Fanfiction Diablo II

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Ira Tenebrae

Par Pierrick et Gerakis

Prologue : L'aube

« - Mon fils, tu reviendras. »

Cinquante cadavres de démons mutilés gisaient à mes pieds. Mon corps entier était couvert de sang, la rage me donnait la force. La rage est la force. Personne ne pouvait m'atteindre, me blesser, me vaincre. Je repoussais les corps, rien de ce que pourrait envoyer mon père ne m'arrêterait.

« - Mon fils, tu reviendras. »

Aucun barreau, aucun mur, aucune porte fermée, juste le chemin de la liberté. Il était long, paraissait sans fin. J'avance d'un pas décidé mais le sol s'allonge, les dalles s'étirent, glissantes à cause des fluides vitaux. Mes pieds se prennent dans leurs mains raides, j'écrase les visages tirés par la haine et la peur. Mais jambes sont un peu lourdes, ce n'est pas normal, elles n'arrêtent pas de se prendre dans les membres tordus de mes victimes. Je trébuche, le sang coulant de mon visage, trempé par la sueur. Je tremble, j'hésite, mes mains ne sont plus aussi sûres. Je ravale douloureusement ma salive, mon échine se courbe, j'essaye de me redresser mais c'est en vain.

« - Mon fils, tu reviendras. »

Je me courbe de plus en plus, comme si un poids énorme pèse sur moi, mes os subissent une pression incroyable, ils veulent ployer mais je suis trop fier. Mes genoux plient, ils vont casser, je veux faire un pas, deux, je crois que je vais tomber. Je lève la tête, des larmes brûlantes, acides, roulent le long de mes joues. Je veux avancer, c'est impossible. La chute est dure, ma poitrine est compressée contre la pierre, mes ongles raclent le sol... Je veux partir, mais on me retient ! La panique s'insinue lentement dans les méandres de mon esprit, j'ai chaud. Un cri muet reste au fond de ma gorge, ma bouche est scellée, j'ai l'impression qu'un bloc m'écrase lentement, j'essaye de m'extraire de ce piège mais mes muscles sont comme tétanisés, ils ne veulent pas bouger. Je ne vais pas mourir ici, c'est impossible ! Impossible... Mes os craquent, la souffrance vrille mes nerfs, mon visage fourmille, c'est mon propre sang qui coule à flot de mon crâne brisé.

« - Mon fils, tu reviendras. »

Je hurle, mes paupières et ma bouche se cousent. La terreur contracte le bout de mes doigts, mes dents rentrent dans la chair de ma gorge, le bruit est horrible. Ma langue se coupe, elle remue toute seule, m'étouffe. Je ne peux plus bouger, mes organes se nouent. Je suis en train de mourir.



Tout le corps en sueur, j'exerçai une puissante pression de mes bras, dans l'espoir de me relever. Mais tout ce que je réussis à faire, c'est défoncer mon sommier...

Il me fallut quelques minutes pour reprendre mes esprits. Des rayons de lumière éclairaient modérément la pièce. J'étais dans ma chambre. Je m'assis sur mon lit et me pris la tête dans les mains, soupirant lourdement. J'essuyai la transpiration présente sur mon visage et, poursuivant mon geste, je m'étirai. En me levant, je jetai un coup d'oeil désabusé à mon lit.

Ce n'était pas la première fois que ça arrivait... Ce cauchemar, toujours le même, et ce depuis des décennies...

Je passai rapidement un pantalon rapiécé et sortis de ma chambre exigüe, préférant rester torse-nu sous la chaleur de ce début d'été.

Comme j'en avais l'habitude, je m'arrêtai au niveau d'une fenêtre, en descendant les escaliers, et contemplai la mer de lumière. Bien que le soleil fût déjà haut dans le ciel, ses rayons renvoyaient des arcs-en-ciel sur les vagues, jusqu'à l'horizon.

L'étendue infinie de cette eau mouvementée me permit de me replonger dans mes souvenirs.

Ce cauchemar n'était pas anodin, il revenait constamment pour ne pas me permettre d'oublier ce que j'étais, ce que je suis...

