Fanfiction Diablo II

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La chute du dragon

Par Qaillate
Les autres histoires de l'auteur

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Les sabots martelaient régulièrement le sol sec en un son abrupt qui se répétaient en donnant une litanie sans fin. Les landes desséchées défilaient toujours, paysage nu et répétitif. Quelques herbes encore jaunes et rêches parsemaient le sol, tandis que de rares arbustes étendaient difficilement leurs branches impropres à un quelconque bourgeonnement à quelques dizaines de centimètres au dessus du sol. La terre était dure à cause de la sécheresse et par endroits, une argile craquelée indiquait la présence d'un point d'eau, jadis. Au sud, des hauteurs s'élevaient pour former une ligne sombre. Les chevaux tournèrent bride et se dirigèrent dans cette direction. Le soleil achevait sa course, et luisait, immense face rouge, un peu au-dessus du sol à l'ouest, horizon apocalyptique qui faisait s'étendre des ombres démesurées au pieds de simples arbrisseaux aux branches décharnées. Les deux cavaliers arrivèrent au pied des collines alors que le ciel s'assombrissait peu à peu. Brusquement, l'un d'eux arrêta son cheval. L'autre fut surpris et parcourut quelques mètres de plus avant de s'arrêter et de rejoindre l'autre au pas.

« Nous passerons la nuit ici, dit le premier, plutôt qu'à découvert dans les hauteurs.

Il désigna un buisson de vieilles ronces écartées par la sécheresse, qui offrait un abri bien plus que sommaire.

- Oh, non, tu es incorrigible, soupira l'autre cavalier, une femme. Il doit bien y avoir une bonne vingtaine de niches bien plus confortables là-haut, mais monsieur le rôdeur à élu une touffe de ronces rabougrie et épineuse comme toit pour la nuit.

- Ecoute la parole du rôdeur, plutôt que de te plaindre ! A moins de ne vouloir être réveillée par les loups.

- Il n'y a pas de loups ici puisqu'il fait si sec que même une mouche peut à peine y vivre.

- Le monde change, la nuit. »

La femme soupira une seconde fois, mais se plia à la volonté de l'autre. Elle s'endormit assez rapidement, mais l'homme monta la garde jusqu'à l'aube. Le matin, revint une lumière grise avec l'aube, qui était masquée par de fins nuages. L'homme rampa hors du buisson, puis il regarda autour de lui. Le terrain alentours était toujours aussi nu, plat, désolé et gris. Il retourna sous le buisson et réveilla doucement la femme.

« Nous repartons, dit-il simplement. »

Puis il réveilla les chevaux, et ils trouvèrent un sentier dans les collines, alors que le soleil montait lentement dans le ciel. Celles-ci s'élevaient en un massif ondulant, qui grimpaient souvent à près de deux ou trois cent mètres, et descendaient de temps à autre en formant des fissures et des cols peu élevés. Les chevaux commençaient à monter prudemment, en marchant au pas, car le sentier plongeait parfois dans des vallons, ou longeait des talus escarpés, lorsque l'homme commença à parler. Il se tourna vers sa compagne, et montrant les champs desséchés du doigt, il dit :

« Il y avait des prés et des cultures, ici, auparavant. On y plantait bon nombre de céréales, mais aussi des arbres fruitiers, et on faisait également du foin pour le bétail. Des centaines d'agriculteurs s'y affairaient.

- Sais-tu ce qui a pu arriver ?

- Je n'en ai pas la moindre idée. Les champs ont du être abandonnés depuis des mois pour ressembler à cela.

- Des prairies se seraient asséchées ainsi en quelques semaines?

- La terre est beaucoup travaillée ici, et elle est assez peu laissée au repos. Plus de soins, avec un été sec, peuvent faire rapidement énormément de dégâts.

- Y a-t-il un espoir de guérison pour ces terres ?

- Je l'ignore... »

Puis ils reprirent leur chemin. Près de midi, ils découvrirent une source, jaillissant d'un amas de rochers au flanc d'une colline.

« Voici la source de la Gwatëfath, un des affluents du Hwèthrïvar, le fleuve qui passe près de Duncraig et se jette dans le Grand Océan à Kingsport. Mon clan s'installe toujours entre la source et le confluent avec le Hwèthrïvar. Nous ne somme plus très loin. »

Ils voyagèrent toute la journée et n'avaient toujours rien trouvé alors que la journée tirait à sa fin, et que les ombres s'allongeaient. Ils parvenaient à la fin des collines, et les dénivelés se faisaient de moins en moins importants. La Gwatëfath coulait au fond d'un val, fougueuse ligne blanche qui serpentait rapidement entre les pierres. Son lit s'élargissait au fur et à mesure de leur progression. Bientôt, le sentier les mena tout près de la rivière. Le ciel commençait déjà à se teinter d'orange.

« Nous devrions nous arrêter ici, dit la femme.

- Le camp ne devrait pas être très loin, répondit l'autre. Nous devrions continuer à chercher.

Il y avait une discordance étrange dans sa voix, et sa compagne la décela.

- Qu'y a-t-il ?

- Rien...juste un mauvais pressentiment. Continuons à chercher, nous approchons du confluent, le camp ne doit plus être très loin. »

Ils poursuivirent donc leur chemin le long de la rive, tandis qu'à leur droite, l'horizon était rouge , telle une plaie sanglante dans le ciel. Ils perçurent bientôt un grondement, qui s'amplifia au fur et à mesure de leur marche. Ils arrivaient près d'une chute d'eau.

« Arrêtons-nous, proposa la femme. Nous les trouverons demain.

Mais son compagnon ne pouvait s'arrêter, guidé par son instinct vers la cascade. Il murmura juste :

- Encore quelques minutes. »

Il arriva près de la chute d'eau. La Gwatëfath s'écrasait en grondant vingt mètres plus bas. Là, le mur d'eau s'écrasait dans un vacarme vrombissant dans un petit lac à côté duquel se trouvait un campement, ou du moins ce qu'il en restait.

Des cendres. Des tentes, des charrettes, des corps en cendres. Le campement était complètement ravagé. Des tentes, ne restaient que des cendres ou des lambeaux de tissu flottant au gré du vent, retenu par des piquets. Des cadavres jonchaient le sol. Les paladins avaient été massacrés. L'homme dévala la pente. Il arpenta les restes fumants du campement, et ce qu'il vit l'horrifia. Ils n'avaient pas seulement tué les guerriers. Il se pencha sur un des cadavres. Ils avaient aussi tué les apprentis, des enfants à peine en âge de se battre. Le garçon qui gisait devant lui devait avoir à peine quatorze ans. Son épée était fendue près de la garde, et son bouclier était percé d'une lance. Plusieurs flèches perçaient son torse. D'autres avaient péri brûlé par des projectiles enflammés; la plupart étaient morts en tentant de protéger leurs familles. L'homme vit un jeune paladin, âgé de guère plus de vingt ans, tenant encore le cadavre de sa femme contre lui dans la mort. Son regard vagua un moment. Il vit les corps d'hommes qu'il avait connu, qui avaient été ses amis. Des enfants sans défense morts dans l'incendie de leurs tentes. Puis...

