se trouvait à côté d'eux, rit un instant, puis regarda à nouveau Anya, se sentant troublé en son for intérieur.
Anya organisa une réunion dès qu'elle fut rétablie. Seuls à y être conviés furent Qual-Kehk, Lëkor, Katenbau et Cain. Bien que le motif de cette convocation dut être tenu secret, il ne faisait aucun doute qu'elle allait leur révéler les desseins de Nihlathak. Tous quatre se rendirent donc à la maison des patriarches, où logeait Anya depuis la mort de son père. Elle les invita à s'asseoir autour de la table de marbre rectangulaire qui servait autrefois aux réunions des patriarches, puis prit la parole:

«Nihlathak m'a révélé qu'il avait fait un pacte avec Baal pour protéger Harrogath. En échange du fait que le démon épargne la ville, ce fou a l'intention de lui donner la Relique des Anciens, notre totem le plus sacré ! Cela permettrait à Baal de pénétrer au coeur du Mont Arreat sans que les Anciens puissent l'en empêcher. J'ai tout essayé pour arrêter Nihlathak mais il m'a emprisonnée dans cette tombe de glace. Il faut contrer Nihlathak avant qu'il ne condamne le monde entier. J'aimerai bien l'étrangler de mes mains, mais je crains de ne pas en avoir la force.
Elle se tourna vers Lëkor et Katenbau.

- Vous devez vous rendre dans son repaire en passant un portail que j'ouvrirai dès que j'en aurai l'occasion. Tuez-le et ramenez la Relique des Anciens. Empêchez Nihlathak de détruire ce que nous nous sommes efforcés de protéger pendant des éons.
Lëkor réfléchit un instant puis dit:

- Bien, nous nous chargerons de Nihlathak. J'enverrai une partie du groupe sur cette mission.

Anya fronça imperceptiblement les sourcils, et il le remarqua.

- Je me joindrai à la mission pour m'assurer de son succès.

Qual-Kehk voulut parler, mais Lëkor le coupa.

- Merci, Qual-Kehk, mais nous n'aurons pas besoin de vos hommes. Gardez-les pour le champ de bataille; ils ne sont pas formés pour affronter des créatures telles que celles que nous risquons de rencontrer.

Lëkor se tourna enfin vers Katenbau.

- Tu dirigeras les opérations durant mon absence.

- Bien.

- Je vous ouvrirai un portail dès midi. Rendez-vous devant la porte de la maison des patriarches, conclut Anya.»

Au moment prévu, Lëkor, Treng-Al, Nek, Hösrok et Nathyle passèrent le portail qui menait au repaire de Nihlathak. De l'autre côté, ils ne purent retenir une exclamation de surprise. Ils se trouvaient juste devant l'entrée d'un temple, visiblement dédiée à une divinité impie, accroché au flanc d'une montagne, perdu au milieu d'une tempête de neige. Le vent gémissait et soufflait par grosses bourrasques. Nulle part il n'y avait trace d'Harrogath ou du mont Arreat. L'entrée du temple se trouvait à une dizaine de mètre au dessus d'eux, accessible par un escalier de bois vermoulu. L'endroit où ils se trouvaient, un petit promontoire rocheux au pied de l'escalier, était parsemé d'antiques colonnes de pierres à demi détruites et de rondins de pierre, et surtout jonché de cadavres de guerriers.

«Grimpons dans le temple ! hurla Lëkor d'une voix à peine audible au milieu du blizzard.

Alors qu'ils avaient presque atteint l'escalier, les cadavres se relevèrent dans une série de craquements sinistres, et se dirigèrent vers eux. Les morts-vivants, quoique peu redoutables au combat, paraissaient se renouveler au fur et à mesure que les héros les abattaient.

- Il faut les faire exploser, Treng-Al !» dit Lëkor.

Le jeune homme n'eut pas besoin de se le faire dire deux fois. Les deux nécromanciens firent alors exploser les cadavres des chasseurs maudits avant qu'ils aient eu le temps de ressusciter, ce qui eu pour effet de leur donner la victoire, mais aussi de recouvrir l'ensemble du décor, leurs camarades compris, de sang, de chairs et de viscères. Hösrok, Nathyle et Nek ne parurent guère goûter la plaisanterie, mais les remercièrent néanmoins. La voie étant à présent libre quoique couverte de sang, ils purent monter jusqu'au temple.

Katenbau évita de justesse le jet de flammes. Le rascal, perché au sommet d'une bête de choc, se préparait à envoyer une nouvelle salve d'inferno lorsqu'il fut fauché par Ke-lok'tan. Celui-ci eut à peine le temps d'atterrir qu'il fut encerclé par une horde d'engeances démoniaques qui disparurent dans un nuage de flammes créé par Ercala. Elle invoqua ensuite un météore sur le duc de sang qui envoyait des flots de suicidaires sur Vedila et Milobrec. Ceux-ci en profitèrent pour voler à l'aide de Besakssen, Metaxa et Grihor qui étaient encerclées par un groupe de bêtes de choc. A la gauche de Katenbau, Minnoca était aux abois, encerclée par un groupe de rascals qui l'arrosaient copieusement de boules de feu. Il couru l'aider, mais alors qu'il traversait un groupe d'engeances pris en tenailles par Ke-lok'tan et Omatir, il entendit la voix de Nera crier «attention !». Instinctivement, il se jeta contre le sol. Une boule de glace passa juste au dessus de lui et immobilisa une engeance forcenée prête à exploser à son contact. Il reprit sa course, criant un rapide merci au passage, puis élimina les rascals qui affrontaient Minnoca. Il n'eut pas le temps de reprendre son souffle, voyant devant lui Grihor aux prises avec un duc de sang. Il n'aperçut les suicidaires qui lui fonçaient dessus que bien trop tard. Au dernier moment, cependant, un ours, plusieurs loups et un lierre s'interposèrent entre lui et les engeances forcenées, qui explosèrent dans un grand fracas totalement inoffensif.

«On ne pourra pas tenir longtemps, c'est la débandade !cria Loekan en venant à lui. Ordonne une retraite, où certains d'entre nous mourrons.

- Pas question, dit Katenbau.

Il jeta un oeil rapide autour de lui. Grihor était venu à bout du duc de sang, Omatir et Ke-lok'tan mettaient des engeances démoniaques en débâcle, tandis que Vedila, Besakssen, Milobrec et Metaxa avaient repris le dessus sur les bêtes de choc.

- Pas question, répéta-t-il. Nous pouvons vaincre ces monstres. Sous la direction de Lëkor, nous avons reprit la moitié du mont Arreat, je ne vois pas pourquoi nous céderions sous mon commandement.

Ercala, Nera et Minnoca revenaient vers eux après avoir liquidé les rascals.

- La bataille est difficile, dit Nera. Il va falloir être prudent si nous ne voulons pas céder.

- Ils ne devraient plus être très nombreux à prés...

- Regardez ! Dit Ercala.»

Son ton était effrayé, et son doigt indiquait le nord. Tous les yeux se dirigèrent là, et terreur et consternation emplirent leurs coeurs. Tous les autres s'étaient rassemblés et poursuivaient les dernières engeances, qui fuyaient dans leur déroute. Ils se trouvaient au bas d'une petite colline, au sommet de laquelle se tenait, d'après une estimation rapide que Katenbau se fit pour lui-même, au moins deux mille démons.

Ils parvinrent donc à l'entrée du temple. Des inscriptions en langues d'un autre âge, indéchiffrables, couvraient les piliers. Des toiles représentant toutes sortes de chimères affreuses et de rituels horribles couvraient les murs lépreux. Du plafond pendaient des cadavres de chauve-souris, desséchées et momifiées par la poussière et le temps, tandis que des traînées de sang couvraient le sol en formant des figures géométriques complexes et des symboles ésotériques entremêlés dans une arabesque chaotique. La porte, faite d'un bois plus vieux qu'eux tous réunis, était maintenue fermée par un sceau en fer rouillé représentant un visage humain, aux proportions grotesques, qui le faisaient ressembler à une lune gibbeuse et cadavérique. Lëkor saisit la poignée en forme de langue fourchue, et ouvrit les battants à la volée. L'intérieur était dans un état tout aussi déplorable, mais surtout était occupé par un groupe de chasseurs maudits visiblement mécontents d'avoir été tirés du sommeil de la mort. A l'aide de leur nouvelle «méthode» de combat, les héros n'eurent guère de difficultés à vaincre les morts-vivants et leur chef Pindleskin. Ils s'enfoncèrent, via un escalier de pierre délabré, dans les entrailles de ce temple qui devait avoir servit de repaire aux pires adeptes de la magie noire.

Metaxa, Grihor, Vedila, Besakssen, Omatir, Ke-lok'tan, Milobrec et Nek finirent par se rendre compte qu'ils allaient au devant d'une armée immense au moment même où les deux mille démons chargèrent. Ils s'organisèrent rapidement en cercle. Plus bas, Katenbau, Nera, Loekan, Ercala et Minnoca contemplaient la scène avec horreur.

«Nera, Ercala, téléportez-vous au milieu d'eux, vite !cria Katenbau

- Et vous ? Demanda Ercala

- On s'en sortira, répondit Loekan.»

Les deux sorcières se téléportèrent, et Katenbau, Minnoca et Loekan coururent vers leurs amis, bien qu'ils n'eurent aucune chance de les atteindre avant les démons.

Ke-lok'tan, Vedila, Grihor et Milobrec formèrent un rempart de fortune à l'aide des piques des deux premiers et des boucliers de deux seconds. Cette stratégie parut bien fonctionner puisque les premiers démons s'empalèrent lamentablement sur leurs défenses. Ercala et Nera se chargeaient de tous ceux qui étaient assez fous pour tenter de contourner le mur de boucliers. Nek et Metaxa se chargeaient d'assurer les arrières des deux sorcières, qui redoutaient particulièrement le corps à corps, mais ils n'eurent guère d'efforts à déployer, étant donné que la plupart des monstres qui parvenaient à dépasser Milobrec et Grihor ne se rabattaient pas pour les prendre à revers, mais continuaient leur course droit sur Loekan, Minnoca et Katenbau. Ce dernier attendit patiemment que les monstres arrivent à son contact pour en abattre trois en un seul geste fulgurant. Les autres durent se heurter à la précision mortelle de l'arc de Minnoca et à la folie furieuse de Loekan changé en loup.
En haut, le nombre d'assaillants était devenu si grand que le mur de Milobrec et Grihor devint bien vite obsolète. Alors que s'approchait une immense bête de choc qui allait très certainement les balayer, ils entendirent derrière eux un cri de rage caractéristique de l'état de berserk que Besakssen utilisait si souvent durant les combats.

Changé en arme humaine, le second des frères barbares se rua sans réfléchir un instant sur les centaines de monstres qui le chargeaient, tranchant au passage les jambes de la bête de choc, puis laminant tout ce qui se présentait à sa portée. Grihor et Milobrec échangèrent un regard entendu puis le suivirent, puis enfin Ke-lok'tan et Vedila vinrent conclure cette charge désespérée au coeur de l'armée de Baal.

A l'intérieur du temple, l'atmosphère était lourde et oppressante, au milieu de corridors décatis. Lëkor, Treng-Al, Nathyle, Hösrok et Nek progressaient à l'intérieur du second niveau depuis plus d'une heure maintenant. Ils rencontraient à chaque détours des monstres plus horribles, l'apogée de cette laideur répugnante était un monstre appelé profanateur putrescent qui avait la caractéristique de parasiter d'autres démons pour que d'immondes vers carnivores sortent de leurs corps à la mort. Ces horreurs planaient d'un air sinistre et semblaient effrayer même leurs camarades. Ils affrontèrent également de nombreux guerriers déchus, ce qui montrait qu'ils approchaient bel et bien du repaire du nécromancien parjure.

