Fanfiction Diablo II

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La clef de la geôle-monde

Par Qaillate
Les autres histoires de l'auteur

Prologue : Gotta get away

Chapitre 1 : Breaking the habit

Chapitre 2 : Welcome to hell

Chapitre 3 : Survivre

Chapitre 4 : Liar

Chapitre 5 : How can I live

Chapitre 6 : Of wolf and man

Chapitre 7 : Man overboard

Chapitre 8 : A rise again

Chapitre 9 : Roots bloody roots

Chapitre 10 : Smells like teen spirit

Chapitre 11 : Beast & the harlot

Chapitre 12 : Prophecy

Chapitre 13 : ATWA

Chapitre 14 : Chapter Four

Epilogue : God save us

« Satanée poutre ! »

Katenbau recula de quelques pas, puis massa son front douloureux. Il n'était qu'à peine réveillé et ce maudit bout de bois n'allait pas être pour arranger l'affaire. Pour la troisième journée consécutive, il se cognait violemment au réveil contre ce pan de la charpente. En effet, le plafond de sa chambre, qui était située au dernier étage de la villa, épousait la forme du toit. Et son lit avait le malheur d'être placé là où ce dernier était le plus bas. Une fois ses esprits repris, le barbare se leva. Une douce lumière parvenait dans sa chambre par les deux fenêtres, et de là encore soufflait une brise fraîche et agréable. L'ambiance de la pièce, claire et aérée, avait le don de mettre Katenbau de bonne humeur dès son réveil, même lorsqu'il se cognait contre les poutres du plafond. Il se lava rapidement dans la salle d'eau adjacente à sa chambre, et s'habilla d'un simple vêtement de lin. Tout à fait éveillé à présent, il dévala les marches du large escalier de marbre, puis atteignit les terrasses. Le soleil brillait déjà haut dans le ciel d'un bleu parfait. Il descendit à nouveau d'un étage avant de traverser l'atrium, et d'atteindre enfin les jardins bordés d'une allée de colonnes, où une longue table avait été dressée entre deux figuiers. Ses amis y étaient déjà tous installés et l'accueillirent par des éclats de rire et de joyeux saluts. Il embrassa chacun d'eux, puis s'assit à son tour.

« Tu as bien faillit manquer le repas, rit Nera.

- J'ai faillit, mais je ne l'ai pas manqué, répondit-il en souriant.

- Il est réglé ainsi : il se réveille toujours le plus tard possible, mais jamais trop afin de ne pas manquer le repas, plaisanta son frère cadet Omatir.

- La précision est exemplaire en cela, fit observer Nek. Voici justement l'apéritif qui arrive.

En effet, quelques serviteurs arrivèrent chargés d'olives, de tomates et de plusieurs pichets de vin.

- Sa paresse est d'un efficacité remarquable, conclut Ke-lok'tan, ce qui déclencha de nouveaux éclats de rire. »

Le repas fut excellent, comme à l'accoutumée depuis plus de quatre ans. Lorsqu'il ne resta plus dans les assiettes de bois que les arrêtes des dorades et les pépins des raisins et des pastèques, Metaxa annonça qu'il était temps pour elle de se rendre au gymnase. Elle assurait en effet l'entraînement des jeunes guerrières les après-midi. Katenbau s'enfonça avec délectation dans sa chaise. Les quatre ans qu'ils avaient passé ici, sur Lycander, comptaient parmi les plus paradisiaques de sa vie. Le climat des îles amazones était particulièrement agréable, chaud et sec l'été, doux l'hiver. Ils étaient arrivés là à la fin de l'année 1273, et Ke-lok'tan et Vedila les y avaient rejoint deux ans plus tard. Ils vivaient depuis dans l'agréable et spacieuse villa de Vedila, dans les quartier les plus favorisés de l'île. Il fallait admettre qu'ils n'y venaient pas seulement en tant que voyageurs: Minnoca était la fille de la matriarche des amazones, et Vedila sa plus proche confidente. A la fin de l'année 1276, la mère de Minnoca avait succombée à une longue maladie, et celle-ci avait prit sa place. Katenbau se souvint de l'étonnement qu'il avait ressenti en constatant le peu d'effet que la mort de sa mère avait eu sur Minnoca, avant que Vedila ne lui explique qu leurs rapports étaient plus que conflictuels. Minnoca avait donc prit la pouvoir, et ils ne la voyaient depuis que rarement. Vedila également était peu souvent disponible, du fait de ses fonctions de gouverneur de Lycander et de chef d'état-major.

Le charme de l'archipel des amazones les avait rapidement conquis, mais la plus émerveillée était sans nul doute Metaxa, qui n'avait jamais voyagé auparavant. Ils n'oubliaient cependant pas la quête dont leur avait parlé Katenbau à Harrogath, plus de onze ans plus tôt. Katenbau, Omatir, Milobrec et Metaxa continuaient leur entraînement à l'exercice des armes, et Metaxa en particulier avait obtenu le grade d'instructeur, et dirigeait l'entraînement des jeunes guerrières (ce ne fut pas le cas de Katenbau, ni même de Milobrec, ou Omatir, il était purement impensable que des hommes apprennent aux jeunes amazones comment se battre). Ils ne paraissaient néanmoins aucunement impatients de voir Katenbau leur annoncer un départ imminent. Il ne s'attendait lui-même plus à recevoir de nouvelles. La dernière visite de Lëkor remontait à quatre ans de cela, lorsqu'ils se trouvaient à Lut Gholein.

Il se tira de ses pensées, se leva tranquillement et tourna son regard vers ses deux frères cadets :

« Allons-nous entraîner, proposa-t-il. »

Ils acquiescèrent. Tous trois montèrent dans leur chambre, afin de récupérer leurs effets et de revêtir leur toges. Ils retrouvèrent Milobrec sur le chemin du gymnase, et partirent donc s'entraîner à quatre. Ils arrivèrent à destination quelques minutes plus tard. Le gymnase était un vaste édifice de pierre blanche, avec deux ailes légèrement en retrait par rapport au porche principal, délimité par une rangée de colonnes entre lesquelles jouaient une bande d'enfants hilares, et précédé d'un gazon vert et frais traversé par un chemin dallé serpentant entre les palmiers et les bananiers. Ils entrèrent dans le vestiaire, et là se défirent de leurs vêtements avant de s'enduire le corps d'huile, comme l'exigeait la coutume. Puis ils se saisirent de leurs armes et entrèrent dans l'espace d'entraînement réservé aux hommes. Après avoir croisé le fer des heures durant, Ke-lok'tan proposa de passer par les salles de massage avant de revenir à la villa, tandis qu'ils rangeaient leurs strigiles. Milobrec sembla réticent, mais les deux autres barbares se montrèrent plus enthousiastes, si bien qu'ils allèrent chacun s'allonger sur une table drapée, dans une pièce chaude et humide.

La chaleur étouffante, le massage relaxant, la sensation de bien-être, de sérénité, mais aussi la fatigue, tous ces éléments ajoutés firent que Katenbau s'endormit au bout de quelques minutes.



Il était seul, seul dans l'obscurité, le noir le plus total. Il ne pouvait bouger, bloqué dans une position allongée sur le ventre, reposant sur les ténèbres qui s'étendaient sous lui. Une lueur pointa loin, très loin devant lui. Il ne pouvait s'empêcher de fixer cette lumière. Elle grossit, prit la forme d'un disque, qui grandit encore jusqu'à couvrir la quasi-intégralité de son champ de vision. Des formes grises, plus sombres, se mouvaient en son sein. Puis une forme resta, immobile, une forme rappelant une silhouette d'homme. Une voix éthérée émana du disque lumineux.

« Salut à toi, Roi des barbares, Héros du peuple des hommes. Je m'adresse à toi sous cette forme faute de pouvoir de te parler face à face. Il se trouve que j'ai découvert il y a peu des informations particulièrement importantes. Elles peuvent nous éclairer considérablement sur l'épreuve qui t'attend, ainsi que sur le cours des évènements à venir. Tu devras te rendre, en compagnie de tous les amis que tu pourras réunir, à la cathédrale d'Inarius. Le temps ne nous presse pas encore, mais nous devrions nous hâter cependant. Rends-toi à la cathédrale d'Inarius. Tache de t'y trouver dans... »

Mais le disque blanc disparut, et la voix s'évanouit en même temps, tandis que les ténèbres qui l'entouraient redevenaient la salle de massage, et celles qui le supportaient, la table sur laquelle il était allongé. Il se remit sur son séant. Ke-lok'tan, Milobrec et Omatir le regardaient tous trois, le même sourire sur les lèvres.

« Te serais-tu assoupi, frère? rit Omatir

- Le réveil aurait-il été difficile ?» s'exclama son autre frère

Puis ils partirent tous les trois d'un grand rire. Katenbau frissonna. Ils lui avaient vidé un plein seau d'eau glaciale sur le dos. Il maugréa pour la forme. Mais avait déjà l'esprit ailleurs. La voix de son «rêve» était celle de Lëkor, il en était certain. Il lui demandait d'aller dans une certaine cathédrale d'Inarius. Ce nom n'évoquait rien au barbare. Le rêve avait prit fin avant que l'archange n'aie eu le temps de lui dire quand il devait s'y rendre. Il paraissait cependant pressé. Dans le doute, Katenbau décida de partir le plus tôt possible, dans les mois à venir. Le soir même, il annonça la nouvelle à ses amis lors du dîner.

_______________


« Ici, maître, figure, ainsi que vous l'avez réclamé, le vers perdu des prophéties du dernier jour :

Il fut ainsi prédit que les Trois, une fois réunis, seraient renversés à nouveau

Et que le dernier d'entre eux poserait son regard sur la montagne sainte.

Selon le présage, leur défaite ne serait qu'illusion : le heurt final étant encore à venir...

Vous comprendrez, maître, si les prédictions venaient à se réaliser un jour, le tourment dans lequel nous sommes.

Je vous rappelle que, selon vos instructions, mes hommes continuent à fouiller ce tombeau. Nous avons déjà trouvé d'autres parchemins qui pourraient être la suite de cette prophétie. Notre correspondance se poursuivra donc tant que dureront les fouilles.

Bien à vous,

Votre serviteur, en ce jour mitan du huitième mois de l'an de grâce 1278. »
Tout ne fut cependant prêt pour le départ que lorsque l'hiver commençait à s'installer. Aussi, ce fut sous la pluie que Katenbau, Milobrec, Nera, Minnoca, Omatir,Nek et Metaxa quittèrent Lycander à bord d'un navire qui était à l'évidence plus confortable que rapide. L'île disparaissait derrière un rideau de pluie, lentement. La forêt verte, la cité gris sombre et les montagnes brunes ne furent bientôt plus qu'une pâle silhouette aux contours incertains. Katenbau était accoudé à l'arrière du navire, lorsque Minnoca le rejoint.

« J'espère que Vedila saura diriger notre peuple comme il se doit.

Avant de partir, Minnoca avait nommé Vedila chef des armées, fonction qui, ajoutée à celle de gouverneur de Lycander, lui donnait quasiment les pleins pouvoirs en l'absence de la matriarche.

- Je ne me fais pas de souci pour cela, répondit tranquillement le barbare.

- Où nous mène ce voyage ?demanda Minnoca.

- Nous allons accoster dans un petit port du nom de Ozhòcòtl, à plusieurs centaines de lieues au sud de Kurast. Là, nous essaierons de trouver un guide, ou du moins des explications qui nous permettrons d'aller à la cathédrale d'Inarius. Lëkor doit nous trouver là-bas.

- Il est étrange de repartir ainsi à l'aventure, dit Minnoca. Je veux dire, après douze ans d'inactivité, ajouta-t-elle.

- Oui, en quelque sorte, répondit vaguement Katenbau... mais l'aventure reste une incurable séductrice. Et on ne saurait se plaindre de la vivre en si charmante compagnie.

- Que de galanterie ! rit Minnoca. »

Puis elle partit, le sourire aux lèvres. Katenbau se tourna à nouveau vers la mer, le regard un peu plus vague qu'à l'accoutumée.

Ils ne restèrent pas longtemps cependant hors de vue des terres. Au bout de quelques jours, ils parvinrent en vue de la Baie des Cygnes, et s'y arrêtèrent un certain temps. Tandis qu'ils contemplaient les vertes collines près du rivage, ils ouïrent une faible rumeur, comme un murmure au milieu de la brise, de chants joyeux et de douce gaieté. Nera leur expliqua que c'était là, dans ce pays reculé, loin même des marges méridionales du Kehjistan, que vivaient rassemblés les derniers des siens, l'ultime limbe de la race elfique. Ils avaient élu domicile dans cette région de Sanctuary, où la nature leur rappelait le pays qu'ils habitaient, lorsque le monde était encore jeune. Les épaisses jungles qui le délimitaient au nord les protégeaient des humains à l'égard desquels ils se montraient méfiants.

« C'est d'ailleurs pour cela qu'ils m'ont abandonné à l'âge où, selon leurs coutumes, on devient adolescent. Mon père était humain, et ils ne pouvaient tolérer que je vive avec eux à cause de ma nature demi-humaine. » Devant leur silence gêné, elle ajouta : « Cela n'a plus d'importance. Ma véritable famille, je l'ai trouvée il y a douze ans de cela, et elle se trouve aujourd'hui encore autour de moi ».

Ils repartirent au bout d'une semaine. Mais un contretemps sérieux vint modifier le cours des évènements. En effet, alors qu'ils remontaient vers le nord en longeant les côtes, ils se trouvèrent pris dans un calme. Le navire des amazones, bien que puissamment équipé en matière de voilure, fut incapable d'avancer. Ils restèrent ainsi fort longtemps, et virent passer la fin de l'année 1277 à bord du bateau. Enfin, alors que mourait le mois de Février, le vent souffla à nouveau, et ils purent reprendre leur voyage.

Ils arrivèrent donc à Ozhòcòtl au cours du mois de Mars. Il s'agissait du dernier port du Kehjistan, et était donc ainsi considéré comme la frontière sud. Mais l'autorité de Kurast n'avait plus aucune prise ici, et les habitants n'avaient plus eu de liens avec leur capitale depuis plusieurs décennies. La ville était bâtie sur le delta d'un fleuve baptisé Chakèmocuetz. Le terrain était donc fort instable et les maisons étaient en conséquence bâties sur de larges pilotis de bois, à la manière de celles des docks de Kurast, si ce n'était qu'ici le village était surélevé de plus de cinq mètres par rapport au niveau de l'eau. Des passerelles de bois, également bâties sur pilotis, plus ou moins larges, reliaient chaque bâtiment à plusieurs autres.

Leur navire jeta l'ancre à l'entrée du delta, et ils entrèrent dans la ville en barque. Au dessus d'eux, de nombreux habitants sortaient de leurs maisons pour les observer comme s'ils étaient des bêtes curieuses. Mais une indifférence méfiante remplaça vite la curiosité initiale, et les allées de bois étaient de nouveau désertes lorsqu'ils eurent accédé au niveau de la ville via une longue échelle. La barque retourna vers le navire, et celui-ci fut reparti en moins d'une heure. Les sept héros se mirent donc en quête d'un logis.

Alors que la nuit tombait, ils trouvèrent finalement, dans un bâtiment miteux qui devait servir à la fois d'auberge et d'hôtel de ville, une vaste pièce à louer pour eux tous. Ils y passèrent une nuit inconfortable, le sommeil gêné par la pluie qui clapotait sur le toit au dessus d'eux. Le lendemain, Katenbau annonça qu'il fallait trouver un guide qui soit prêt à les amener jusqu'à la cathédrale d'Inarius. Mais les habitants d'Ozhòcòtl, s'ils ne se montraient pas véritablement hostiles, étaient fort méfiants envers les étrangers. Ils arpentèrent toute la ville à la recherche d'un guide, proposant des sommes démesurés, mais rien n'y fit. Ils se trouvèrent tous bredouilles le soir à l'auberge, à l'exception de Katenbau qui refusait d'admettre l'échec. Il passa la soirée à la recherche d'un guide éventuel, interrogeant chaque client. Finalement, alors qu'il avait perdu tout espoir, un vieil homme, attablé dans un coin obscur de la salle, lui fit signe. Le barbare vint le rejoindre, n'ayant de toute manière aucune autre option.

« Tu cherches un guide pour aller à Inarius, c'est ça, petit ?

Katenbau était plus qu'exaspéré de se voir qualifier de « petit » par un homme qui lui arrivait, debout, à l'épaule, et dont les cuisses faisaient la taille de ses avant-bras. Il répondit cependant :

- C'est exact. Plutôt difficile, ajouta-t-il en marmonnant quelque peu.

- Tu m'étonnes. Les types comme toi défilent depuis des siècles, ici. Ils veulent aller voir la cathédrale. Ils paient les guides une fortune. Mais la vérité c'est que très peu d'entre eux sont revenus, encore moins avec l'intégralité de leur troupe, et aucun n'a atteint son objectif. Alors tu pourrais bien proposer assez d'or pour acheter cette ville entière que tu ne trouverais personne pour vouloir t'amener là-bas.

- La cathédrale serait-elle dangereuse ?

- La cathédrale, on ne sait pas, gamin, mais la jungle jusque là-bas, plutôt.

Le vieil homme se pencha alors en avant, et Katenbau put voir son visage. Un bandeau cachait son oeil gauche. Le vieil homme retira le morceau de tissu, révélant une orbite vide.

- Sais-tu comment on appelle la rivière de la jungle, qui se jette ici ? on la nomme Chakèmocuetz. Et tu sais ce que ça veut dire ? L'Eau aux Serpents. Petits, énormes, venimeux ou constricteurs, par terre ou dans les arbres, ils sont partout. C'est l'un d'eux ces reptiles de malheur qui m'a fait ça.

- Suffit-il de quelques serpents pour effrayer les gens d'ici ?

- Oh non, gamin, il y a bien d'autres choses dans la jungle. Surtout la nuit. Certaines, on les connaît et on sait ce que c'est, et d'autres, on préfère ne pas les voir.

- Vous me semblez bien renseigné, fit observer le barbare.

- Tu parles ! j'ai participé à deux expéditions. La première a rebroussé chemin lorsque le mage qui nous dirigeait est mort par une morsure d'un serpent venimeux. La seconde, nous avons été attaqué. J'ai perdu un oeil à cause d'un énorme constricteur qui a tué deux de mes camarades. Et j'ai fui. Plus tard, j'ai appris que j'étais le seul à être revenu.

- Vous avez de l'expérience, semble-t-il. Je peux vous garantir que notre expédition n'échouera pas, assura Katenbau.

- C'est ce que tous disent avant de mourir, ou de rentrer bredouille, au mieux, rétorqua l'autre d'un air méfiant.

- Que puis-je vous offrir comme garantie? Je vous paie cent mille pièces d'or. Avec trente cinq mille d'avance. Qu'avez-vous à perdre?Vous me paraissez vivre dans la misère. Et au pire, vous pourrez faire payer à la forêt les vies de vos camarades.

Le vieil homme réfléchit longuement avant de répondre.

- C'est d'accord. Je vous suis. Mais je veux les trente-cinq mille d'avance.

- Soit Nous partons demain, et je vous réglerai avant le départ. Soyez prêt à midi, ...

- Hêxcà. Je me nomme Hêxcà.

- Bien, Hêxcà. Soyez prêt demain à midi. »



Le lendemain, donc, ils partirent en compagnie de leur guide. Les habitants restèrent soigneusement cloîtrés chez eux, ne s'inquiétant point du sort de ces étrangers fort téméraires. Un canotier accepta cependant, moyennant finance, de les amener dans les zones praticables du delta. Après les avoir déposé sur un îlot de sable, il partit sans demander son reste. Ils se trouvaient dans une sorte d'immense marais qui faisait le lien entre le fleuve et la mer. Des îlots de sable et des massifs de mangroves étaient disséminés de manière chaotique au milieu de l'eau trouble, de sorte qu'il était difficile de définir ce qui était émergé de ce qui ne l'était pas.

« Vous n'avez pas choisit la meilleure saison pour débarquer dans la mangrove, dit Hêxcà.

- Vraiment ? répondit Katenbau.

- Mais vous n'avez pas non plus choisi la pire, répondit le guide en riant. Les marées ne sont pas trop fortes, au printemps. Et les eaux moins dangereuses qu'en été. Mais c'est à cette période de l'année que les requins commencent à remonter vers le fleuve. Nous devons rapidement arriver là où les bras du fleuve se font plus distincts. Nous aurons là-bas l'abri de la terre ferme. Si on peut appeler la jungle un abri.

- Pourquoi donc ? demanda Omatir.

- L'hiver est la bonne saison pour se balader dans le delta, répondit le guide. Dans la jungle, il n'y a pas de bonne saison. Allez, mettons-nous en route. »

Ils se mirent donc en marche, et peinèrent toute la journée dans le marécage gluant et traître. Ils virent de nombreux serpents aquatiques, que Hêxcà qualifia de « peu dangereux ». « Ils le sont en tout cas un peu moins que ceux de la jungle », ajouta-t-il en riant. Les reptiles étaient chassés par des crabes d'une taille surprenante, qui se réfugiaient rapidement dans la vase à l'approche des héros. Ils n'avaient guère dû couvrir plus de vingt kilomètres lorsque Hêxcà annonça qu'il fallait monter le camp. Ils finirent par trouver un banc de sable assez long et surélevé pour constituer un campement satisfaisant. Ils établirent un tour de garde, puis s'endormirent les uns après les autres.