Il était assis le dos contre un arbre, comme s'il se reposait. Mais le voyageur, se rapprochant, vit qu'il était percé de maintes flèches empennées de rouge. Il avait encore l'épée à la main, et son bouclier fendu en deux se trouvait à son côté. Il était tombé mais avait gardé le front haut, et ainsi l'homme avait pu reconnaître son visage. Il restait quelque beauté et quelque noblesse dans l'expression de courage désespéré que l'on pouvoir voir sur le chef de cet homme. En attestait le grand nombre d'ennemis abattus qui gisaient autour de lui et à ses pieds. Une vingtaine au moins étaient tombés là. Le voyageur s'agenouilla auprès de lui, et prit la main du mort. La femme qui s'était laissée distancer le trouva ainsi :

« Grihor...commença-t-elle

Mais ce dernier ne répondit pas.

- Est-ce ?...

- C'est mon père, coupa Grihor.

- Qui donc a pu faire cela ?

- Je l'ignore, Ercala, je l'ignore, dit-il avec lassitude.

Il se leva alors, et se détourna, du corps de son père et de la silhouette de sa femme, pour se pencher sur les ennemis morts dont les cadavres jonchaient le sol. Il s'agissait bien d'hommes, vêtus d'une cuirasse couverte d'un habit de cuir noir. Leurs visages étaient dissimulés par un foulard rouge sang qui ne laissait apparaître que leurs yeux. Ils portaient tous au bras gauche un brassard de tissu sur lequel était représenté un blason. Ce dernier représentait un dragon rouge rugissant et crachant des flammes. Grihor remarqua cependant que le dragon de l'écusson était couronné.. Il arracha l'un des brassards et l'emporta avec lui, puis dit à Ercala.

« Nous ne pouvons dormir ici. Mets toi à la recherche d'un endroit pour passer la nuit. Je vais rester un instant ici, puis je te rejoindrai.

- D'accord, acquiesça-t-elle. »

Il dénicha un pelle parmi les décombres, et entreprit d'enterrer son père, tandis qu'au-dessus de lui, le soleil mourant rougeoyait en disparaissant derrière l'horizon. Lorsqu'il eut terminé son oeuvre, il pleura tant qu'il finit par en tomber à genoux au côté de son père défunt. Le brassard rouge glissa alors de son vêtement. Il le rattrapa, et son poing serra le tissu si fort que ses phalanges blanchirent. « Où que tu sois, dragon rouge, où que tu te caches je te retrouverais, pensa-t-il. Et alors tu paieras. »
Le monde était pâle. L'herbe givrée luisait à la lueur du pâle soleil. L'aube qui pointait à l'est était telle un halo rose perdu dans une immensité céleste gris acier. Deux cavaliers fendaient ce paysage d'une poésie incommensurable en faisant voler des nuages de rosée. Grihor et Ercala avaient passé les collines depuis une semaine à présent. Ils arpentaient les plaines côtières à la recherche d'un gîte et de renseignements sur les évènements récents. La plupart des fermes étaient abandonnées, et les champs, bien que peu entretenus, se trouvaient dans un bien meilleur état que ceux du nord, car le climat de ce côté-là des collines était plus humide, du fait de la proximité des Mers Jumelles. Une longue route divisait en deux la plaine. Ils l'atteignirent, et d'un signe de tête entendu, décidèrent de la suivre. Au bout d'une heure de chevauchée, ils virent une auberge.

Le bâtiment, haut de deux étages, était encadré d'un mur qui englobait également une cour à l'arrière. La façade longeait néanmoins la route. Une arche traversait le bâtiment pour accéder à la cour, à côté de laquelle se trouvait une porte, au dessus de laquelle trônait une enseigne représentant un dauphin. Grihor alla cogner contre la porte. Personne ne répondit. Il frappa de nouveau, si bien que le dauphin se balança au bout de sa chaîne. Un homme revêche se présenta à la porte. Le paladin dégaina aussitôt son épée, car l'aubergiste tenait une arbalète au poing. Celui-ci affichait un air suspicieux, et son regard s'attarda sur l'épaule gauche de Grihor. Puis il baissa enfin son arme.

« Désolé, dit-il, entrez.

L'intérieur était vide de tout client, et les meubles ramassaient la poussière. Grihor et Ercala s'installèrent à une table près du comptoir.

- De la bière ! commanda le paladin.

- Nous n'en avons plus, dit l'aubergiste.

Puis il descendit à la cave, et remonta une bouteille de vin à la main.

- En revanche, il me reste un peu de vin, je vous le propose donc.

- Cela fera l'affaire, sourit Ercala.

- Permettez-moi de m'asseoir, dit l'aubergiste, ce qu'il fit en soupirant. Vous avez l'air de voyageurs, et pas vraiment au courant des nouvelles.

- C'est effectivement le cas, dit Grihor.

- Hé bien tout a commencé quand le vieux roi Rìkard est mort, le pauvre. Le seul qui pouvait lui succéder, le dauphin si on pouvait dire, c'était le petit Nìkhols. Il avait à peine seize ans, alors vous pensez bien que tous les nobles se sont jetés sur l'occasion. Le plus rapide, ça a été Tayfird, un type de l'ouest. Il avait préparé son coup à l'avance, à ce qu'il semblait. Il a fait venir des mercenaires et les a fait entrer clandestinement à Duncraig. Et la veille du couronnement, ils ont investi le palais royal, et ils ont fait un vrai massacre. Nìkhols ne s'en est pas tiré. Tayfird s'est fait couronner à sa place. Et il a fait déplacer la capitale à Kingsport, parce que vous comprenez, il avait beaucoup d'influence là-bas. Il avait de drôles d'idées, ce Tayfird. Il voulait tout mettre en commun dans ses hangars et redistribuer ensuite selon sa convenance. Et pour mettre en place sa politique, il a acheté lui même beaucoup de moulins, de champs, de terrains, de compagnies et d'autres trucs comme ça. En vérité, très peu de gens partageaient sa façon de voir les choses. Mais il avait une réponse toute prête. Ces types qu'il avait utilisé pour prendre le pouvoir -ils étaient une quarantaine, peut-être, à l'époque-, il nous les a pour ainsi dire ressortis de leur boîte et il a fait mettre un tas de gens aux geôles. Du coup, du côté de Kingsport et surtout de Duncraig, ça a protesté encore plus. Et lui, il a ordonné un massacre en règle. Sa milice a fait une rafle dans toutes les grandes villes, et ils ont fait arrêter tous ses opposants. C'est là qu'on a découvert qu'il avait des espions presque partout, car ses hommes était bien renseignés. Il a même fait assassiner des hommes influents qu'il soupçonnait de comploter « contre le peuple », comme disent ses hommes. Mais en fait de peuple, c'est plutôt pour lui qu'il gouvernait, et pour nul autre.