«Un escalier !» dit Nek en montrant un boyau étroit qui s'enfonçait encore plus profond sous la terre, encore plus loin dans les racines du mal. Hösrok menait la troupe, torche en main, et Lëkor allait en queue. Soudain, un grondement sourd et un nuage de poussière les plongèrent dans les ténèbres.

- Tout le monde va bien ? Demanda Lëkor

- Pas de mal, dit la voix étouffée de Treng-Al.

- On dirait que le plafond s'est écroulé, dit Nek. Qui y a-t-il de votre côté ?

- Je suis avec Hösrok et Nathyle, dit Treng-Al. On peut descendre, ici.

- Bon, dit Lëkor, il semblerait que Nek et moi ne puissions vous rejoindre, alors vous allez devoir vous acquitter de notre tâche à vous trois. Nous allons remonter et retourner aider Katenbau et les autres. Bonne chance.»

Et Lëkor et Nek remontèrent, tandis que Treng-Al, Nathyle et Hösrok s'enfoncèrent dans le troisième et dernier niveau du temple.

Le jour tirait à sa fin et la bataille tournait à une mêlée des plus confuses, où les héros peinaient à survivre. La neige était rougie par le sang de centaines de démons morts, mais il en restait encore un millier à abattre. Les cadavres s'amoncelaient en tas autour des combattants, et autour des barbares, il s'agissait de véritables tumulus que les monstres devaient escalader. Mais la situation des combattants était de plus en plus urgente, car les sorcières creusaient toujours plus dans leurs réserves de mana tandis que les autres s'épuisaient rapidement. Katenbau, juché au sommet d'un monticule de cadavres dont la hauteur n'avait rien à envier à celle d'un maison de ville, vit approcher un curieux attroupement regroupant des squelettes, un golem, des réanimés et deux hommes.

«Lëkor est là !» Hurla-t-il, et tous ses camarades, lui le premier, redoublèrent d'ardeur, car ils savaient que leur chef était avec eux, et qu'ils allaient nécessairement gagner la bataille. Mais ce fut en fait Nek qui fit basculer l'affrontement, lorsque, après un moment de profonde concentration où son visage s'était crispé pendant qu'il marmonnait des incantations, il étendit ses bras vers une partie de la colline sur laquelle les monstres s'étaient massés. De longues flammes s'extirpèrent de ses doigts et allèrent disparaître dans le sol sous les pieds de l'armée de Baal. Il y eut alors un terrible grondement, et des failles béantes s'ouvrirent dans le sol d'où sortirent des nuages de feu qui carbonisèrent les démons sur place et des torrents de lave qui dévalèrent la pente avec une vélocité incroyable, liquéfiant instantanément tous les suppôts de Baal qui se trouvaient sur leur passage. Puis les fissures se refermèrent, laissant autour d'elles des monceaux de corps brûlés et les torrents de lave disparurent, laissant pour toute trace de longs sillons noircis. Une morbide clameur s'éleva des réanimés de Lëkor, et ils se chargèrent d'achever les derniers ennemis en vie. Puis ils rentrèrent tous à Harrogath, épuisés, mais heureux, heureux de savoir qu'ils avaient défait l'armée de Baal.

Dans les profondeurs des corridors de l'agonie, l'ambiance était tout autre. Après avoir exploré le reste du niveau, Hösrok, Treng-Al et Nathyle se tenaient devant une bifurcation. Trois couloirs s'enfonçaient au coeur d'épaisses ténèbres, l'un partant vers la gauche, le second vers le centre et le dernier obliquait vers la droite. Ils décidèrent de se séparer pour retrouver Nihlathak au plus vite. Nathyle partit à gauche, Treng-Al au centre et Hösrok alla à droite. Il n'eut pas couvert cent mètres qu'il arriva dans une vaste et sombre salle d'où s'échappa un ricanement sardonique.

«Montre toi, traître, toi qui ose t'en prendre à de jeunes femmes !

La voix ricana de plus belle.

- Tu es ma foi très amusant, jeune barbare. Vous autres êtes si prévisibles. J'avais cependant négligé le fait que vous puissiez retrouver Anya.

- Ton plan a échoué, traître !

- Je ne crois pas, non. Car peut importante que cette idiote soit vivante ou pas, et peu importante que vous ayez découvert mes desseins. Il est trop tard pour m'arrêter. Baal est déjà dans le mont Arreat.

- Je ne le permettrai pas !

- Pauvre crétin, sache que je me passerai bien de ta permission. Meurs, à présent !»

Avant qu'Hösrok ait pu ajouter quoique ce soit, une dizaine de torches s'allumèrent simultanément, révélant à son regard un groupe plus que conséquent de morts-vivants qui lui fonçaient dessus. Hösrok les extermina en trois trombes. Il se tourna vers Nihlathak avec l'intention de le railler sur l'inefficacité de ses serviteurs lorsqu'un esprit d'os vint le percuter au creux de l'estomac. Il resta un instant plié en deux, durant lequel le chargèrent une troupe de suicidaires qui explosèrent violemment, le projetant contre un mur. Il se releva, et affronta une nouvelle vague de morts-vivants, puis esquiva une demi-douzaine de lance d'os avant de se faire à nouveau toucher. Le souffle coupé, il vit approcher un guerrier déchu, qui abattit son épée à deux mains sur le dos d'Hösrok de toute la force de ses bras décharnés. La lame émoussée ne causa pas de dommages graves au barbare, et celui-ci se releva et sectionna son adversaire en deux avant d'encaisser un nouvel esprit d'os dans le ventre qui l'envoyer valser contre un mur. Hösrok glissa à terre, et, gravement blessé, ne put rien faire pour empêcher la progression inexorable d'un groupe de guerriers déchus. Au moment au ceux-ci allaient arriver à son contact, des murs de flammes apparurent et balayèrent devant Hösrok et les détruisirent. Puis il s'évanouit.

Nihlathak envoya immédiatement une pluie de lance d'os sur la nouvelle arrivante, qui n'était autre que Nathyle. Cette dernière esquiva tous les sorts sans difficulté.

«Tu n'as aucune chance, nécromancien. Je suis habituée à combattre les mages corrompus.

- Je vais mettre fin à ta misérable existence, cracha Nihlathak. Ma puissance dépasse tout ce que tu as pu voir jusqu'à présent !

- J'en doute, ricana l'assassin.

- Je vais t'annihiler ! Hurla le nécromancien fou de rage.»

Il lui jeta derechef une pluie de sorts de poison et d'os, et elle les esquiva de nouveau. Les guerriers déchus, trop lents, ne parvenaient pas à approcher Nathyle qui quadrillait la salle de sentinelles d'éclairs. Nihlathak perdait peu à peu la maîtrise du combat, et il dut en venir à se téléporter pour échapper de justesse aux serpes katar de l'assassin. Il invoqua une ultime vague de suicidaires avant de recourir à son arme ultime, qu'il réservait aux situations désespérées.

Nathyle profita d'un instant d'accalmie pour se reposer un court moment. Soudain, un tas de cadavres explosa sous elle. La jeune assassin se retrouva projetée contre le plafond par le souffle de la déflagration. Nihlathak arbora un sourire satisfait.

«Alors, la tueuse de mages, on est fatigué ?

- Je ne peux pas... sois maudit !

Elle se releva, puis utilisa la technique du vol de dragon. Son coup de pied s'égara, car le nécromancien avait anticipé ses mouvements. Elle s'écroula, exténuée.

- C'est impossible...

- On appelle cela la défaite, ironisa Nihlathak. Généralement, la mort s'ensuit.

- Je n'aurais pas pu en donner meilleure définition, fit une voix nouvelle.

La silhouette de Treng-Al se détacha sur l'obscurité du couloir. Son visage affichait une expression inhabituellement sereine.

- Haaa...tu es aussi nécromancien, mon garçon, dit Nihlathak en se tournant vers lui.

- Que signifie «aussi» ? Chercheriez-vous à vous faire passer pour un disciple de Rathma, Nihlathak ?

- Qu'insinues-tu, espèce de misérable petit...

Treng-Al lui incomba de se taire d'un geste de la main.

- Je te soupçonne depuis le début. Tu n'es pas un vrai nécromancien, Nihlathak. Les nécromanciens ne collaborent pas avec des forces extérieures, qu'elles soient divines ou infernales. Les nécromanciens doivent agir pour le bien et l'indépendance de l'humanité, et toi, dans ta quête effrénée du pouvoir, tu as oublié cela. C'est un manquement terrible, qui est sanctionné de mort parmi les disciples de Rathma. Je vais maintenant appliquer la loi de des nécromanciens.»

Nihlathak pointa sa baguette sur un tas de cadavres, mais Treng-Al fut plus rapide. Le nécromancien parjure invoqua des vagues de suicidaires qui s'écrasèrent en vain contre les murs d'os. Nihlathak invoqua ensuite des guerriers déchus que Treng-Al abattit sans aucune difficulté. Il perça la poitrine du dernier d'entre eux à l'aide d'un javelot, puis se dirigea vers son ennemi et l'arrosa de sortilèges. Finalement, Nihlathak se retrouva pris dans une prison d'os. Avant qu'il ait eut le temps de se téléporter, Treng-Al fit exploser un tas conséquent de cadavres qui eurent pour effet de le plaquer contre un mur. Le jeune nécromancien lui envoya ensuite un esprit d'os qui souleva Nihlathak et lui fit traverser la salle. Une dernière explosion fit s'envoler un javelot qui vint se planter dans le coeur de Nihlathak.

Treng-Al se précipita pour aider Nathyle à se relever, et leurs regards se croisèrent, se captivèrent. Alors, deux philosophies contraires, deux ordres ennemis, deux doctrines opposées, deux âmes tout ce que qu'il y avait de plus différentes, se comprirent enfin, s'aimèrent, et ils s'embrassèrent.
La terre se mit à trembler. Les marches de bois se cassèrent net, et l'escalier tomba en poussière. Les lourdes colonnes de granite s'effondrèrent les unes sur les autres, et le fronton du temple s'écroula dans un vacarme assourdissant. De lourds blocs de roche se détachèrent des flancs de la montagne et s'écrasèrent sur le toit de l'édifice qui ne résista pas au choc. Le temple de Nihlathak disparut dans un grand nuage de poussière qui se dissipa bientôt, révélant les décombres de l'édifice. Nek et Loekan s'en retournèrent et traversèrent le portail qui les ramena à Harrogath.

Dans la cité barbare, l'heure était à l'optimisme. La coterie se trouvait d'excellente humeur, du fait du couple inattendu formé par Treng-Al et Nathyle, qui s'ajoutait à celui de Grihor et Ercala au registre des ménages apparus depuis le début de leur voyage. Seul Hösrok paraissait plus renfrogné qu'à l'accoutumée, pour des raisons qu'il ne souhaitait pas dévoiler. Qui plus est, les héros avaient le vent en poupe en ce qui concernait les batailles. Ils s'approchaient chaque jour un peu plus près du sommet; les citadins, eux, se montraient fort soulagés, car la défaite du reste de l'armée de Baal avait retiré la menace qui pesait sur leur ville. Du moins était-ce ce qu'ils pensaient. Enfin, les festivités de fin d'année approchaient peu à peu, le nouvel an commençant une semaine plus tard.