Katenbau vint réveiller Milobrec au milieu de la nuit. Le paladin s'installa près du feu. Il resta quelques minutes assit, l'ouïe aux aguets, mais il n'entendait guère que le souffle doux du vent sur le sable, et le clapotis de l'eau contre les racines de mangroves. Un bruit d'éclaboussure plus puissant que les autres attira son attention. Il se leva doucement et s'approcha du bord de l'eau. Une forme indistincte flottait lentement. Il en distingua rapidement plusieurs autres. La Lune sortit alors de derrière un nuage, et une lumière grise blafarde éclaira la scène. Milobrec, qui s'était avancé dans l'eau jusqu'à la taille, distingua alors les formes qui se mouvaient à la surface. Des ailerons.

Quelque chose saisit alors brusquement sa jambe, et il s'écroula de tout son long en hurlant. Le bruit réveilla Hêxcà, Nek et Katenbau qui accoururent. Une étreinte puissante agrippait le tibia du paladin, le maintenant au sol. Tandis que la chose se débattait afin de l'entraîner vers des eaux plus profondes, il sentit son contact qui lui parut froid et rugueux, même sous l'eau. Il tenta de se relever mais s'écroula de nouveau. La chose avait une force incroyable qui l'avait fait reculer de plus d'un mètre. Il enfonça son épée dans le sable humide et s'y cramponna de toute ses forces. Hêxcà fut le premier à arriver auprès de lui, criant de toutes ses forces :

« Lâche pas, gamin ! Saisissez-vous de lui, vous autres !

Katenbau et Nek s'exécutèrent et parvinrent à saisir les bras du paladin qui était irrésistiblement entraîné vers l'arrière.

- Dépêchez-vous ! hurla le guide. Tenez-le bien !

Le barbare et le druide tirèrent la paladin vers le rivage, et Milobrec avait l'impression de se faire démembrer. Le vacarme avait réveillé également Metaxa, Nera et Minnoca.

- Lâche ton épée, maintenant, dit le guide au paladin, qui s'exécuta.

Puis Hêxcà s'empara de la lame, et contournant le paladin, en donna plusieurs coups à la créature qui lui avait agrippé la jambe. Celle-ci relâcha immédiatement son étreinte et disparut dans de grandes éclaboussures. Katenbau et Nek ramenèrent finalement le paladin sur la terre ferme.

- Tu as eu de la chance, gamin, dit Hêxcà. Fais-moi voir ta jambe, avant que.. bon sang! Tu n'as rien! Hé bien tu peux remercier celui qui a forgé ton armure, gamin. C'est du solide. Mais regardez, vous autres, dit le guide en s'adressant au reste de la troupe. Il y a de profondes marques de morsure dans l'acier. Des dents y sont même restées, regardez! Voyons voir, murmura-t-il pour lui même. Qui es-tu ?

Il regarda les dents triangulaires à la lueur du feu, puis dit :

- T'as de la chance, gamin. C'est un requin bouledogue, dit-il en insistant sur ce dernier mot.

- Vraiment ? répondit le paladin d'un ton qui se voulait intéressé.

- Absolument, répondit le guide. Des bestioles de plus de trois mètres de long. Des dents d'une forme bizarres, mais quand la mâchoire t'a saisi, en général elle ne te lâche plus. Peu de gens se sont tirés d'une telle morsure avec tous leurs membres.

Puis voyant que le paladin n'avait que faire de savoir si le requin qui l'avait mordu était bouledogue ou quoi que ce fut d'autre, il se tourna vers Katenbau.

- Nous allons marcher toute la journée de demain. Nous devrions ensuite arriver dans la jungle à proprement parler. La zone la plus dangereuse sera alors la rivière. La prudence nous ferait rester loin du Chakèmocuetz.

- C'est donc ce que nous ferons ? demanda le barbare d'un air soupçonneux.

- Non. Pour aller à la cathédrale, il faut remonter tout le fleuve. Maintenant, dormez, tous. Je vais prendre mon tour de garde jusqu'à l'aube. »
"Infâmes petits vampires, résidus de fientes de porc, immondes vermines, maudits insectes!
Omatir était d'excellente humeur.

- Cesse donc de te plaindre, Omatir! Oublies-tu déjà les démon-moustiques de Kurast ?

- Ceux-là étaient assez gros pour être frappés avec un maul, au moins, grommela le barbare.

- Ils avaient aussi bien faillit avoir ma peau, rétorqua Minnoca. »

Omatir se calma quelque peu. Katenbau, qui avait observé la scène de plus loin, assis sur un tronc abattu, poussa un soupir. Il se souvenait, effectivement, de ce jour, douze ans plus tôt, où lui et Vedila avaient retrouvé Minnoca évanouie, un énorme moustique accroché à son dos. Ils avaient abattu le démon et ramené l'amazone aux docks, où ses jours avaient finalement été sauvés par une des potions de l'alchimiste local. Il comprenait cependant l'exaspération de son frère cadet.

Depuis qu'ils étaient arrivés dans la jungle, ils n'avaient vu ni serpents ni crocodiles, mais en revanche, ils avaient découvert le nombre impressionnant de moustiques qu'abritait la forêt dense. Milobrec était protégé par son armure qui ne laissait que peu d'entrée aux insectes, Nera par son armure de glace, Nek, par les corbeaux qu'il avait invoqué. Si les volatiles étaient obsolètes en combat, ils avalaient en revanche goulûment tous les diptères assez insensés pour s'approcher du druide. Metaxa et Hêxcà s'étaient enduits d'un onguent qui repoussait efficacement les insectes suceurs de sang. Ce dernier avait refusé de leur en révéler la recette, mais l'odeur qu'exhalait la mixture indiquait au moins la présences d'excréments. Les deux barbares et l'amazone avaient catégoriquement refusé d'utiliser l'onguent, choix qu'ils regrettaient à présent de plus en plus, mais ces regrets disparaissaient à chaque fois que les effluves nauséabondes montaient à leurs narines.

Katenbau avala une dernière gorgée d'eau, puis rangea sa gourde et se leva. D'un signe de tête, il demanda au guide s'il était prêt, et celui-ci acquiesça. D'un autre signe il ordonna le départ. Ils se mirent en marche, Milobrec et Katenbau en tête, suivis de peu par Hêxcà, tandis que Nek et Omatir fermaient la marche. Ils se frayèrent un chemin en file indienne à travers les arbres, tranchant de nombreuses lianes qui encombraient leur chemin. Ils progressèrent ainsi jusqu'à midi, tandis que la chaleur et l'humidité s'accentuaient, annonçant l'arrivée lente mais inéluctable de l'été. Ils firent finalement une pause au bord du Chakèmocuetz, près de midi, pour consommer un déjeuner frugal.

« L'Eau aux Serpents, disiez-vous, Hêxcà, pourtant, nous n'en avons vu goutte jusqu'ici, dit Katenbau.

- Ces répugnants petits parasites suffisent déjà à notre peine, grommela Omatir.

Mais le guide, pendant ce temps, s'était levé, et avait ramassé une boule de taille moyenne qui pendait des branches d'un arbre tout proche, et la ramena en réponse à la question du barbare.

- Tu vois cette boule, gamin ? demanda Hêxcà en se rasseyant.

A l'observer de plus près, Katenbau vit que la boule était en vérité un épais filin enroulé sur lui-même, au contact froid et sec. Lorsqu'il comprit la nature de l'être qu'il tenait entre ses mains, il le relâcha aussitôt.

-Ne t'inquiète pas, rit le guide. Celui-là ne peut pas te mordre, il est encore en hibernation. Comme tous les autres serpents de la forêt. Mais cette hibernation est presque terminée. Dans une semaine, ils seront tous réveillés, et ils grouilleront en tous sens, par terre, dans les arbres. Vous seriez venu un mois, plus tôt, et la traversée de la jungle aurait été bien plus tranquille. Mais reprenons donc notre marche. Il s'agit de ne pas traîner, si nous voulons avoir le plus de chance d'atteindre cette maudite cathédrale. »

Ils repartirent donc, et marchèrent ainsi durant plusieurs jours, tandis que qu'Omatir continuait de poursuivre les moustiques de ses malédictions, usant d'injures que seuls les barbares sont capables d'inventer et d'employer en public. Mais Hêxcà avait vu juste, et une semaine plus tard, les jurons du barbare étaient couvert par un sifflement incessant, provenant à la fois de la canopée et du sol, qui les entourait et les poursuivait de jour comme de nuit. Bientôt, Hêxcà annonça qu'il leur fallait traverser la rivière :

« Nous ne pouvons poursuivre sur cette rive, expliqua-t-il. Je connais assez mal ce territoire, et il est de plus infesté d'espèces venimeuses très dangereuses. Mais la traversée du Chakèmocuetz ne sera pas sans risques non plus.

Ils arrivèrent près de la rive de la rivière, et Hêxcà parut chercher quelque chose des yeux un moment, puis il se dirigea vers un tas de branches recouvertes d'un épais feuillages, qu'il souleva, révélant plusieurs pirogues de bois.

- Nous les avions abandonnées là lors d'une expédition précédente. Sans vraiment savoir pourquoi. Elles auront finalement trouvé leur utilité. Nous pouvons grimper à deux dans chacune d'elles. »

Ils prirent donc quatre pirogues. Katenbau et Hêxcà montèrent dans la première, Metaxa et Nera dans le seconde, Minnoca et Nek dans la troisième et Milobrec et Omatir dans la dernière. Le fleuve était assez tranquille, mais leur progression fut lente car ils ne disposaient que d'une pagaie pour chaque pirogue. Ils mirent donc de nombreuses minutes à traverser le large bras d'eau sur lequel dérivaient paresseusement d'épais tronçons de bois. Hêxcà et Katenbau avaient déjà mit pied à terre lorsqu'un objet heurta la partie immergée de la barque de Nera et Metaxa, produisant un son mat et manquant de les faire chavirer. Ils cessèrent de ramer un moment, et un silence pesant s'installa. Soudain, dans un grand éclaboussement, une large mâchoire ouverte se referma sur l'avant de la pirogue de Milobrec et Omatir. Le paladin et le barbare tombèrent aussitôt dans l'eau trouble.

« Des caïmans !hurla Hêxcà. Passe-moi la corde, gamin, vite !

Katenbau s'empressa de l'apporter au vieil homme, tandis que Milobrec refaisait surface.

- Attache-la à quelque chose, dépêche-toi !

Laissant une extrémité de la corde au guide et gardant l'autre, le barbare jeta des regards dans toutes les directions en réfléchissant à toute vitesse. Il fallait trouver quelque chose de très solide à quoi attacher la corde. Les troncs étaient trop éloignés. Il dégaina sa lame des anciens et la planta dans le sol jusqu'à la mi-hauteur et attacha la corde à la poignée.

- Attrape ça ! cria Hêxcà l'intention d'Omatir qui venait à son tour de refaire surface.

Le frère de Katenbau se saisit de la corde que lui envoyait le guide. Celui-ci, aidé de l'autre barbare, tira de toutes ses forces afin de ramener Omatir à la rive. Mais le caïman réapparut derrière lui. Minnoca et Nera, qui jusque là observaient la scène en spectatrices tétanisées, firent immédiatement feu sur le reptile aquatique, l'une tirant des flèches, l'autre envoyant des épieux de glace. La bête abandonna sa proie et reporta son attention sur Milobrec. Le paladin s'était hissé de nouveau sur sa pirogue renversé, et ramait à présent de toutes ses forces vers la rive. De nombreux autres reptiles s'étaient attroupés autour d'eux. L'un d'eux jaillit hors de l'eau, juste à côté du paladin, qui lui asséna un violent coup de pagaie sur le museau. Le caïman retourna sous l'eau, étourdi, mais de nombreux autres approchaient. Milobrec fit passer son arme contondante de fortune dans sa main gauche, et de sa main droite dégaina son épée. Il pagaya de toutes ses forces vers la rive, mais un autre caïman se jeta sur lui. D'un furieux coup d'épée, il lui transperça la mâchoire par le dessous, et sa lame traversa le palais et ressortit juste devant les deux yeux. Il retira son épée et le reptile sombra dans l'eau qui se troublait peu à peu du rouge de son sang. Pendant ce temps, Omatir atteignait la rive. Le paladin finit par toucher terre à son tour. Metaxa, Nera, Minnoca et Nek touchaient au but, lorsque la barque de l'amazone et du druide fut renversée à son tour.

- Omatir, la corde !cria Katenbau

Ce dernier s'escrima quelques secondes sur la corde qui enserrait sa taille, tentant de défaire le noeud, puis s'avoua vaincu.

- Le noeud est trop serré, dit-il d'un ton affolé.

Son frère aîné retira alors son épée du sol, et trancha la corde.

- Allons-y, donc. »

Sur ce, il se rua dans la rivière en direction de l'amazone qui refaisait surface, rapidement suivi d'Omatir.

Minnoca prit une profonde inspiration. La rive se trouvait encore douze bon mètres devant elle. Elle commença à nager de toutes ses forces, mais une forte éclaboussure derrière elle lui indiqua qu'elle était poursuivie. Elle accéléra le rythme, en vain, imaginant à chaque seconde sentir les mâchoires se refermer sur elle. Tentant de maîtriser sa panique, elle tourna son regard vers le rivage. Celui-ci était toujours désespérément hors de portée. Elle se retourna. La face du caïman, ses dents terrifiantes, sa mâchoire imposante, terrible machine à tuer d'airain, à laquelle succédaient deux yeux jaunes, regard cruellement vide de toute émotion, reflet d'un esprit dépossédé de toute considération pour la vie. Elle attendit, toute résistance étant vaine. Le reptile se rapprochait à grande vitesse. Elle se redressa, fière devant la mort. Lorsque les mâchoires grandes ouvertes se projetèrent droit sur elle, elle ne cria pas, mais ferma les yeux.

L'instant lui parut durer une éternité. Puis un cri lui fit rouvrir les yeux. Le caïman se trouvait toujours face à elle, la mâchoire grande ouverte. Bloquée par les bras musculeux de deux barbares qui ne lui étaient pas étrangers.

« Qu'est-ce que tu attends, fuis ! cria Katenbau.

Elle ne se le fit pas dire deux fois. Katenbau n'aurait jamais imaginé qu'une mâchoire puisse être si puissante. Omatir et lui réunis suffisaient tout juste à la maintenir ouverte.

- Prêt, petit frère ?

Omatir acquiesça. Ils écartèrent alors les mâchoires d'un coup sec. Le caïman mourut sur le coup, la mâchoire brisée. Ils retournèrent à la rive, et y rejoignirent le reste du groupe.

- On peut dire qu'on a eu de la veine, dit Hêxcà. S'en tirer tous indemnes face à des caïmans noirs, c'est pas fréquent.

- Je vois que ma disparition n'inquièterais personne, dit Nek en surgissant de l'eau.(1)

Ils se rendirent alors compte que le sauvetage de Minnoca leur avait fait oublier que le druide également s'était retrouvé face aux reptiles.

- Nous sommes désolés... sourit Nera.

- Bah, ce n'est pas grave, répondit Nek en feignant d'être scandalisé. Nek peut sauver la mise au reste de la compagnie sur le Mont Arreat, on ne le remercie pas, et Nek peut également finir dans le ventre d'un crocodile, personne ne s'en souciera. Vous autres n'êtes que des ingrats.

- Si tu veux, gamin, si tu veux. En attendant, on a eu de la chance d'en réchapper tous. Le caïman noir et au sommet de la chaîne alimentaire. Du moins près du fleuve.

- Et qu'en est-il lorsqu'on s'en éloigne ? demanda Katenbau

- Cette jungle reste avant tout le royaume des serpents. Bien, mettons-nous en route. Nous devons atteindre la source du Chakèmocuetz demain au plus tard. »

Ils reprirent donc leur marche, et au soir, la forme sombre d'une colline se dessinait à l'horizon, au-dessus du reste de la forêt. Hêxcà annonça une pause.

« On va dîner ici. Nous repartirons pour encore une ou deux heures de marche afin de nous rapprocher de la colline. Il nous faut de quoi faire un feu.

- Je vais chercher du bois, dit Katenbau. »

Il s'enfonça dans les arbres. La lumière filtrait difficilement à travers le riche feuillage des arbres, et l'environnement au niveau du sol était assez sombre. Il était ardu de distinguer quoi que ce soit au sol, et Katenbau ne pouvait juger de ce sur quoi il marchait que par les bruissements des feuilles sous ses pas. Mais, alors qu'il marchait, il crut percevoir un autre bruit. Il n'y prêta pas attention, croyant qu'il ne s'agissait que du bruit de ses propres pas. Puis, tenant à dissiper ses doutes, il s'arrêta. Le bruissement se poursuivit quelques instants, comme un écho, puis s'arrêta également. Le barbare crut percevoir un léger sifflement. Il n'en poursuivit pas moins sa marche. Mais il n'eut pas parcouru dix mètres que l'écho reprit. Il s'arrêta derechef. Le bruissement l'entourait, à présent, de même que le sifflement. Il crut voir un mouvement sur sa droite. Mieux valait ne pas rester dans le coin. Katenbau fit demi-tour et repartit vers le campement. Le sifflement crut en intensité. Le barbare se mit à courir. Un filet se sueur coula dans son dos.

Il pouvait entrevoir ses amis assis en cercle, quelques décamètres devant lui, lorsqu'il trébucha. Il se releva à grand peine, sentant quelque chose de froid s'enrouler autour d'une de ses jambes. Il continua à cloche-pied, puis s'effondra de nouveau. Le sifflement était plus proche que jamais. Il sentit un long corps ramper sur son dos. Katenbau parvint néanmoins à se relever, et à faire irruption au beau milieu de ses amis, de puissants anneaux enserrant on torse.

Il y eut un instant de surprise parmi ses compagnons. Hêxcà fut le premier à réagir.

« Vite, il faut l'aider ! cria le guide.

Katenbau se débattit en vain, lorsqu'il put voir la tête de son adversaire. Plate, de forme presque triangulaire, avec des yeux noirs qui le fixaient d'un air affamé. Il agrippa le cou du serpent, dans le but de lui faire lâcher prise. Mais ses efforts ne parvinrent qu'à faire se resserrer l'étreinte du python sur son torse. Il commençait à étouffer. C'est alors qu'intervinrent Omatir et Milobrec. Le paladin vint saisir le serpent juste derrière la tête tandis qu'Omatir tentait de faire se relever Katenbau.

- Il faut le forcer à se dérouler !hurla le barbare. »

Hêxcà vola à leur aide, mais un puissant coup de queue le projeta plusieurs mètres plus loin. Metaxa vint assister Omatir dans sa tâche, mais ils n'obtinrent guère plus de succès. De son côté, Katenbau suffoquait. Puis soudainement l'emprise se desserra, mais le python s'agita de violentes convulsions qui projetèrent Milobrec et Omatir plusieurs mètres plus loin. Le serpent commença à abandonner le torse de Katenbau, tout en maintenant ses jambes dans son étreinte. Tous purent alors apprécier sa longueur, qui était d'au moins huit ou neuf mètres. Puis il se jeta sur Metaxa, et s'enroula autour d'elle. Katenbau, était lui toujours immobilisé par les puissants anneaux. Hêxcà, Omatir et Milobrec gisaient toujours inconscients. Minnoca et Nera échangèrent un regard. La situation était plutôt défavorable.

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«Je suis fort aise de vous annoncer, maître, la découverte de deux nouveaux rouleaux lors des dernières fouilles. Mais c'est cependant avec le plus grand regret que je vous instruirai du décès de quatre de nos ouvriers, décès causés par les pièges disposés dans le tombeau. Et s'il faut croire ce qu'affirment les prophéties, alors c'est avec un regret presque égal que je vous énonce les vers que nous avons découvert.

La défaite du dernier des Trois sonnera l'heure,

L'enfant du Démon se lèvera,

Et sèmera de par le monde, mort et horreur,

Et la trinité du mal se reformera.

S'il faut en croire ces vers, la défaite du dernier des Trois, que vous et moi pouvons interpréter comme représentant les évènements ayant eu lieu il y a treize ans de cela, annoncerait le retour de l'enfant du Démon. Je ne sais ce que cela signifie, mais peut-être votre érudition vous sera d'une précieuse aide. Je ne sais s'il faut croire à ces prophéties. N'ont-elles pas prévues l'exil noir et la bataille d'Harrogath? Cela semble pourtant si fantaisiste. Je ne sais que penser.

Mes respectueuses salutations,

Votre serviteur, en ce premier jour de la troisième semaine du huitième mois de l'an de grâce 1278.»





1 : en tout cas on a vu qu'elle n'affectait pas cet insensible de yodinho :

« Bon ok jsuis émotif et j'adore les nécros, mais... Nek, on s'en foutait par exemple! Yoda.»

Quel sinistre individu ;)
Minnoca décocha une flèche au python, en visant juste derrière la tête du reptile. Mais ce dernier était d'une taille si imposante, et d'un âge si avancé, que son cuir séculaire se trouvait épaissi de nombreuses couches dues à des mues mal opérées, et il n'avait donc guère de points faibles. La flèche érafla sa peau mais ne la perça point. Cela suffit néanmoins à attirer l'attention du serpent sur Minnoca. Le reptile relâcha Katenbau, qui s'écroula inconscient, pour porter son attention sur l'amazone. Il jaillit, projetant sa tête en avant, les mâchoires grandes ouvertes révélant de monstrueux crochets, en direction de Minnoca. Sa gueule s'ouvrit démesurément, et se referma sur le vide. L'illusion s'évanouit. Tournant son regard vers sa droite, il aperçut la véritable amazone, réencochant une flèche à son arc. Elle tira de nouveau, et la flèche vint se briser sur la peau du python.

« Ca ne fait pas d'effet ! cria Minnoca à l'intention de Nera.

- Occupe-le pendant quelques minutes, répondit la sorcière.