Et il a continué a acheter des terrains, pour que les récoltes lui appartiennent, mais bientôt, il commença à se les faire donner, car sa milice menaçait les gens. Et ils avaient peur, car ceux que la milice arrêtait devaient aller travailler dans les terres qu'il possédait au nord-ouest. Et même si personne n'en revenait, des rumeurs couraient comme quoi on y était traité comme des esclaves. Et c'est sans doute vrai. Quoiqu'il en soit, ces gens qui étaient enrôlés à travailler là-bas devaient abandonner leurs champs; et c'est comme ça que le nord-est du pays est devenu un désert. Tous ceux qui vivaient là-bas ont du abandonner leurs terres pour aller travailler comme des esclaves plus loin à l'ouest. Dans cette région aussi, de nombreux champs ne sont plus cultivés, comme vous avez pu le voir. Mais on a l'air de la mer qui permet de maintenir à peu près les choses en l'état.

Mais depuis quelques mois, apparemment, le système de Tayfird n'était plus assez rentable. Il a donc mis en place un système de ramasseurs et de répartiteurs. Les premiers, il serait plus juste de les appeler les pilleurs, et les seconds on n'en entend jamais parler. Et depuis qu'ils ont installé ça, c'est la ruine pure. Il y a eu quelques insurrections, un peu partout dans le pays, mais ça n'a pas suffit, et les Sections Spéciales de la milice les ont matées. Ca a fini dans un bain de sang. Ces types sont des fous, vous pouvez me croire. Ils ont fait mettre à mort des paysans en colère, oui, mais aussi leurs femmes et leurs enfants. Depuis, tout le monde se tait, et c'est la terreur. A Kingsport, ils défilent carrément dans les rues, pour montrer qu'ils sont les maîtres du pays. La seule région où on peut être libre, c'est près de la frontière avec l'Aranoch, vers Hasoas. Vous savez, les habitants du coin, ils n'ont jamais vraiment été soumis à l'autorité du roi en temps normal, alors ce parvenu de Tayfird ne leur a pas plus du tout. Ils se sont mis en révolte, et quand les Sections Spéciales sont arrivées, ils ont eu une mauvaise surprise. Vers Hasoas, ils ont l'âme intrépide, et ils connaissent leur pays par coeur, contrairement aux Sections Spéciales. Les habitants les ont repoussés, et le coin est devenu un maquis, et là-bas ils accueillent quiconque souhaite combattre Tayfird. Il paraît que les clans de paladins errants, dans les collines pas loin d'ici, les soutiennent. Je ne sais pas ce qu'il en est.

Ercala et Grihor échangèrent un regard.

- Voilà, je vous ai dit à peu près tout ce que je sais. C'est à présent à votre tour.

- Je m'appelle Ercala, dit l'intéressée. Après un instant d'hésitation, elle ajouta : je suis une Zann Esu.

- Une sorcière ? Je n'avais jamais vu aucune des vôtres, et les vous ne ressemblez pas à celles des chansons.

- Des chansons ? demanda Grihor

- Les chansons pour enfants parlant de sorcières. Elles évoquent généralement les Zann Ûrsath. Des renégates. Mais passons.

- Je me nomme Grihor, dit le paladin. Je fait partie du principal clan de paladins errants de l'ouest.

- Vous êtes un paladin errant? Savez-vous ce qu'il en est réellement des paladins ?

- Mon clan a été décimé.

- Je...

- Vous n'avez pas à vous excuser. Que savez-vous du dragon rouge ?

- Le dragon rouge ? Hé bien, c'est l'emblème de Tayfird. Vous savez pourquoi je vous ai regardé le bras tout à l'heure? Les Sections Spéciales portent un brassard représentant cet emblème sur leur bras. C'est un signe distinctif par rapport à la milice. Pourquoi me demandez-vous cela ?

- J'ai mes raisons. Ecoutez, je crois qu'il faut maintenant parler franchement. Vous m'avez l'air d'être opposé aux idées de Tayfird.

- C'est le cas, puisqu'il faut être honnête. Puis-je vous faire confiance ?

- Absolument. J'aurais besoin de votre aide.

- Dans quel but ?

- Je vais tenter de renverser Tayfird, dit Grihor. Et pour cela, j'aurai besoin de votre aide.

- Je suis trop vieux pour me battre. Et de toute façon, votre quête est désespérée, à deux.

- N'en soyez pas certain. Il se trouve que j'ai une certaine expérience du combat, et qu'il en va de même pour ma compagne. J'aurai seulement besoin d'un transport pour entrer discrètement dans Kingsport, et d'un logis sûr là-bas. Vous devez bien connaître quelques collègues fiables ?

- Oui, il se trouve qu'un de mes frères est tavernier à Kingsport. Et pour le transport, un marchand qui habite près d'Hasoas passe régulièrement ici. Je ne doute pas qu'il acceptera d'accueillir quiconque désire agir contre Tayfird. En attendant, je vous propose de vous héberger. Gratuitement, ajouta-t-il avant que Grihor ait pu dire quoi que ce soit. »

Le surlendemain, un homme se présenta à l'auberge. Il avait le teint mat, le regard vif et plein d'entrain, mais il était difficile de lui donner un âge.

« Voici Ylln, dit l'aubergiste. Il vous mènera à Kingsport.

- Je transporte un chargement de foin là-bas. Pour devancer les « ramasseurs », ajouta-t-il.

- N'y a-t-il pas de fouille aux portes de la ville ? demanda Grihor.

- C'est justement le problème.

- Je peux entrer, dit Ercala, sans être repérée, pour peu que vous m'ameniez en vue de la ville.

- Il n'y a donc pas de problème là-dessus, dit l'aubergiste. Et quant à vous, Grihor ?

- Je pense qu'Ercala trouvera une fois sur place le moyen de me faire entrer.

- Soit. Ercala, lorsque vous serez à l'intérieur de la ville, cherchez Le Grand Foc. Et restez discrète. Une fois là-bas, demandez une chambre au tavernier, c'est mon frère. Dites-lui que vous venez de la part de Doaren. Si je puis me permettre, je pense que vous pourrez faire entrer Grihor par les docks. C'est une zone difficile à contrôler pour la milice et les Sections Spéciales.

- Bien. Nous procéderons donc ainsi, dit Grihor. Il est temps de partir, à présent. Doaren, je vous remercie infiniment de nous avoir accueilli et aidé. Nous nous reverrons, si jamais je réussis.

- J'y compte bien ! Bon, il semble que le moment soit venu. Ne traînez pas, il faut arriver là-bas avant la nuit pour ne pas être suspect. Au revoir !