Ce soir là, les dix-sept compagnons se trouvaient chez Cain, lorsque deux coups retentirent contre la porte. Le vieil horadrim se leva et alla ouvrir la porte, et ce faisant, il se retrouva face à face avec Qual-Kehk.

«Ah, c'est vous, dit Deckard, entrez, joignez-vous à nous. Il ne fait pas bon rester dehors, avec un froid pareil.

- Je vous remercie, mais ce ne sera pas nécessaire. Je ne vais pas rester ici très longtemps. J'aimerais m'entretenir avec Lëkor, s'il le veut bien.

- Mais certainement.

Le nécromancien s'était levé.

- Parfait, dit Qual-Kehk, allons donc chez moi. Je vous souhaite donc une bonne soirée, conclut avec un sourire un peu forcé.»

Puis il referma la porte et retourna chez lui, suivit d'un Lëkor fort intrigué. A l'intérieur, les conversations reprirent peu à peu, mais pas pour très longtemps, puisque des coups retentirent à nouveau quelques minutes plus tard. Cain alla à nouveau ouvrir la porte en soupirant.

«Bonsoir, Deckard, fit une voix plus agréable.

Anya se trouvait dans l'encadrement de la porte.

- Bonsoir à vous aussi mademoiselle. Voulez-vous entrer ?

La jeune femme hocha la tête en signe de dénégation, comme l'avait fait Qual-Kehk quelques instants auparavant.

- Merci de votre hospitalité, mais je ne vais pas vous déranger très longtemps. Je me suis rendu compte que je n'avais toujours pas remercié le héros qui m'avait sauvé. Je souhaiterais parler avec lui en privé, si cela ne le dérange pas.

Hösrok se leva, et s'inclinant devant elle, lui fit un baisemain en peu atypique, sans doute du au fait qu'il mesurait deux têtes de plus qu'elle.

- J'en serais enchanté, dit-il.

- C'est parfait, alors. Bonne nuit à tous !»

Elle leur fit un signe de main, puis se dirigea vers la maison des patriarches accompagnée d'Hösrok qui paraissait en proie à une intense réflexion.

Lëkor ferma la porte tandis que d'ultimes flocons venaient mourir sur le sol de la demeure de Qual-Kehk. Celui-ci lui proposa un siège, leur servit un verre d'alambic d'Entsteig, «un des meilleurs crus» d'après lui, puis entama la conversation.

«Chaque fois que j'entends parler de vous, guerrier, vos exploits sont de plus en plus légendaires. Mais, prenez garde, vous êtes près du sommet Arreat. Je n'ai jamais osé approcher de cet endroit. C'est un de nos sanctuaires les plus sacrés. Les légendes racontent qu'il est gardé par les grands ancêtres qui empêchent d'entrer ceux qui n'en sont pas dignes. Dans cette affaire votre réputation n'a aucune importance. Ce sont les ancêtres qui évalueront votre valeur.

- Nous sommes obligés de les vaincre pour passer ?

- En effet. Cependant je pense que si vous réussissez à les battre une fois, votre groupe entier pourra pénétrer à sa guise dans le mont Arreat.

- Soit. Je pense que je sais qui je vais y envoyer.

- Vous devriez y aller vous-même, Lëkor. Vous êtes le plus fort d'entre eux.

- Je vais plutôt faire confiance à quelqu'un d'autre pour cette affaire.

- Ce n'est pas consei...

- Je sais ce que je fais, le coupa Lëkor. Il se trouve que pense qu'un autre que moi possède plus de chances de réussir.

- Bien, dit Qual-Kehk, je ne peux commander à vos actes. Bonne chance à vous, en tout cas.

A l'intérieur de la salle des patriarches éclairée par des torches aux lueurs fragiles, Anya s'assit à invita Hösrok à faire de même. Elle sortit deux coupes d'un meuble antique ainsi que plusieurs bouteilles.

«Hé bien, que désires-tu boire.. ? oh, c'est honteux, je ne connais même pas le nom de mon sauveur, fit-elle avec un sourire espiègle.

- Je me nomme Hösrok, madame, répondit le barbare d'un ton courtois.

- Voilà un langage bien chevaleresque, Hösrok. Cela est de plus en plus rare par les temps actuels. Je souhaitais te remercier de m'avoir sauvée des glaces, il y a quelques jours.

- Je n'aurais pu y parvenir sans l'aide de la vieille Malah et des combattants de la ville, répondit modestement Hösrok.

- Ne sois pas injuste avec toi-même, mon ami. Ton exploit aurait été par le passé récompensé d'une montagne de cadeaux et de privilèges, mais nous n'avons malheureusement plus rien de tout cela dans la cité aujourd'hui. Je tenterais dans la mesure du possible de récompenser ta bravoure à sa juste valeur.

Hösrok se sentit alors touché par la générosité de la jeune femme qui lui faisait face, et, soudain emplit d'une humeur fort ladre, il se mit aux pieds d'Anya et lui tendit sa faux.

- Tout cela n'est que démesure par rapport à ce que je demande, madame. Votre générosité est fort louable, et mon coeur ne faillit pas un instant dans sa décision de se mettre à votre service. Ma faux est sous votre ordre.

- Relèves-toi, Hösrok. Tu n'as pas et n'auras jamais à obéir à mes ordres.

Elle lui embrassa le front.

- Va à ton destin glorieux, guerrier, et va avec ma bénédiction.

- Irais-je avec votre amour, madame ? demanda Hösrok

- Certes, répondit Anya.»

Durant la nuit, Lëkor revint à ses quartiers, Hösrok non. Le lendemain, Lëkor convoqua ses seize compagnons afin de leur exposer la tâche qui attendait celui qui désirait pénétrer à l'intérieur du mont Arreat.

«Un seul d'entre nous peut combattre les anciens, expliqua-t-il.

Tout le monde s'attendit à ce qu'il se désigna pour accomplir cette tâche.

- Katenbau, tu devras t'en charger.

Seize paires de sourcils se haussèrent, mais le plus étonné semblait être Katenbau lui-même. Après que tous furent allés vaquer à leurs occupations, Il vint à la rencontre de Lëkor.

- Pourquoi m'as-tu choisi ?

- Tu n'es pas volontaire ? Demanda Lëkor

- Bien entendu que si. Je voulais juste...

- Tu dois le faire car c'est ta mission, Katenbau, coupa le nécromancien.

- Ma... mais de quoi diantre me parles-tu ?

Lëkor prit une profonde inspiration, puis dit.

- Il est un secret que ton père m'a chargé de garder avant que lui-même ne meure. Cette information devait à tout prix être tenue secrète. Ton père était le tout dernier descendant de Bul-Kathos.

Katenbau ouvrit la bouche, mais les mots semblèrent lui manquer.

- Tes frères et toi êtes donc les derniers descendants du légendaire roi des barbares, et à ce titre, tu peux prétendre à la couronne du royaume barbare.

- C'est ridicule...

-Ne m'interromps pas, je te prie. Sache que le sang de Bul-Kathos qui coule dans les veines de tes frères, mais qui se retrouve surtout chez toi, est le plus noble et le plus pur de tout ce monde. Les siècles n'ont en rien occulté le fabuleux pouvoir dont tu as hérité. Jusqu'à aujourd'hui, les temps n'étaient absolument pas propices au retour des fils de Bul-Kathos. Les choses ont changé. Les prophéties du dernier jour annoncent le retour d'un héros d'antan pour libérer Sanctuary du mal. C'est de toi que ces prophéties parlent. Ta lignée a vécu dans l'ombre pendant des siècles, mais aujourd'hui, tu dois commencer à te manifester. Le temps de ton épreuve approche, même si nous ne pouvons pas encore le percevoir, même s'il ne s'agit sans doute pas de la confrontation avec Baal. Souviens-toi de cela, l'heure de ta mise à l'épreuve approche. Tu dois t'en montrer digne.

- Tu te fiches de moi.

- Pas du tout !cria Lëkor

Il paraissait assez agité à présent.

- Cesse donc de faire le modeste, et réfléchis bien ! Tu es manifestement bien plus puissant que les barbares de cette cité ! Ce sont des soldats entraînés et équipés !

- Cela ne prouves rien. Tous les membres de notre groupe sont plus puissants que la normale.

- Mais leur potentiel n'a rien à voir avec le tien, Katenbau. Contrairement aux autres, tu n'as pas encore atteint la moitié du pouvoir qui sera tien par la suite. Tu seras un jour appelé à diriger la coterie.

- C'est ridicule, tu es beaucoup plus fort que moi.

- Je vieillis, mon ami, je vieillis, et beaucoup plus vite que je ne le prévoyais. Ouvre-donc les yeux, mes pouvoirs sont sur le déclin.

- Loekan serait un successeur tout désigné.

- Mais il n'est pas un meneur. Pourquoi crois-tu que je t'ai choisi pour diriger les opérations pendant que je fouillais le temple de Nihlathak ? Tu devras affronter tes responsabilités, Katenbau, car c'est ainsi qu'il doit en être.

- Mais pourquoi donc suis-je voué à ce destin ? Pourquoi y suis-je contraint ?

- Tu n'es pas voué. Tu peux très bien décider de cesser de combattre les démons. Tu aurais très bien pu refuser de m'accompagner, lorsqu'il y a presque deux ans de cela je te proposais de m'aider à combattre Diablo et ses sbires. Mais tu as pris ta décision. Ce sont tes choix qui déterminent ce que tu feras l'instant suivant, pas le destin ou la fatalité. Mais saches que bientôt surgira une épreuve que toi seul sur ce monde pourras surmonter. Tu es libre de prendre tes responsabilités, Katenbau, ou de vivre une vie ordinaire et paisible jusqu'au moment où le jour sera venu, et où celle-ci s'effondrera avec le reste de l'humanité.

Mais tu as déjà fait ton choix, en venant m'aider à combattre les trois. Je veux bien t'assister jusqu'au moment annoncé par les prophéties du dernier jour, si je le peux. Mais tout d'abord, tu dois faire ton choix: ton épreuve commence au sommet du mont Arreat, et nul ne sait où elle viendra à son terme.

Katenbau réfléchit longtemps, et un pesant silence s'installa, que Lëkor ne rompit pas.

- As-tu quelque chose à ajouter avant que je n'aille affronter les anciens ?

Lëkor eut un sourire rayonnant, puis dit:

- Oui, bonne chance à toi.»

Il partit le matin même.

Le vent hurlait sur les pentes du l'Arreat. Soudain, au beau milieu de la toundra glacée, surgit dans un flamboiement bleuté une silhouette massive qui se dirigea vers le chemin des anciens d'un pas vif et assuré. Alors qu'il arpentait le chemin des anciens, Katenbau leva le regard vers le sommet. Celui-ci était invisible, perdu dans d'épais nuages. Le barbare reprit sa marche et ne tarda pas à entrer à l'intérieur de cette mer de nuages, se retrouvant pris au coeur d'un brouillard opaque et humide. Puis enfin il trouva un petit escalier creusé dans la roche qui le mena au sommet de la montagne.

La vue était extraordinaire. Au-dessus de lui s'étendait à l'infini les cieux gris acier, tandis qu'en dessous de lui, à travers les pâles limbes de nuages, il pouvait voir Harrogath, plus de cinq mille mètres sous lui. Il se trouvait sur une plate-forme circulaire pavée, et d'où surgissaient de sous les plaques de givre des stûpas bâtis en encorbellement; au centre se trouvait le légendaire autel des cieux, entouré de trois statues d'or pur représentant de farouches guerriers barbares. En face de lui se trouvait une porte creusée dans le roc qui, Katenbau s'en doutait, permettait d'accéder à l'intérieur de la montagne. Il s'approcha de l'autel, sur lequel reposait un vieux grimoire. A peine Katenbau l'eut-il effleuré qu'une voix d'outre-tombe émana des statues de Talic, Korlic et Madawc.