J'étais né près de deux siècles et demi plus tôt, et avais passé les trente premières années de ma vie en Enfer... Drôle d'endroit pour élever un enfant, direz-vous ? Peut-être, mais pas pour un Démon...

Oui, un Démon... Mon cher petit papa adoré n'est autre qu'Azmodan, Seigneur des Péchés, Maître de l'Enfer depuis la chute des Trois, cinq cent ans auparavant. Un père aimant, sans nul doute, à moins qu'il ne soit aveuglé par l'orgueil et la cupidité qu'il cultive...

J'ai donc appris à me battre comme un Démon, maniant armes et magie à la perfection. Évidemment, avec les meilleurs maîtres d'armes infernaux...

Enfin bref, je suis devenu une véritable machine à tuer démoniaque, portant le nom de Sro-êk.

Pourtant j'ai fui. Au bout de trente ans j'ai décidé de m'éloigner de mon père et des Démons.

J'ai appris, alors que je n'avais qu'une trentaine d'années, que mon honorable mère humaine, malheureusement inconnue, n'avait été fécondée que dans un unique but : je devais être le levier des démons, réunissant leur race et celle des hommes dans un seul corps, pour détruire l'humanité et régner en maître sur Sanctuary.
Un simple outil, voilà ce à quoi j'étais destiné...

Une nuit je suis donc parti de l'Enfer, parti chercher refuge chez les humains alors que j'avais été dressé, tel un chien, à les combattre. En quittant le palais démoniaque de mon père, j'ai emporté tout ce que je pouvais en matière d'artefacts magiques. Nombreux anneaux et amulettes, mais surtout, l'objet qui semblait le plus important à mes yeux, à ce moment : une épée.

Elle était magnifique. Un serpent d'ébène, enroulé sur lui-même, représentait la poignée, sa gueule ouverte offrant superbe une garde dentée. Le reptile crachait une longue lame noire, ciselée, nimbée d'une aura sombre. En m'approchant, je remarquai de fines runes argentées gravées sur le fer. J'ignorai leur signification, mais l'arme était tellement belle et mystérieuse que je m'en saisis avant de reprendre ma fuite, sortant de la salle où trônait un unique piédestal dont je venais de dérober l'ornement.

Le principal souvenir qu'il m'en est resté est la voix omniprésente, semblant résonner dans les murs ensorcelés jusque sous mon crâne. La voix de mon père, me prédisant mon retour inéluctable.

J'ai donc rejoint les hommes, sous le faux nom de Cathorn, pour ne pas évoquer mes origines démoniaques.

Il n'y a que peu de difficultés pour se faire rapidement un nom dans un pays déchiré par les guerres contre les démons. Il suffit de savoir se battre et obéir aux ordres dans un premier temps, puis savoir les donner à une armée. Ce sont trois domaines dans lesquels j'excelle...

Je fus bientôt connu comme le Démon Noir, moins pour mon ascendance, encore tue au peuple, que pour mon apparence, revêtu que j'étais d'une splendide armure de pyranite noire, elle aussi dérobée dans les armureries démoniaques de mon père.

À peine un an me fut nécessaire pour diriger mon propre bataillon de cent hommes. En un an, j'avais appris toutes sortes de choses courantes chez les humains mais qu'on bannit de l'enseignement militaire démoniaque, telles que la solidarité, l'esprit d'équipe. Chez les humains, c'est ce qui prime, car seule leur alliance peut leur offrir l'espoir d'une victoire contre les démons...

Mon épée ouvrait des couloirs sanglants dans les lignes ennemies. Formidable lame, en effet...

Si formidable qu'elle me permit de défaire un Archidiable au bout de trois ans de combats acharnés durant lesquels nombre de démons avaient trouvé la mort.

Je le connaissais. Je l'avais souvent croisé lors de rassemblements militaires où mon père réunissait ses armées avant de les expédier sur Sanctuary. Je le haïssais... Tant son apparence que ses actes et paroles, tout en lui me dégoûtait, et j'avais enfin une occasion de le lui faire comprendre expressément...