- Adieu ! dit Ercala. Partons, Ylln.

- La charrette est prête !»

Grihor et Ercala grimpèrent et se dissimulèrent dans le tas de foin. Ylln rpit les rennes et fit partir ses chevaux. Derrière eux, l'auberge de Doaren se fit forme indistincte, puis point, et enfin disparut. Devant eux, les épreuves attendaient. Grihor serra le brassard rouge dans son poing. La vengeance était proche.
« Nous arrivons bientôt ! cria Ylln.

Dans le tas de foin, Grihor se tourna et dit :

- Je dois y aller.

- Comment te ferais-je entrer ?

- Dans les vieux docks, près du rivage, il est difficile de surveiller les entrées. Essaye d'obtenir une barque. Je serais là-bas vers minuit. »

Puis il sauta de la charrette, avant que celle-ci n'arrive en vue des murs de la ville. Moins d'une heure plus tard, ils arrivaient aux portes de Kingsport. Quelques gardes se trouvaient là. Ils avaient un brassard rouge au bras gauche.

« Qu'avez-vous là ? dit l'un d'eux en s'approchant, d'un ton autoritaire.

- Du foin. Je vais le livrer aux entrepôts populaires.

- Rien d'autre ?

- Rien. »

L'un des gardes se saisit d'une fourche et s'approcha de la charrette. Ercala fixa le mur de la cité devant elle. Elle sentit le mana monter en elle, puis elle disparut au moment ou le garde planta sa fourche au milieu du tas de foin. Après quelques autres coups, il dit :

« C'est bon, entrez. »

Mais Ercala était déjà dans la ville. Après avoir vérifié que personne ne l'avait vu apparaître, elle se mit en route. Kingsport était une ville moderne, habituellement pleine de l'agitation de ses habitants, des cris des marchands, des discussions d'amis. Mais à présent les rues étaient presque désertes. Les gens parcouraient les rues d'un air pressé, et il était évident qu'il valait mieux rester chez soi. Alors qu'Ercala arrivait sur une vaste place, elle vit tout un contingent de Sections Spéciales, environ une soixantaine, qui patrouillaient d'un pas mécanique. Au centre se trouvaient de grands étendards alignés représentant un dragon rouge crachant feu et flammes, inscrit dans un cercle noir sur fond rouge. Les mêmes étendards, larges d'environ deux mètres pour une hauteur de plus de huit mètres, étaient accrochés aux maisons qui délimitaient la place. A l'approche des Sections Spéciales, les citadins se faisaient nerveux, et les rares que l'on voyaient à discuter dans les rues se séparaient précipitamment. Ercala se pressa et atteignit une ruelle marchande. Elle alla trouver l'un d'eux et lui demanda son chemin pour trouver la taverne du Grand Foc. Une fois là-bas, et après avoir marché une heure et croisé trois autres patrouilles, elle entra.

La taverne du Grand Foc était un bâtiment à un étage, mais qui s'étalait cependant sur une superficie conséquente. Elle se trouvait plutôt dans les quartiers de l'ouest de la cité, assez près du littoral du Grand Océan, près de l'estuaire. Sa clientèle était donc logiquement composée principalement de marins ou d'étrangers. Cependant, la dictature de Tayfird rebutait nombre d'entre eux, comme Ercala put le voir. Sur les dizaines de tables qui occupaient la salle spacieuse, seules quelques unes étaient occupées. Le tavernier se trouvait au fond de la salle, accoudé sur son bar, avec une expression d'ennui sur le visage. La jeune femme se dirigea vers lui.

« Auriez-vous une chambre libre pour plusieurs nuits ?

- Vous comptez rester combien de temps ?répondit l'autre d'un ton désinvolte

- Je ne sais pas, dit-elle. Puis elle ajouta :

- Je viens sur les indications de Doarren.

L'autre sursauta comme une bête traquée que l'on surprend, lança quelques regards dans toutes les directions.

- Pas si fort ! finit-il par chuchoter. Suivez-moi.

Il l'entraîna dans une pièce à part, puis lui demanda :

- Que faites-vous ici ? N'êtes-vous pas au courant de la situation ? Tayfird a des oreilles partout.

- Je suis venue afin de renverser Tayfird. Vous m'avez été recommandé par votre frère.

Le tavernier eut l'air incrédule un moment, mais il se reprit.

- Hé bien ! Pour une nouvelle, c'est une nouvelle. Combien sont avec vous ?

- Je serais aidée par un de mes amis, si je parviens à le faire entrer dans la ville.

- Vous plaisantez ?

- Pas du tout.

- Vous comptez vous introduire dans le palais de Tayfird à deux ? Savez-vous au moins combien de gardes le surveillent ?

- Ne vous inquiétez pas pour cela.

- Si vous vous faites capturer, je le serais aussi ! Vous n'avez aucune chance, et si vous échouez, vous me condamnez !

- Nous n'échouerons pas. Nous sommes de ceux qui ont affronté les Trois, si cela vous évoque quelque chose.

- Soit. Admettons que vous réussissiez. Que vous faut-il ?

- Un moyen de faire entrer mon compagnon dans Kingsport, vers minuit. Et une chambre pour quelques jours. Êtes-vous prêt à prendre ce risque ?

Le tavernier réfléchit longuement, puis finit par dire.

- Bon. De toute manière je ne puis supporter Tayfird et sa clique une semaine de plus. Je vous suis.

- Parfait. Serait-il possible, par le plus grand des bonheurs, que vous connaissiez le moyen de faire entrer Grihor ?

-Je connais quelques pêcheurs qui habitent près de l'estuaire. Si vous vous dépêchez, il serait possible de leur emprunter une barque. Mais pour cela il vous faudrait d'abord réussir à entrer dans le quartier de l'estuaire. Il y a pas mal de troubles, là-bas, et il est difficile d'y entrer ou d'en sortir. Mais les gens seront près à aider quiconque est ennemi de Tayfird. Vous devriez y aller dès ce soir, le brouillard vous facilitera la tâche. Je vous libérerai une chambre au premier.

- Je vous remercie sincèrement, monsieur...

- Stern. Bonne chance à vous, mademoiselle. »

Ercala ressortit donc. La nuit était tombée, et une brume flottait au-dessus des eaux du fleuve qui serpentait entre deux berges longées par de longs entrepôts, tandis que de temps à autre, des appontements de bois s'élançaient vers le milieu de la Hwèthrïvar. Elle marcha environ trente minutes avant d'arriver à un carrefour entre trois rues. Celle qu'elle empruntait, venant du nord-est, coupait les deux autres de telle manière qu'un quidam se trouvant sur la voie de gauche ne pouvait apercevoir la jeune femme, tout en étant visible de la position d'Ercala. La voie de droite menait vers l'ouest, où elle parvenait à un pont qui surélevé qui traversait. La rue de gauche menait vers le sud, et elle était coupée par une grande barrière gardée par deux membres de Sections Spéciales. La jeune sorcière hésita, puis s'avança vers la barrière. Les deux gardes ne tardèrent pas à remarquer sa présence, et la mirent en joue. Soudain, l'un d'eux s'écroula, mort percé d'une flèche dans le dos. Le second se retourna. Un homme, dont le visage était dissimulé par un masque, se tenait, arbalète au poing, derrière la barrière. Le garde et l'homme à l'arbalète commencèrent à se tirer l'un sur l'autre par-dessus la barrière. Ercala sauta sur l'occasion, et se téléporta derrière la barricade au moment où le garde abattait son adversaire. Elle reprit sa marche, se félicitant d'être entrée dans le quartier de l'estuaire.