Nera se dirigea vers Omatir, qui était toujours étendu, inconscient sur le sol, et entreprit de le réveiller. Minnoca invoqua un nouveau double. Le serpent se jeta dessus. Lorsque l'illusion disparut, il tourna son regard froid et inexpressif vers la véritable amazone. Minnoca invoqua un autre double en catastrophe, mais le python ignora l'illusion et plongea, les mâchoires béant vers l'avant. L'amazone évita l'attaque de justesse. Nera était toujours affairée à réveiller tant bien que mal Omatir. Minnoca, elle, rétablit son équilibre du mieux qu'elle put, alors que le python repassait déjà à l'attaque. Elle l'esquiva de nouveau mais trébucha contre une racine traîtresse et tomba lourdement sur le dos. Le serpent plongea derechef, mais elle invoqua une valkyrie entre elle et le reptile au dernier moment. Les crochets s'enfoncèrent profondément dans les chairs de la guerrière invoquée, qui disparut presque aussitôt, ne laissant plus aucun obstacle entre Minnoca et le python. Au même moment, Nera cria :

- C'est bon ! Tire une flèche de froid !

L'amazone s'exécuta, et bien que le trait ne pénétra pas dans les chairs du serpent, la magie fit effet. Le python avait cependant été touché au moment où il plongeait vers elle. Les quelques secondes qui suivirent parurent interminables à Minnoca. Le corps du serpent gelait peu à peut à partir de l'endroit où la flèche l'avait touché, mais sa tête continuait de se rapprocher de l'amazone. Le froid progressait lentement à l'intérieur du corps du reptile, gelant les organes, les muscles, les vaisseaux et le sang qui circulait à l'intérieur sans distinction. Les mâchoires bardées de longs crochets qui étaient autant de poignards se rapprochaient toutefois toujours de la gorge de l'amazone alors même que le reste du corps gelait progressivement. Elles s'immobilisèrent finalement à quelques centimètres du visage de Minnoca. L'amazone remarqua que la glace faisait luire la langue fourchue du reptile. Elle se retira vivement, tandis qu'Omatir abattait son maul de toutes ses forces sur le python congelé qui explosa en minuscules fragments de glace. Milobrec, Katenbau, Metaxa et Hêxcà finirent par revenir à eux, et ils reprirent leur voyage jusqu'à la tombée de la nuit.



Le lendemain, ils atteignirent la colline qu'ils avaient en vue depuis quelques jours. Le Chakèmocuetz coulait toujours non loin d'eux, mais ce n'étaient plus des eaux paisibles et recouvertes de végétaux aquatiques, car le débit se faisait de plus en plus fougueux.

« Nous approchons de sa source, dit Hêxcà. Nous pourrons traverser beaucoup plus souvent. Il n'y a pas de caïmans, par ici.

- Pourquoi donc ?demanda Milobrec

- Tout simplement parce qu'ici les caïmans ne sont plus au sommet de la chaîne alimentaire. Ce n'est pas pour rien que cette colline est surnommée «Anaconda».

- Qu'est-ce que c'est que cette horreur, encore ? grommela Omatir

- Comme le python que vous avez affronté, mais en légèrement plus gros, et l'anaconda vit dans l'eau, aussi, répondit le guide.

- Espérons donc que nous n'en croiserons pas, soupira Katenbau.

- On ne rencontre pas un anaconda. C'est l'anaconda qui nous rencontre. Mais espérons toujours.

Ils poursuivirent leur chemin, et arrivèrent à l'entrée d'une caverne, d'où sortait le Chakèmocuetz, désormais mince et impétueux. De nombreuses lianes et plantes grimpantes pendaient de l'entrée de la voûte, et l'aspect du souterrain était malsain. Comme pour répondre à une question qui était sur toutes les lèvres, Hêxcà dit :

« Nous n'entrerons pas là. Le voyage serait à la fois inutile et périlleux.

-Tant mieux, répondit Milobrec. Ce trou obscur ne m'inspire guère. Passons notre chemin.

Ils s'arrêtèrent à la mi-journée pour se reposer une heure. C'est le moment que le guide choisit pour venir parler avec Katenbau.

« Nous voilà donc sur l'Anaconda. Je dois t'avouer que je ne connais pas le chemin après cette étape, gamin. Les vieilles cartes montrent que nous devons suivre le cours d'une rivière qui coule vers le sud-est, puis se jette dans un lac. La cathédrale se trouverait au bord de ce lac.

- Les choses paraissent donc bien simples, dit Katenbau.

- Il se trouve que j'ai déjà effectué une petite reconnaissance lorsque vous déjeuniez. Il n'y a qu'une autre rivière qui part de l'Anaconda, hormis le Chakèmocuetz, et cette rivière coule vers le nord-est, et non vers le sud-est. Mais peut-être oblique-t-elle par la suite.

- Si c'est la seule rivière, comme vous l'affirmez, alors nous devons la suivre. Il faut tenter notre chance.

- Si tu le dis, gamin. Mais je te répète que je ne connais pas du tout cette partie de la jungle. Enfin, si c'est ton choix, alors nous partons tout de suite. »

Katenbau se leva, et alla chercher ses compagnons. Une marche longue et difficile les attendait, et elle était encore plus difficile du fait de l'incertitude de leur destination. Ils suivirent le cours de la rivière tout l'après-midi. A mesure que le soleil descendait lentement à l'ouest, derrière eux, se faisait entendre un lointain rugissement, un grand vacarme continu qui ne cessait d'augmenter en intensité à mesure qu'ils se dirigeaient vers l'aval du fleuve. Finalement, en fin d'après-midi, ils virent assez nettement devant eux s'élever un grand panache de vapeur grise. Ils furent rapidement arrivés près de la source du grondement. A quelques dizaines de mètres devant eux, la rivière se jetait dans une vaste fosse d'une largeur de plus de cinquante mètres, et qui barrait son cours selon une direction orientée du nord-ouest vers le sud-est. De là s'élevait un puissant grondement, ressemblant au roulement du tonnerre dans le lointain, mais en bien plus puissant encore, ainsi qu'une haut panache de fumée grise. Le soleil crépusculaire parut de derrière un nuage dans leur dos, et le panache sembla se muer en une brume d'or pur. De l'autre côté de la fosse, en face d'eux, le paysage était une savane de hautes herbes jaunissantes, faisant de l'immense faille la frontière nette de la jungle. Ils s'approchèrent du bord, et virent là le spectacle majestueux du fleuve se jetant furieusement dans la gorge, pour s'écraser au fond de cette dernière, plus de cent mètres plus bas, en formant une cascade gigantesque que les rayons du soleil mourant traversaient en créant de nombreux arcs-en-ciel multicolores. Une fois arrivée au fond, l'eau s'écoulait paresseusement en direction du sud-est, suivant la ligne de la faille. Ils continuèrent leur marche au bord de la fosse en suivant le cours de la rivière qui s'écoulait cent mètres sous eux, mais, au bout de quelques minutes de marche seulement, finirent par trouver un petit escalier, taillé dans la paroi rocheuse, qui descendait jusqu'au fond de la gorge.

Ils arrivèrent sur une petite plage de gravier coincée entre la rivière et la haute paroi. Ils se trouvaient à présent au fond de l'immense ravin, dont les hauts côtés oblitéraient la lumière du mourant soleil. Le peu de ciel visible au-dessus de leurs têtes s'assombrissait rapidement, passant d'une belle teinte dorée à une triste rouille. Les arbustes qui s'accrochaient aux saillies et aux fentes de la roche produisaient de longues ombres sur la mince grève où ils se tenaient. Ils décidèrent de passer la nuit sur la plage, et de repartir le lendemain. Le ruissellement de l'eau sombre berça leur sommeil.

Il se réveillèrent le lendemain matin, et virent alors comment le crépuscule avait trompé leurs yeux. Le ciel bleu se reflétait dans l'eau tantôt turquoise, tantôt bleu sombre, et parfois presque verte. Ils se mirent en route, et poursuivirent à pied, car la plage se prolongeait le long de la paroi vers l'aval, en devenant une mince grève de galets. Ils marchèrent ainsi jusqu'au mitan de la journée, et parvinrent à une petite chute d'eau. Là, la rivière se jetait dans une vaste cuvette dont la présence résultait d'un considérable élargissement de la fosse dans un lac ovale sur les rives duquel, coincée entre l'eau et la falaise, se dressait un haut bâtiment de pierre et d'acier, dont les plus hautes tours arrivaient presque au niveau du sommet des penchants du ravin. Ils descendirent dans la cuvette par un petit chemin qui descendait le long de la chute d'eau, et s'arrêtèrent pour prendre un repas sur la rive du lac.

A la fin de ce dernier, Hêxca vint parler à Katenbau.

« Parlons à présent de mon salaire, dit le guide.

Katenbau nota qu'il s'était abstenu, cette fois, de l'appeler «gamin».

- J'honorerai ma parole. Demandez-le quand vous le désirerez.

- Eh bien je suppose que je vais d'abord rentrer un peu avec vous dans la cathédrale, histoire que mon unique oeil puisse voir ce pourquoi son jumeau s'est sacrifié. Et ensuite, je repartirai sans doute à Ozhocòtl.

Pendant qu'il parlait sur la rive, deux yeux sortirent lentement de l'eau près d'eux. La forme s'approcha doucement du rivage.

- C'est entendu. Nous allons entrer dans la cathédrale dans une heure.

- Bi... »

Provoquant de grands et bruyants remous, une gigantesque forme jaillit hors du lac, tout près de la rive. S'il s'agissait sans aucun doute d'un serpent, seule une intervention magique pouvait expliquer un tel gigantisme chez un animal. La tête triangulaire, aussi longue qu'un cheval, les fixait d'yeux aussi noirs que le plus sombre puits. Il émanait une telle impression de malignité et de cruauté de ces fenêtres sur le néant que Katenbau frémit. Cette tête était suivie d'un interminable corps de couleur brun sombre, comme pour mieux se fondre dans l'eau trouble, dont les écailles auraient pu servir de bouclier à Milobrec. L'eau ruisselait dessus en brillant. Le colossal reptile tourna lentement son effroyable tête vers Hêxcà et Katenbau, et une langue, fourche et longue comme un homme allongé, fouetta l'air. La gigantesque créature ouvrit ses vastes mâchoires, révélant des crochets aussi longs et effilés que des cimeterres. Soudain, le serpent plongea sur Hêxcà qui se retrouva pris dans l'étau démesuré des mâchoires de la créature. La première à réagir fut Minnoca, qui décocha une flèche à l'intention du monstre. Le trait rebondit sur une des écailles et glissa jusque dans le lac. Katenbau réagit alors.

« Milobrec, Omatir, Nek, venez m'aider !

Le barbare, le paladin et le druide le rejoignirent. Katenbau lança plusieurs cordes à Minnoca.

- Attaches-en une autour de ta flèche !

Les quatre hommes en saisirent l'autre extrémité. L'amazone décocha la flèche, mais celle-ci manqua le monstre. Ils laissèrent partir la corde.

- Nous n'en avons plus que deux, Minnoca !

L'amazone attacha nerveusement une autre corde à sa flèche, puis tira derechef. Elle fila droit vers la gueule du monstre, dans laquelle se débattait toujours Hêxcà, en sang. Mais le guide ne parvint pas à saisir la corde qui une fois de plus tomba à l'eau. Minnoca attacha la dernière corde, puis tira. Cette fois-là, Hêxcà parvint à l'attraper et à la nouer autour de sa taille.

- Forçons, à présent !

Les quatre hommes s'escrimèrent, tirèrent de toutes leurs forces afin de ramener le guide, mais rien n'y fit. Le serpent les surpassait en force. Metaxa et Minnoca vinrent leur porter assistance. Alors, lentement, la créature sembla céder du terrain. La tête, le buste et les deux bras ensanglantés du vieil homme réapparaissaient déjà. Mais la créature en vérité était fort cruelle, et elle n'aimait rien tant que de jouer avec ses proies. Elle tira un coup sec, et plusieurs des héros perdirent l'équilibre et lâchèrent prise. Seul Katenbau tint bon, faisant jouer ses muscles, mais Hexcà n'était déjà guère plus qu'une forme sanguinolente dans la bouche tapissée de crocs du reptile. Son regard désespéré croisa celui du barbare. Katenbau lâcha la corde, et le serpent retourna sous l'eau dans de grands éclaboussements. Peu à peu, les rides à la surface du lac disparurent.

Ses compagnons se relevèrent devant lui, l'air horrifié.

« Nous allons dans la cathédrale. Maintenant. » Ajouta-t-il d'une voix monocorde alors que Nera semblait vouloir prendre la parole.

Ils arrivèrent donc devant la cathédrale d'Inarius. L'entrée en était large, haute et puissante. De larges dalles de pierre empilées en escalier montaient jusqu'à un portique où s'étaient jadis élevées deux puissantes portes d'acier, qui gisaient à présent, défoncées par quelque tornade ou gigantesque bélier, sur le sol inondé du parvis. Car dans sa ruine à la cause inconnue, la cathédrale avait été envahie par les eaux du lac. L'eau tourbe avait donc tout envahi, ensevelissant en son sein obscur et repoussant les montants des puissantes portes. Au-dessus de l'encadrement désormais vide, se trouvait un immense vitrail circulaire brisé, dont seuls restaient quelques éléments joints au mur environnant que les rayons du soleil traversaient tristement, ne donnant plus que quelques reflets gris clair, car la teinte du verre avait depuis longtemps disparu. Au-dessus encore jaillissaient des murs imposants de hautes arêtes aiguës et des tours d'acier à la silhouette élancée, qui se dressaient vers l'azur. Malgré la ruine et les ravages que le temps avait causé, les ruines imposaient encore le respect, et ils entrèrent précipitamment, mal à leur aise devant le spectacle de ces oeuvres ambitieuses, qui s'élevaient, conquérantes, vers le firmament, symbole de la folie d'une culture qui se croyait l'égale de ce qui trônait au royaume des cieux, et qui avaient finalement été abandonnées, désertées, par ceux qui avaient voulu en faire le tonitruant emblème de leur gloire, et qui finalement avaient disparut comme tout ce qui est mortel, laissant pour seul héritage de leur naufrage ces tours puissantes, mais livrées à l'oeuvre de la nature et du temps.

Katenbau, dans sa jeunesse, avait souvent entendu parler des cavernes que l'on trouvait dans les montagnes au nord de son pays, et que l'on comparaît à des cathédrales. Il aurait plutôt comparé cette cathédrale-là à une caverne. Une immense caverne, un chaos de roc et d'eau croupie, un paysage irréel. De quel esprit dérangé avait pu naître l'idée d'une telle audace, d'une telle folie des grandeurs? Le plafond s'élevait, très haut au-dessus d'eux, et pourtant bien visible car illuminé d'une lumière qui, provenant de plusieurs fenêtres hautes, se répercutaient sur un jeu de miroirs suspendus qui les faisaient converger, diverger, puis converger de nouveau, pour atteindre la haute clef de voûte. Le plafond était richement sculpté, et soutenu par une véritable forêt de colonnes aux pieds invisibles sous l'eau. Bon nombre de ces colonnes s'étaient effondrées, et gisaient en formant des amoncellements de débris et de gravats. Ils passèrent ainsi dans plusieurs salles immenses, avant d'atteindre la dernière, qui était de loin la plus impressionnante. De longs gradins rectangulaires encadraient un autel central qui était à présent sous l'eau. Les gradins s'élevaient en plusieurs étages. Ainsi, plus de vingt mètres au-dessus de la première rangée, de puissantes voûtes soutenaient une rangée supplémentaire de gradins suspendus au-dessus du sol. La largeur en était deux fois moindre que ceux du premier niveau. Cinq rangées s'élevaient ainsi jusqu'à atteindre une hauteur que Katenbau estima à plus de cent-vingt mètres. Au fond de la salle, à peine remarquable dans la gigantisme environnant, se trouvait une porte d'acier à doubles battants, surplombée d'une arche de pierre où étaient gravés de nombreux symboles. Ils traversèrent l'étendue inondée pour atteindre la porte. Elle était assujettie de l'intérieur par un mécanisme inviolable, et nulle poignée, anneau ou serrure n'était visible. Au-dessus était gravée une fresque, représentant une porte au centre, précédée d'un motif rappelant un serpent enroulé sur lui-même, et à sa droite un étrange enchevêtrement de formes géométriques complexes.

« Qu'est-ce que cela veut dire ? pensa Katenbau tout haut.

- Le message paraît clair, répondit Nera. Le serpent, puis la porte et enfin une chose mystérieuse. Il faut sans doute affronter un gardien, pour ouvrir la porte et accéder à ce qui se cache derrière.

- Comment pourrai-t-on affronter le gardien s'il est sans doute mort depuis des siècles ? dit Milobrec. Malédiction! Nous voici coincés en fin de compte dans cet endroit lugubre.

- Lëkor nous attend peut-être derrière, dit Katenbau. Il faut trouver le moyen de passer, soit en trouvant le gardien, soit en abattant cette porte de for... »



Soudain, une grande forme jaillit hors de l'eau derrière eux. L'immense serpent était de retour. Il se leva, et siffla furieusement.

- C'est donc lui le gardien, murmura Nera.

Elle leva se bâton, tandis que Minnoca encochait une flèche.

- Je m'en occupe, dit simplement Katenbau.

Puis il se tourna vers le serpent démesuré, et lui cria :

- Approche, infâme chimère, approche donc ! tu as déjà pris un de mes compagnons, tu n'en prendras pas un second. Approche, ou fuis si tu tiens à ta misérable carcasse, enfant du Styx ! »

Pour toute réponse, le serpent siffla furieusement. Katenbau tira lentement sa Lame des Anciens, qui brillait intensément, belle mais minuscule face au véritable Léviathan qui trônait devant le barbare. L'immense reptile attendit, fixa Katenbau un instant, hésita puis projeta avec une vivacité diabolique sa tête en avant, les mâchoires grandes ouvertes. Le barbare attendit, puis, en une fraction de seconde, porta un coup vif, habile et meurtrier. La Lame fut arrêtée par un des crochets, qui faisait la taille d'une épée à deux mains. Le sang noir jaillit et éclaboussa l'armure du barbare tandis que le serpent sifflait furieusement. Le gigantesque reptile attaqua de nouveau, et cette fois-ci le barbare eut plus de peine à parer. Le choc fut si violent que l'épée lui échappa des mains et tomba dans l'eau bourbeuse. Avant qu'il n'ai pu la récupérer, les grands anneaux l'enserrèrent. Les serpent siffla triomphalement en resserrant son emprise.

« Il faut l'aider cira Minnoca en encochant une flèche.

Omatir arrêta son geste.

- Non. S'il a besoin de nous, il nous appellera.

Katenbau n'entendit pas la suite de la dispute, mais Minnoca paraissait très agitée, tandis que les autres observaient avec anxiété la scène. Katenbau tenta de crier mais seul un râlke étouffé s'échapa de sa gorge. Il tendit la main désespérément vers la Lame des Anciens qui luisait au fond del'eau, mais qui était absolument hors de sa portée.

Il se produisit alors quelque chose que ni Katenbau ni personne d'autre ne put expliquer. Dans un grand éclaboussement, la Lame jaillit hors de l'eau et retourna dans la main de son porteur. Katenbau, à moitié asphyxié mais toujours conscient, l'enfonça profondément dans les anneaux qui l'enserraient. Le serpent émit un puissant sifflement aigu de douleur et de rage et relâcha immédiatement son emprise. Le barbare s'effondra dans l'eau mais parvint néanmoins à se redresser. Le gigantesque reptile parut d'abord vouloir cesser momentanément le combat, mais projeta ensuite ses mâchoires grandes ouvertes à une vitesse fulgurante sur le barbare pour l'achever une fois pour toutes. Katenbau se concentra, puis la Lame des Anciens jaillit en un coup sec, en produisant un éclair lumineux qui éclaira la scène par le dessous, produisant de grandes ombres sur le plafond et les colonnes alentours.

La lourde tête tomba au sol comme une grosse pierre, avec un son mat. Le grand corps décapité eut quelques spasmes, puis s'écrasa dans une mare peu profonde, dans de grands éclaboussements qui s'élevèrent fort haut avant de retomber en une fine pluie sur le corps sans vie du gigantesque serpent. Les six héros qui étaient restés en retrait, spectateurs du terrible mais bref affrontement, étaient littéralement estomaqués. Jamais ils n'avaient vu de coup aussi net et fulgurant. Katenbau se tourna vers eux, puis dit :

« Nous devrions pouvoir entrer, à présent, dit-il en montrant la grande porte au fond de la salle. »

Les lourds battants d'acier s'ouvrirent d'eux même. Par l'encadrement vint une lumière aveuglante qui illumina peu à peu la grande salle et éblouit les sept aventuriers
Une fois leurs yeux habitués à la lumière, ils entrèrent dans la salle. Celle-ci, malgré de vastes dimensions, ne paraissait que de taille modeste comparée aux immensités précédentes. Une unique colonne, de vaste circonférence, occupait le centre de la pièce. La lumière provenait d'une silhouette qui se tenait juste à côté de la colonne.

« Bienvenue, dit une voix chaleureuse. Je suis heureux de vous voir arriver enfin.

- Lëkor! Murmura Katenbau.

- C'est bien moi. Je vous attendais depuis plusieurs semaines. Mais entrez donc.

Ils obéirent.

