Fanfiction Diablo II

Retour à la liste des Fanfiction

Histoires à boire

Par Touffu en vadrouille
Les autres histoires de l'auteur

Histoire n°1

De mémoire d'homme, on n'avait jamais vu ça.

Le blizzard s'était abattu il y a maintenant deux mois sur Harrogat, et écrasait la cité sous des couches de neige et de gel, tel le poing rageur d'un Dieu décidé à broyer les cohortes d'idoles de plâtre effritées par les guerres de religions menées en Son nom. La tempête de neige plongeait la ville dans une nuit étincelante, et le vent qui hurlait semblait vouloir arrêter dans sa fureur glaciale le coeur même des habitants assez fous pour risquer un pied dehors.

Et pourtant, risquer un pied dehors, il le fallait bien.

Lentement, mais sûrement, la mort avait fait son oeuvre. Tandis que les vivres s'épuisaient et que les rationnements s'appliquaient, les querelles éclataient, les chapardages florissaient, les meurtres se multipliaient, perpétrés par des gens au teint hâve et aux yeux agrandis par la faim, et cherchant à s'accrocher de toutes leurs maigres forces à la vie, à repousser la Mort pas après pas, jour après jour, l'écartant quelques instants de plus en lui donnant des âmes à la place de la leur.

Dans ce grondement sourd de misère coléreuse, le cimetière se remplissait, implacablement, chaque heure apportant son linceul d'une blancheur d'autant plus éclatante que les suaires étaient recouverts de neige bien avant de l'avoir été de chaux et de la maigre quantité de terre que les coups de pioches avaient réussi à arracher à la glèbe pétrifiée.

Pourtant, un jour, le charnier cessa de s'élargir. En l'espace de quelques heures, toutes les familles commencèrent à abandonner leurs morts dehors, leurs cadavres livrés à la fureur aveugle des éléments et solidifiés telles des statues de cristal érigées pour célébrer la faiblesse de l'être humain.

C'est dans un tel contexte qu'il partit remplir sa mission.

Il ? Oui, il. Pourquoi lui donner un nom ? La postérité n'en retiendra jamais que ses os blanchis, et il n'est pas le premier et n'a pas été le dernier à mettre genou en terre face à l'indifférence de la nature.

Il était parti chasser.

En fier Barbare, il avait acquis par nécessité une résistance exceptionnelle aux rigueurs du climat. Il avait enfilé un pourpoint matelassé par-dessous son armure de plates, qui portait les innombrables marques d'une vie de combats et vibrait d'une puissance magique impressionnante.
Il avait parcouru tous les sentiers battus et rebattus des forêts, son arc se bandant désespérément dans un gémissement de douleur lasse à chaque fois qu'un craquement de la neige faisait espérer contre toute raison à son propriétaire d'avoir croisé le chemin d'un quelconque gibier.

Mais le terrible blizzard qui balayait les steppes n'avait pas épargné la nature, ainsi tout ce que notre chasseur rencontrait était en général des bouquets de poils, entourés par quelques esquilles d'os, et souvent un crâne parsemé de rayures, bien blanc et comme fraîchement lavé. Les prédateurs dévoraient tout, faisant voler en morceaux tous les éléments du squelette et engloutissant la moelle. Les parties telles le crâne, qui n'apportaient rien à manger, étaient frénétiquement rongées par les crocs fébriles des animaux éperdus de faim et inconscients qu'ils dépensaient plus d'énergie qu'ils n'en gagnaient à effectuer un tel nettoyage dont ils ne retiraient que des éclats d'os.

Il épuisait progressivement ses provisions, et un jour les acheva. Il commença alors à consommer son espoir. Heureusement, surtout chez les simples d'esprit, l'espoir est une ressource tout à fait abondante, et, étrangement, sa quantité augmente au fur et à mesure que la situation devient plus désespérée. Un matin où, après trois jours de jeûne, son espoir commençait à fléchir, il entendit un craquement clair et lointain à sa gauche. Tournant la tête si vivement qu'il faillit s'en démettre une cervicale, il vit une ombre furtive disparaître derrière un arbre. Il glissa lentement la main vers une flèche dans son carquois...


Une gigantesque masse hirsute de poils noirs hérissée de griffes se précipitait à sa rencontre dans un silence impressionnant, seulement troublé par le crissement de la neige sous ses pas.

L'arc se détendit, et une flèche fusa vers le monstre qui se jeta sur le côté et fit une roulade dans la neige avant de se rétablir sur ses quatre pattes, grondant de douleur : la flèche, au lieu de l'atteindre en plein torse, s'était fichée dans son épaule droite. D'un bond puissant, il se jeta sur son adversaire qui avait dégainé sa longue flamberge et la brandissait dans sa main gauche.

De son bras valide, le loup monstrueux frappa avec ses griffes acérées, écharpant l'armure du chasseur dans une gerbe d'étincelles, et laissant trois rainures béantes dans la plaque d'acier protégeant son torse.

Il y eut un éclair blanc, et la mâchoire du fauve se referma brutalement sur le bras droit gainé de cuir de sa proie, dans une étreinte qui signifiait clairement que les crocs ne se sépareraient pas du bras avant que ce dernier ne se soit lui-même séparé de son propriétaire. Tandis que le sang giclait abondamment dans la bouche avide du loup-garou qui s'en délectait à pleines gorgées, notre guerrier saisit l'occasion et enfonça son épée dans le sternum de son assaillant, par le dos duquel elle ressortit avec un grésillement de chair brûlée.