«Nous sommes les esprits des nephalims, les Grans Ancêtres. Nous avons été choisis pour protéger le Mont sacré d'Arreat. Rares sont ceux qui peuvent comprendre sa véritable nature. Avant d'entrer, vous devez nous vaincre.»

Les trois statues se muèrent aussitôt en trois barbares armés jusqu'aux dents entourés d'une aura surnaturelle. Le premier d'entre eux, Madawc, équipé de deux haches de lancer, se rua sur Katenbau mais celui-ci parvint à l'esquiver. Korlic s'abattit sur lui en lui assénant un coup de hallebarde qu'il bloqua à l'aide de ses deux épées, puis Katenbau le repoussa d'un coup de pied en plein ventre. Il fut à l'instant même chargé par Talic, dont il évita la charge d'une roulade. A peine se fut-il relevé que Madawc lui envoya deux haches simultanément. Il esquiva la première, dévia la seconde et lança une de ses épées qui alla se planter dans le poitrail de Madawc. Le corps de l'ancêtre barbare explosa en une nuée de poussière dorée qui reforma la statue. Talic lui fonça dessus et Katenbau fut bien en peine de l'affronter avec une seule épée, mais il parvint finalement à le mettre au sol. L'instant suivant, Korlic réceptionna à côté de lui, mais Katenbau l'expédia contre une paroi rocheuse d'un puissant coup de pied retourné. Le barbare trouva tout juste le temps de récupérer sa seconde épée qui traînait sur le sol après la désintégration de Madawc. Korlic revint très vite à la charge, balayant l'air devant lui à l'aide de son immense hallebarde. Katenbau bloqua à nouveau un des coups en croisant ses deux lames puis déséquilibra l'ancêtre et lui planta ses deux épées dans le dos. Le corps se désintégra et reforma une seconde statue. Talic, seul mais toujours puissant, entama une puissante trombe. Katenbau para tous les coups tout en reculant, puis il décapita le dernier ancien une fois qu'il eut terminé sa trombe. Les trois barbares vaincus, la voix parla à nouveau.

«Vous nous avez prouvé votre valeur ! Nous vous offrons d'améliorer vos compétences et nous vous permettons d'entrer dans le Mont Arreat où se trouve la Pierre-Monde. Mais prenez garde, vous n'êtes pas le seul être à y avoir parvenu. Baal, le seigneur de la destruction, s'y trouve déjà. L'archange Tyrael a toujours été notre bienfaiteur mais, même lui, désormais, ne peut plus nous aider, car Baal empêche l'essence spirituelle de Tyrael d'entrer dans la chambre de la Pierre-Monde. Dorénavant, vous êtes la seule personne à pouvoir vaincre Baal. Il menace la Pierre-Monde et, à travers elle, le royaume des mortels. Vous devez l'arrêter avant qu'il ne prenne complètement le contrôle de la pierre sacrée. Si cela devait arriver, il pourrait briser la barrière entre ce monde et les enfers, permettant ainsi aux hordes maléfiques de se répandre dans le monde des mortels comme un torrent que rien ne saurait arrêter ! Si vous faites preuve de faiblesse, le monde tel que nous le connaissons pourrait disparaître à tout jamais. Vous ne devez pas échouer !

Katenbau se détourna, pensant que les anciens avaient terminé leur tirade, mais il n'en était rien.

- Salutations à toi, ô roi ! Grand est notre bonheur d'avoir eu l'honneur de croiser ta route. Entre dans la Montagne si tel est ton désir, mais sache, Seigneur, que les ténèbres t'y attendent. Dans ta quête, tu auras besoin de la puissance légendaire de tes ancêtres ! Elle se trouve dès maintenant par-devers toi.

Il se retourna et vit une poignée d'épée dépasser d'un bloc de roche qui, il l'aurait juré, ne se trouvait pas là tantôt.

- Va maintenant, Roi, et, ayant avec toi la lame des anciens, pourfend le mal et fait jaillir la lumière bénie de la plus ténébreuse des obscurités.»

Katenbau s'approcha du rocher et retira l'épée de la roche. Rien qu'à son poids, il devina qu'il s'agissait d'une épée à deux mains de l'ancien temps. Il continua de l'extraire de son piédestal, puis lorsqu'il eut terminé, il la dégaina dans un éclair de lumière aveuglant.

La lame, faite d'argent pur et resplendissant, élégante, recourbée et démesurée, devait être longue d'environ un mètre soixante. Des inscriptions dans une langue inconnue courait le long de son tranchant intérieur. Elle était légèrement recourbée vers l'extérieur, un peu à la mode des sabres orientaux. Sa garde, qui était plutôt marquée sans gêner le mouvement, était d'or pur. De petites améthystes y étaient incrustées. La poignée, elle, mesurait un peu plus de quinze centimètres, de sorte que l'on pouvait tenir l'épée à une ou à deux mains. Le pommeau était un superbe saphir d'une pureté rare et taillé pour ne pas déséquilibrer l'épée. L'arme devait, au total, mesurer un peu moins d'un mètre quatre-vingt dix. La gaine, de cuir agrémenté de fils d'or finement travaillés était particulièrement esthétique. Munit de la Lame des Anciens, Katenbau entra dans la montagne, annihila sans aucune difficulté tous les démons qui croisèrent son chemin, et parcourut deux niveaux avant de découvrir un point de téléportation et de rentrer à Harrogath faire part à Lëkor de la réussite totale de sa mission.

A cette nouvelle, toute la cité fut transportée de joie, car les habitants étaient plus jamais persuadés que l'existence de Baal arrivait à son terme. Lëkor, lui, semblait particulièrement fier pour une raison que seul lui et Katenbau connaissaient. Enfin, Metaxa accepta de rester parmi le groupe définitivement. Mais parmi les membres de la côterie, la félicité ne fut qu'éphémère, car se profilait à l'horizon le moment que tous redoutaient secrètement, la confrontation finale avec Baal.
La salle était fort vaste. Le plafond disparaissait dans l'ombre à une hauteur vertigineuse. Un gouffre béant séparait en deux la salle, traversé par un pont large de quatre à cinq mètres. D'un côté de la fosse, une voûte en encorbellement ouvrait sur un couloir. De l'autre, il n'y avait rien d'autre que d'étranges motifs tracés sur le pavage.

Soudain, un imposant barbare y apparut dans un flamboiement bleuté, et ouvrit aussitôt un portail d'où sortirent seize guerriers.

«Nous voilà donc enfin à l'intérieur du mont Arreat, dit Lëkor.

-Nous sommes au second niveau, précisa Katenbau, qui avait ouvert le portail, je pense que nous devons nous trouver à mi-chemin entre le sommet et la Pierre-Monde.»

Ils n'eurent pas le temps de poursuivre leur discussion, car toute cette agitation avait attiré quelques engeances majeures qui foncèrent sur Katenbau. Icelui se trouvait déjà sur le pont. Ses adversaires étaient au nombre de six. Il dégaina sa Lame des Anciens.

Il esquiva la charge du premier démon qui termina sa course par une chute spectaculaire dans le gouffre. Il para le coup d'un second ennemi, puis enchaîna plusieurs attaques qui en abattirent trois autres. Les deux derniers monstres échangèrent un regard apeuré avant de passer à l'attaque. Katenbau esquiva d'un saut spectaculaire la lame d'un des deux monstres et trancha son camarade en deux verticalement en réceptionnant. Il se défit de la dernière engeance d'un coup de pied qui propulsa celle-ci dans le vide.

«Voilà qui est fait, dit-il simplement.»

Dans leur progression, les dix-sept héros affrontèrent grand nombre d'engeances majeures, de sorcières de sang, d'engeances aliénées, de profanateurs serviles et de vers d'angoisse. Vers l'entrée du troisième niveau, ils durent affronter une cohorte entière de guerriers déchus, qui ne posèrent pas trop de problèmes aux nécromanciens.

Ce ne fut pas le cas des monstres qu'abritait le troisième niveau. Les larrons, toujours aussi gênants qu'à leur habitude, avec leur téléportation et leurs boules de feu, étaient assistés par des seigneurs mortels. La morphologie générale d'une de ces créatures pouvait se résumer à une apparence de taureau bipède d'une puissance physique phénoménale, armé jusqu'au dents, et possédant un pouvoir de frénésie dont les effets rappelaient ceux du berserk des barbares. L'association des deux races de démons était particulièrement efficace et les héros peinèrent tant pour les vaincre tous qu'ils décidèrent de rentrer à Harrogath plutôt que de poursuivre l'exploration, bien qu'ils eurent découvert l'entrée du quatrième niveau.

A peine eurent-ils passé le portail que Cain et Qual-Kehk se pressèrent vers eux.

«Où êtes-vous parvenus ?demanda le vieil horadrim

- Nous sommes arrivés jusqu'à l'entrée du quatrième niveau, mais nous n'y avons pas encore pénétré.

- Nous irons sans doute demain, ajouta Katenbau.

Le chef barbare et le vieux sage échangèrent un regard éloquent.

- Qu'y a-t-il ? Demanda Loekan.

- Vous êtes arrivé à la fin du donjon de la Pierre-Monde. Le quatrième niveau dont vous parlez doit être l'antichambre de la salle de la Pierre-Monde.»

Ils passèrent la nuit chez Cain, puis se préparèrent le lendemain matin. Bien que les évènements dussent être tenus secrets, il semblait qu'à leur départ, près de midi, tout Harrogath était au courant qu'ils partaient pour leur ultime mission, de la réussite de laquelle dépendait leur sort. Les habitants s'étaient rassemblés dans la rue qui menait de la demeure de Cain au portail qui amenait à l'intérieur du mont Arreat. Ils observaient en silence les héros défiler vers leur destin, le visage farouche, en une solennelle procession qui rappelait étrangement un enterrement. Les héros marchaient lentement vers le portail, en file indienne, et, bien qu'aucun des habitants ne dit un mot, ils surent que tous les coeurs étaient avec eux. Hösrok était en revanche lui à l'écart avec Anya.

«Ne part pas...supplia Anya.

- Je me couvrirais de ridicule, répondit doucement Hösrok.

- Mais si tu meurs ?

- Tout ira bien, ne t'inquiètes pas...

- Comment peux-tu être sur ?dit-elle en pleurant

- Je ne le suis pas. Mais je dois y aller pour aider mes amis. Tu sais très bien que je ne supporterais de ne pas y aller. N'est-ce pas pour cela que tu m'aimes ? M'aimerais-tu si j'étais un pleutre ?

- Je ne veux pas te perdre...

- Moi non plus. Tu ne me perdras pas. Je ne tremblerai pas devant la mort, car mon coeur puise sa force dans ton amour. Fais-en autant, Anya. N'aies pas peur, car tu es toi aussi forte. Mon amour pour toi ne faillira jamais, dans la vie ou la mort, quelque puisse être mon destin. N'aies pas peur, Anya. Pour toi, je vaincrai Baal s'il le faut. Tout iras bien, n'aies crainte.

- Alors fais ton devoir, guerrier, dit-elle en souriant.»

Mais dès qu'il se détourna, elle s'en alla en pleurant. Les dix-sept franchirent donc le portail qui les menait à Baal dans la gravité et la tristesse.