- Vous voilà donc au coeur de la cathédrale d'Inarius, leur expliqua-t-il. Cet endroit a été bâti par une secte formée par un séraphin déchu. Il comptait en faire l'une des plus belles places fortes de la magie en Sanctuary. Malgré l'état vétuste des lieux, vous pouvez voir qu'il peut considérer avoir réussi son oeuvre. Ce temple a été détruit par les forces des Trois lors du début de l'Exil Noir, il y a bien longtemps de cela. Peu de mortels sont parvenus a y entrer, et vous allez sans doute, sauf incident inopiné, être les premiers à en revenir. Quelques mages ont néanmoins, soit en ayant approché le lieu de suffisamment près, soit en ayant connu l'époque de sa gloire, rédigé de longs et fastidieux écrits, essais et hypothèses sur la fonction de cet endroit. Tous s'accordaient sur le fait qu'il ne pouvait s'agir d'une simple place forte. La plupart parlaient d'un centre religieux, ce qui signifierait qu'Inarius aurait cherché à se faire passer pour une divinité. Nombre d'entre eux évoquent une fonction double de centre religieux et de poste avancé du paradis. Certains parlent même d'une cachette pour dissimuler une arme secrète. L'hypothèse la plus intéressante, cependant, vient des écrits d'un vizjerei dont le nom ne vous est sans doute pas inconnu: il s'agit d'Horazon lui-même.

Dans Des traces de la Grande Magie en notre monde, Horazon évoque les fluctuations de magie qui entourent la zone de la cathédrale. Selon ses études, une partie de cette magie seulement vient de Sanctuary. Il y aurait donc, d'après Horazon, dans la cathédrale-même quelque chose qui permettrait de faire passer autre chose dans un autre plan que le nôtre. Horazon explique cependant que ce ne sont là qu'hypothèses, et qu'il ne croie pas que la cathédrale recelât un mécanisme permettant de faire passer des éléments corporels, vivants ou non, d'un plan à l'autre.

- Que signifie donc tout ce discours ? s'impatienta Omatir

- Patience, répondit l'archange. Je suis donc arrivé ici il y a trois semaines de cela, et j'ai recherché le mécanisme dont parlait Horazon. Le voici, dit-il en désignant la colonne.

En observant plus précisément la colonne, ils virent qu'elle était couverte de symboles, de bas-reliefs, d'aspérités, et de sculptures.

- Puisque vous ne sembliez pas devoir encore arriver, j'ai longuement étudié cette machine. Elle permet en fait d'envoyer des messages d'un plan à un autre. Tout semble indiquer qu'elle a servi récemment.

- Et en quoi cela peut-il constituer un danger pour Sanctuary ? demanda Milobrec

- Grâce à votre vaillance, les Trois ne sont plus. Vous avez également vaincus deux des Quatre. Pourtant, deux démons secondaires restent en vie. Il s'agit de Belial et Azmodan. D'après nos informations ils sont actuellement engagés dans un conflit qui fait rage dans tout l'enfer. La situation paraît donc sans danger.

Mais il en est autrement. Comme vous l'avez remarqué, seul un être doué d'une grande force et d'une ténacité à toute épreuve peut entrer ici. Et il lui faut encore disposer du savoir nécessaire pour utiliser le mécanisme d'Inarius. Il est possible que, dans sa détermination, un des deux démons secondaire ait trouvé le moyen de pénétrer sur Sanctuary pour utiliser le mécanisme à son avantage.

- Mais ce «mécanisme» ne peut qu'envoyer des messages, dit Katenbau. Ce n'est pas une arme.

- S'il est probable que Belial et Azmodan ont eu vent de son existence, répondit l'archange, il est fort plausible qu'il n'en savent pas l'utilité. Mais tout ceci n'est que suppositions. Il nous faut savoir quel est le contenu de ce message, quel est son destinataire et surtout quel est le dessein de celui qui l'a envoyé. J'étudie déjà cette colonne depuis mon arrivée, et son étude prendra sans doute encore de longues semaines. Vous allez devoir attendre ici que je découvre ce que nous cherchons. »

Les héros s'installèrent donc dans la salle, et continuèrent à s'entraîner tandis que l'archange passait de longues heures devant la colonne. Katenbau et Omatir passaient leurs journées à combattre au bord du lac avec Milobrec, pour ne pas perdre la main. Minnoca apprit à Metaxa comment stopper viser sur une cible en mouvement rapide, et en retour, cette dernière apprit quelques rudiments d'arts martiaux à l'amazone. Nera passa son temps à concevoir des sortilèges tous plus meurtiers les uns que les autres, tandis que Nek passait son temps en méditations.

Cependant, au bout de deux interminables mois, ils sombrèrent dans l'inactivité. Lors d'un chaud après-midi d'été, alors que Katenbau, Milobrec, Omatir et Nek pêchaient au bord du lac, ou plutôt fixaient la surface lisse et miroitante de l'eau dans un état de demi-sommeil duquel ils étaient parfois tirés par un poisson mordant imprudemment à l'appât, et que Nera, Minnoca et Metaxa se prélassaient sous le soleil, trente mètres plus loin sur la rive, alternant une garde continue, afin de se prévenir d'une quelconque plaisanterie de mauvais goût de la part des hommes, une puissante lumière inonda la cuvette depuis les trous béants laissés par les vitraux brisés. Katenbau reprit brusquement ses esprits. Ses amis étaient également sortis de leur rêverie. Nera, Minnoca et Metaxa les rejoignirent alors qu'ils entraient dans la cathédrale.

Ils traversèrent rapidement les titanesques salles inondées, et arrivèrent dans la salle de la colonne, où se tenait Lëkor.

« J'ai découvert comment fonctionnait le mécanisme. Le message a été envoyé vers les enfers. Il est destiné à deux destinataires qui ne sont autres que Belial et Azmodan.

- Que dit-il ? demanda Milobrec

- Je ne suis pas parvenu à le décrypter jusqu'à présent. Cela montre cependant que ce message était d'une grande importance. Il se trame quelque chose de mauvais en enfer. Je pense qu'une nouvelle menace se profile. Il nous faut cependant d'abord décrypter le message, pour apprendre de quoi il retourne, et ensuite agir.

Les héros reprirent l'entraînement dès le lendemain. Plus d'une semaine s'écoula toutefois avant que Lëkor ne s'avoue vaincu.

- Il m'est impossible de décrypter ce message. Il est protégé par un pouvoir que je ne saurais déjouer.

- Que devons nous faire, dans ce cas ? demanda Katenbau

- Il faut à tout prix déchiffrer ce message, sinon notre quête aura été inutile. Peut-être que l'un de vous en sera capable.

Ils échangèrent quelques regards, puis Katenbau dit :

- Si c'est nécessaire...

L'archange et le barbare s'approchèrent tous deux de la colonne. De larges fentes verticales la traversaient. Lëkor enfonça ses deux bras à l'intérieur. Katenbau fit de même, de l'autre côté du pilier. Il sentit ses mains parvenir dans une vaste poche d'air, comme si la colonne avait été creuse.

- Es-tu prêt ?

- Oui.

- Alors saisis le cristal. »

Le barbare chercha un instant à l'aveuglette, puis sentit le contact froid et lisse de la pierre qu'il tint fermement. Rien ne sembla d'abord se passer, mais bientôt la salle autour d'eux disparut. Une obscurité totale l'enveloppait. Devant lui, à une distance qu'il lui était impossible d'estimer, Katenbau vit Lëkor. Très loin sous eux luisait une faible lumière. Puis ils tombèrent. Le point lumineux se fit peu à peu disque, puis Katenbau en vit la forme. C'était un vaste cylindre lumineux. Ils continuèrent à tomber, se rapprochant de son centre. Ils se trouvèrent bientôt à l'intérieur. Katenbau se trouva entouré d'une nuée d'étoiles qui disparaissaient rapidement alors qu'ils chutaient toujours à l'intérieur du cylindre. Puis le blanc se mua peu à peu en jaune, puis en orange, puis en rouge criard. Le rouge à son tour devint un mauve qui n'était pas sans rappeler l'éclat des améthystes des mines de Kwol-Tak-Kren, qui se mua ensuite en un bleu sombre comme les cieux nocturnes au-dessus du désert de l'Aranoch. Puis le bleu devint cyan, le cyan devint vert, le vert redevint jaune. Enfin, Katenbau et Lëkor se trouvèrent pris dans un tourbillon doré qui dansait autour d'eux au gré de leur chute.

Puis, soudainement, le mouvement s'arrêta. Le tourbillon ralentit, et leur chute cessa. Ils se trouvaient au beau milieu de ténèbres constellées de lueurs dorées. Lëkor s'approcha de l'une d'elles, et la toucha. La sphère explosa en une multitude d'étincelles rouge sang. La voix de l'archange résonna dans l'esprit de Katenbau.

« Il faut trouver la bonne sphère. Cela peut nous prendre des heures. »

Ils firent exploser bon nombre de sphères avant que Katenbau ne découvre la bonne. Toutes les autres lumières disparurent alors, tandis que celle que le barbare venait de toucher s'agrandit démesurément, illuminant toutes les ténèbres et englobant l'archange et le barbare.

A l'intérieur de la sphère, entre eux, apparurent d'obscures formes. La couleur dorée aveuglante de la sphère disparut. Des couleurs apparurent, d'abord troubles, puis nettes, épousant les formes. Katenbau reconnut une vue de dessus de la cathédrale. Puis soudain, leur point de vue invisible s'éleva, et ils virent progressivement le lac, puis enfin toute la cuvette et le gouffre qui la précédait. Soudain, une vapeur orange s'éleva de l'une des ouvertures dans le toit. La colonne s'éleva haut dans le ciel, et ils la suivirent. Katenbau vit sous lui la jungle, puis la mer, puis il ne distingua plus que la forme des côtes, puis il aperçut, minuscules et très loin sous ses pieds, les îles amazones. Au-dessus de lui, les cieux devenaient de plus en plus sombre. Bientôt, il ne vit plus les terres sous lui. Tout devint obscur. Puis le sol reparut sous ses pieds. Mais il était sombre, gris baigné de brume et fissuré par de larges stries noires. Il descendirent rapidement, suivant la vapeur orange. Katenbau vit des continents gris séparés par des mers d'ombres. Ils descendaient au centre de l'un d'eux. La voix de Lëkor résonna dans son esprit.

« Ne reconnais-tu pas cet endroit?»

Katenbau comprit. Ils étaient en enfer. Il vit bientôt, loin sous lui, la forteresse abandonnée de Pandémonium. Puis, un peu à sa droite, la cité des damnés, encore en proie aux flammes auxquelles Lëkor et lui l'avaient livrée plus de treize ans plus tôt. Il pouvait maintenant distinguer les détails au sol, moins de quarante mètres sous lui. Il ne semblait y avoir aucun démon. De nombreuses failles striaient le sol. Le barbare cru voir un instant trois silhouettes se dirigeant vers la cité des damnés, mais la colonne de vapeurs s'engouffra dans l'une des fissures, et ils la suivirent. Il se trouvèrent dans une immense grotte que Katenbau connaissait bien. C'était la rivière de feu. Là encore, presque aucun démon ne se trouvait sur les îlots de basalte flottant sur la lave. La colonne orange se sépara en deux parties, et Katenbau en suivit une. Ils survolèrent à toute vitesse les îlots de basalte, passèrent par dessus un pont dallé de noir, et entrèrent dans le sanctuaire du chaos. La colonne ralentit s'arrêta au centre du pentacle.

« Cette colonne est le message envoyé depuis la cathédrale, dit la voix de Lëkor. Nous avons vu son trajet depuis la cathédrale. Comme tu as pu le constater, il était destiné à celui qui réside dans le sanctuaire du chaos. D'après nos informations, c'est Azmodan qui l'utilise à présent comme repère. L'autre partie est destinée à Belial. Il se trouve que jusqu'à présent, je n'ai pas été capable de dépasser cette étape. Pour connaître le contenu du message, il suffirait de toucher la colonne, mais j'en ai été incapable. »

Katenbau fixa la masse orangée devant lui. Il tendit la main. La colonne ne semblait avoir pas plus de consistance que l'air. Son contact était pourtant chaud. Soudain, une voix retentit dans sa tête. Elle parlait dans un langage que le barbare ne comprenait pas. Puis, au bout de quelques minutes, la voix se tut.

« As-tu entendu quelque chose ? »

Katenbau acquiesça. Il ramena sa main au contact de la colonne. Cette fois-ci, l'archange saisit son autre main. Le message se fit à nouveau entendre, et cette fois-ci par les deux êtres. Lorsqu'il fut terminé, Lëkor dit :

« Allons-nous en.

L'archange et la salle disparurent, et Katenbau se retrouva dans la salle de la cathédrale. Il lâcha le cristal, et retira ses bras du mécanisme. Tous ses amis, autour de lui, le fixaient. Lëkor vint auprès d'eux.

- J'ai traduit le message. La situation est bien plus grave que ce que nous pensions. Le message provient d'un démon. Il aurait pour nom Moloch. Ce démon nous est inconnu. Dans son message, il prétend être un démon primaire.

- C'est impossible, dit Nera.

- Cela paraît en effet l'être. Mais je n'en suis pas persuadé. Ce message demande à Belial et Azmodan de stopper immédiatement leur guerre, dans un style très autoritaire. Je ne crois pas qu'aucun démon de rang inférieur se permette un tel comportement. Ce Moloch ordonne à Azmodan et Belial de se rendre le plus rapidement possible sur Sanctuary, pour une mission de la plus haute importance.

- Comment pourraient-ils venir sur notre monde?

- Moloch leur dit d'employer le portail qu'ils ont utilisé jadis pour bannir ses frères, c'est-à-dire le portail par lequel les Quatre ont Banni les Trois sur Sanctuary, déclenchant l'exil noir, il y a plusieurs siècles de cela. Azmodan et Belial doivent se rendre à Sscosglen.

- Et que doivent-ils y faire ? demanda Nek

- Je l'ignore, et le message ne le précise pas. Je pense que Moloch avait conscience de la surveillance à laquelle est soumise Sanctuary, et qu'il a donc donné le moins d'informations possibles dans son message, par précaution. Nous avons donc trois démons, deux secondaires et un primaire, qui se rendent en ce moment même à Scosglen, ou qui y sont déjà, dans un but que nous ne connaissons pas. Il vous faut partir au plus vite. »

Les héros se préparèrent, et dès le lendemain quittèrent la cathédrale. Lëkor, lui resta dans la salle. La voix du Très Saint retentit dan sa tête, tous les archanges étant mentalement liés avec leur maître.

« Quelles sont les nouvelles, Lëkor? Ton esprit est troublé.

- Un démon qui se prétend primaire incombe à Azmodan et Belial de se rendre immédiatement à Scosglen, sur Sanctuary.

- Un démon primaire, dis-tu ? Nous nous sommes pourtant assurés de la mort de Méphisto, de Diablo et Baal.

- En vérité, Maître, j'espérai que vous pourriez faire la lumière sur cette affaire.

- Je le peux certes. Je vais te confier un secret que la plupart des archanges ignoraient, Lëkor, même Tyraël. Il se trouve que lorsque je décidai, il y a nombre de millénaires de cela, d'aller combattre mon frère en duel, c'était parce qu'il projetait de créer un quatrième démon primaire. Je l'ai alors vaincu et banni, mais je n'ai jamais pu savoir s'il était parvenu à ses fins. Ce que tu m'annonces semble confirmer une de mes craintes. Il est très probable que ce Moloch soit le quatrième frère du mal que voulait créer Scatar.

- Quels peuvent être ses projets ?

- Je l'ignore. Peut-être désire-t-il simplement réunir une armée pour conquérir Sanctuary, et ainsi unir l'enfer sous son commandement. Comment le savoir? Tu vas devoir enquêter là-dessus, Lëkor, et aider les héros que tu as, je pense, lancé à la poursuite de Moloch.

- Bien, maître.

- Voici donc pour le résultat de ta première mission. Qu'en est-il de la deuxième ?

- Je n'ai pu découvrir d'où provient son pouvoir. Mais il a montré une fois de plus son caractère exceptionnel. Il a réussit à accéder au contenu du message.

- Tu devras tenter d'en savoir plus sur le pouvoir de ce barbare. Et que sait-il, lui ?

- Il ignore bien sûr que j'enquête sur lui. Il croit ce que je lui ai dit de mon vivant, peu avant la victoire contre Baal, c'est-à-dire que son pouvoir provient de son ancêtre Bul-Kathos.

- Ce qui naturellement est faux, ou plutôt incomplet. Un tel pouvoir ne peut provenir uniquement de ses ancêtres, aussi puissants qu'ils aient pu être. Il y a autre chose. Tu devras le découvrir, Lëkor. Cette seconde mission est au moins aussi importante que la première. Découvre d'où vient le pouvoir de ce Katenbau. Et ne lui en parle pas.

- Ne serait-il pas préférable, cependant, de lui en parler?

- Il ne doit surtout pas être au courant.

- Votre volonté a force de loi, maître. »

« Lorsque le mal atteindra la patrie

Des fils de Fiacla-Géar,

Lorsque reviendront les Lézards,

Et que le Chêne sera meurtri,

Alors, viendra le grand cataclysme.

Voilà, maître, les derniers vers que nous avons trouvés dans une chambre. Je ne saurai en saisir le sens, mais ils semblent annoncer une catastrophe imminente. Deux autres de nos ouvriers sont décédés dans une chambre, où ils ont été pris au piège par un mécanisme fourbe. Nous poursuivons nos recherches.

Respectueuses salutations.

Votre serviteur, en ce premier jour du neuvième mois de l'an de grâce 1278. »
L'orage éclata lorsqu'ils arrivèrent au pied des murs de la cité. Le tonnerre claqua puissamment au dessus d'eux, et la pluie ne tarda pas à tomber, jetant un voile gris acier sur la forêt autour d'eux. En quelques secondes, ils furent entièrement trempés. L'eau ruisselait sur les casques et les lames en brillant. Les pierres déjà grises prirent une teinte anthracite, à dire vrai fort laide. Les sept compagnons n'en furent pas moins heureux de les voir. L'été tirait à sa fin, et les derniers orages se faisaient de plus en plus violents et fréquents. Ils avaient du parcourir toute la jungle séparant la cathédrale d'Inarius de Kurast, et le voyage avait duré plusieurs semaines, durant lesquelles ils avaient du supporter l'humidité, la chaleur excessive, la moiteur insupportable, mais aussi toutes sortes de serpents, une grande variétés d'espèces de caïmans et de poissons pour le moins voraces, des créatures venimeuses en tous genres, forces mygales démesurées, moult scorpions grouillant en tous sens, maintes chauve-souris dont l'envergure n'avait rien à envier aux plus grands vautours de l'Aranoch, mais surtout, au plus grand désespoir d'Omatir, un nombre effroyable de moustiques.

Mais ils étaient enfin arrivés dans l'antique capitale orientale, récemment restaurée et maintenant habitée par une trentaine de milliers d'âmes. Ils atteignirent la porte qui était gardée par deux des mercenaires d'Asheara. Ceux-ci, les reconnaissant immédiatement, les laissèrent entrer. Ils arpentèrent les rues pavées de lourds blocs de la même roche grise que celle qui formait la muraille. L'eau dégoulinait dans des caniveaux creusés à cet effet, en formant de minuscules torrents qui dévalaient la rue le long des façades des habitations, dans lesquelles restaient cloîtrés la plupart des gens, attendant la fin de l'orage. Un homme, cependant, vêtu d'une tunique rouge, dont les longs cheveux gris foncé formaient une queue de cheval, vint à leur rencontre.

« Bien le bonjour, mes amis, dit-il. Comme vous pouvez le voir, nous avons passé ces cinq dernières années à terminer les travaux.

- Nous le constatons certes, Hratli, répondit Katenbau. Serait-il toutefois possible de poursuivre cette discussion à l'abri?

- Bien entendu. Nous avons construit dans la ville haute un palais afin d'abriter le Comité. Je vous y invite. »

Ils parcoururent encore quelques rues avant d'arriver au portail de la ville basse, qu'ils empruntèrent pour rejoindre les quartiers de la ville haute. Ils virent immédiatement le palais. Bien que de taille modeste par rapport à ce qu'ils avaient pu voir à Lycander, ou encore à Lut Gholein, il était le plus grand bâtiment de la cité. Ils entrèrent dans le bâtiment de forme pyramidale par la porte principale, elle aussi gardée par des mercenaires d'Asheara.

« Nous voici enfin au sec, dit le magicien. Que nous vaut votre visite ?

- Des nouvelles, Hratli, de bien étranges nouvelles. Des démons se trouvent de nouveau sur Sanctuary. Azmodan et Belial, plus précisément.

- Je vois. Dois-je convoquer le Comité ?

- Faites.

Hratli alla sonner un gong qui se trouvait à l'autre bout de la pièce.

- Allons dans la grande salle.

Ils montèrent un grand escalier de marbre, et arrivèrent dans une salle sobrement décorée de quelques bustes et gravures, au centre de laquelle se dressait une table hexagonale. Ormus et Asheara arrivèrent alors qu'ils s'asseyaient.

- Il est bon de vous revoir, dit Asheara. Votre séjour dans l'archipel amazone a-t-il été agréable ?

- Si Ormus est également heureux de revoir ses amis, il voit dans leur regard une étrange inquiétude. Quel événement peut les tourmenter en ces jours favorables?

Katenbau leur fit le récit de leur voyage à Inarius et de leur découverte.

- Comment Azmodan et Belial ont-ils pu ainsi arriver sur notre monde ? Cela est impossible.

- La question n'est pas de savoir comment mais pourquoi, dit Nera. Il nous faut découvrir leurs intentions ainsi que celles de ce Moloch.

- Pensez-vous qu'il puisse être un imposteur ? demanda Asheara. Qu'il veuille avoir Azmodan et Belial à son service ?

- Très peu d'imposteurs seraient assez fous pour se faire passer pour un démon primaire, répondit gravement Ormus. Et aucun ne le serait suffisamment pour prétendre commander à deux démons secondaires. Ormus sait qu'il n'y a que trois démons primaires, et qu'ils ont tous trois été vaincus. Mais il ne tient ses informations que de l'enseignement des horadrims, qui eux-même le tiennent de l'archange Tyrael. Tyrael aurait-il pu mentir ? Ou simplement ignorait-il le véritable nombre des grands démons.