Je me souviens encore de son sourire lorsque je me retrouvai face à lui... Ses mots résonnaient sur le champ de bataille où même le vent semblait s'être tu. Tous, hommes et démons, avaient baissé les armes, regardant en notre direction. C'était la première fois, en des siècles d'affrontements, qu'un humain, seul, parvenait face à un archidiable, après avoir éradiqué sa garde personnelle.

- Voici donc le fils du Démon, le traître du Chaos... susurra-t-il de sa voix détestable. Ton père m'envoie te chercher... Le petit garnement a voulu faire une fugue, c'est normal, quand on est jeune... Espérons que ça te passera en grandissant, tout de même. Admet que ce n'est pas très sérieux...

Bouillonnant de rage, je l'attaquai sans autre forme de procès, ignorant les regards interrogateurs qui m'avaient maintenant pris pour cible.

Il était grand, musculeux, la peau bordeaux, arborant les magnifiques cornes enroulées d'un archidiable. Sa cuirasse était limitée aux points les plus vitaux, il se croyait tellement supérieur qu'une protection excessive lui paraissait inutile, chose que je comptais lui faire regretter de la plus amère façon : Une mort violente et expéditive.

Sa colossale épée à deux mains se leva, masquant le soleil, puis tomba si vite et si fort que mon corps entier trembla lorsque je parai l'assaut. Il fut étonné de voir que je pouvais résister, l'ombre cruelle de l'hésitation voila son regard durant un court instant. Pendant cette fraction de seconde je me dégageai, repoussant le fil de mon adversaire. Profitant de cet élan je tournai sur moi-même pour asséner un coup sur l'autre flanc. Les lames se fracassèrent l'une contre l'autre, il contre-attaqua d'un direct que j'esquivai sans peine, roulant sur la droite. Me réceptionnant avec adresse je frappai de taille au niveau du genou, malgré sa rapidité le démon ne put échapper à une offensive aussi sournoise. Ma sombre épée goûta le sang de l'archidiable avec avidité, tranchant le muscle au passage, creusant la chair avec délice. Je souriais de la souffrance infligé. Il pivota d'un quart de tour et balança sa claymore en un arc de cercle violent. Je pliai les jambes puis bondis suffisamment haut pour éviter le coup.

En l'air, je pris mon arme à deux mains, ma lame se leva, masquant le soleil, puis tomba si vite et si fort qu'elle trancha net le crâne de l'archidiable en deux, pétrifié par une botte pareille. Ses os craquèrent et sa cervelle se déversa en un bruit mat purement immonde sur le sol. Une giclée de sang presque jolie s'envola et goutta sur mon visage haineux. La face du monstre se fendit en deux parties, annihilée.

Je restai quelques instants immobile, les jambes fléchies et la lame pointant vers le sol, dégoulinante de sang sombre. J'étais éberlué à l'idée de l'avoir vaincu si rapidement. Une légère décharge dans mon bras droit me fit relever mon épée pour la tenir face à moi, la fixant, plein d'incompréhension.

Je n'entendais pas la foule hurler derrière moi, ni les démons refluer en désordre. Tout ce que je percevais, c'était une pulsation, d'abord presque indécelable, puis montant en crescendo, de plus en plus rapide, devenant désagréable, remontant le long de ma colonne vertébrale, de plus en plus aigu, le son atteignit mon crâne pour en faire vibrer atrocement les parois.

Je ne pris pas immédiatement conscience du fait que je hurlais de douleur, ni que j'avais lâché mon épée pour me tenir la tête.

Je tombai à genoux dans les viscères encore chaudes, puis roulai sur le flanc, ne supportant plus cette horreur insoutenable.

Puis tout s'arrêta, soudainement. Si rapidement que je ne m'en rendis pas compte tout de suite. J'ouvris lentement les yeux pour découvrir un monde couvert d'épais nuages noirs, des collines éclairées par une lumière rouge sombre, et tout autour, convergeant vers moi, des monstres, terrifiants, tels que je n'en avais jamais vus ! Fébrilement, je fouillais dans les débris sanglants, en quête de mon arme. Lorsque je sentis la rassurante poignée sous mes doigts, je me relevai et, d'un revers violent, décapitai aisément le premier démon à portée.