Ils parvinrent donc au dernier niveau du donjon de la pierre-monde qui baignait dans une lueur rouge sang. Là, ils affrontèrent nombre de seigneurs mortels et de sorcières infernales, mais parvinrent bien vite à la dernière salle, qui était fort vaste et haute. De hautes colonnes posées en deux rangées qui se dirigeaient au fond de la salle soutenaient le plafond qui s'élevait à cet endroit-là à plus de cent mètres. Des fragments de pierre rouge sanguin et d'une hauteur allant de quelques centimètres à plus de deux mètres jaillissaient par endroit du dallage. Celui-ci, rouge également, était irrégulier, avec des formes qui allaient du carré à des polygones de plusieurs dizaines de côtés, mais qui s'emboîtaient toujours parfaitement. L'endroit paraissait aussi vieux que le monde lui-même. Au fond de la salle, se trouvait, au sommet d'un promontoire, Baal en personne. Semblable à un hideux hybride de crabe, d'araignée géante et de démon, il était juché sur quatre pattes arquées à l'intersection desquels s'élevait un buste de forme vaguement humaine, duquel se séparait deux bras graciles, mais aussi une dizaine de tentacules dont l'épaisseur annonçait la puissance physique. Son torse squelettique laissait apparentes ses côtes solidement reliées entre elles par un os capable de résister à de nombreux assauts de maul. Sa tête, située au dessus d'un cou inexistant, était étonnamment humaine, quoique plus allongée vers l'arrière et terminée par quatre autres tentacules. Sa bouche était étirée en un rictus moqueur et sadique, et ses yeux étaient illuminés d'une lueur rouge maléfique. Sa peau épaisse sur tout son corps à l'exception du torse et du dos, était d'un gris terne. Lorsque les héros s'approchèrent de lui, il partit d'un grand rire et leur déclama :

«Votre périple s'achève ici, misérables vers ! Je vais clore votre destin et venger ainsi mes frères, puis j'achèverais de corrompre la Pierre-Monde, et tout l'enfer se déversera sur votre misérable monde !»

Il invoqua aussitôt un important groupe de Chamans déchus menés par Colenzo, le seigneur de tous les shamans de l'enfer. Le combat tourna vite à l'avantage des héros qui anéantirent en quelques minutes les sbires de Colenzo. Ce dernier fut vaincu en duel par Nera qui finit par lui envoyer une boule de glace à bout portant, ce qui eut pour effet de changer instantanément le démon en statue de glace qu'elle brisa à l'aide d'une lourde dalle qu'elle projeta sur la statue avec la vitesse d'un carreau d'arbalète grâce à ses pouvoirs télékinétiques.

Baal répondit en se gaussant, et invoqua une seconde vague de serviteurs, des momies supérieures, commandées par Achmel, la momie ressuscitée d'un terrible mage qui s'était déjà voué au mal de son vivant. Une fois encore, les héros n'eurent que peu de mal à vaincre leurs ennemis, et Omatir finit par achever Achmel d'un surpuissant coup de marteau dans le crâne. La troisième vague leur posa nettement plus de difficultés. Un groupe de membres du conseil apparut au milieu de la salle. Contrairement aux vrais membres du conseil que la coterie avait déjà défait auparavant, ceux-ci n'étaient pas semi-démons semi-humains, mais bien entièrement démoniaques. C'étaient leur part d'âme corrompue ressuscitée par une magie néfaste. A leur tête marchait Bartuc le sanglant, qui fut jadis le frère de Horazon, plus puissant humain ayant jamais été au service du mal, Seigneur du Sang, lance de dévastation dans la main de Baal.

Besakssen, Nek et les deux paladins, Milobrec et Grihor, chargèrent aussitôt les membres du conseil. A peine se furent-ils approchés cependant que des éclairs rouges les atteignirent en pleine poitrine. Besakssen s'effondra, puis fut imité par Nek; Grihor tomba à genoux, toujours conscient mais immobilisé par la douleur. Seul Milobrec, qui avait par ailleurs vaincu tous les membres du conseil un an plus tôt, tint bon. La colère qui lui avait permit de résister aux éclairs rouges auparavant le tenait de nouveau sous son emprise. Il fit un grand carnage combattant à lui seul quatre démons. Bartuc se dirigea vers Grihor et des éclairs noirs sortirent de ses mains difformes pour aller frapper le paladin en pleine poitrine. Celui-ci ne s'effondra pas à nouveau mais fut projeté en arrière et s'écrasa contre un mur neuf mètres plus loin. Bartuc, se tournant vers ses autres ennemis, esquiva un javelot de Vedila et répondit d'une décharge d'éclairs noirs qui la projeta contre un mur. Alors qu'il s'en allait l'achever, Minnoca tenta de s'interposer. Un revers de main la propulsa contre un des piliers. Alors que Bartuc allait achever Vedila, Ke-lok'tan se plaça en dernier rempart. Après un combat acharné, le jeune barbare parvint à empaler le Seigneur du Sang sur sa pique, puis se détourna pour aller aider la jeune amazone, mais il fut arrêté par un bruit étrange dans son dos. Sous le regard médusé de Ke-lok'tan, Bartuc se releva et se remit en position de combat, son ventre percé d'une blessure béante. Le barbare fut tant surpris qu'il ne réagit pas lorsque Bartuc le projeta sur un mur d'un coup de poing formidable. Le Seigneur du Sang se mit en quête d'un nouvel adversaire et son choix se porta sur Milobrec, qui venait de se débarrasser du dernier des quatre membres du conseil qui l'encerclaient. Lëkor voyant la scène jeta son épée qui vint se planter dans le dos de Bartuc sans que celui-ci paraisse en souffrir. Cela suffit tout de même à le déconcentrer suffisamment pour permettre à Milobrec de l'éventrer d'un revers de lame. Cette fois-ci, Bartuc s'effondra, apparemment vaincu en fin de compte. Les héros qui avaient pu tenir bon jusque là affrontèrent et abattirent les derniers membres du conseil. Au moment où le dernier d'entre eux s'effondra sous les coups, Bartuc se releva d'un bond, hurlant de douleur dans sa folie furieuse; il envoya des éclairs noirs au hasard qui ne touchèrent personne. Nathyle ramassa le javelot que Vedila avait utilisé plus tôt et le lança sur Bartuc. Le javelot s'engouffra dans la bouche ouverte du Seigneur du Sang et ressortit à l'arrière de son crâne, emportant avec lui la moitié de la tête du démon qui s'écroula pour de bon.

Tous les blessés purent être remis sur pied, à l'exception de Grihor qui avait été exposé longuement aux éclairs noirs. Voyant cela, Ercala entra dans une ire meurtrière, et alors qu'elle portait le regard sur les balrogs que Baal venait d'invoquer, une flamme de courroux apparut dans son oeil. Elle se jeta sans aucune hésitation au coeur du combat avec les énormes créatures, qui mesuraient chacune plus de trois mètres de hauteur. Puissant était le feu infernal des balrogs, mais la furie des Zann Esu était plus forte encore, et la jeune sorcière triompha à elle seule de la plupart des démons. Lorsqu'elle se trouva enfin face à face avec leur chef, l'immense Ventar, elle esquiva un à un tous ses souffles de feu, puis entra dans une grande concentration, et resta quelques secondes le visages crispé, les yeux fermés, les lèvres psalmodiant des formules de grand pouvoir. Puis elle rouvrit les yeux et recula. Dans un fracas épouvantable, un météore d'un diamètre de plusieurs mètres creva le plafond de la salle et s'abattit sur Ventar qui s'effondra dans un nuage de flammes. La quatrième vague de serviteurs était détruite. Baal ne riait plus. Il invoqua une dernière vague, puis passa le portail vers la chambre de la Pierre-Monde.

Une douzaine de créatures apparut dans la pièce. Ce qu'étaient ces monstres, les héros l'ignoraient complètement. C'étaient de grandes créature bipèdes, munies de deux paires de bras surpuissants. Leur échines dorsales et leur queues étaient couvertes d'énormes pointes. Leur têtes allongées étaient en grande partie occupées par d'immenses mâchoires ornées de dents acérées et terminées par d'imposantes défenses. Ils devaient mesurer trois mètres cinquante de hauteur pour plus de sept mètres de long. La conformation physique de ces créatures indiquaient clairement qu'elles étaient faites pour le combat au corps à corps. Ces serviteurs de Baal, en plus d'être particulièrement effrayants, se révélèrent être monstrueusement puissants. Lorsqu'ils chargèrent, ce fut la débandade parmi les héros. Seul Lëkor parvint à passer à travers la charge, et, évitant de juste un coup de griffe qui aurait sans aucun doute pu lui arracher la tête, il se précipita dans la chambre de la Pierre-Monde, seul à la poursuite de Baal.

De leur côté, les héros étaient en situation pis que délicate. La charge des serviteurs de Baal les avait dispersés à travers le trône de la destruction. Même les barbares ne pouvaient rivaliser avec la résistance et l'incroyable force physique des mastodontes. Tout près du trône de Baal, Katenbau et Loekan combattaient tant bien que mal deux serviteurs. Hösrok avait été repoussé jusqu'à l'escalier du troisième niveau durant la charge, et tentait de survivre tout en étant au prise avec un des mastodontes. Les autres étaient dispersés un peu partout dans les couloirs. Treng-Al, Nathyle, Ke-lok'tan et Nek se trouvèrent acculés dans un cul-de-sac par trois serviteurs. Nek et Ke-lok'tan tentèrent une percée tandis que Nathyle tentait de les aider avec ses pièges et ses shurikens. Treng-Al voulut s'interposer mais son bouclier d'os ne suffit pas à le protéger et un coup violent le projeta contre un mur. Bientôt cependant les trois autres parvinrent à vaincre deux des trois serviteurs de Baal. Mais Nek s'effondra aussitôt, assommé par le troisième. Ke-lok'tan finit par vaincre le dernier serviteur de Baal et se tourna vers Nathyle.

«Que faisons-nous ?

- Je m'occupe de ces deux-là, répondit Nathyle en montrant Nek et Treng-Al du doigt.

- Je vais chercher les autres, termina le jeune barbare.»

Il partit céans. Les couloirs défilaient devant lui. Il vit Ercala penchée sur Grihor à sa gauche, et se demanda si le paladin était décédé, mais ne cessa pas sa course. Au fond du corridor dans lequel il était engagé, ses deux frères aînés Besakssen et Omatir combattaient un serviteur de Baal. Il prit un embranchement à droite et courut aussi vite qu'il put. Arrivant à un croisement, il vit Hösrok combattre un des démons, tandis que Milobrec gisait un peu plus loin. Arrivant à un nouveau croisement, il choisit derechef la droite; droit devant lui, Minnoca et Nera combattait un des serviteurs, tout près de la grande salle dans laquelle Loekan et Katenbau en affrontaient un autre. Il tourna à gauche et vit droit devant lui un des démons qui se préparait à porter le coup de grâce à Metaxa. L'énorme créature remarqua la présence du barbare et laissa choir la jeune guerrière pour s'intéresser à sa nouvelle proie. Ke-lok'tan empala le monstre sur sa pique mais icelui, insensible à la douleur, le décolla du sol. L'image de Vedila revint à l'esprit de Ke-lok'tan, et il parvint à récupérer sa lance. Esquivant un coup, il prépara une nouvelle attaque. Le jeune barbare planta sa lance dans le sol. Le démon, croyant à une attaque, se contenta de se décaler. Ke-lok'tan prit alors appui sur le manche de sa pique, puis sauta, et se retrouva, après un tour complet, agenouillé sur le crâne du démon, dans lequel il enfonça profondément le fer de sa lance. Il se retira dans un saut magistral tandis que le corps sans vie du démon s'effondrait, et continua sa course. Bientôt, il arriva à un nouveau croisement. Le couloir de gauche paraissait vide mais un étrange pressentiment mena Ke-lok'tan à l'emprunter; la suite lui donna bientôt raison, car il ne tarda pas à trouver Vedila, seule, coincée contre un mur, et essayant tant bien que mal de se protéger des mortels assauts d'un serviteur de Baal. N'écoutant que sa colère, il fit un saut incroyable, qui couvrit bien plus de quinze mètres, et se retrouva accroché au dos du démon. Là, il recommença l'opération du dernier combat, et parvint à enfoncer sa lance déjà maculée de cervelle dans le crâne du monstre, lui crevant un oeil au passage. La bête s'écroula, révélant à Vedila son sauveur.