- Il nous faut en tout cas considérer l'hypothèse qu'un démon d'une puissance équivalant à celle de Diablo puisse arpenter notre monde. Vous devinez ce que cela implique. D'après nos informations, Moloch se trouverait à Scosglen. Nous cherchons un navire pour nous rendre rapidement au nord. Meshif est-il toujours là ?

- Oui, répondit Hratli, il fait partie du cabinet. Mais ses activités font qu'il est régulièrement absent.

- Bien. Je vous recommande d'être prudents. Ne divulguez pas ces informations, il ne faut pas créer de panique. Il se peut fort que vous n'entendiez plus jamais parler de tout ceci. Restez seulement vigilants, juste au cas où...

- Je vois. Nous allons informer le nouveau conseil de zakarum, qui s'est établi à Travincal.

- Ce n'est pas utile, je m'en chargerai, dit Milobrec.

- Parfait, dit Hratli. Combien de temps comptez-vous rester ici ?

- Pas plus de quelques jours. Nous devons nous presser vers le nord. »



Le lendemain, donc, ils partirent à la rencontre de Meshif, qui était arrivé aux docks pendant la nuit. Ils allèrent donc à sa rencontre dans l'après-midi. Il les accueillit avec enthousiasme.

« Heureux de vous revoir, dit-il. Comment s'est déroulé votre séjour chez les amazones?

- Fort bien, fort bien, répondit Katenbau. Je constate que vous vous êtes fait bien prospère, en quelques années.

Le marchand était effectivement vêtu d'une veste de lin de Ber-el-Chafad, tissu hors de prix, et d'un pantalon en fourrure de tigre, à la vue duquel Nek avait eu une moue de désapprobation.

- A dire vrai, poursuivit Meshif, Hratli est déjà venu me parler et m'a informé de la raison de votre venue. Mon navire est prêt à appareiller pour Oswonn. »

Ils partirent donc le jour même. Le voyage dura deux longues semaines, et le climat rafraîchît en conséquence. De la moite canicule qui enveloppait Kurast ne restait plus qu'une vague brise tiède. Ils furent bientôt en vue du rivage, tant à bâbord qu'à tribord, et alors que mouraient les derniers jours de l'été, devant eux la baie des cormorans, où les vagues venaient se briser sur les plages de gravier de l'isthme d'Oswonn, au fond de l'entonnoir formé par le Grand Océan, les Mers Jumelles et enfin la baie. A l'Ouest, s'élevaient les hauts remparts de la chaîne de Tamoe, où ils s'étaient rassemblés, treize ans plus tôt, en réponse à l'appel de Loekan. Ils accostèrent bientôt, à côté d'une longue jetée de bois. Le fort d'Oswonn était en vue. Une fois qu'ils eurent tous mit pied à terre, Meshif s'exclama :

« J'espère que nous nous reverrons ! Bonne chance ! »

Le navire leva l'ancre rapidement, car le négociant avait des impératifs qui l'empêchaient de s'attarder trop longtemps en rade à Oswonn.

« Nous voici donc à Oswonn, dit Katenbau.

- L'endroit paraît désert, nota Milobrec.

En effet, on ne voyait nulle silhouette sur la jetée, et pas davantage à l'extérieur du fort, ou sur le chemin de ronde.

- Allons donc voir de quoi il retourne, proposa le barbare. »

Ils arrivèrent donc près de l'entrée ouest du fort. Ce dernier était de forme hexagonale. Une tour était disposée à chaque angle, et deux épais murs partaient des tours nord et sud pour barrer le passage jusqu'à la mer. Dans ces deux murailles, se trouvaient deux portes d'ordinaires bloquées par deux lourdes herses. Au centre de la cour intérieure s'élevait un donjon dominant de sa hauteur le reste du fort.

Mais le fort n'avait plus cette apparence. Tout semblait indiquer qu'il avait été le théâtre d'une âpre bataille. Deux des six tours s'étaient écroulées, et la tour ouest semblait avoir proprement explosé. Les murs étaient par endroits recouverts de tâches de sang séché et bruni, et d'épaisses fumées montaient de la cour intérieure, restes d'un incendie qui semblait avoir fait rage dans presque tout le fort. Tout un pan de la muraille, reliant ce qui restait de la tour ouest à la tour sud, était effondré, ouvrant une large brèche dans le mur. Nera, Metaxa, Nek et Omatir pénétrèrent dans la cour par cette voie. Katenbau, Minnoca et Milobrec choisirent de passer par l'entrée principale, une lourde porte de bois brûlée par endroits, et fendue de nombreux coups de hache. Un homme gisait mort auprès de l'encadrement, recroquevillé contre le mur. Milobrec ôta le heaume qui cachait le visage de la victime, et constata avec répugnance l'état avancé de putréfaction des chairs faciales.

« Il est mort depuis longtemps, nota le paladin. En combattant, visiblement. D'après sa position, ajouta-t-il, il essayait de fuir hors du fort.

- Découvrons donc ce qui l'a fait fuir, dit Katenbau. »

Et en parlant, il ouvrit les portes à la volée. Une affreuse odeur émanait de la salle. Une odeur de chairs brûlées. Ils entrèrent lentement, prenant soin d'enjamber les cadavres. D'un trou dans le plafond, tombait une lumière grise qui éclairait le morbide spectacle. La pièce avait apparemment été le siège de l'ultime résistance des occupants du fort. A leurs pieds, un homme agrippait encore fermement le montant de la porte de ses mains décharnées. De nombreux hommes et démons gisaient morts dans l'acte même de démembrer, d'étrangler ou de poignarder. Les corps morts étaient empilés les uns sur les autres, formant un abominable charnier, macabre et repoussante nasse de cadavres, d'où émanaient de putrides exhalaisons. Les trois héros avancèrent avec dégoût, enjambant les cadavres empilés grossièrement par les vainqueurs afin de ménager un passage, jusqu'à une porte qui s'avéra donner sur un long corridor intérieur à la muraille, qui épousait sa forme, courant jusqu'à la base de la tour ouest. Une fois à l'intérieur, ils purent respirer un air passablement plus sain, car les dommages provoqués par un bélier avaient au moins eu la mérite de contribuer à une meilleure aération que dans la pièce précédente.

« Peut-être reste-t-il des démons dans le fort, dit Katenbau.

- Et peut-être reste-t-il aussi des survivants, répondit Milobrec. Cet endroit ne me paraît pas net. Si les démons ont pris possession du fort, comme semble l'indiquer ce que nous avons vu, alors pourquoi ne nous ont-il toujours pas attaqué ?Cela n'est pas logique. La situation est sans aucun doute plus complexe que ce que nous pensons.

- Il faut nous séparer pour découvrir ce qui s'est passé ici, poursuivit le paladin. Je vais rejoindre les autres dans la cour, et nous allons fouiller la tour centrale pour trouver des indices. De votre côté, continuez à explorer l'intérieur de la muraille. »

Il s'engouffra dans l'ouverture, et parvint ainsi dans la cour intérieure. Katenbau et Minnoca poursuivirent vers l'ouest. A mesure qu'ils s'avançaient, le couloir se faisait de plus en plus obscur. Le paladin décida d'allumer une torche. Alors, la lumière vacillante éclaira les murs couverts de tâches qui, avec les jeux d'ombre produits par la lueur hésitante, semblaient dégouliner sur la pierre froide.

« Du sang... murmura Katenbau.

Il amena sa torche au niveau du sol. Les dalles étaient couvertes du même liquide brun séché.

- Il y en a partout, poursuivit-il à voix basse. Qu'est-ce qui a pu faire cela ? En tout cas, ajouta-t-il au bout de quelques secondes, ce sang-là n'est pas humain. Il est presque noir.

A la lueur de la torche, ils virent également des lambeaux de chair à demi-décomposée épars sur les murs, le sol et le plafond. Quelques os brisés jonchaient le sol. Le barbare avançait, avec une grimace de répugnance, jusqu'à atteindre un tas de cadavres, plus loin.

- Regarde ça, dit-il à l'amazone.

Ici, les corps, bien qu'entiers, étaient carbonisés, parfois jusqu'à l'os. De larges traces sur les cadavres montraient que les démons avaient été brûlés. Le barbare s'agenouilla près d'un mur. Il passa son doigt contre la pierre.

- De la suie, remarqua-t-il. On a ici fait usage du feu contre les démons. Celui qui a fait ça a sans aucun doute utilisé la magie.

- Et que s'est-il passé pour ceux que nous avons vu il y a quelques mètres ? les corps déchiquetés ?

Katenbau réfléchit un instant, puis dit :

- Te souviens-tu de l'effet des tornades que lançait Loekan, dans des espaces réduits ?

- Tu penses que c'est un druide qui a fait cela ?

- Seul un druide saurait le faire. Et nous sommes près de Scosglen, ne l'oublions pas. »

Ils reprirent leur chemin, enjambant de nombreux cadavres brûlés. Quelques minutes plus tard, ils se trouvèrent devant une intersection. Devant eux, le couloir continuait vers le nord. A leur droite, un escalier plongeait dans le noir. D'un hochement de tête entendu, ils décidèrent d'emprunter l'escalier.

Après une trentaine de marches, ils débouchèrent dans un long corridor, filant vers l'est, nimbé d'une obscurité totale et impénétrable, si bien qu'ils se crurent soudainement pris de cécité. Les ténèbres ici étaient absolues, bien plus lourdes que dans le couloir, car toute sensation de mouvement de l'air avait disparu. Par quelque hasard ou mauvais sort, la flamme de leur torche s'évanouit. L'atmosphère était d'une lourdeur insoutenable. L'air leur semblait être une vapeur noire et épaisse, dont ils respiraient à chaque instant une opacité qui embrumait leur esprit. Leurs sens paraissaient lointains. Le toucher des parois du couloir ne leur paraissait être qu'une vague sensation de rugosité. Le son de leurs voix tombait, mort, dans l'abîme du silence oppressant.

Une terrible impression de peur planait dans le couloir obscur. Rien ne les assaillit, ni ne s'opposa à leur passage. Pourtant, la peur les envahissait toujours davantage à mesure qu'ils marchaient. Ils progressèrent ainsi dans le noir, durant une période qu'ils ne surent estimer. Les secondes paraissaient être des minutes, les minutes des heures. La peur leur pesait à tel point qu'ils pouvaient à peine marcher. Seule la force de leurs volontés les forçait à continuer, poursuivis par une horreur tâtonnante, qui semblait à chaque instant sur le point de les saisir. Ils leur semblait voir, devant eux, d'indistinctes formes se mouvoir dans les ténèbres, comme une terrifiante promesse de mort. Mais ils avançaient toujours, sans savoir à la rencontre de quoi, aveugles et ne percevant que l'écho étouffé de leurs pas. Ainsi, leurs mains se rencontrèrent involontairement, et se joignirent. Ils avancèrent ainsi, se tenant par la main, comme deux enfants terrifiés; rien ne se passait; l'anxiété montait toujours.

Soudain, un bruissement se fit entendre devant eux. La main de Minnoca relâcha instantanément celle de Katenbau et se porta à son arc. La corde vibra, une flèche fila en sifflant devant eux. Elle atteignit sa cible qui tomba avec un son mat et étouffé sur le sol poussiéreux. Ils avancèrent quelque peu, et virent, à la lueur d'une flèche enflammée, la créature responsable de tant d'affolement.

Une chauve-souris. De forte envergure, et de dimension peu commune certes, mais une simple chauve-souris. Elle avait manqué de les faire mourir de peur. Katenbau comprit aussitôt qu'il n'y avait, dans ce couloir, rien de plus dangereux que le malheureux mammifère ailé.

« Il doit y avoir un sortilège dans ce couloir, dit Katenbau. Quelque sorcellerie concoctée pour faire perdre la raison à quiconque l'emprunte. Nous devons le quitter au plus vite.

- Mais a-t-il seulement une fin ? demanda l'amazone.

Katenbau hésita. Peut-être en effet se précipitaient-ils vers un cul-de-sac? Tandis qu'il réfléchissait, un léger souffle vint le caresser.

- Ne sens-tu pas ce courant d'air, dit-il? Ce couloir débouche à l'air libre. Hâtons-nous ! »

Ils pressèrent le pas, et parvinrent en effet dans une vaste salle emplie de cadavres de démons, ceux-ci abattus non par magie mais par lame. Le faible état de décomposition attestait d'une mort récente, depuis quelques jours seulement. Dans un coin, un escalier montait en spirale vers un étage supérieur. Enfin, un étage plus haut encore, ils virent la lumière du jour.

Ils plissèrent les yeux en sortant du donjon, car la clarté du soleil agressa un temps leurs yeux. Ils se trouvaient dans la cour centrale. Des voix se faisaient entendre, au dessus d'eux.

« Les voilà, cria Omatir.

Minnoca et Katenbau, levant le regard, purent voir ce dernier, accompagné de Nera, Milobrec, Metaxa et Nek, les appelant depuis le haut du donjon.

- Montez nous rejoindre ! cria le paladin.

Lorsque ce fut chose faite, ils purent rassembler les fruits des recherches de chacun. Milobrec avait rejoint les autres dans la cour peu après leur entrée. Il avait alors participé à la fouille de la partie supérieure de donjon, en compagnie de Nera. Nek avait poursuivi seule la fouille de la cour, et Omatir et Metaxa avaient exploré les parties nord et est de la muraille.

« Nous avons vu beaucoup de cadavres de démons dans le mur au nord, et à l'est, commença le frère cadet de Katenbau. Ils ont tous été tués à l'épée, je pense, car les blessures étaient parfois sur le même cadavre dues à des coups de taille et d'estoc. Je pense que quelques guerriers ont du faire le ménage là-bas.

- Les cadavres que nous avons trouvés étaient ceux de créatures tuées par magie, répliqua Nera. Pourtant je n'ai pas reconnu la nature de cette magie. Cela ne ressemblait ni à la sorcellerie Zann Esu, ni à la noire nécromancie.

- Je l'ai bien reconnu, moi, dit Nek. Elle est celle des fils de Fiacla-Géar, des druides.

- Katenbau, Milobrec et moi avons découvert le lieux de l'ultime résistance des habitants originels du fort, dit Minnoca. Nous avons par la suite aussi trouvés des cadavres brûlés ou épars. Katenbau et moi-même en avons conclut qu'il pouvait s'agir de magie druidique, car les cadavres que nous avions vu faisaient penser à l'effet des sorts de feu et de vent que Loekan employait.

Katenbau ne répondit d'abord pas. Il était plongé dans une solitaire réflexion, son regard vaguement tourné vers la forêt de Scosglen, qui, vue depuis le sommet du donjon, rappelait un grand incendie, un incendie sans fin qui brûlait continuellement jusqu'à l'horizon, et au-delà encore. Ici, l'automne était déjà présent, et la forêt s'était parée de roux, d'orange, de cuivre et d'or, dans un foisonnement surréaliste de couleurs chaudes qui évoquaient dans l'esprit du barbare les langues brûlantes d'un vaste bûcher. Il pensait à ce qui s'était passé dans le couloir obscur. Jamais il n'avait cru pouvoir ainsi perdre toute maîtrise de son esprit. Mais paradoxalement, il ne pensait pas que la peur seule l'ait poussé à prendre la main de Minnoca. Il se sentait troublé. La sensation qu'il avait eu à ce moment-là ne pouvait s'expliquer simplement par le contexte dans lequel il se trouvait. C'était un sentiment de faiblesse, de médiocrité, presque d'infériorité. Etait-ce là de l'amour ? Ou simplement les effets de la diabolique sorcellerie mise en place pour empêcher quiconque de traverser le couloir en conservant sa santé mentale ? Il émergea lentement de ses pensées confuses. Tous les regards étaient tournés vers lui. Il n'avait suivi la conversation que d'une oreille extrêmement distraite. Il voyait bien cependant que l'on attendait une réponse de sa part.

- Je pense, commença-t-il d'un ton qui masquait mal son hésitation, que ce fort a été attaqué et pris par les démons il y a plusieurs jours de cela. Il est probable que cette nouvelle soit arrivée aux oreilles des druides, et qu'ils aient lancé une attaque contre les démons, ce qui corroborerait avec le fait que les démons ont été attaqués par des druides.

- Par des individus utilisant de la magie druidique, reprit Nek.

- Quelle différence y a-t-il ? s'étonna Milobrec.

- Un homme est-il un paladin car il se bat avec une épée et un bouclier ? répondit sèchement le druide

Katenbau eut un léger soupir de soulagement. Personne ne s'était aperçu de sa rêverie passagère. La dispute entre le paladin et le druide cessa rapidement, et ils décidèrent de gagner les sous-bois pour y passer la nuit.

Pourtant, le barbare se trompait. Son frère cadet, ainsi que Nera, avaient noté son égarement. Mais seule la demi-elfe fit le parallèle avec les instants que Katenbau avait passé seul en compagnie de Minnoca, et ce qui avait pu se passer pendant ces instants. Elle eut un léger sourire, puis suivit les autres hors du fort.
Le vent hurlait. Nek prit son tour de garde, tandis que Katenbau partait s'allonger en compagnie des autres. Le druide choisit une vieille souche et alla s'asseoir dessus. Il se retint de bâiller. Le souffle puissant faisait frémir les branches, voler les feuilles mortes, et sifflait entre les troncs couverts de mousse. Le vent hurlait. Fort.

Trop fort.

Le druide bondit subitement sur ses pieds.

Grommelant, Omatir s'extirpa des bras de Morphée. Le temps qu'il entrouvre les yeux et comprenne ce qu'il arrivait, le druide était déjà allé réveiller un autre compagnon.

- Que se passe-t-il ? marmonna le barbare.

- Prend ton maul ! fut la réponse.

Il se redressa péniblement, encerclé par les gémissements de ses amis qui se réveillaient à leur tour. Leurs voix étaient cependant couvertes par le vent qui sifflait, furibond.

- Comme le vent hurle ! s'exclama Omatir.

- Il hurle de la voix des loups, répondit Nek, qui, maintenant qu'il avait réveillé toute la compagnie, paraissait disposé à lui répondre. Il faut nous préparer à nous battre. »

Comme pour confirmer ses dires, de lugubres hurlements retentirent, se répondant les uns aux autres, et surtout toujours plus proches d'eux. Tous réveillés à présent, les héros se disposèrent en cercle. Katenbau, Nek, Milobrec et Omatir se répartirent afin de former un rempart autour de Metaxa, Minnoca et Nera. Ils pouvaient à présent voir un grand nombre d'yeux rouges luisant, les encerclant, et guettant la moindre faille. La nuit semblait être un grand drap noir où les yeux luisaient, comme autant d'éclat de rubis, comme autant de flammes suspendues. Un loup s'approcha au devant de Katenbau. Il était grand, presque de la taille d'un cheval, son poil était uniformément noir, et ses yeux étaient rouges comme le sang, et son regard cruel et froid comme celui d'un démon. Il approcha du barbare en grondant, les crocs retroussés. Puis soudain, il bondit. Au même moment, une flèche partit de l'arc de Minnoca avec un son perçant. Le loup s'effondra, la gorge percée. Ce fut comme un signal. Tous les autres bondirent hors de l'ombre, comme une noire déferlante.

Katenbau en égorgea deux, qui furent aussitôt remplacés par quatre autres loups. Un peu plus loin, Omatir faucha de son maul l'une des créatures en plein vol, lui brisant la colonne vertébrale, puis abattit son arme sur le crâne d'un autre qui vola en éclats, répandant du sang et de la cervelle sur les feuilles mortes. Puis il tourna sur lui-même, faisant décrire un arc de cercle à son maul, balayant une seconde vague de canidés. Il répéta l'opération plusieurs fois, faisant un grand carnage. Mais le flot d'ennemis ne se tarissait pas. Nek s'était métamorphosé en ours, et ses lourdes griffes rompirent la nuque de moult adversaires. Trois loups bondirent sur lui, devant, sur sa gauche et sur sa droite. Il empala le premier et celui venant de sa droite. Le troisième fut abattu par une flèche en plein coeur. Le druide voulut se tourner pour remercier Minnoca, mais une nouvelle vague de loups approchait. L'amazone se retourna et évalua la situation. Le rempart que formaient les quatre hommes tenait bon. Nera et elle-même n'étaient pas en reste. Flèches et sorts pleuvaient sur les loups, sans parvenir cependant à réduire le nombre de leurs ennemis. Ils devaient être innombrables.

Milobrec se faisait la même réflexion. Il retira le cadavre empalé sur sa lame, para la charge d'un loup de son bouclier, en égorgea un autre, puis tua le premier. L'un d'eux parvint à le contourner. Un épieu de glace mit fin à ses jours. Le paladin perdait du terrain. Il tua encore trois loups, mais un dernier parvint à l'éviter. Il ne pouvait plus assurer son rôle de rempart. Il risquait d'exposer Minnoca et Nera à un corps à corps, chose qu'il fallait à tout prix éviter. Par chance, le second loup fut gelé à son tour par Nera. Il devait se défaire de son bouclier pour pouvoir tuer plus rapidement. C'est ce qu'il fit. De son côté, la Lame des Anciens tranchait des dizaines de gorges sans difficulté. Katenbau fauchait tous les adversaires qui passaient à sa portée tel un paysan faisant sa moisson. Enfin, le flot d'adversaires parut se tarir. Il tua les derniers loups, puis se tourna vers ses amis. Terrible erreur.

Nek était à présent tout à fait dépassé par la situation. Trois loups étaient agrippés à lui, plantant profondément leurs griffes dans sa chair, tandis qu'il battait l'air de ses énormes pattes pour interdire le passage aux nombreux autres qui tentaient de le contourner. Seul Omatir paraissait combattre efficacement. Ses grands arcs de cercles broyaient ses ennemis avec toujours autant d'efficacité. Lorsqu'il eut abattu tous ses ennemis, un grand loup se présenta devant lui. Sans doute l'un des chefs de la meute.