Il était manifeste que l'endroit avait le théâtre d'âpres affrontements. Le fleuve serpentait entre des maisons en ruine construites au niveau de l'eau, sur les berges, et sur des îlots au milieu de la Hwèthrïvar. La plupart n'étaient plus que décombres inondés. La chaussée était défoncée et partiellement immergée. A un carrefour, Ercala, qui s'était préalablement cachée derrière des barils vides, vit une brigade des Sections Spéciales arpenter la rue d'un pas raide, mais moins assuré que ceux que la jeune femme avait vu sur la place principale de la ville. Elle attendit qu'ils aient disparu pour s'engager dans une ruelle étroite épargnée par les combats. La plupart des maisons étaient désertées, mais Ercala décela la lueur d'un feu à travers l'une des fenêtres qui donnaient sur la rue. Elle enfonça la porte de la maison, et trouva un vieil homme lové dans une couverture de laine, auprès d'un feu. Il bondit immédiatement sur ses jambes fragiles et dégaina un poignard.

« Calmez-vous, dit la jeune femme. Je ne vous veux aucun mal.

- Comment pourrais-je en être certain ?demanda le vieil homme. Il regarda son poignard d'un air découragé, et ajouta : de toute façon, je ne suis pas de taille à vous affronter. Et puis, vous n'avez pas l'air malhonnête.

- Qu'est-il arrivé à ce quartier ?

- Vous n'êtes pas du coin ?

- Non, en effet.

- Et vous êtes quand même au courant pour Tayfird et ses Sections Spéciales, et tout ça ?

- Oui.

-Bon, tant mieux. Hé bien ce quartier, dit le vieil homme, et l'un des seuls qui ait tenté de résister aux hommes de Tayfird. Alors ils ont tenté de forcer l'entrée, mais ils n'y sont pas arrivés, car des gars jeunes et fringants s'étaient déjà préparés à un assaut. Alors Tayfird a ordonné d'employer les grands moyens. Ils ont encerclés le quartier avec des engins de siège, des catapultes et tout ça, ils nous ont bombardés pendant plus de deux semaines. Et ensuite ils ont envoyé des tours de sièges pour entrer, comme pour une bataille en règle, mais les massacres qu'ont fait les Sections Spéciales par la suite outrepassaient fort les usages de la guerre, m'est avis. Et maintenant, la résistance continue, mais les Sections Spéciales patrouillent dans les rues, le quartier menace ruine, et il est en quarantaine.

- Qu'est-il arrivé aux habitants ?

- La plupart ont été massacrés. Quelques pêcheurs, comme moi, ont réussi à se cacher pour échapper à la Milice.

- Vous êtes un pêcheur ? Serait-il possible de vous emprunter une barque ?

-Bien entendu, répondit le vieil homme, si vous parvenez à atteindre les embarcadères. Mais pourquoi voulez-vous un bateau à une heure pareille ?

- Il se trouve que je cherche à faire entrer quelqu'un dans la ville. Je dois venir le trouver près de l'estuaire vers minuit.

- Faire entrer quelqu'un ? Mais alors vous êtes de la résistance ? dit le pêcheur d'un air subitement intéressé.

- Disons que mon associé et moi cherchons à remettre certaines personnes à la place. Pouvez-vous me mener à votre barque ?

- Bien sûr. »

Le vieux pêcheur vida un seau d'eau sur le feu, s'emmitoufla dans un manteau usé, et guida Ercala hors de la maison. Dehors, une fine bruine tombait, créant un fin rideau gris autour d'eux, tandis que les clapotis des gouttes tombant dans le fleuve couvrait le bruit de leurs pas. Ils parvinrent, au bout de quelques dizaines de minutes de marche, aux docks. La plupart des bateaux avaient été détruits, mais le vieil homme la mena à une barque capable de transporter trois ou quatre personnes.

« Grimpez, dépêchez-vous, ordonna le pêcheur.

Il se saisit d'une rame, et le bateau se mut lentement, sans bruit, sur l'eau.

- Votre ami connaît bien la ville ?demanda-t-il

- Je suppose, oui...

- Dans ce cas je pense qu'il cherchera à entrer dans la partie est de l'estuaire. C'est la plus accessible. »

Il trouvèrent une petite crique, éteignirent leurs torches afin de ne pas être repérés du rivage, et attendirent là. Une heure passa tandis qu'il se tenaient debout, silencieux et à l'affût du moindre bruit, puis deux. Enfin, lorsque la lune passa derrière des nuages, il y eut une grande éclaboussure à l'arrière de la barque, et le buste d'un homme jaillit hors de l'eau. Il déposa d'abord un sac pesant, puis Ercala et le pêcheur l'aidèrent à grimper à bord. Il tremblait de froid comme un possédé, puis finit par se reprendre, et se leva.

« Merci à vous, commença-t-il à l'intention du vieil homme. Je me nomme Grihor.

- Heureux de faire votre connaissance, répondit l'autre. J'espère que vous mènerez à bien vos projets, à présent.

- Je m'en chargerai le plus tôt possible, assura le paladin. Peut-être pourrions-nous retourner au rivage, à présent ? »
Grihor émergea lentement du sommeil. Ercala était allongée autour de lui, le visage affichant une expression paisible. Une goutte de sueur coula le long de son menton après avoir dévalé sa tempe. La nuit n'avait pas été facile pour le paladin, et ses songes n'avaient guère été agréables. Il ne cessait de voir son père mort, le torse percé de plusieurs flèches. Il se leva, déterminé à se changer les idées. Dehors, la neige avait remplacé la pluie, et les trottoirs de Kingsport étaient couverts d'une fin linceul blanc. Cela ne dérangeait pas ses plans.

La veille, Ercala l'avait présenté au vieux pêcheur, puis à Stern, le tavernier. Ils s'étaient entretenus sur les possibilités qu'offraient un assaut sur la palais de Tayfird. L'opération devait avoir lieu le soir même, car chaque jour de présence dans la cité augmentait leurs chances d'être découverts. Grihor s'habilla en hâte, et descendit dans la salle principale. Quelques marins étaient paresseusement accoudés au bar, tandis que d'autres parlaient dans des langues étranges, autour des nombreuses tables circulaires. Lorsque Stern aperçut le paladin, il termina sa tournée en hâte avant de le rejoindre.