Voyant ma rage, les autres reculèrent prestement, baragouinant dans un langage incompréhensible.

Et d'un seul coup tout revint. Ce fut une véritable explosion de douleur, un enfer se déchaînait dans ma tête, annihilant tout sentiment extérieur, pour ne laisser que la souffrance. Je dus supporter ce supplice plusieurs minutes avant de sombrer dans l'inconscience salvatrice...
À mon réveil, j'appris que je venais de tuer un de mes propres hommes...

Voici comment je me suis rendu compte du cadeau empoisonné que m'avait fait mon père. En réalité il m'a fallu plusieurs expériences de ce genre pour comprendre exactement de quoi il retournait. L'épée, la merveilleuse, la magnifique épée volée dans son palais... Elle possédait un pouvoir extraordinaire : grâce à elle on pouvait vaincre un Archidiable alors que les lames normales ne laissaient que des blessures superficielles, immédiatement soignées par les capacités de régénération des démons. En contrepartie, à chaque démon tué, cette lame me volait un peu de mon âme, proportionnellement à la puissance du démon occis. Pour les grands démons, comme les Archidiables, il m'arrivait à peu près ce qui vient d'être décrit.

Ainsi donc, Azmodan m'avait doté du moyen de le tuer, mais en même temps il s'était assuré que, plus je me rapprocherais de lui en tant qu'ennemi, plus je tendrais à retourner sous sa coupe.

Et pourtant, j'ai continué de me battre. Me battre pour l'humanité, me battre contre mon père, me battre pour me libérer... Je n'étais plus aussi aimé, cependant, après mon premier exploit. Les paroles du démon avaient insidieusement pénétré l'esprit des hommes, et mes actes n'avaient rien arrangé.

J'ai néanmoins apporté mon soutient aux hommes pendant plus d'un siècle encore. Mais je ne vieillissais pas, et ceux avec qui je me liais d'amitié périssaient sur le champ de bataille, ou bien de vieillesse. Mon éternelle jeunesse souleva les esprits forts, et les rumeurs sur mon ascendance se firent plus virulentes que jamais, et pour la plupart, fondées...

Le nombre de morts que je faisais pendant les guerres diminuait progressivement mon âme, et tous les hommes savaient que lorsque j'affrontais un Archidiable, il valait mieux s'éloigner le plus possible, le temps que ma crise passe.

C'est à peu près à cette époque que j'ai tout arrêté. Je déteste me souvenir de ces événements, plus encore que mes cauchemars...
Un de mes amis - le seul et le meilleur que j'aie jamais eu, probablement - se retrouva au milieu d'une rixe de taverne, déclenchée par les opposants au demi-démon que j'étais.

Kane mourut ce soir là. Lui, un des plus grands guerriers que j'aie rencontré, le plus fervent défenseur de l'humanité contre les Démons, fut tué par un groupe d'hommes qui en avaient après moi et ma lignée...

Je poursuivis un à un ces meurtriers dans tous les coins de Sanctuary où ils s'étaient tapis, et leur fis payer leur crime au centuple, usant de mots de pouvoir qui faisaient frissonner les démons eux-mêmes.

Je décidai ensuite d'arrêter de me battre pour cette humanité ingrate. Cheminant jusque dans les plus hauts sommets, au nord du mont Arréat, j'entreposai mon épée démoniaque, encore souillée du sang de ces traîtres humains, dans que nul ne pourrait atteindre aisément. Pour sécuriser encore plus la place, j'ajoutai des enchantements de ma création, formant une véritable prison de glace et de magie pour mon arme.

Et voilà comment je m'étais retrouvé là, dans les montagnes du sud du Kehjistan, où je me terrais depuis plus de cent ans, vivant en ermite, loin des combats, de la cruauté démoniaque, et de la lâcheté humaine.
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