Katenbau sentit le poids de la bête qui l'avait mis au sol, son souffle tiède sur sa nuque. Il ne savait ce qu'attendait l'animal, mais lui ne comptait pas rester dans cette délicate posture.

« Minnoca ! » cria-t-il

L'amazone se retourna, et le loup également. Le barbare profita de cette diversion pour se redresser. Elle décocha une flèche enflammée que le loup évita. Mais Katenbau avait déjà dégainé ses deux épées à une main, coinça la tête du loup entre les deux lames, et le décapita.

Nek parvint à se débarrasser des trois loups qui lui avaient bondi dessus. Il les projeta de toute sa force contre le tronc d'un arbre. Les trois créatures ne se relevèrent pas. Il tua les quelques canidés qui restaient et reprit sa forme humaine.

Omatir et le chef de la meute attendaient à passer à l'attaque. Un épieu de glace vint mettre un terme à tant d'attentisme. Le barbare leva son maul, et l'abattit d'un coup rageur sur l'animal qui explosa un morceaux de glace.

Milobrec en avait également presque terminé. Enfin, un autre chef de meute se présenta devant lui. Le paladin attaqua, mais l'animal parvint à esquiver le coup et lui bondit à la gorge. Une forme sombre se laissa alors choir d'un arbre. Metaxa tomba précisément sur le loup. Elle l'égorgea d'un coup sec, puis aida le paladin à se relever. La bataille était terminée.

Le bras du paladin retomba lentement. Il entendit la voix de Katenbau :

« Personne n'est blessé ?

Le torse de Milobrec était égratigné, car il n'avait pas eu le temps d'enfiler son armure avant le combat. Mais il n'avait aucune blessure grave. Metaxa, à côté de lui, ne semblait pas touchée non plus. Ils retrouvèrent le reste de la coterie. Minnoca et Nera étaient également indemnes, de même qu'Omatir. Katenbau avait quelques blessures au thorax, mais le seul véritable blessé était Nek. De larges et profondes marques balafraient son torse, et son dos présentait de nombreuses traces de griffures et de morsures. Ils pansèrent une bonne part de ses blessures, mais le druide ne semblait plus en état de se déplacer. Il le placèrent donc sur une civière de fortune, faite de branches tressées, et les deux frères barbares se chargèrent de le porter tandis qu'ils reprenaient la route.

Cela faisaient à présent deux semaines qu'ils arpentaient la forêt à la recherche des druides, mais il n'avait trouvé jusque là que ruines et cendres. De toute évidence, la bataille avait fait rage sous la voûte sylvestre. Ils n'avaient aperçu que des animaux isolés jusqu'à leur rencontre avec les loups. Cependant, le temps pressait. Ils s'aperçurent bien vite que les loups qui les avaient attaqués n'avaient pas de surnaturel uniquement leur taille énorme. Nek fut dès le lendemain pris de fortes fièvres, et le soir même commença à délirer. Les quelques blessures qu'avaient Katenbau commençaient à s'infecter. Le barbare tomba bientôt également sous le coup de la fièvre. Omatir et Milobrec étant les seuls hommes valides, Minnoca et Metaxa vinrent les aider à transporter les deux civières sur lesquelles étaient allongés Katenbau et Nek. Nera était donc la seule membre de la compagnie à avoir les mains libres. Cela lui fut fort utile, car elle dut repousser à elle seule une seconde attaque des loups.

« Ils nous harcèleront jusqu'à ce que nous ne soyons plus en mesure de protéger nos blessés, dit Nek au cours de l'une de ses plus en plus rares phases de lucidité. Nous devons atteindre un village au plus vite. »

Puis il commença à geindre, puis à hurler des propos dépourvus de tout sens et ponctués d'injures d'une vulgarité peu commune. Cela ne fut guère pour rassurer Milobrec. Il était urgent de trouver un guérisseur, car aucun des antidotes dont disposait la coterie n'avait jusqu'à présent fonctionné. Si, de surcroît, les loups leur compliquaient la tâche, la situation allait devenir très fâcheuse. Enfin, Milobrec sentait que les quelques plaies sur son bras commençaient à être douloureuses. Il était de plus en plus régulièrement pris de nausées. Mieux valait trouver un village rapidement. Il se maudit de n'avoir pas suivit les cours sur les auras, à l'académie de Travincal. Mais à l'époque, on lui avait proposé de rejoindre la Main de Zakarum, le redoutable tribunal religieux, mais qui pour le jeune homme idéaliste qu'il était alors, représentait l'élite de l'ordre des paladins. A cette époque-là, alors qu'il n'avait lui-même que seize ans, il était considéré par ses maîtres comme le meilleur épéiste de l'académie. Cela était venu aux oreilles du grand maître de la Main de Zakarum en personne, si bien qu'il se vit proposer une place au sein de l'inquisition. Milobrec fut par la suite appelé à interrompre ses études, justement avant l'étude des auras, car il avait été appelé pour faire partie de la grande croisade contre les hérétiques du sud du Kehjistan, croisade dont il devait par la suite garder un souvenir impérissable.

Toutefois, la chance leur sourit. Après une troisième attaque de loups repoussée par Nera, ils virent devant eux une palissade. Ils l'atteignirent avant le coucher du soleil. La haute palissade de bois délimitait un village tapi au pied d'une falaise. Ce dernier semblait avoir été attaqué, car la palissade comportait de nombreuses brèches. Ils entrèrent par l'une d'elles. Presque aussitôt, une troupe d'hommes en armes vint à leur rencontre, mais ils furent devancé par un homme brun, de haute taille, le teint plutôt mat, le visage dévoré par une barbe de bien plus de trois jours. Il demanda aux hommes armés de s'en retourner. Enfin, il alla à la rencontre de Milobrec, qui marchait en tête tout en portant la civière sur laquelle était allongé Nek.

« Qui êtes-vous, vous qui êtes assez insensés pour venir à Scosglen en ces temps troublés ? demanda-t-il.

- Nous ne sommes que des voyageurs blessés et fourbus, répondit le paladin, qui ne jugea pas bon de révéler immédiatement la véritable raison de leur présence. Nos deux amis que voilà -il montra les deux civières du doigt-, reprit-il, sont gravement malades et ont besoin de soins sans quoi leur jours pourraient être menacés.

- Pour cela, ne vous inquiétez pas. La médecine druidique saura les guérir. Mais comment avez-vous pu vous blesser pareillement ?

Toute la compagnie était entrée dans le village, à présent. Nera se joignit à la conversation.

- Il est inutile de se montrer évasif, Milobrec, dit-elle. Nous sommes venus afin de découvrir la cause de ce qui est advenu ici, et de mettre fin à ces évènements.

- Cela ne sera pas facile, répondit le druide avec une pointe d'ironie.

- Nous en avons bien conscience, fit tranquillement Nera. Mais n'ayez crainte, nous sommes parfaitement aguerris. Je m'appelle Nera, et suis une Zann Esu. Mes compagnons font partie des meilleurs combattants de Sanctuary, et l'un d'eux est originaire de Scosglen. Mais comme mon ami vous l'a dit, nous avons deux blessés qui ont besoin de soins immédiatement.

L'autre fit signe à quelques hommes qui s'étaient approchés :

- Emmenez-les auprès de la prêtresse, dit-il. Puis, se tournant vers Nera, il ajouta : mon nom est Vonan. Je vais conduire les membres valides de votre compagnie à notre chef, Verghunt. Il saura ce qu'il convient de faire à votre sujet. Vos blessés seront confiés à notre guérisseuse. »

Nera, Minnoca, Omatir et Metaxa suivirent donc Vonan, tandis que Milobrec qui était de nouveau pris de nausées, se rendit chez la guérisseuse en compagnie de Katenbau et Nek. Alors qu'ils avançaient dans le village, les héros purent constater que celui-ci avait été attaqué. Un cratère béant ornait son centre, comblé en partie par une eau brunie par la vase. Ici, des hommes reconstruisaient des pans entiers de palissade. Là, tout un groupe s'activait à hisser une maison dans les branchages d'un arbre, à l'aide d'une dizaine de cordes. De tous côtés, on travaillait à rebâtir des habitations et à déblayer des ruines et des cendres.

Ils arrivèrent au pied d'un grand arbre dont l'épais tronc, comme une vivante tour, montait tout droit jusqu'à l'endroit où, très haut, les premières branches étendaient leur nuages de feuilles rousses. Une échelle de corde descendait jusqu'au sol depuis les hauts branchages dissimulés dans cet essaim doré. Vonan l'emprunta, et ils le suivirent. Après une assez longue ascension, ils arrivèrent au niveau des premières branches. Là, des planches avaient été fixées à même les branches et disposées autour de l'épais tronc afin de former une escalier montant en spirale. Ils l'empruntèrent également, puis arrivèrent, très haut au-dessus du sol, à une large plate-forme de bois. Dessus était construite une maison, de dimensions somme toute assez quelconques. Vonan les laissa sur le seuil.

« Vous pouvez entrer, dit-il. Verghunt vous attend. »

Puis il s'en alla. Ils entrèrent donc, et se trouvèrent dans une salle ovale, au centre de laquelle passait le tronc de l'arbre, qui s'était à présent aminci et avait la largeur d'une colonne ordinaire. Les murs, le sol et le plafond étaient tous de bois, de sort qu'ils se seraient cru non pas dans une maison bâtie dans un arbre, mais à l'intérieur de l'arbre lui-même. Au fond de la salle, un vieil homme était assis sur un trône, de bois également. Il leur fit signe d'approcher.

« Bienvenue, dit-il d'un ton chaleureux, dans mon humble... il hésita un instant, puis ajouta en riant : dans mon assurément très humble palais. Asseyez-vous donc. Je pense que nous avons fort à nous dire. Pour commencer, je vous demanderai la raison de votre présence .

Nera n'était pas dupe. Le vieil homme était en train de les tester, afin d'évaluer leur sincérité. Le village dont il était le chef était probablement le seul havre de paix de Scosglen, à présent. Il convenait donc de gagner la confiance cet homme.

- Nous soupçonnons que des démons de premier ordre, au nombre de trois, dont un serait un démon primaire, se trouvent actuellement à Scosglen. Nous cherchons à découvrir leur dessein et à les arrêter si le besoin s'en fait sentir, ce qui sera probablement le cas.

Verghunt parut satisfait.

- Soit, dit-il. Et auriez-vous par hasard une idée de ce que préparent ces démons ?

- Pas la moindre, assura la sorcière.

- Et vous prétendez cependant vous mesurer à un démon primaire ?

- Ne vous inquiétez pas pour cela. Nous savons ce que nous faisons. Je crois que c'est à présent à vous de nous raconter ce qui ce passe ici.

Verghunt partit alors dans un monologue, évoquant les rumeurs annonçant la prise du fort d'Oswonn par des démons, puis les villages de l'ouest de la forêt qui cessaient d'envoyer des nouvelles, les attaques de plus en plus fréquentes sur des druides isolés. La perte du contact avec Xanidrya, la capitale des druides, et enfin l'attaque d'Ollfast par les démons. Il leur expliquait que la plupart de habitants actuels d'Ollfast étaient des rescapés découverts dans les décombres d'autres villages par les éclaireurs lancés par Vonan, lorsque la porte par laquelle ils étaient entrés s'ouvrit. Milobrec entra, ayant délaissé son armure pour un vêtement de laine assez simple. Son bras était couverts de pansements qui exhalaient une odeur fraîche rappelant la senteur d'une douce pluie printanière humectant les bruyères. Il salua Verghunt, puis prit place aux côtés de ses amis.

- Vous êtes donc déjà remis ? s'étonna le vieil homme.

- Certes, répondit le paladin. Votre guérisseuse fait des miracles en son domaine.

- Janna est une excellente guérisseuse. Je pense qu'elle acceptera de vous rendre service si vous avez besoin de son aide pour mener à bien votre mission. Je pense que Vonan, qui s'est mis depuis quelques temps à l'art de la forge, pourra vous procurer armes et armures si vous le désirer. Notez que Warshan aura peut-être quelques objets à marchander. Pour le commerce des objets relatifs à la magie, voyez mon ami Eunon. Enfin, si vous le désirez, vous pourrez prendre contact avec les membres de l'église de Zakarum qui sont présent ici.

- Il y a des disciples de Zakarum à Ollfast ? demanda Milobrec.

- Oui, affirma Verghunt. Nous leur avons permis de s'installer ici, et certains d'entre eux ont survécu à l'attaque des démons. Pourquoi me demandez-vous cela ?

- Bah, cela n'a guère d'importance. J'ai juste été surpris de l'entendre.

- Bien répondit Verghunt. A présent, reprenons notre conversation...

Mais Milobrec n'écoutait plus le vieil homme. Il y avait donc des prêtres de Zakarum dans ce village. Milobrec ne savait s'ils étaient au courant de la chute du Grand Conseil. Tous les paladins avec qui il avait reconstruit Travincal avant de partir combattre Baal étaient des rebelles venant pour la plupart du Westmarch. Jamais Milobrec n'avait croisé de paladins formés à Travincal depuis qu'il avait tué tous les membres du Grand Conseil. Sans doute devaient-ils le considérer comme un traître. Surtout depuis le fameux épisode de la croisade vers le sud. Il y était parti, alors âgé d'à peine dix-sept ans, en compagnie de deux amis plus vieux que lui de quelques années, Jiran et Narevok. Dans le premier village non-évangélisé qu'ils découvrirent, ils transmirent la Sainte-parole et convertirent toute la population sans difficulté. Le chef de la croisade, cependant, organisa un procès au chaman local, qu'il accusait d'avoir abusé les villageois. Il fut interrogé pendant plusieurs jours et fut finalement condamné au bûcher pour idolâtrie, paganisme, hérésie, blasphèmes multiples et répétés, adoration de démons et de chimères, et sodomie. Le chef de la croisade était un homme autoritaire et attaché à l'ordre. Ils convertirent ainsi de nombreux villages, puis poursuivirent vers le sud. Mais l'expédition devint bien vite une sombre parodie de ce qu'elle devait être. Après plusieurs semaines de vaine errance dans un désert, les croisés se trouvèrent à courts de vivre et d'eau. Lorsqu'ils atteignirent enfin le premier village, ils ressemblaient davantage à une troupe de macchabées qu'à des hommes venus apporter la rédemption. Ils arrivèrent dans le village de nuit. Et cette nuit-là devrait hanter les cauchemars de Milobrec pendant fort longtemps. Lorsqu'ils arrivèrent, les croisés affamés ne prirent pas la peine de répandre la parole évangélique. Ils tirèrent leurs épées et se livrèrent à un massacre. Les hommes étaient abattus à vue, les bébés égorgés, les femmes violées puis jetées dans des bûchers de fortune au nom de la lumière. Milobrec, s'était contenté de piller les maisons qui n'avaient pas brûlé en compagnie de Jiran à la recherche de nourriture. Narevok, lui, avait participé à un viol. Milobrec se souvenait ne plus jamais avoir lui adressé la parole par la suite. Les hurlements des femmes que l'on violait, les cris des nourrissons, l'odeur de la fumée, et de la cendre, et des corps brûlés, les cadavres que l'on entassait, la cruauté inhumaine sur les visages de ceux qui étaient ses camarades, ses amis même pour certains, restèrent gravés dans la mémoire du jeune homme, comme l'incarnation absolue du cauchemar, un cauchemar d'autant plus terrible qu'il n'avait pour fondement que la simple folie des hommes.

Jiran et lui avaient demandé des explications au chef de la croisade, qui s'était contenté de dire que certains villages avaient une trop profonde tradition de paganisme pour être évangélisés, et qu'ils devaient alors servir à assurer le bon fonctionnement de la croisade dans tous les sens du terme. Comment, à cette époque-là, Milobrec avait-il pu être aussi naïf ? Toujours fut-il qu'il continua à suivre la croisade. Il devint bien vite apparent que les hommes n'avaient pas perdu leur furie sanguinaire en quittant le village qu'ils avaient mis à sac. Ils usaient de méthodes brutales, pratiquant la torture, et châtiant invariablement les accusés d'une mort toujours plus affreuse : crémation et pendaison le plus souvent, mais parfois éviscération ou écartèlement. Milobrec et Jiran avaient du assister à des mises à morts cruelles et barbares. Un homme refusant de se soumettre avait ainsi été enchaîné par les poignets à un char tiré par deux chevaux, qui avaient été lancés au galop sur une route pavée. Ce qu'il restait de l'homme à la fin du supplice aurait aussi bien pu être les restes d'un chien, ou d'un porc. Un jour, il advint qu'on demanda à Jiran d'exécuter une femme qui avait été préalablement confiée aux soins d'hommes en manque de sexe depuis des mois. L'ami de Milobrec n'avait pu se résoudre à abattre la misérable créature déjà brisée qui était prostrée devant lui. On le jugea coupable de haute trahison, de blasphème et de magie noire et on le fit mettre à mort. Narevok fut chargé de l'exécution. Milobrec n'avait rien dit. Le soir même, il s'était introduit dans la tente de Narevok, et sans dire un mot, sans desserrer les dents, il le tua. Puis il fit de même avec le chef de la croisade. Il avait ensuite fui, loin du sud, loin de la croisade, loin de la conversion forcée et des massacres, et des tortures. Sans doute la nouvelle de sa trahison était-elle parvenu jusqu'à Travincal. Il ne put jamais s'en rendre compte, car il ne retourna plus à Travincal qu'en compagnie de quinze amis, et pour y débusquer Méphisto.

Il fut tiré de ses pensées lorsque la porte derrière eux s'ouvrit à la volée, révélant un Vonan consterné.

- Pardonnez-moi de vous déranger, dit-il à l'intention de Verghunt, mais Zanya a disparu !

- Quoi ? répondit le vieil homme. Pensez-vous qu'il ait été capturé ?

- Tout indique qu'il a fui de son propre chef.

- Bon, dit Verghunt. Ne t'en fais pas, Vonan, je vais lancer des recherches. Puis, lorsque le druide fut sorti, il dit : Je crois que vous avez là une bonne occasion de gagner la confiance des habitants d'Ollfast. »



« Depuis les tréfonds de l'enfer, ils accourront,

Répandant le mal et la mort sous les frondaisons.

Impatient, fou de haine et immonde

Depuis des millénaires, ils les attend, prisonnier,

Ils sont venus chercher la clé,

De sa geôle-monde. »



Voilà les vers que nous avons découvert dans l'une des chambres du tombeau. A l'heure où j'écris ces lignes, je suis prisonnier dans une pièce en compagnie de quelques ouvriers. Cependant, les ouvriers s'activent aussi bien de notre côté que de l'autre pour forcer la porte, et lorsque vous aurez reçu cette lettre, cela signifiera que la situation sera arrangée. Je vous avoue ne savoir que penser de cette prophétie. Si votre érudition vous permet de comprendre tous cela, mon ignorance ne me permet de saisir qu'une menace, vague mais terrible. Les ouvriers également se montrent superstitieux. Il serait peut-être salutaire d'avertir de notre découverte les autorités des royaumes de l'ouest.

Votre serviteur en ce jour mitan du neuvième mois de l'an de grâce 1278. »
« Zanya est l'un des meilleurs combattants qu'il nous reste, malgré son jeune âge, expliqua Verghunt. Mais il reste assez immature. Il faut cependant le comprendre. Son père, Kel'Zanx, était le chef militaire d'Ollfast, le plus valeureux guerrier que le village aie connu. Il a été tué pendant l'assaut. Zanya fut bouleversé par son décès. Avant que nous ne nous regroupions, Zanya était resté seul, et tentait de venger son père en pourchassant les créatures qui arpentaient les décombres.

- Avant que vous ne vous regroupiez ? demanda Nera d'un air suspicieux.

- Oui, l'attaque nous avait pris au dépourvu et les survivants se sont terrés comme ils l'ont pu.

- Mais qu'est-ce qui a déclenché ce regroupement, puisque des ennemis erraient encore dans le village?

Le vieux druide eut un air gêné, parut se faire violence, puis dit :

- En vérité, vous n'êtes pas les premiers aventuriers qui arrivent à Ollfast. Deux jeunes hommes sont arrivés il y a à présent presque deux semaines, et nous ont aidé à sauver les rescapés. Ils étaient âgés de quinze et douze ans.

- Vous vous moquez de nous ?s'exclama Milobrec.

- Je peux vous le certifier. Ces deux adolescents étaient prodigieux. Peut-être d'ailleurs l'ont-ils involontairement influencé. Il ne fait pas de doute que la vue de ces deux guerriers l'a peut-être trompé sur sa valeur au combat. Quoiqu'il en soit, il est plausible que Zanya aie cherché à rejoindre ces deux jeunes hommes. Il ne les trouvera probablement pas. Par contre, nous nous devons de le trouver, lui. Zanya n'est pas encore prêt, mais il sera un jour appelé à prendre ma succession. Il est capital que vous le rameniez. D'autant plus qu'il doit sans doute être en danger.

- Nous ferons de cela un objectif prioritaire, répondit Nera. Savez-vous seulement par où est parti ce Zanya ?