« Plusieurs membres de la Milice sont passés dans le quartier, un peu avant l'aube, dit le tavernier. Tayfird a des yeux et des oreilles partout. Vous devriez agir vite.

- Le plan se déroulera ce soir. Mais nous aurons besoin de vous. De nombreux prétendants, qui ne valent guère mieux que Tayfird, guettent l'instant de sa chute pour récupérer le pouvoir. Essayez d'avoir avec vous plusieurs hommes afin de protéger nos arrières lorsque nous aurons atteint l'intérieur de palais.

- Il ne va pas être facile d'organiser cela discrètement.

- Recrutez des alliés dans votre clientèle. Nous agirons cette nuit. Déployez-vous deux ou trois heures avant l'aube autour du palais. »

Grihor et Stern se quittèrent alors. Plus tard, Ercala se réveilla. La journée passa à la vitesse de l'éclair. Grihor se souvint de s'être entraîné le matin, puis d'avoir déjeuné en compagnie de Stern, Ercala, et quatre marins venant d'Hasoas, qui s'étaient déjà portés volontaires. Puis il s'était reposé, et avait cédé à un sommeil agité de cauchemars hantés par l'image de son père assassiné par des hommes masqués, et enfin s'était réveillé en fin d'après midi. Puis le dîner frugal était passé à toute vitesse, et enfin, lorsque la tension était montée à son comble, il fut temps de partir.

Grihor et Ercala quittèrent la taverne ensemble, marchant dans la neige qui recouvrait encore la chaussée. Le faible nombre d'empreintes indiquait clairement que la terreur des Sections Spéciales contraignaient les habitants à se cloîtrer chez eux. A l'inverse, de larges couloirs de traces attestaient du passage d'une patrouille. Ils s'appliquèrent à éviter les rues trop empruntées. Le paladin et la sorcière marchèrent plus d'une heure, et traversèrent notamment le fleuve, avant de parvenir près du palais de Tayfird, et après avoir croisé trois patrouilles. C'était un grand bâtiment de forme carrée, encadrée aux quatre angles par quatre tours où siégeaient des guetteurs. Le palais lui-même était monté sur cinq étages, dont le rez-de-chaussée servait de remise, et les sous-sols de prison. L'entrée principale, et unique accès, menait via un large escalier de marbre blanc, directement à la grand porte donnant accès directement au premier étage. Celle-ci était gardé par deux gardes à l'air féroce.

« Nous allons entrer par la porte principale, dit Grihor. A présent, la discrétion ne compte plus. Mais tu devras d'abord te charger des quatre vigies là-haut, ajouta-t-il en montrant les tours.

Ercala acquiesça et se téléporta immédiatement au sommet de la tour la plus proche. Il y eut une brève lumière, puis le paladin distingua la silhouette du guetteur qui tombait dans le vide. La sorcière répéta l'opération à trois reprises, puis revint auprès de son compagnon.

- Entrons, à présent.

Ils s'avancèrent au bas de l'escalier, puis le remontèrent. Parvenus au sommet de ce dernier, ils furent arrêtés par les deux gardes qui croisèrent leurs hallebardes. Le premier fut égorgé d'un revers de lame, le second tué par une secousse électrique létale. Grihor rejeta son capuchon en arrière.

- Plus besoin de nous cacher, à présent. »

Puis il asséna à la porte un puissant coup de pied, et celle-ci s'ouvrit avec fracas. Le hall était proprement immense. Il occupait trois étages de hauteur, et sans doute toute la largeur du bâtiment, et devait être long de près de cinquante mètres. Trois rangées de fenêtres occupaient trois des quatre murs, situées à deux, cinq et huit mètres au-dessus du sol, qui habituellement illuminaient la salle, mais à cet instant, seules entraient l'obscurité et une bise froide. Plusieurs rangées de colonnes de marbre blanc quadrillaient la salle, laissant une allée rectiligne au centre, surplombée par une arche partant du milieu de chaque colonne qui bordait l'allée.

Les nombreux gardes en factions ne tardèrent pas remarquer la présence du paladin et de la sorcière. La plupart périrent dans des murs de flammes. De nombreux autres furent abattus par les hydres invoquées par Ercala, et Grihor se chargea du petit nombre qui avaient pu les atteindre. Une fois la salle vidée, ils se dirigèrent vers l'extrémité de l'allée, où se trouvait une lourde porte de bois. Une boule de feu la fit voler en éclats. Ils pénétrèrent dans un corridor apparemment désert, mais qui grouilla bien vite d'ennemis. Les éclairs en série d'Ercala firent un carnage. Mais Grihor tua également de nombreux ennemis. Mais ceux-ci se faisaient néanmoins de plus en plus nombreux, car de nombreux couloirs communiquaient avec le corridor principal dans lequel ils se trouvaient, et ainsi ils furent bien vite encerclés. Ercala invoqua deux murs de feu autour d'eux pour se donner un instant de repos.

« Nous devons nous séparer ! cria le paladin. Retiens les ici, et j'irai jusqu'au niveau supérieur. De ton côté, essaie d'arriver près de l'accès à l'étage d'au-dessus, et d'y rester afin de me couvrir.

- C'est compris. Les murs vont bientôt disparaître. Je vais lancer un champ statique, qui suffira à les occuper un moment. Tache de mettre cet instant à profit pour courir. »