«Ke-lok'tan ! Nous devons aider les autres ! Où sont-ils ?

- Qu'en sais-je ? Que sais-je ? Je t'aime, Vedila !»

Lëkor entra dans la chambre de la Pierre-Monde, et un spectacle impressionnant apparut à ses yeux. Les dimensions de la chambre étaient purement démesurées. Le plafond et le fond de la salle disparaissaient dans les ténèbres. Au milieu du vide flottait, immobile, comme une gigantesque flamme rouge paralysée d'une hauteur de plus de cent-cinquante mètres, la Pierre-Monde elle-même. Le sol de la chambre encerclait la Pierre-Monde en se maintenant à une distance d'environ vingt mètres, à l'exception d'un promontoire qui approchait la Pierre à moins de cinq mètres et sur lequel se tenait Baal. Ce dernier se retourna et, voyant Lëkor, partit d'un grand rire:

«Tu es donc finalement venu me défier, pauvre fou,et seul de surcroît. Ne sais-tu donc pas ce qu'est la mort, misérable humain ?

-Je n'en sais rien, mise à part que je l'ais déjà donnée à tes deux frères.

- Je les vengerais ! Hurla Baal.

- Peut-être bien, mais tu échoueras quoiqu'il advienne, démon. Ne t'en es-tu pas rendu compte ? Tu es seul ! Ton armée est vaincue !

- Est-ce là ce que tu penses, mortel ? Pourtant, si je regarde autour de nous, il me semble que c'est toi qui est seul. Tes amis ne tiendront pas longtemps face à mes serviteurs les plus puissants.

- Nous verrons cela, dis simplement Lëkor.

- Fou !»

Baal lança une malédiction que le nécromancien parvint à contrecarrer. C'est alors qu'une puissante armada de réanimés vint le rejoindre. Le combat dura fort longtemps et lorsque tous les réanimés furent vaincus, Baal se trouvait fort affaiblit. Commença alors un duel acharné.
Dans le trône de la destruction, Les héros se rassemblaient peu à peu, les serviteurs de Baal vaincus peu à peu par Ke-lok'tan. Hösrok fut le dernier à rejoindre les autres, à l'entrée de la grande salle, après avoir vaincu Lister, le chef des serviteurs en duel. Le bilan était assez effrayant. Metaxa, Grihor, Milobrec, Nek, Treng-Al et Vedila étaient hors d'état de combattre et Besakssen, Omatir, Hösrok, Ke-lok'tan, Ercala et Nathyle les ramenèrent à Harrogath. Katenbau, Loekan, Minnoca et Nera se retrouvèrent dans la salle.

Le golem de feu disparut, mais Baal était maintenant tout proche de la défaite, et Lëkor de la victoire. Soudain, le seigneur de la destruction invoqua... un clone de lui-même ! Les deux Baal se téléportèrent à côté de Lëkor et celui-ci eut le plus grand mal à esquiver leurs tentacules meurtrières.

«Nous allons passer la porte. Restez ici, et si nous ne sommes pas revenus dans une heure, appelez les autres et rejoignez-nous, dit Loekan.

- Pourquoi devrions-nous rester en arrière ? Répondit Minnoca.

- Pour pouvoir amener les autres ici, répéta patiemment le druide.

- Et pourquoi devrions-nous rester ici plus que vous ?

- Nous devons agir rapidement, il n'y a pas à débattre...commença Katenbau.

- Je refuse de rester ici à ne rien faire tandis que mon mari risque sa vie ! Dit Nera.

- Il suffit ! Répondit Katenbau d'une voix autoritaire. Faites ce que l'on vous a dit sous peine de votre échouer notre quête.»

Ils traversèrent la porte aussitôt.

Soudain, des tentacules jaillirent du sol et enserrèrent Lëkor. Ce dernier, immobilisé, ne put rien faire alors que les deux Baal s'approchaient de lui. Lentement, ils se préparèrent à asséner chacun un coup surpuissant au nécromancien. Leurs tentacules raclèrent le sol, puis remontèrent à grande vitesse et atteignirent Lëkor en un coup d'un violence inouïe. Lëkor fut soulevé de terre, s'éleva à une hauteur de plus de dix mètres au dessus du vide, puis, arrivant de nouveau au dessus du sol, s'écrasa contre une colonne qu'il brisa en deux et termina sa chute cinquante mètres plus loin. Les deux jambes, les deux bras, plusieurs côtes et la mâchoire brisée, le nécromancien tenta de ne pas perdre connaissance sous le coup de la douleur. Chaque partie de son corps lui faisait endurer plus de souffrances qu'il n'en avait jamais connu. Il tenta de bouger un bras pour récupérer une potion de guérison, mais la douleur le stoppa net, quelques plaques de son armure s'étant enfoncées dans son dos. De toute façon, tous ses espoirs de guérison s'étaient brisés lorsqu'il s'était écrasé contre le sol. Le simple fait de respirer lui faisait souffrir le martyre. Soudain, les deux Baal se téléportèrent à son côté; le premier le souleva, lui arrachant un râle d'agonie. Le second se chargea de lui asséner un nouveau coup phénoménal, et la douleur de Lëkor dépassa tout à fait la barrière de l'imaginable lorsqu'il s'écrasa tout près de l'entrée de la chambre, juste aux pieds de Loekan et Katenbau qui venaient d'y pénétrer.

«Lëkor !cria le jeune druide.

Il se pencha et souleva la tête de son frère qui entrouvrit les yeux avec difficulté. Le sang s'échappait de sa bouche en un chétif filet et maculait presque l'ensemble de son visage.

- Mon frère...

- Ne meurs pas ! Pas maintenant ! Nous avons besoin de toi, frère !

- Non, Loekan, dit le mourant. C'est à vous de vaincre Baal. Je ne puis vous aider, à présent.

- Je vais te sauver ! Hurla Loekan d'une voix désespérée.

Lëkor sourit.

- Venge-moi plutôt, Loekan... mon corps est brisé, je m'en vais rejoindre nos ancêtres.

Il parlait avec de plus en plus de difficulté.

- Où est Katenbau ? Mes yeux se voilent, et je voudrais le voir avant de partir.

Katenbau, qui était jusqu'alors resté en retrait, sans doute trop effondré par la vision de son mentor agonisant, s'agenouilla brusquement auprès de lui.

- Lëkor ! Maître !implora le barbare.

- Salut à toi, Roi des barbares, Illustre seigneur des hommes ! Tu dois maintenant aller seul à la victoire ! Fais mes adieux à Nera !

Puis ses lèvres et ses paupières se fermèrent doucement. Loekan et Katenbau se relevèrent. Un titanesque combat à quatre s'annonçait.

Soudain, Lëkor les appela une dernière fois.

- Loekan ?

- Oui ? Répondit le jeune druide au milieu de ses larmes.

- Détruis-le, finit simplement Lëkor, avant de s'éteindre pour jamais.»
Loekan était toujours prostré devant le corps de son frère décédé, ses genoux baignant dans la mare de sang qui s'agrandissait peu à peu, alimentée par les blessures ouvertes du cadavre. Il ne pouvait parvenir à considérer comme réel, comme possible, ce qui était sous ses propres yeux. Ce qu'il devait affronter était le plus terrible choc émotionnel de toute sa vie. Lëkor était bien plus qu'un frère pour lui, c'était un modèle, un chef, un véritable héros digne de vénération. Il repensa au soir de la mort de leurs parents, alors que lui-même n'avait que cinq ans, où Lëkor l'avait défendu contre une escouade de démons qui avaient déjà abattu leur père et leur mère, alors qu'il n'était âgé que de treize ans. Lëkor s'était battu jusqu'au bout pour lui permettre de s'enfuir, avant d'être capturé. Ils ne s'étaient retrouvés que seize ans plus tard. Là encore, Lëkor lui avait sauvé plusieurs fois la vie lorsqu'ils affrontaient les hordes de Diablo. Et maintenant, il était tombé, vaincu finalement par les démons, en tentant une ultime fois de protéger les siens. Loekan se sentait faible, inutile sans son frère; pourtant, il se sentait encore une dernière mission à accomplir, et il lui faudrait bien trouver la force de la mener à bien. Il lui restait encore à exécuter les dernières volontés de Lëkor.

Derrière lui se tenait, abasourdi et sanglotant, Katenbau. Son mentor était maintenant parti, et il ne pouvait se résoudre à cette pensée. Jamais, jamais il n'avait imaginé être séparé de Lëkor, Lëkor qui lui faisait des remontrances quant à son manque de sérieux à l'entraînement alors qu'il n'avait que dix-sept ans, Lëkor qui le complimentait de ses progrès quelques mois plus tard, Lëkor qui lui proposait de l'accompagner dans sa chasse aux démons, Lëkor qui lui redonnait courage avant de passer la porte de l'enfer, Lëkor qui lui prodiguait des conseils de dernière minute avant le combat contre Diablo, Lëkor qui une semaine plus tôt lui révélait sa véritable origine. Tout cela était terminé, révolu à jamais. Par la faute d'un démon fou et sanguinaire. Une rage sourde le prit aux entrailles. Les larmes de tristesse laissèrent place aux larmes de colère.

Il se redressa, furieux et décidé. Son regard croisa celui de Loekan, et les deux hommes, quoique animés de sentiments différents, se comprirent immédiatement. Tournant son regard vers le Seigneur de la Destruction, Katenbau dégaina lentement sa Lame des Anciens, tandis que Loekan, dans une geste d'une terrible tristesse, se releva, puis se détourna de son frère défunt pour faire face à Baal et son double. Les deux démons se tenaient chacun d'un côté de la Pierre-Monde, attendant l'assaut. Loekan serra entre ses doigts le manche de son maul et fonça sur le Baal tandis que les traits de son visage se durcissaient. Katenbau avait cessé de pleurer, à présent; dans un rugissement formidable et terrifiant, il bondit sur le Baal de gauche. Une lutte à quatre était engagée, et il ne pouvait y avoir plus de deux survivants.

Katenbau chargea, empli d'un courroux dément. Son premier coup s'égara, et Baal esquiva le second en se redressant de toute sa stature avant d'envoyer deux malédictions. Le barbare esquiva la première d'un salto arrière et la seconde d'une roulade sur le côté. Il repassa aussitôt à l'attaque et trancha deux des tentacules du démon. Baal riposta en envoyant une nova d'incinération suivie d'un épieu de glace. Katenbau prit le premier sort de plein fouet, ce qui le fit reculer de plus de trois mètres, l'amenant au bord du précipice. Le sort de froid acheva de le déséquilibrer. Gardant son sang-froid, il planta son épée entre deux pavés du sol alors même que son corps basculait dans le vide. Puis, se cramponnant fermement à la poignée de son épée, il fit un tour complet autour de la Lame, et, se retrouvant sur la terre ferme, il décoinça son épée du sol et porta un coup circulaire visant le ventre de Baal. Mais le sort de froid agissait toujours, et le seigneur de la destruction n'eut aucune difficulté à esquiver l'assaut; il répondit par un coup spectaculaire qui projeta Katenbau contre une colonne quinze mètres plus loin. Son ire n'avait pas disparue pour autant, et encore plein de l'ardeur de la bataille, il chargea à nouveau le seigneur de la destruction et parvint à enfoncer sa Lame des Anciens dans le ventre du démon. Celui-ci ne parut affecté et se débattit violemment, forçant Katenbau à lâcher son arme. Puis Baal plongea au dessus du barbare, qui du multiplier les roulades pour ne pas être piétiné.