- Les deux jeunes combattants sont passés par un tunnel dans la falaise qui délimite notre village à l'est, sans doute les a-t-il suivi. Bon, je vous ai livré toutes les informations dont je dispose. Peut-être souhaiterez-vous à présent retrouver vos amis blessés. Ils se trouvent chez la prêtresse, Janna. Vous demanderez votre chemin à des villageois. Vonan vous y attend également. Il vous mènera une maison que nous avons mise à votre disposition. »

Ils remercièrent Verghunt de son hospitalité, puis prirent congé de lui. Ils arrivèrent au domicile de la prêtresse quelques minutes plus tard. Le temple était un cercle de pierres en plein air, dressées autour d'un monolithe central couverts de runes et de glyphes mystiques, projetant son ombre imposante vers l'est. La demeure de la guérisseuse se trouvait un peu à l'écart du cercle de dolmens. Un escalier couvert de mousses plongeait sous terre. Ils s'y engouffrèrent, et arrivèrent dans un couloir souterrain, éclairé par quelques torches. Le couloir débouchait rapidement sur une grande salle assez mal éclairée, dont les murs étaient couverts d'étagères sur lesquelles étaient alignées des dizaines et des dizaines de décoctions fumantes, de potions gelées, de bocaux contenants de poudres aux couleurs variables, des plantes de toutes tailles et de toutes formes, mais surtout des centaines de rouleaux de parchemins enroulés et alignés soigneusement. Au fond de la salle, une porte était laissée ouverte. Elle donnait sur une chambre de forme circulaire éclairée par un trou pratiqué dans le plafond, d'où filtrait une douce lumière. Le sol était recouvert d'une herbe courte. Plusieurs lits étaient disposés en cercle, dont deux étaient occupés. Ils reconnurent Katenbau et Nek, tous deux endormis. Tout près d'eux, une femme d'âge moyen, les cheveux bruns coupés assez court, vêtue d'un habit dont elle entretenait visiblement la propreté, discutait avec Vonan. Lorsqu'elle remarqua leur présence, elle s'avança vers eux.

« La vie de vos amis n'est plus en danger, murmura-t-elle. Ne faites pas de bruit, il faut à présent les laisser se reposer. Le barbare pourra sans doute vous rejoindre dès demain. L'état du druide est plus préoccupant. Il lui faudra probablement plusieurs jours pour se remettre.

- Comment pourrions-nous vous remercier ? dit Milobrec.

- J'ai parlé avec Vonan, et il m'a dit quels étaient vos plans. Le simple fait de vouloir venir en aide à un pays et à un peuple qui vous sont étrangers est suffisamment héroïque pour motiver mon aide.

- Verghunt m'a confié la tâche de vous mener à votre domicile, dit Vonan. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient... »

Ils restèrent un court moment au chevet des malades, puis suivirent Vonan. Il les amena dans une maison de construction très récente, non loin du pied de l'arbre où se trouvait celle de Verghunt, et tout près également de la forge de Vonan. Ils y passèrent la nuit.

Au petit matin, alors que la plupart des habitants d'Ollfast étaient toujours endormis, ils rejoignirent la maison de la guérisseuse. Katenbau les y attendait, déjà en armes. Ils se dirigèrent vers un passage creusé au pied de la falaise qui délimitait le village à l'est, infranchissable muraille naturelle qui étendait son ombre imposante sur le village dès que le soleil descendait du zénith vers le crépuscule. Le montant supérieur de l'entrée était couvert de runes, absolument incompréhensibles à présent, les millénaires ayant accompli ici leur oeuvre de patiente et inéluctable destruction. Ils s'y engouffrèrent d'un pas déterminé. A l'intérieur, l'air était chaud mais pas moite, et une très légère brise faisait voler quelques poussières. Il suivirent le passage qui serpentait et montait de façon abrupte par endroits, avant d'arriver dans une salle de dimension assez importantes, éclairée par les lueurs incertaines qu'irradiaient plusieurs colonnes de cristal à demi-encastrées dans les parois. Ils remarquèrent alors plusieurs cadavres enchevêtrés sur le sol. L'air sec de la caverne avait accéléré la décomposition des chairs, mais avait remarquablement bien conservé les ossements. Le sang séché qui couvrait par longues traînées les murs laissaient présager que la salle avait le théâtre d'affrontements sanglants. En observant plus précisément les squelettes, ils distinguèrent deux espèces distinctes, toutes deux de forme humanoïde, la première de taille légèrement inférieure à celle d'un homme, mais les bras étrangement allongés, qui devaient lui donner une allure simiesque, et une seconde, d'une hauteur cette fois légèrement supérieure à celle d'un homme, pourvus d'une queue assez longue, au crâne semblable à celui d'un varan, pourvu d'une vaste cavité cérébrale, et d'une mâchoire garnie de dents redoutables. Les articulations des épaules et du bassin semblaient indiquer un port bipède ou quadrupède. La présence d'armes et de pièces d'armure jonchant le sol les assura du fait que les deux races combattaient à l'aide d'armes et non à mains nues. Les sept héros poursuivirent néanmoins leur chemin, conscients du fait qu'observer des squelettes n'était guère le moyen le plus rapide de retrouver le jeune Zanya. Lorsqu'ils débouchèrent à l'air libre, quelques minutes plus tard, le ciel était déjà encombré de lourds cumulus annonciateurs de pluie.

« Il est temps de nous séparer, dit Katenbau. Nous serons bien plus efficaces dans nos recherches ainsi. Nous devrions former trois groupes. Milobrec et Metaxa, vous irez vers le nord. J'irai vers l'est avec...

Il marqua un temps d'hésitation.

- Je t'accompagnerai, dit Nera.

Le barbare parut désarçonné, puis se reprit.

- D'accord. Omatir, tu partiras avec Minnoca vers le sud. Explorez la forêt, mais restez prudent. Nous nous rejoindrons à Ollfast avant la tombée de la nuit. »

Tous les autres acquiescèrent, et chaque groupe partit de son côté.

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Milobrec et Metaxa se dirigèrent immédiatement de leur côté. Ils décidèrent de ne pas trop s'éloigner de la falaise jusqu'au milieu de l'après-midi. Ils ne croisèrent aucune créature plus hostile que des renards apeurés pendant des heures.

« Cette forêt n'est finalement guère dangereuse, dit Milobrec. Il semblerait qu'avec les loups nous ayons eu affaire à nos ennemis les plus redoutables.

- Je n'en suis pas assurée, répondit Metaxa. Ecoute.

- Qu'y a-t-il ? s'étonna le paladin. Je n'entends rien d'autre que le vent.

- Précisément. N'as-tu jamais pris garde à écouter la nature ?

- Ma foi, non. Je ne suis pas un druide, et ne tire aucune information ni force du croassement des crapauds ou du vols des corneilles, ou du moment que choisissent les belettes pour forniquer, ricana-t-il.

- Tu devrais. N'entendre que le vent dans une forêt n'est pas normal. Quelque chose a été souillé, ici.

- Ce n'est pas faux, lui accorda le paladin. Effectivement, je ne perçois le chant d'aucun oiseau. Cela est fort étran...

- Regarde, coupa Metaxa. »

Ils se trouvaient devant une clairière au centre de laquelle se trouvait un étrange édifice. Cela ressemblait à une énorme boule brune suspendue à mi-hauteur du tronc des arbres qui l'entouraient. Il s'agissait en fait de troncs brisés et d'épaisses branches collées les unes aux autres et aux arbres qui délimitaient la clairière, de façon à former une sphère d'un diamètre approchant les trente mètres, suspendue à environ cinq mètres de hauteur. En dessous se trouvait un petit monticule de branches entassées de manière à former un dôme dont le sommet affleurait le bas de la sphère, de sorte que l'on pouvait pénétrer à l'intérieur de cette dernière via le monticule. La pluie se mit à tomber. D'un regard entendu, Milobrec et Metaxa décidèrent d'entrer dans la sphère.

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« Selon toi, que sont ces créatures ?demanda le barbare.

- Comment pourrais-je le savoir ? répondit Nera.

- Peut-être parce que tu es la sorcière du groupe, que tu es donc la plus érudite, et qui plus est tu es de quatre-vingts quinze ans mon aînée, et par conséquent tu as vu bien plus de choses que moi ?

- Je ne vois pas ce que mon âge a à voir là-dedans.

- J'avais oublié à quel point les femmes sont susceptibles sur ce point, rit Katenbau, excuse-moi.

- Ne t'inquiète pas, je plaisantai. En fait, reprit-elle plus sérieusement, j'ai une idée sur ces créatures. Le chef du village m'a parlé de créatures présumées disparues qui hantent de nouveau la forêt. Peut-être s'agit-il de cela.

- C'est possible. Nous devrions... attends!

- Que ? commença la demi-elfe.

Mais Katenbau lui incomba de se taire. Il se jeta contre un tronc en bordure du sentier, et l'entraîna avec lui. Des bruissements agitèrent les fougères à leur droite. Une trentaine de créatures massives traversa le sentier, qu'ils ne purent observer, tenant à ne pas être découverts. Le groupe de créatures disparut dans les fougères de l'autre côté du sentier. Katenbau quitta sa cachette, et décida de suivre discrètement les créatures, accompagné de Nera.

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La pluie se mit à tomber. Les gouttes d'eau tombaient sur les branchages en faisant un léger clapotement que Minnoca trouvait plutôt reposant. Omatir et elle exploraient la forêt depuis plusieurs heures, sans avoir trouvé la moindre trace de Zanya. Sur la proposition du barbare, ils s'écartaient à présent vers l'est. L'amazone songea qu'ils n'avaient guère de chances de retrouver le jeune homme disparu. Leur mission était presque désespérée. La forêt était immense, le garçon parti depuis plus d'une journée. Ils n'avaient d'ailleurs guère plus de chances de croiser Moloch ou l'un de ses deux acolytes.

Alors qu'elle se demandait si Lëkor viendrait ou non leur donner d'autres informations, elle trébucha sur une pierre; elle s'étala de tout son long, roula en travers du sentier, puis tomba dans un ravin en bordure de ce dernier, qui était dissimulé par un épais bosquet de fougères. Elle glissa le long de la pente boueuse et termina sa chute dans ce qui semblait être le lit d'un ruisseau en partie asséché. Sa jambe gauche la faisait souffrir, mais elle parvint à se remettre sur son séant. Elle essuya la fange sur son visage et vit Omatir se laisser glisser pour atterrir juste à côté d'elle.

« Rien de cassé ? demanda le barbare d'un air inquiet.

- Je crois que c'est bon, répondit Minnoca.

Elle se releva péniblement. Et poussa un cri en voyant ce sur quoi elle s'était effondré.

- Quelle horreur !

Un énorme carcasse encombrait le lit du ruisseau. Il s'agissait vraisemblablement d'un ours. Abattu récemment, car les chairs n'étaient pas encore décomposées et aucune mouche ne tournoyait encore autour. De larges cicatrices en forme de mâchoires lacéraient ses flancs.

- Il a été tué il y a peu, remarqua Omatir. Ce n'est pas normal. Le prédateur devrait encore être ici.

- Peu nous importe, répondit Minnoca. Reprenons notre recherche.

- Encoche une flèche, murmura Omatir. Doucement. »

A peine la main de l'amazone eut-elle atteint le carquois qu'une dizaine de créatures se laissèrent tomber des branches autour d'eux. Elles se redressèrent en station bipède. Il s'agissait manifestement des créatures dont ils avaient découverts les restes dans la caverne. Leur cuir était vert sombre, fait d'écailles minuscules agencées telles une cotte de mailles. Leurs corps étaient athlétiques et musculeux, protégés par des plaques d'acier aux articulation et sur le thorax, et leurs têtes ressemblaient à celles de lézards, allongées et pourvue d'une mâchoire garnie de dents acérées. L'un d'eux se jeta sur l'amazone. Une flèche l'atteignit en plein front. Deux autres se lancèrent sur Omatir qui les repoussa et dégaina son maul. Il broya le crâne de l'un d'eux, mais trois autres se jetèrent sur son dos. Il perdit l'équilibre.

Minnoca s'écarta un peu du combat. Une flèche de glace paralysa deux créatures qui s'apprêtaient à fondre sur le barbare. Elle en abattit un autre d'une flèche dans le dos. Un des monstres apparut derrière elle. Surprise, elle se retourna et porta la main à son carquois, mais la créature lui asséna un violent coup qui la projeta au sol. Elle eut le temps de la voir sauter par dessus elle, mais par la suite tout devint flou, puis ce fut le noir.

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L'intérieur de la sphère de bois ressemblait plus ou moins à une volière démesurée. De larges troncs la perçaient de part en part, formant un réseau complexe de cordes reliant entre elles des plates-formes de bois où pouvaient se tenir à l'aise plusieurs hommes. Dehors, le tonnerre gronda, s'ajoutant au ruissellement de la pluie sur l'extérieur de la sphère. Metaxa et Milobrec décidèrent d'escalader quelques troncs pour accéder aux plates-formes. Mais aucune fente n'était pratiquée dans ceux-ci, rendant l'ascension pénible, notamment pour Milobrec que son armure handicapait. L'endroit était visiblement le repère d'habiles grimpeurs. Ils finirent cependant par atteindre l'une des plates-formes, environ cinq mètres au dessus du sol. Metaxa vit alors, à une dizaine de mètres à leur droite, plus moins à la même hauteur qu'eux, une autre plate-forme où s'agitait quelque chose. Elle s'allongea et commença à ramper sur le tronc qui y donnait accès. Milobrec l'imita prudemment, s'accrochant aussi fermement que possible. Ce genre d'acrobaties ne lui étaient guère coutumières. De grosses gouttes de sueur coulaient le long de son visage noir comme l'ébène. Il arriva néanmoins sur la plate-forme. La silhouette qui s'y agitait était celle d'un jeune homme.

« Au moins, nous avons trouvé notre homme, se dit-il. »

Ils défirent ses liens. Un éclair jaillit au dehors. Pénétrant par de nombreux interstices, il illumina l'intérieur du nid -car ils en avaient à présent la certitude, ils se trouvaient dans un nid-. Milobrec vit avec horreur d'innombrables silhouettes répugnantes, celles des occupants des lieux, se détacher en noir un instant. Le tonnerre claqua bruyamment au dehors.

« Nous devrions nous en aller, maintenant, dit-il. »

Il se glissa lentement le long d'un tronc, suivi par le jeune homme et Metaxa. Les silhouettes dévalaient à toute vitesse les troncs au-dessus d'eux, rattrapant rapidement leur retard. Ils n'étaient plus qu'à une quinzaine de mètres de hauteur lorsque Milobrec, Zanya et Metaxa atteignirent le niveau du sol. Ils se précipitèrent vers le trou donnant sur le sommet du dôme et la sortie. Mais d'autres ennemis arrivèrent par là. Ils étaient encerclés en fin de compte. Un second éclair leur révéla la nature de leurs adversaires. Ils s'agissaient de monstrueux hybrides, d'apparence humaine jusqu'à la taille, mais dont les jambes étaient remplacées par un corps de monstrueuse araignée. Ils reculèrent jusqu'à être coincés contre une paroi de bois. Metaxa et Zanya s'activèrent pour la briser, tandis que Milobrec dégaina son épée, faisant face à ses innombrables ennemis.

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Minnoca revint rapidement à elle. Les homme-lézards et Omatir avaient disparu. Elle se redressa précipitamment et courut jusqu'à la butte la plus proche. De là, elle vit la troupe de créatures s'enfuir, emmenant avec elle le corps apparemment indemne du barbare. Elle tira une flèche, l'une des créatures tomba et ne se releva pas. Les autres continuèrent leur course et disparurent derrière un épais bosquet. Elle descendit la corniche en courant. Les homme-lézards avaient disparu. Ils lui avaient échappé. Mais elle ne pouvait abandonner ainsi un compagnon. Elle suivit les empreintes dans la boue. Elles se dirigeaient vers l'est.

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La lumière d'un troisième éclair illumina la scène. Une autre silhouette entra dans le gigantesque nid. Les répugnants hybrides ne l'avaient pas encore remarquée. Le roulement du tonnerre couvrit le sifflement de la Lame des Anciens glissant hors de son fourreau. L'épée nordique lacéra les chairs des premières rangées de créatures, sectionnant tout ce qui passait à portée. Katenbau expédia ad patres une quinzaine d'ennemis avant que ceux ne réagissent. Milobrec eut un regain d'énergie. Il esquiva la pointe d'une lance et en décapita le porteur. Il abattit un autre hybride d'un revers de lame. Les créatures se retrouvèrent prises entre deux feux. La plupart furent décimées, les autres fuirent se réfugier dans les hauteurs du nid. L'une d'elles se laissa choir sur Katenbau. Le barbare, anticipant l'attaque, leva la Lame des Anciens, pointe vers le haut. La créature s'empala lamentablement, mais son stratagème réussit dans le sens où Katenbau se trouva dans l'impossibilité d'utiliser son arme. Trois autres s'approchèrent dans l'intention de reprendre l'ascendant sur l'adversaire en éliminant le barbare. Elles n'eurent pas le temps de faire un pas, instantanément transformées en statues de glace. Nera venait d'entrer à son tour. La demi-elfe fit s'abattre une tempête de glace sur ses ennemis. La retraite des créatures devint une débâcle. Elles pratiquèrent rapidement des ouvertures dans le nid et s'enfuirent frénétiquement. Nera, elle, ouvrit un portail vers Ollfast; Katenbau, Milobrec, Zanya s'y engouffrèrent. Elle ferma la marche.

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Les traces quittaient le lit du ruisseau en fin de compte. Une fois sur une piste sèche, les homme-lézards n'avaient laissé aucune trace de passage. Minnoca dut renoncer à continuer la poursuite. Elle était de toute manière fourbue, et le jour tirait à sa fin. Elle ouvrit un portail vers Ollfast et s'y engouffra.

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Les aventuriers arrivèrent au village sensiblement au même moment. Vonan, Verghunt et Nek, qui était de nouveau sur pied, les y attendaient. Si le soulagement des habitants fut immense à la nouvelle du retour de Zanya, celui des héros fut rapidement éclipsée par l'annonce du rapt d'Omatir. Ils décidèrent de partir dès le lendemain à la recherche du repaire des homme-lézards, en espérant y retrouver leur compagnon. En attendant, ils acceptèrent de bonne grâce de participer à la fête qu'improvisèrent les habitants d'Ollfast en leur honneur. Katenbau se retira cependant pour s'entretenir avec Verghunt tandis que Milobrec s'éclipsa discrètement au milieu de la soirée.

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Il se devait de rencontrer les serviteurs de la lumière qui se trouvaient là, même s'ils décidaient de le châtier. Après tout, il avait une dette envers l'Eglise. Il avait été recueilli et élevé par les fidèles de Zakarum.

Sa mère, d'après ce qu'il savait, avait été une femme volage, et peu soucieuse de la morale religieuse. Après une beuverie, elle avait eu une aventure avec un jeune homme de la région et était tombée enceinte. Lorsqu'il l'apprit, le jeune homme, paniqué, choisit la fuite. Etant de noble extraction, il ne pouvait se permettre de reconnaître un enfant qu'il avait eu avec une roturière, qui plus est de couleur noire. Car si, au Kehjistan, le Grand Conseil de Zakarum avait aboli l'esclavage, les noirs étaient encore considérés comme des êtres inférieurs. Les choses avaient d'ailleurs remarquablement bien évolué en une génération, et Milobrec n'avait lui eu que très peu d'ennuis à cause de sa couleur de peau. Sa mère s'était donc retrouvée seule et enceinte de lui. A sa naissance, elle fut forcée de se prostituer pour nourrir son fils. Alors qu'il n'avait que quatre ans, il apprit sa mort, assassinée par un de ses clients. Il fut envoyé dans un orphelinat appartenant à l'Eglise. Ses talents d'épéistes lui valurent ensuite d'être admis à l'académie de Zakarum.

Il était à présent entré dans le temple de la lumière. Il se trouvait devant la porte de la salle de prière. D'une main décidée, il l'ouvrit. Plusieurs paladins étaient agenouillés dans un coin, tandis que d'autres guérissaient des blessés; dans le fond de la pièce, un prêtre récitait une prière. Aucun d'eux ne le reconnut, mais plusieurs le saluèrent. Il s'était attendu à être attaqué aussitôt, ou à être encensé, mais pas à cette indifférence affairée. Le prêtre s'était maintenant avancé jusqu'à lui. Milobrec le salua, puis vit son visage en relevant la tête.

C'était impossible. Cet homme ne pouvait pas être...

Non, c'était impossible.

Cet homme... ne pouvait pas être... son père !
"Bienvenue parmi nous, mon frère, dit le prêtre. Je m'appelle Héloc. Je suis heureux de voir que la Chambre a accédé à ma requête si promptement.

Un lâche. Cet homme était un lâche. Il avait abandonné la mère de Milobrec alors qu'elle était enceinte. Il ne méritait pas la vie. La main de Milobrec se dirigea imperceptiblement vers le pommeau de son épée.

Non. Il n'allait pas commettre un meurtre. Il n'allait pas souiller son honneur en commettant un parricide. Il se força finalement à répondre :

- Je ne viens pas de Travincal. Je fais partie de la compagnie d'aventuriers arrivés il y a quelques jours. C'est une regrettable méprise. »

Puis il s'en alla, laissant derrière lui son père visiblement interloqué. Il se força à ne pas penser. Il marcha de toutes ses forces, pour fuir loin de ce père indigne, de ce père qu'il avait haï durant tant d'années, de ce père qu'il ne pouvait se résoudre à punir à présent. Pourquoi ? Pourquoi ne pouvait-il pas abattre cet homme, puisque ce n'était que justice ? Il se trouvait à présent hors du temple. Au loin, le grand feu de joie allumé en l'honneur des héros achevait de se consumer. Pourquoi, à présent qu'il avait finalement fait table rase de son passé, ce dernier revenait-il le tourmenter ? Il se laissa choir contre le tronc d'un arbre, et pleura.

Pourquoi ?

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« Avant tout, je tiens à vous remercier de votre assistance, dit Verghunt. Il est important pour le moral des survivants que le fils de Kel'Zanx soit de retour parmi eux. Je ne sais que faire pour vous récompenser.