Les flammes en effet disparurent dans l'instant qui suivit, et Ercala lança un nouveau sort. Tous les gardes autour d'eux se tordirent de douleur, et le paladin en profita pour prendre la fuite. Il courut pendant quelque mètres, évita l'attaque d'un garde qui se ruait sur lui, trancha le bras d'un autre, puis atteignit le pied de l'escalier qui menait à l'étage supérieur. Celui-ci était assez petit et étroit, et surtout extrêmement raide, montant en s'enroulant sur lui-même. Il trouva une porte à mi-chemin, et l'enfonça. Juste derrière se trouvait un homme au visage masqué par un foulard rouge, et portant un brassard. Il était entré dans le domaine des Sections Spéciales. L'autre réagit avec une rapidité reptilienne et dégaina instantanément un poignard à la lame longue et effilée. L'homme se jeta immédiatement sur Grihor, mais celui-ci plongea pour éviter l'attaque. Le membre des Sections Spéciales attaqua de nouveau, mais le paladin parvint à parer son coup et rétorqua avec un coup de pied en plein ventre qui déséquilibra son adversaire. Ce dernier dégringola de plusieurs marches, et atterrit finalement une douzaine de marches plus bas, la nuque rompue. Grihor reprit son ascension et avait grimpé de plusieurs mètres lorsqu'un nouvel agresseur se jeta sur lui. Le paladin le repoussa d'un coup de bouclier contre le mur, puis attendit une contre-attaque qui ne vint pas. Baissant sa garde, il vit que son adversaire s'était empalé sur l'un des porte-étendards qui saillait du mur. Il monta encore quelques marches, et parvint enfin à l'antichambre de la salle du trône. Là, l'attendaient encore plusieurs membres des Sections Spéciales, dont l'un semblait être le chef, puisqu'il arborait une cotte de mailles en lieu et place du simple vêtement de ses séides, et une épée longue et un écu à la place des poignards. Grihor chargea le groupe et tua ainsi deux de ses adversaires. Les survivants, aux nombre de cinq en incluant leur chef, l'encerclèrent. Le premier à passer à l'attaque fut celui qui se trouvait derrière le paladin. Il tomba mort, égorgé à la vitesse de l'éclair. Les autres chargèrent Grihor aussitôt. Le paladin bloqua son assaillant de gauche à l'aide de son pavois et transperça de part en part celui de droite. Il para un coup d'un troisième, puis le déséquilibra, puis se tourna vers celui dont qu'il avait bloqué de son bouclier, et l'éventra. Enfin, alors que le dernier de ses assaillants retrouvait son équilibre, il le décapita. Seul restait à présent leur chef. Il n'avait pas bronché durant le combat, nullement décontenancé par la démonstration de force du paladin. Leur duel fut long et équilibré, jusqu'au moment où Grihor bloqua l'une des attaques de son adversaire. Les deux combattants maintinrent leurs épées l'une contre l'autre, chacun cherchant à prendre l'ascendant sur l'autre et ainsi à le déséquilibrer. Le paladin usa alors d'une technique peu honorable, et envoya un puissant coup de genou dans les parties génitales de son adversaire, qui s'écroula aussitôt, abandonnant arme et bouclier, et se cramponnant en vain le bas-ventre, comme s'il pouvait en évacuer la douleur par une imposition des mains.

« Où est Tayfird ?demanda Grihor

L'autre ne répondit que par un gémissement. Le paladin lui adressa un violent coup de pied dans le visage, qui le redressa.

- Où se cache-t-il ? Parle ! hurla-t-il

L'autre parvint à prononcer ces quelques syllabes :

- Tayfird est... mort. Il déglutit à grand peine, puis continua. Il est mort assassiné. Par notre chef. Il... devenait gênant. Il avait découvert... ce que nous avions fait dans le nord-est. Avec les clans de paladins errants. Il voulait nous faire arrêter. Alors... notre chef l'a tué.

- Et où se cache votre chef ?

Mais l'autre avait discrètement tiré une épée courte d'un fourreau dissimulé sous sa cotte, et se l'enfonça profondément dans l'abdomen, avant de s'écrouler dans un ultime hoquet de douleur. Il avait préféré la mort à la trahison.

- Tu mourras...cracha-t-il avant de s'éteindre définitivement. »

Grihor se redressa. L'imposteur devait sans doute se trouver dans la salle du trône, qui devait elle-même être bien gardée. Ces hommes étaient sans doute les mieux entraînés de toute la garde. Fallait-il attendre Ercala ? Ces hommes étaient ceux qui avaient tué son père et ses amis, guidés par leur soif de sang uniquement. Il fallait en finir, maintenant. Grihor enfonça la porte de la salle du trône, dans laquelle se trouvaient, selon une rapide estimation du paladin, au moins une soixantaine de membres des Sections Spéciales.


_______________


Le bras de Grihor retomba lentement le long de son flanc. Cela avait duré presque une heure. Il n'avait plus connu pareil combat depuis la toundra glacée, tout près du sommet de l'Arreat. En une heure, soixante hommes étaient passés de vie à trépas. Grihor était entouré de cadavres. Mais il était à présent bien loin de l'état d'esprit qui était sien après la victoire sur l'Arreat. Il se battait alors au nom du bien et de l'humanité. Il avait vaincu des créatures foncièrement mauvaises, incapables d'éprouver le moindre autre sentiment que colère et haine. Mais cette fois, il avait du abattre des hommes. Ses semblables, ses pairs. Au nom de quoi avait-il fait cela, au nom de qui ? Son regard se posa sur l'un des membres des Sections Spéciales qui gisait à ses pieds. La peur se peignait sur ses traits, la peur de la mort, sans doute. Avait-il réellement le coeur mauvais ? Ou avait-il été dupé, manipulé, poussé à la haine par quelque habile et machiavélique marionnettiste ? Le doute s'empara de Grihor. Si véritablement, justice avait été faite, alors pourquoi sa vengeance avait-elle un goût si amer ? Pourquoi se sentait-il plus horrifié que soulagé après avoir pourtant vengé la mort de son père ?

Une nouvelle certitude monta en lui. Le véritable coupable vivait encore. Un homme que seule guidait la soif de sang. Un homme qui n'avait pas hésité à ordonner et pratiquer des massacres au nom d'un maître qu'il avait trahit. Le chef des Sections Spéciales , ce démon qui était un homme, cet homme qui n'en était plus un, vivait encore.

Le paladin leva alors le regard, et vit une petite trappe aménagée dans le plafond, au dessus du trône. Il grimpa sur ce dernier et remarqua que des fentes creusées dans la colonne qui se dressait juste à sa droite permettait de grimper jusqu'à l'ouverture circulaire et sombre. Il s'agrippa aux fentes, puis parvint à se hisser dans la salle supérieure, qui baignait dans une obscurité insondable.

Grihor s'avança à pas mesurés dans l'obscurité. Soudain, une flamme apparut à sa gauche, et se répandit en formant un rectangle à l'intérieur de la pièce à présent éclairée. Au centre se trouvait une longue table hexagonale où devaient se réunir les plus haut dignitaires des Sections Spéciales. L'éclairage était assuré par un petit canal surélevé à un mètre de hauteur, qui décrivait un rectangle autour de la table afin d'éclairer ceux qui y siégeaient. Des cônes au sommet acéré étaient disposés au centre du canal tous les deux mètres. De là s'écoulait une huile inflammable qui se répandait ainsi dans tout le canal. Un ricanement parvint aux oreilles du paladin. Le chef des Sections Spéciales se tenait près du canal enflammé, une torche à la main. Grihor tira son épée. L'autre en fit de même. Il n'y eut aucun mot échangé entre les deux hommes.