Pendant ce temps, Loekan entamait un duel de sortilèges avec l'autre Baal. Ils s'échangeaient des météores, des vagues de flammes, de projectiles gelés. Le druide réinvoquait ses séides au fur et à mesure que les sorts de Baal les éliminait. Le démon lui, encaissait quasiment tous les sorts du frère de Lëkor, sans témoigner néanmoins aucun signe de fatigue. Soudain, le seigneur de la destruction lança une malédiction de mana sanglant. Loekan ne pouvait plus à présent trop se servir de ses sorts, car chaque utilisation de la magie lui causait désormais de terribles blessures, qui pouvaient le tuer à court terme. Il décida de lancer une dernière incantation. Ses vêtements et son armure disparurent, sa silhouette se cambra, ses pupilles virèrent au jaune, sa face s'allongea, son corps musclé et svelte se couvrit de poils gris, une queue touffue jaillit du bas de son dos, ses cheveux devinrent une crinière, ses dents des crocs et son nez un museau, et il fut prit d'une folie furieuse. Loekan, changé en loup-garou, fonça sans réfléchir un instant sur Baal.

Katenbau se trouvait sous l'arc des pattes de Baal qui tentait de le piétiner. Il effectua une roulade, et une des pattes s'écrasa sur le sol à l'endroit où il se tenait l'instant précédent. Tournant de nouveau son regard vers le haut, il vit une des pattes, telle un énorme dard, s'apprêter à s'abattre sur lui. Une nouvelle roulade lui sauva la vie. Voyant que les deux pattes avant du démon étaient à sa portée, il saisit sa chance et s'agrippa à elles. Baal rua à nouveau, et Katenbau fut projeté en l'air; il parvint à trouver le pommeau de son épée qui était toujours enfoncée dans le flanc du démon, et se cramponna autant qu'il put, pour finalement atterrir contre le dos du seigneur de la destruction. Là, il parvint à éviter une tentacule, puis il trancha deux des trois membres qui jaillissaient à l'arrière du crâne de Baal avant de se sentir soulevé par une force implacable.

Le loup-garou était dans un terrible corps à corps avec le seigneur de la destruction. Agrippé au torse du démon, il le tailladait de griffures et de morsures tout en évitant les tentacules qui s'agitaient furieusement autour de lui. Enfin, d'un rapide coup de griffe, il sectionna trois membres. Fou de rage, Baal déploya tout son effort dans le but d'arracher le druide qui s'accrochait à lui. Deux tentacules parvinrent finalement à s'agripper à Loekan. Celui-ci, sentant qu'il allait être jeté d'un moment à l'autre, chercha une prise. Au moment même où Baal appliquait toute sa force à jeter le loup-garou devant lui, les griffes de ce dernier s'enfoncèrent dans le thorax du démon. La force des tentacules fut la plus forte, et Loekan fut projeté en l'air; mais les griffes se maintinrent à l'intérieur du poitrail du démon, et sous l'effet de la traction, le puissant sternum se rompit, et les côtes du démon s'ouvrirent comme les volets d'une fenêtre, arrachant à Baal un horrible cri de souffrance et révélant son coeur à l'air libre, battant toujours. Loekan, lui, exténué, gisait sur le sol dix mètres plus loin, ayant reprit sa forme humaine.

Une longue tentacule dorsale s'était enroulée tel un boa autour de la taille de Katenbau, et le maintenait face à Baal, qui affichait à présent un rictus sadique. Puis un autre tentacule vint s'enrouler, cette fois-ci autour de la gorge du barbare, qui était toujours maintenu deux mètres au-dessus du sol. Le second tentacule augmenta peu à peu sa pression, et bien vite Katenbau commença à étouffer. Ses jambes se débattaient en vain, et la Lame des Anciens était largement hors de portée de ses bras. Ses oreilles bourdonnaient. Il suffoquait et seul un mince souffle d'air parvenait à ses poumons. Son visage devint violacé. Il ne pouvait plus du tout respirer à présent. Ses jambes cessèrent de se débattre et pendirent nonchalamment, et ses bras ne bougèrent bientôt plus à leur tour. Tout devenait noir, la tête lui tournait, et puis... il tomba...et se cogna violemment la tête contre le sol. La pression autour de son cou avait disparue. Ouvrant les yeux, il se rendit compte que Baal disparaissait devant lui dans un nuage de vapeurs jaunâtres. Cela ne pouvait signifier qu'une seule chose.

Loekan se releva lentement. Baal avançait peu à peu vers lui, le poitrail toujours ouvert. Le jeune druide était désespéré. Il ne pouvait plus faire usage d'aucun de ses sorts... mis à part...

Ses mains se précipitèrent vers une des poches de son armure et en sortirent un anneau orné d'un petit rubis. Il avait trouvé cela dans le niveau supérieur du donjon; non que l'anneau eut put avoir une quelconque utilité pour Loekan, étant bien moins puissant que ceux qu'il portait déjà, mais le jeune druide espérait en tirer un bon prix. L'anneau avait le pouvoir de lui faire lancer un certain nombre de fois un sortilège Zann Esu, le trait de feu, sans puiser dans ses réserves magiques. Il n'avait pas utilisé la bague car le sort en question, le Trait de Feu, était bien trop faible pour lui être utile. Mais dans les circonstances présentes, il fallait savoir faire feu de tout bois, pensa Loekan. Baal n'était plus qu'à quatre mètres de lui. Le jeune druide psalmodia une courte incantation, et une petite boule de feu apparut au bout de son index et alla produire une petite détonation sur une des pattes de Baal sans lui causer la moindre douleur. Le jeune druide eut alors une nouvelle idée. Il visa correctement, et lança un trait de feu sur le coeur de Baal. Le muscle s'enflamma aussitôt. Encouragé par cette réussite, Loekan répéta plusieurs fois l'expérience, si bien que le torse de Baal fut bientôt en flammes. Cela n'aurait cependant pas dérangé le démon outre mesure; mais le fait fut que le sang de Baal était un excellent combustible, et bien vite le moindre de ses capillaires fut embrasé. Tout son corps prit ainsi feu, à commencer par les organes les plus irrigués, comme les yeux, la langue. Des flammes s'extirpèrent du crâne de Baal par les orbites oculaires et la bouche, tandis qu'ailleurs sa peau ondulait comme si une légère brise soufflait en dessous. En réalité, cette ondulation était due à la liquéfaction des chairs du démon. Bientôt, ses pattes cédèrent, et l'ensemble du corps brûlé de l'intérieur s'effondra sur lui même. Les muscles et la peau finirent par s'évaporer et seuls restèrent les os, qui jonchaient le sol. Au milieu de cet amas d'ossements noirs, une lueur jaune brillait faiblement.

C'était fini, pensa Loekan. Ils avaient vaincu Baal, ils avaient sauvé le monde. Pour de bon ? Le jeune druide s'approcha du tas d'ossements. Si Baal parvenait à renaître de ses cendres, s'il courait à nouveau le monde, s'il provoquait à nouveau la mort de milliers d'innocents, comme il avait provoqué ce soir la mort de son frère ? Il s'agenouilla auprès du cadavre calciné. Il devait absolument s'assurer de le mort de Baal. Sa main fouilla parmi les cendres. Il devait détruire l'âme de Baal. Mais comment ? Sa main saisit alors la pierre. Tout devint clair. Il devait se lier à la pierre d'âme, pour vaincre définitivement le démon. Il l'amena à sa vue. La lueur qui lui paraissait faible l'instant précédent brillait désormais de tous ses feux. Loekan devait s'enfoncer la pierre d'âme dans le crâne. Ainsi, il pourrait vaincre Baal, et peut-être même acquérir un pouvoir supérieur. Il pourrait alors répandre la justice et le bien par le monde. Il voyait déjà Loekan le Fort, Loekan le Juste, Loekan le Magnifique, le plus grand héros de son temps, franchir avec un glaive flamboyant des monts inconnus, suivis de milliers de fidèles, et partout faisant régner le bien. Il pourrait même attaquer l'enfer, et alors le ciel noir deviendrait le plus clair des azurs, et le soleil brillerait haut au dessus des abysses. Il défierait même les dieux. Son pouvoir serait immense. Peut-être même pourrait-il ressusciter Lëkor ? Il amena la pierre d'âme juste sous son regard. Pour cela, il n'avait qu'à revendiquer la pierre pour sienne. C'était si peu de chose, si peu...

«Loekan, est-ce que ça va ?

Katenbau arriva à côté de lui.

- Tu as réussi à le vaincre! C'est... c'est magnifique !

Puis il vit la pierre d'âme dans la main du jeune druide.

- Je suppose qu'à présent nous devons détruire la pierre.

- Quoi, la pierre ? Hé bien... oui, sans doute...

Loekan se releva brusquement. Les folles inepties qui s'étaient répandues dans son esprit sous l'action de la pierre avaient disparues.

- Oui, tu as raison, dit-il d'une voix beaucoup plus assurée.»

Soudain, dans un éclair de lumière blanche, apparut à quelques mètres d'eux un être qu'il connaissaient déjà. Il était grand, haut d'environ trois mètres, et habillé d'un long vêtement sous lequel on devinait une puissante armure; sa face était dissimulée par une large capuche. De son dos sortaient quatre paires d'ailes blanches qui répandaient une lumière bénie autour d'elles. Tyraël prit ainsi la parole:

«Salut à vous, héros. Je suis heureux de voir que vous avez une fois de plus brillamment réussi dans votre entreprise. Je suis désolé de n'avoir pas pu cette fois vous venir en aide, mais la présence de Baal m'empêchait d'accéder à la chambre de la Pierre-Monde, et je n'ai découvert son complot que bien trop tard.

Sa tête se tourna vers le cadavre de Baal.

- Le seigneur de la destruction est désormais vaincu. Lequel d'entre vous est l'auteur de cet exploit ?

Katenbau et Loekan ne répondirent pas, mais Tyraël n'y accorda pas d'importance.

- Lëkor n'est-il pas venu avec vous ?

C'était plus que n'en pouvait supporter Loekan.

- Il est...

Mais il ne parvenait pas à énoncer la terrible vérité qui lui poignardait le coeur.

- Lëkor est mort, finit par dire Katenbau.

Bien qu'ils ne voyaient pas le visage de l'archange, son attitude montrait que ce dernier était déconcerté.

- C'est une horrible tragédie. Sa mort est une grande perte pour l'humanité et le bien. Mais nous ne devons retenir que ses oeuvres, car il a accomplit maints exploits, à commencer par le fait qu'il est à l'origine de la défaite des Trois. Il est tombé en combattant le dernier d'entre eux, mais ses exploits sont plus grands que tous ceux jamais réalisés par un mortel avant lui.

Nous devons néanmoins nous préoccuper de l'avenir, dit l'archange, tandis que son regard se posait sur la pierre d'âme que le druide tenait toujours dans la paume de sa main. Baal est défait, certes, mais son âme subsiste. Et j'ai l'impression qu'elle est passé à l'intérieur même de la Pierre-Monde.