L'énorme masse sombre s'effondra par terre dans un râle, dévorée par les flammes tandis qu'elle se transformait en un cadavre de Druide ayant le même air hagard et affolé que les mourants qu'il avait laissés à Harrogat, il y a une éternité.

Ainsi, cette misérable créature n'aurait pas hésité à le dévorer, un représentant de la même espèce, un frère de sang...le manger, comme une bête, croquer la même chair que la sienne, puis en ronger les os, avant de les craquer pour en sucer la moelle, comme sur un agneau ! À Harrogath, ses compagnons d'arme préfèreraient combattre entre eux et périr dans l'honneur plutôt que de tomber dans une telle extrémité.

Retirant son épée enchantée par la Flamme de la poitrine de sa victime légèrement brûlée, car le blizzard avait tôt fait d'éteindre le feu et de recouvrir le cadavre d'un dernier habit de givre, il évalua les dégâts. Son armure balafrée laissait entrer des courants d'airs. Des lanières de cuir sectionnées pendaient de son avant bras grièvement blessé, qu'il entreprit de soigner. Lorsqu'il détacha sa protection cloutée, quatre morceaux de métal noir tombèrent dans la neige.

Son briquet avait été brisé par la morsure du loup-garou.

Quelques larmes perlèrent à son oeil. Ainsi, cela finirait de cette façon. Avec quatre petits bouts de fonte dans la neige, désormais incapables de produire suffisamment d'étincelles pour allumer le plus misérable des feux, alors en plus avec du bois mouillé et avec un blizzard qui aurait pu arracher la peau à même le visage...

Les larmes gelèrent sur sa joue. Il les détacha délicatement et les posa sur sa langue, appréciant leur goût salé. Lorsqu'il voulut verser quelques gouttes de potion de santé sur sa blessure, il vit que le sang qui avait coulé s'était figé en stalactites pourpres. Il les brisa et les mit dans sa besace pour les grignoter en route.

Le lendemain, il marcha toute la journée sans rencontrer âme qui vive. Le blizzard était tombé, et il profita du silence pour déguster le goût ferreux de ses friandises « faites maison ». Il les termina avant la nuit. Cette nuit-là, il essaya d'allumer un feu avec sa Flamberge Incandescente, mais il eut beau frapper un arbre, aucune fumée ne se produisit : l'enchantement ne se déclenchait qu'en contact avec de la chair ou de la nuée spirituelle, comme les âmes ardentes. Il se coucha donc au pied d'un sapin, à même la neige, en serrant son épée contre lui, profitant du contact avec la tiédeur qu'elle dégageait.

Le lendemain matin, il pouvait à peine bouger. Ses pieds étaient morts dans ses bottes, étranglés par la morsure du froid pendant la nuit, il ne sentait plus ses bras, et ses doigts refusaient de bouger dans ses gants. Il n'avait même plus la force de se relever.

Une heure plus tard, tandis qu'il sombrait paisiblement dans le dernier sommeil, le Soleil vint le frapper dans le dos, sur son armure sombre qui se réchauffa doucement. Peu après, plus ou moins revigoré, il se décida à relever, résolu à ne quand même pas mourir ainsi, comme un oisillon abandonné. Il tituba sur quelques mètres, puis entreprit de reprendre son rythme de croisière.

Au premier pas qu'il fit, il sentit tous les orteils de son pied gauche se briser comme du verre dans sa botte, et un instant plus tard, son tendon d'Achille meurtri par le froid et la privation de nourriture claquait sèchement, répercutant une douleur intolérable dans tout son organisme. Il tomba à genoux dans un cri de douleur.

S'il avait assouvi sa faim grâce à la chair du druide, il aurait eu la force de continuer, et aurait eu des provisions pour une semaine supplémentaire, au moins. En une semaine, il aurait pu trouver quelque chose...de plus la nature semblait avoir eu finalement pitié, il n'y avait pas de vent, le ciel lavé de toute impureté était d'un bleu resplendissant, et le soleil inondait de tous ses feux une forêt iridescente, couverte d'une neige scintillante où chaque arbre était chargé de stalactites diamantines qui diffractaient la lumière en une variété infinie de couleurs.
Et il avait refusé de goûter le fruit défendu, de mordre dans la chair de sa chair, alors même qu'elle était encore chaude et fumante. Chaude...

Il mit la main sur la poignée de sa flamberge. La douce chaleur qu'elle dégageait semblait narguer ses doigts gourds et exsangues. Il plaça la pointe de l'arme à la jointure de deux plaques, au niveau de son bas-ventre ; le soleil l'aveuglait en se reflétant sur la lame de son épée immaculée, qui lui apparut forgée de pure lumière. Il posa ses deux mains de part et d'autre de la garde et ferma les yeux.


Une flamme claire s'éleva dans l'air du matin.
Aucun commentaire - [Poster un commentaire]
Il n'y a pas de commentaire. Soyez le premier à commenter cette histoire !

Poster un commentaire

Vous devez vous identifier pour poster un commentaire.
Nombre de visites sur l'accueil depuis la création du site Diablo II : 43.014.427 visites.
© Copyright 1998-2024 JudgeHype SRL. Reproduction totale ou partielle interdite sans l'autorisation de l'auteur. Politique de confidentialité.