Les épées se croisèrent dans un tintement aigu. Le paladin et le chef des Sections Spéciales échangèrent cent coups sans qu'aucun d'eux ne parvint à prendre l'avantage. Grihor abandonna alors son pavois, qui le ralentissait plus qu'autre chose. Il chargea son adversaire qui esquiva sans difficulté, et son élan l'entraîna tout près du trou dans le sol par lequel il était entré. Son ennemi chargea afin de le précipiter vers une chute mortelle, mais le paladin reprit son équilibre à temps pour bloquer l'attaque de son adversaire. Il répliqua par un enchaînement de coups très rapides que le chef des Sections Spéciales para à grand peine, perdant plusieurs mètres au passage. Le paladin termina par un puissant coup de pied dans le sternum que son adversaire qui le projeta sur la table. Grihor abandonna son épée et se jeta sur la table. Entre-temps, le chef des Sections Spéciales s'était redressé de toute sa stature. Le foulard était tombé, révélant un visage plutôt jeune, aux traits fins et nobles, mais dont la prestance avait quelque chose d'inhumain. En effet, en regardant de plus près, Grihor remarqua que ses pupilles étaient verticales. « Le dragon rouge, comprit aussitôt le paladin. C'est un demi-dragon. »

En effet, en des temps forts anciens, lorsque les dragons et bien d'autres civilisations vivaient sur Sanctuary, des dragons ayant changé d'apparence s'étaient accouplés avec les premiers hommes, donnant naissance à des hybrides vivant reclus, ou dans des sociétés réduites dont le nombre avait décliné au cours des siècles. Le chef des Sections Spéciales était de ceux-là. Peut-être avait-il manipulé Tayfird depuis le début, ou alors s'était-il mis à sa solde lorsqu'il avait entendu parler du blason; cela, Grihor l'ignorait et s'en moquait. Il asséna un violent coup de poing à son adversaire qui répliqua par un puissant coup dans l'estomac. Le paladin resta plié en deux un instant, ce qui lui valut un coup de genou dans le visage. Il glissa de la table. Son adversaire le poursuivit, et le combat les mena à nouveau près du trou donnant sur la salle du trône. Grihor envoya un formidable coup de poing au visage du demi-dragon, et profita de ce que ce dernier était sonné pour se ruer sur son épée. Mais le chef des Sections Spéciales reprit ses esprits et, d'un geste du pied, fit glisser les deux armes dans l'ouverture. Le combat allait se terminer à mains nues.

Le paladin envoya un puissant crochet que le demi-dragon esquiva. Puis il saisit le bras de Grihor et appuya de toutes ses forces sur son épaule. Il y eut un craquement sourd et affreux, et le paladin hurla de douleur. L'autre le redressa d'un coup de poing à la mâchoire qui manqua de lui faire perdre conscience, puis le projeta de toutes ses forces; il s'écrasa sur le sol, derrière la table. En quelques bonds, le chef des Sections Spéciales l'avait rejoint. Il saisit Grihor à la gorge et l'amena tout près du canal rempli d'huile enflammé. Le paladin se débattit, sentant une chaleur de plus en plus intense à l'arrière de son crâne. Le demi-dragon s'appuyait à présent de tout son poids sur lui, cherchant à plonger sa tête dans l'huile. Alors que la chaleur devenait insoutenable, Grihor parvint à donner un coup dans le tibia de son adversaire, qui desserra légèrement son emprise. Le paladin en profita pour se dégager ; Le demi-dragon revint à la charge, mais un puissant coup de poing dans le plexus le stoppa net.

Grihor, cependant, était épuisé. Son arcade sourcilière était brisée, et un filet de sang coulait près de son oeil gauche, menaçant de brouiller sa vision. Il ressentait également une vive douleur au niveau des côtes flottantes. Son adversaire était également dans un piteux état, le nez brisé. Les deux ennemis n'en repassèrent pas moins à l'attaque. Le demi-dragon envoya un coup de pied. Grihor esquiva et saisit la jambe du chef des Sections Spéciales, puis le projeta à plusieurs mètres de là. Alors que ce dernier tentait de se relever, Grihor vint lui asséner un surpuissant crochet qui le plaqua de nouveau au sol. Le demi-dragon se releva, et parvint cette fois-ci à esquiver l'attaque du paladin. Il répliqua par un violent coup de coude dans la gorge. Grihor suffoqua. Le chef des Sections Spéciale se jeta sur l'occasion. Il le saisit par l'arrière du crâne et l'envoya contre un mur. Grihor sentit son arcade se briser pour la seconde fois, et hurla de douleur. Le demi-dragon répondit par un crochet à la mâchoire qui le fit reculer de plusieurs pas. Son adversaire le saisit de nouveau tandis qu'un goût à la fois sucré et âcre lui montait à la bouche. Le demi-dragon l'amena à nouveau près du canal enflammé. Le paladin ne se sentait plus la force de résister à son agresseur. Il sentit de nouveau la chaleur de la flamme derrière lui. Décidé à ne pas être vaincu, il plongea son main gauche, qui était libre, au coeur du liquide enflammé. Son adversaire, surpris, relâcha alors quelque peu son emprise, et Grihor prit appui sur sa main gauche pour se dégager et passer par dessus le canal. Il retomba derrière le rideau de feu, et la douleur lui arracha un cri terrible. Sa main gauche était affreusement brûlée, et il ne pouvait plus la remuer. La douleur l'assomma presque. Sa vision se troubla, seules restèrent les flammes qui dansaient devant lui. Une silhouette noire bondit indistinctement, traversant le feu. Grihor replia ses jambes contre son torse, puis les déploya de toute sa force au moment au son adversaire allait tomber sur lui. Il y eut un cri, puis plus rien. Il était complètement revenu à lui, à présent. Il chercha son ennemi du regard, et finit par le trouver. Le chef des Sections Spéciales avait été projeté dans le canal par son coup, empalé sur l'un des cônes. Son corps prit feu instantanément. Grihor essuya son visage du revers de sa main droite, envoya un crachat sanglant sur le cadavre, puis se détourna, et redescendit dans la salle inférieure.

Il récupéra ses armes, puis quitta la salle du trône pour l'antichambre, l'antichambre pour les escaliers, et enfin les escaliers pour les corridors du premier étage. La lutte avait également été rude en bas. Les murs étaient couverts de suie et de cendres, et le sol de cadavres. Il se dirigea vers l'entrée, épuisé de fatigue, tout juste capable de marcher. Des acclamations l'avertirent de la présence d'autres personnes. Il leva la tête à grand peine, et vit là Ercala, entourée de Stern et d'une vingtaine d'hommes à l'apparence robuste. Ils souriaient. Il entendit vaguement les remerciements et les louanges de Stern, puis les inquiétudes d'Ercala quant à sa main gauche, qu'il ne pouvait d'ailleurs toujours pas remuer. Quelques phrases attirèrent cependant son attention.

« Il va donc falloir un nouveau roi, dit la voix de Stern.

- Le petit Nìkhols a été assassiné, répondit un de ses acolytes. Et il ne reste plus aucun parent de Rìkard.

A ce moment là, Grihor sentit tous les regards se poser sur lui. Il était bien connu au Westmarch que les paladins errants étaient étroitement liés à la parentèle du Roi. Le paladin hésita un moment, puis dit :

- C'est d'accord. »

Il entendit indistinctement quelques « Vive Grihor !» et « Vive le Roi !» avant de s'écrouler d'épuisement.
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