En effet, lorsque Loekan et Katenbau regardèrent la Pierre, il leur sembla voir un reflet obscur dans les contreforts rouge sang.

- Allez, maintenant, héros. Je m'occuperais de cela. Retournez à Harrogath, et ne vous préoccupez plus de la Pierre, ni de moi.»

Katenbau et Loekan soulevèrent donc le corps de Lëkor, et franchirent le portail que l'archange leur avait ouvert.

Lorsqu'à Harrogath, la foule rassemblée vit sortir le jeune druide du portail, ce fut un tonnerre d'acclamations, qui retombèrent aussitôt lorsque l'on se rendit compte que le druide portait le corps du nécromancien.

«Non !

Nera fendit les rangs de la foule et se précipita vers le corps de son mari défunt.

- Ce n'est pas possible !

Loekan et Katenbau échangèrent un regard mais ne dirent rien.

- J'aurais du te suivre...dit-elle au milieu de ses sanglots; j'aurai du combattre à ton côté, j'aurai du mourir avec toi... ou te sauver.

- Nera, c'est inutile, à présent, dit doucement Loekan.

- Il est trop tard, renchérit Katenbau.

- Oui, oui, c'est vrai, il est trop tard, nous... nous aurions du...j'aurai du...»

Et elle repartit, titubant comme une ivrogne, mais ivre de douleur plutôt que d'autre chose.

La foule disparut peu à peu. On apporta le corps de Lëkor dans une demeure inoccupée, et on l'étendit sur un lit. Tous les aventuriers passèrent le voir les uns après les autres, puis Cain, Qual-Kehk, Anya. Et ceux qui vinrent le contempler virent ensemble en ce héros gisant la force, la vaillance et la majesté. Il fut décidé que les funérailles auraient lieu le lendemain, dernier jour de l'an 1265.

Dans le même temps très loin à l'est, par delà les Mers Jumelles, naissait un garçon que ses parents nommèrent Miniryak.
L'inhumation eut lieu le dernier jour de l'année, en milieu d'après-midi. Katenbau sortit de chez lui, et rejoint la place principale, déjà bondée. Des sièges avaient été installés, quadrillant toute la place en laissant une allée au bout de laquelle se dressait une longue table de marbre. La moitié des chaises était déjà occupée par des habitants de la ville et quelques-uns uns de ses compagnons. Katenbau vit Hösrok et Anya, assis l'un à côté de l'autre, se tenant la main, au premier rang. A côté d'eux se tenait Malah, vêtue d'une robe noire et usée. Qual-Kehk arborait une armure élégante et noire comme le jais. Katenbau alla lui s'installer au bout d'une des rangées à gauche en compagnie de Nek, Metaxa et Nera. Il vit devant lui Grihor s'asseoir, aidé par Ercala. La foule grandit peu à peu, et bientôt tous les sièges furent occupés. C'est alors qu'une dizaine de barbares prirent place à droite de la table. Puis il entonnèrent un chant lent et mélancolique, que l'accent nordique sonore rendait émouvant. La langue était un dialecte du parler des barbares, mélange des langages de l'Ouest du pays, des montagnes du nord, et d'un dernier élément que Katenbau ne connaissait pas. Il put cependant en saisir une partie:

«Des hauts acérés de Hammëmon, à l'ombre des Grandes Dents
Il vint, courant, volant, par delà plaine, fleuve, mer et océan
Accompagné des preux guerriers et de leurs fidèles épées
De sorciers, druides, mages et de leurs pouvoirs obscurs et secrets
Il accourut, noble coeur, à l'aide de ceux qui enduraient
La mort, la souffrance, la défaite, le désespoir
Il vint nous apporter secours, puis victoire
A nous qui nous croyions alors perdus par le divin décret.

Hors du doute, hors de la peur, hors du désespoir,
L'épée tirée, l'âme décidée, il marcha,
Il ranima l'espoir, dans l'espoir il tomba,
Hors des ténèbres, vers une durable gloire

Son épée, belle, majestueuse, flamboyante, vainquit maints démons,
Des murs de notre cité jusqu'aux plus hauts sommets du saint-Mont,
Nous entendîmes chanter les cors dans les collines à l'aube dorée;
Dans le mourant crépuscule, il revint, victorieux et sauveur
Une Lune de batailles, une Lune de succès, puis il parvint au sommet.
Il se jeta dans l'antre ténébreuse, de ce puit sombre seule lueur.

Hors du doute, hors de la peur, hors du désespoir,
L'épée tirée, l'âme décidée, il marcha,
Il ranima l'espoir, dans l'espoir il tomba,
Hors des ténèbres, vers une durable gloire.

Dans les ténèbres, doute, silence, menace,
Etaient autant d'ombres, obscurcissant la voie
Il témoigna force, bravoure et audace,
Devant Baal même, il ne ressentit point d'effroi.
Longtemps les armes se croisèrent, longtemps il tint en échec le vice
Puis il perdit; Mais aucun de nous n'oubliera son sacrifice

Hors du doute, hors de la peur, hors du désespoir,
L'épée tirée, l'âme décidée, tu marchas,
Tu ranimas l'espoir, dans l'espoir tu tombas,
Hors des ténèbres, vers une durable gloire.
Toujours ici ta mémoire sera honorée,
Car c'est nos vies, notre monde que tu as sauvés.»

La chanson semblait avoir particulièrement touché l'assemblée. A côté de lui, Nek avait le visage crispé, comme s'il était aveuglé par le soleil, tandis que Metaxa et Nera pleuraient, de grosses larmes tombant silencieusement sur le sol. Puis un murmure agita la foule. Quatre jeunes barbares, dont faisaient partie Larzuk et Emund, remontaient en silence l'allée, en portant une civière de bois tressé sur laquelle, enveloppé dans un linceul de velours noir tressé d'or, reposait le cadavre de Lëkor. A sa droite, Milobrec était blême, bouleversé. Loekan gardait obstinément la tête enfouie dans ses mains. L'affreuse vérité submergea alors Katenbau: Lëkor était mort. Plus jamais il ne l'aiderais, plus jamais il ne le guiderais. Il était parti pour de bon. Malgré tous ses efforts, il sentit des larmes brûlantes couler sur ses joues. Il détourna le regard, décidé à ce que les autres ne soient pas témoins de sa faiblesse. Les quatre barbares déposèrent lentement le corps sur la table de pierre, et une sorte de prêtre, quelque augure des barbares hérité des chamans tribaux, vint réciter un psaume. Puis les chaises se vidèrent peu à peu, et au bout de quelques heures, il ne resta plus que quelques-uns des amis de Lëkor. A la tombée de la nuit, il ne restait plus que Katenbau, Loekan et Nera en recueillement autour de la tombe de marbre. Le barbare quitta les lieux lorsqu'il fit nuit noire, et rentra directement à ses appartements, n'étant pas vraiment d'humeur à rejoindre la fête à l'autre bout de la cité. Loekan quitta finalement la compagnie du mort au court de la nuit. Seule à rester fut Nera, qui pleurait toujours sur le corps de son mari défunt.

Soudain, une sphère lumineuse apparut au-dessus du cadavre, qui se changea bientôt en un archange. Il ressemblait à Tyraël, si ce n'était qu'il était plus grand, et que son manteau était noir. Sans un mot, il prit dans ses bras le corps du nécromancien, puis il disparut. La tombe de marbre se referma, désormais vide.

L'archange réapparut dans l'un des endroits les plus étranges de la création. Tout n'était que douce lumière. Le sol, invisible sous un nuage vaporeux d'une blancheur éclatante, était une étendue plate, comme une île naviguant à la surface d'un océan d'une substance qui semblait être une sorte de lumière à l'état liquide. Au loin se dressaient des massifs nuageux. Cet endroit n'était autre que le domaine des archanges, le paradis. Celui qui portait Lëkor marcha, traversant une foule d'archanges qui s'était scindée en deux pour former une allée qui menait à un piédestal. L'archange traversa l'allée, les autres s'inclinant à son passage, ou plutôt au passage du héros tombé. Puis il parvint au piédestal où siégeait l'une des créatures les plus âgées et les plus puissantes de tout ce qui est. L'ange déposa Lëkor au pied de celui que l'on nommait «le Très-Saint». Ce dernier posa lentement sa main sur la poitrine du nécromancien. Il y eut une lueur aveuglante, puis le Très-Saint dit enfin:
«Lève-toi, archange Lëkor, et retourne là d'où tu viens.»

Dans un autre éclair de lumière, Nera vit apparaître devant elle un archange qu'elle reconnut immédiatement, malgré la capuche qui cachait son visage.

«Lëkor !»

Nul ne sut alors ce que lui dit l'archange, mais il lui demanda de lui amener Loekan puis Katenbau. La conversation entre l'archange et le druide resta elle aussi inconnue des sages et des érudits, mais lorsqu'il quitta les lieux, Loekan semblait très agité. Puis enfin, Lëkor parla à Katenbau:

«Ainsi vous avez réussi, dit-il.

- Pourquoi t'es-tu laissé vaincre ? Tu aurais pu battre Baal.

- Pourquoi suis-je mort ? Parce que Baal était plus fort que moi, et que je n'ai pas eu la même chance qu'auparavant. Mais je ne suis pas venu pour faire mes adieux et dire quelques mots de réconfort. Je suis venu ici parce qu'on m'y a envoyé. J'ai une mission, Katenbau.

- Quelle est-elle ?

- C'est la même que celle de Tyraël. Le Très-Saint me l'a confiée. Et j'en ai une seconde, que tu connais déjà.

- Vas-tu continuer à voyager à nos côtés ?

- Non, Katenbau. Je ne pourrais plus t'aider comme avant, à présent. Il me sera impossible de me manifester très souvent sur Sanctuary. C'est à présent à toi seul de te préparer pour ton épreuve.

-As-tu au moins une idée de ce en quoi elle consistera ?

- Les évènements me laissent penser qu'il ne s'agit pas de la confrontation avec Baal, mais de quelque chose de bien plus redoutable. Je n'ai pour l'instant que de maigres pistes. Le temps venu, tu devras repartir, avec quelques-uns de nos compagnons sous tes ordres. Les autres chercheront sans doute à reprendre une vie ordinaire. Pour l'instant, savoure ta victoire, et cesse de te tourmenter l'esprit. Le temps venu, je te retrouverai.»

L'archange disparut dans un pâle halo lumineux, et Katenbau réalisa alors que l'aube s'était levée. La discussion avec Lëkor avait soulagé une grande partie de sa peine. Il inspira un grand coup. Ils avaient vaincu Baal ! De l'autre bout de la ville lui parvenait les rumeurs de la fête qui battait son plein. Il se précipita, et lorsqu'il arriva là-bas, on l'accueillit par de grands applaudissement, car il était l'un des deux parmi les héros qui avaient combattu et vaincu le seigneur de la destruction. Ils l'appelaient «le héros des héros».

L'autre héros des héros arpentait la plaine en direction des premières lueurs de l'aube. Il marchait lentement, se retournant régulièrement vers la cité pour lancer un regard mélancolique et repartir. Une larme perla, dégoulina lentement le long de la joue, vacilla un instant, accrochée au menton, brilla, tomba, disparut derrière la cape agitée par le vent, puis tomba silencieusement dans la neige tandis que le soleil pointait à l'horizon des monts de Tamoe. Ainsi s'acheva l'an 1265, et ainsi débuta l'an 1266, marquant le début d'une période de paix, car les démons avaient enfin été chassés de Sanctuary.


Vraiment ?
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