- Vous nous avez offert un logis, répondit Katenbau, et c'est à peu près tout ce que nous demandons. Mais vous pouvez toutefois nous aider à résoudre un problème urgent. Nous avons besoin de votre savoir.

- Je vous écoute.

- L'un des nôtres a été enlevé par des créatures à l'allure reptilienne, plus ou moins de la taille d'un homme adulte. Savez-vous quelles sont ces créatures, et où se trouve leur repaire ?

Le vieux druide parut pensif.

- Cela ne correspond à aucun animal connu dans cette forêt. Toutefois, je crois que je peux identifier ces créatures. Car voyez-vous, notre village n'a pas été attaqué par des démons, mais par des créatures nommées goranths, dont la race était éteinte depuis des siècles. Ces goranths sont des êtres assez faibles, à l'intelligence obtuse, dont le seul atout est le nombre. Leur résurgence n'a été que passagère, mais il y a de bonnes chances que d'autres races disparues foulent à présent le sol de Scosglen. Certaines d'entre elles sont très dangereuses. Votre description paraît correspondre à celle des zarkens.

- Les créatures qui ont enlevé Omatir seraient ces zarkens ?

- Plausiblement. Les zarkens sont des reptiles particulièrement forts et intelligents qui ont existé il y a plusieurs millénaires, à l'époque des tous premiers hommes. La cohabitation fut d'ailleurs de courte durée, car les zarkens disparurent peu après, vaincus par les elfes, qui eux avaient déjà fondé un brillante civilisation. Par la suite, comme vous le savez, les elfes se sont effacés et retirés dans des coins reculés de Sanctuary, tombant à leur tour dans le déclin, alors même que les hommes proliféraient. Il est probable que les zarkens aient enlevés votre frère pour l' «étudier». Ils n'ont que peu connu les hommes et chercheront à déterminer s'ils sont leurs égaux ou non.

- Et où peuvent-ils se terrer, ces zarkens ?

- Comment pourrais-je le savoir ? Je ne peux qu'émettre des suppositions. Cependant, à votre place, j'irais chercher vers l'est, du côté des monts de la forêt. Les reptiles aiment la pierre. Les lézards et les serpents ne passent-ils pas leur temps cachés sous des roches ? Peut-être en est-il de même avec les zarkens ? Mais je ne peux pas en être certain. Voilà, termina Verghunt, je ne sais rien de plus. Je vous souhaite bonne chance dans votre recherche. »

Katenbau prit congé du vieux druide.

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Ils partirent donc tous les six, car Nek était maintenant rétabli, le lendemain avant l'aube. Ils traversèrent rapidement la caverne où gisaient toujours les ossements des zarkens, et débouchèrent dans la forêt, de l'autre côté de la falaise. Là, Minnoca les guida vers le sentier qu'elle avait suivi la veille avec Omatir. Ils atteignirent l'endroit où elle avait glissé, et descendirent prudemment la pente jusqu'au lit du ruisseau asséché. La carcasse était toujours là, mais les charognards avaient commencé leur oeuvre. L'arrivée des héros mit en fuite quelques renards venus se servir.

« C'est là que nous les avons combattu, dit Minnoca.

Ils poursuivirent leur chemin en remontant le lit comme l'avait l'amazone un jour plus tôt, et s'arrêtèrent une dizaine de minutes plus tard.

- Et c'est par ici que j'ai perdu leur trace, dit-elle. Ils ont quitté le ruisseau asséché, et je pense qu'ils ont continué vers l'est.

Katenbau leva le regard vers l'endroit qu'elle indiquait. Une petite colline s'élevait à une centaine de mètres d'eux, dépassant de la voûte boisée comme un crâne chauve. Ils décidèrent de s'y diriger. Une fois au sommet, ils avaient une vue dégagée sur l'ensemble de la forêt. A l'ouest, la falaise qui les séparait d'Ollfast dépassait à peine au-dessus des arbres. Mais surtout, étonnamment proches à l'est, s'élevaient une chaîne de montagnes d'une hauteur moyenne que la richesse de la voûte sylvestre avait caché à leurs yeux.

- Ce sont les Monts de la forêt, dit Katenbau. Verghunt pense que le repère des zarkens peut s'y trouver.

- Ils sont à une petite journée de marche, apprécia Milobrec.

- Alors pressons le pas, dit le barbare. »

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Omatir se réveilla. La première chose qu'il sentit fut une douleur insoutenable à la tête. Il manqua de s'évanouir. Il était dans une pièce sombre. Il lutta pour ne pas perdre connaissance. Il était enchaîné. Tout lui revenait : la recherche du garçon dans la forêt, la chute de Minnoca, les créatures, le combat, et puis le coup qui l'avait assommé. Plus tard, il s'était éveillé. Les créatures le transportaient. Il y avait des montagnes autour d'eux. Ils l'avaient une seconde fois assommé. Omatir se redressa en grimaçant, faisant tinter ses chaînes. Il passa sa main sur son crâne douloureux. Au-dessus de lui, une porte s'ouvrit et un rai de lumière éclaira la pièce. Deux homme-lézards (nom que le barbare avait décidé d'attribuer à ses hôtes, faute de mieux) entrèrent.

Ils s'arrêtèrent à quelques pas de lui et échangèrent quelques sifflements qui semblaient être leur langage, puis s'approchèrent de lui. Ils détachèrent l'extrémité des deux chaînes qui retenaient Omatir et les scellèrent à leurs poignets de manière à ce que le barbare soit enchaîné à eux. Puis ils le firent sortir de la pièce, en l'encadrant. Omatir se laissa faire. Ils se trouvaient à présent dans un couloir creusé dans la roche, mais qui n'était apparemment pas très éloigné de la surface, puisque la lumière du jour y pénétrait.

Ils l'emmenèrent dans une autre salle, moins grande, dont les murs étaient couverts d'étagères où s'alignaient des os, pour la plupart des fémurs, où étaient gravées des rangées de pictogrammes qui devaient être des textes. Un seul homme-lézard s'y trouvait, qui avait un aspect singulièrement différent de ceux que le barbare avait vu jusque là. Ses écailles, au lieu du vert sombre qu'Omatir avait vu sur les autres, étaient ocres et hérissées de pointes sur tout le corps. Le barbare remarqua que même ses paupières étaient hérissées d'épines.

Alors que l'homme-lézard aux écailles épineuses, qui semblait être le chef, se désintéressait d'un os gravé pour reporter son attention sur Omatir, le barbare vit son équipement, soigneusement rangé au fond de la pièce. Il décida de tenter sa chance.

Omatir tira brusquement sur ses deux chaînes, entraînant ses deux gardes l'un vers l'autre. L'effet de surprise fut total. Les deux gardes se cognèrent l'un contre l'autre, et tombèrent assommés. Omatir se précipita vers son équipement, mais le la créature aux écailles brunes fut plus rapide. Elle tira un poignard de l'une des étagères et s'interposa entre le barbare et son équipement.

« Dans ton intérêt, mammifère, reste calme, siffla-t-il.

Omatir s'avoua vaincu. L'homme-lézard lui désigna un tabouret. Le barbare s'y assit. L'homme-lézard prit un autre tabouret et s'assit en face de lui.

- Comment se fait-il que vous parliez notre langue ? demanda Omatir. Et pourquoi m'avez-vous attaqué et enlevé ?

- Pour vous étudier, bien entendu ! s'exclama la créature. Voilà des millénaires que nous avons été emprisonnés. A cette époque, vous étiez des créatures faibles et peu intelligentes. Comment se fait-il qu'aujourd'hui vous dominez le monde ? Les elfes étaient bien plus puissants que vous.

- Les elfes se sont retirés, répondit le barbare. Mais quel genre de créatures êtes-vous donc ?

- Nous sommes des zarkens, répondit la créature. Nous sommes une race bien plus ancienne que la vôtre, et nous avons dominé le monde il y a bien longtemps. Nous étions en guerre perpétuelle avec les elfes, la seule race qui était assez forte pour nous tenir tête. Vous les humains veniez juste d'apparaître. Des créatures faibles, d'une veulerie répugnante, indigne de l'existence. Les elfes se sont mis en tête de vous protéger. Ils nous ont finalement pourchassés jusqu'au dernier dans cette forêt et nous ont enfermés dans une prison de cristal.

Je ne sais ce qui nous a réveillé, mais une poignée d'entre nous se sont réveillés, dont le grand maître Ssaszokanterundiss et se sont libérés. Nous avons tous répondu à son appel. Et que voyons-nous ! Le monde est peuplé d'humains, et les elfes ont disparu ! Ces conditions sont parfaitement propices à la domination des zarkens. Mais il convenait dans un premier de nous assurer de notre supériorité. Il est maintenant évident que les hommes sont si faibles, si lâches, que nous n'aurons besoin que de quelques années pour les asservir.

- Je ne sais ce qui vous laisse présumer votre prétendue supériorité, répondit le barbare, mais je vous rappelle que plusieurs de vos subalternes ont été nécessaires pour me maîtriser.

Le zarken s'esclaffa, dans ce qui semblait être un sifflement entrecoupé de bruits gutturaux rauques et déplaisants, comme s'il appréciait une plaisanterie fort divertissante.

- Vous avez été capturé par des généralistes, humain. Les généralistes sont une racaille, ce sont à peine plus que des bêtes. Ils ne servent qu'à préserver l'avenir de la race en cas de catastrophe. La véritable puissance des zarkens réside dans les spécialistes tels que moi.

Omatir réalisa l'invraisemblable absurdité de la scène. Une créature d'une race éteinte depuis des éons évoquait avec lui le fonctionnement de sa société, tranquillement assise sur un tabouret, dans le but d'établir la supériorité de sa race sur celle des hommes. N'était sa condition de captif, Omatir aurait sans doute été amusé. Il décida cependant de jouer le jeu du zarken, en attendant que Katenbau vienne le secourir -car il en était certain, ses amis étaient à sa recherche-.

- Vous n'êtes en aucun cas supérieur à nous, dit le barbare. Quand bien même votre aptitude au combat serait supérieure, ce dont je doute, cela ne donne légitimité à votre entreprise.

- Vous doutez de notre supériorité ?

Omatir venait de toucher une corde sensible. Le zarken paraissait furieux, mais il se reprit vite.

- Après tout, pourquoi pas, siffla-t-il. Nous pourrions vous laisser une chance d'appuyer vos propos. Cela pourrait même être très divertissant. Voilà une excellente idée. Nous allons organiser une petite épreuve de force. Gardes !

Deux zarkens entrèrent dans la pièce.

- Ramenez-le à sa cellule. Nourrissez-le.

Il émit une succession de crissements de mâchoire qui devaient être un ricanement.

- Il aura besoins de toutes ses forces. »

_______________


«Nous y voilà enfin ! s'exclama Katenbau.

Derrière lui, Milobrec et Nek achevèrent ce qui était à demi une longue marche, à demi une escalade. La pente n'avait cessé d'empirer dans les deux dernières heures de marche, mais ils avaient finalement atteint les pentes inégalement boisées des monts de la forêt. Ils firent une pause sur une butte dénuée d'arbres, située sur le versant de l'une des premières montagnes, d'où la vue était assez dégagée. A leurs pieds, le soleil faisait tomber sa chaleur sur la forêt, où les épais feuillages dissimulaient le sol à leur vue et filtraient une bonne partie de la lumière, ce qui n'était pas le cas du versant sur lequel ils se trouvaient. L'air commençait toutefois à fraîchir, annonçant le soir.

- Comment pourrons-nous trouver le repaire des zarkens parmi toutes ces vallées ? demanda Milobrec.

- Nous devrons être les plus efficaces possibles, répondit le barbare. Le temps nous dessert. »

Alors qu'il s'apprêtait à signaler la fin de la pause, Katenbau fut interrompu par Metaxa.

- Regardez ! dit-elle, et joignant le geste à la parole elle tendit son index vers le ciel.

Une gigantesque forme bondit par dessus la canopée assez loin d'eux, vers le sud. Des ailes monstrueuses se déployèrent, et la chose prit son envol. Alors qu'elle se rapprochait d'eux, Katenbau estima sa taille à plus de quinze mètres.

- C'est un... commença le barbare.

- Un dragon, coupa Nera.

Le titanesque reptile s'approchait d'eux, si bien qu'ils pouvaient maintenant distinguer sa silhouette majestueuse quoique terrifiante.

- Tenez-vous prêts ! cria Katenbau.

Il dégaina la Lame des Anciens, mais la taille du dragon était telle que ce geste lui parut bien vain. Au moment où il semblait évident que le reptile les avait repéré et s'apprêtait à fondre sur eux, un rugissement terrible fit trembler le sol, s'élevant depuis une vallée juste derrière eux. Un autre dragon s'éleva dans les airs et se dirigea vers le premier, les mâchoires toutes ouvertes.

Un combat pour le territoire entre deux dragons est un spectacle qu'il est donné à peu de mortels de contempler, surtout lorsqu'il a lieu en plein ciel. Le soleil brillait sur les écailles vert émeraudes des deux géants alors qu'ils fondaient l'un sur l'autre. Simultanément, deux colonnes de flammes jaillirent des deux museaux. Les deux brasiers se rencontrèrent et s'annulèrent, laissant place à un terrible premier contact physique. Les deux masses se projetèrent l'une contre l'autre avec une vitesse effroyable, dans un grand fracas qui fit onduler les arbres et trembler le sol. Les deux reptiles s'empoignèrent, se griffèrent et finalement celui qui avait jaillit de derrière les héros projeta l'autre contre le sol dans un tonnerre de troncs fracassés. Le dragon mis au sol se redressa, poussa un long rugissement dont l'écho se perdit entre les montagnes, et cracha une immense flamme que l'autre ne put éviter. L'autre dragon en profita pour s'envoler de nouveau. Son adversaire lui cracha un long jet de flammes qui n'atteignit pas sa cible. Le reptile géant qui venait de s'envoler chargea son adversaire. Sa mâchoire démesurée se referma sur la nuque de l'autre dragon. Le reptile géant se débattit, mais il avait perdu son combat. Les gigantesques vertèbres craquèrent sinistrement, et le dragon qui s'était envolé depuis la forêt s'effondra sur le flanc de la montagne en produisant un onde de choc qui fit perdre l'équilibre au héros. Le vainqueur se posa parmi les arbres, poussa là un interminable rugissement, urina longuement, et s'en fut hors du champ de vision de la coterie estomaquée par une telle débauche de puissance.

Il y eut un long silence respectueux, puis Nek suggéra :

« Nous devrions nous diriger vers le cadavre. Le sang de dragon a des propriétés magiques cruciales, et si nous pouvions en récupérer...

- Nous sommes ici pour secourir Omatir, rétorqua Katenbau.

- Mais le sang de dragon permet de soigner certaines blessures et d'annuler de puissants venins. Il se pourrait que nous en ayons besoin si Omatir est blessé.

- De toute façon, dit Nera, le cadavre est presque sur notre chemin. Nous n'aurons pas à faire un grand détour. »

Quelques dizaines de mètres plus haut, en effet, reposait, appuyé contre le flanc d'une falaise, l'immense cadavre. Même dans la mort, le dragon restait impressionnant. Ce fut donc avec circonspection que les héros s'en approchèrent. Passé le choc de la démesure de la bête, il se mirent au travail. Katenbau ouvrit une plaie à l'aide de Lame des Anciens, car aucune autre épée ou dague ne semblait assez solide pour traverser les écailles du monstre, et Nek recueillit le sang cramoisi qui s'en écoulait. Le druide avait presque terminé son oeuvre lorsque Milobrec les héla :

« Il y a quelque chose derrière le corps, cria le paladin.

Ils entreprirent de dégager le cadavre, ce qui prit un temps interminable, et le soleil était déjà proche du crépuscule lorsqu'ils eurent fini. Le cadavre du dragon obstruait en effet l'entrée d'un passage qui s'engouffrait sous la falaise.

- Je m'excuse, Nek, dit Katenbau, il semblerait finalement que ton idée ait été bonne. »

Abandonnant le dragon aux mouches qui se pressaient déjà en noirs escadrons, il s'y engouffrèrent.

_______________


Omatir estimait à quatre ou cinq le nombre d'heures écoulées depuis sa discussion avec le maître zarken lorsque la porte s'ouvrit de nouveau. Ce n'étaient plus deux individus, mais toute une troupe qui vint l'emmener.

Le voyage fut cette fois-ci beaucoup plus long. On lui banda les yeux, et on lui fit descendre des escaliers pendant ce qui lui sembla être une éternité. Enfin, les gardes défirent son bandeau, et le jetèrent dans une geôle au sol couvert de paille. Une lumière blafarde pénétrait par une herse située à l'extrémité opposée de la cellule. Le barbare nota avec étonnement la présence de son équipement dans un coin mal éclairé. Il revêtit son armure, prit son maul et mit son casque, se demandant à quoi tout cela rimait.

Comme en réponse à ses interrogations, la herse se leva avec un chuintement. Il sortit à l'air libre, et se trouva dans un décor surréaliste.

Omatir se trouvait au fond d'une immense vallée, à l'intérieur d'un gigantesque cirque naturel. Sur les versants qui le surplombaient, des gradins s'élevaient où se tenait une foule de zarkens dont le barbare estima le nombre à plusieurs milliers. Les gradins, creusés dans les flancs des montagnes, formaient un rectangle aux angles arrondis autour de lui, et étaient isolés du bas de la vallée, où se trouvait le barbare, par des à-pics, de construction artificielle, comme pour protéger le public de ce qui pouvait se trouver en dessous de lui tout en lui garantissant une vue imprenable. Le gigantisme de ce colisée naturel donna le tournis à Omatir.

Pourtant, le barbare était un habitué des combats dans l'arène. Il avait vécu de cela après la défaite du seigneur de la terreur. Mais l'ambiance ici était foncièrement différente. Un silence de mort régnait autour de lui, bien que la tension fut presque palpable. Aucun des zarkens n'émettait le moindre son, se contentant d'observer minutieusement les évènements. C'était donc là l'épreuve de force dont parlait le maître zarken aux écailles brunes. Omatir conclut qu'on allait lui faire affronter une bête sauvage, peut-être un démon ou même un gladiateur.

Il reconnut le zarken aux écailles brunes, assis en hauteur en compagnie de celui qui semblait être son supérieur.

« Il vont me donner en spectacle, pensa-t-il. »

Venant confirmer son pressentiment, un profond grondement se fit ressentir. Avec une lenteur et une régularité effroyables, une porte à deux battants, creusée dans le flanc même de la montagne qui lui faisait face, d'une hauteur de plus de trente mètres, et large de plus de cinquante mètres, s'ouvrit, révélant une ouverture béante dans le roc. L'intérieur de la montagne était absolument noir. Quelque chose d'immense sembla s'y mouvoir.

Une forme imposante, dont la puissance inhérente à son gigantisme fit tressaillir le barbare, une forme sortie tout droit d'une préhistoire ténébreuse et oubliée, s'extrait de la montagne et avança dans l'arène. Un dragon. Omatir avait déjà vu de nombreuses représentations de ces fabuleuses et terrifiants reptiles. Mais en avoir un devant soi, seul, sans aucun endroit pour se cacher, n'avait rien à voir. Debout, Omatir, qui était pourtant un colosse parmi les hommes, arrivait à peine à mi-tibia du dragon. Il remarqua que les ailes du reptile géant étaient coincées par des chaînes, une précaution qu'avaient du prendre les zarkens.

La bête se débattit d'abord furieusement, cherchant à se libérer. Le dragon envoya un long jet de flammes en direction des zarkens assis dans les gradins, mais ils se trouvaient hors de sa portée. Le reptile porta son attention et sa haine contre le barbare.

D'une roulade, Omatir esquiva une colonne de flammes qui s'abattit derrière lui, incendiant instantanément un bosquet d'arbustes. Le dragon rugit de fureur et répéta son attaque, et le barbare l'évita de même. Comment allait-il pouvoir lutter contre un pareil monstre ? Esquiver était une chose, prendre l'initiative du combat en était une autre. Il évita un troisième jet de flammes qui créa un arc de feu derrière lui.

Le dragon lança sa tête vers la bas, cherchant à coincer Omatir entre ses mâchoires. Le barbare ne put éviter le coup, mais interposa son maul entre lui et les crocs couverts de chairs déchiquetées. Une des dents se brisa à l'impact, du sang noir jaillit et couvrit le corps du barbare, tandis que le dragon se redressa, rugissant de douleur et du fureur. Le reptile, que la douleur enragea plutôt que de refroidir ses ardeurs, crachant un long jet de flammes qu'Omatir évita de son mieux. Une bonne partie de la vallée où il se trouvait était en flammes à présent, et d'épais nuages de fumée commençaient à s'élever dans le crépuscule. Le barbare esquiva un nouveau jet de flammes accompagné d'un long rugissement, et redressant le tête durant un moment de répit, vit qu'il était encerclé par les flammes. Il était piégé. De toute évidence, le reptile géant l'avait comprit, car il projeta de nouveau sa tête vers le bas. Omatir esquiva l'attaque et bondit sur le museau du dragon. Celui-ci, rendu fou de rage par l'astuce de sa proie, se redressa subitement, et se cabra. Omatir tenta de s'accrocha à quelque chose, glissant le long du dos de la créature. Il eut alors une idée. S'agrippant fermement aux écailles les plus proéminentes, il se dirigea vers les énormes chaînes qui maintenaient pliées les gigantesques ailes. Une fois sur place malgré les soubresaut du corps énorme sur lequel il se tenait, il saisit son maul et l'abattit de toute sa force sur les chaînes qui se rompirent. Les grandes ailes se déployèrent immédiatement.

Le dragon poussa un terrible et interminable rugissement. Il décolla aussitôt, et Omatir glissa de son dos pour tomber lourdement sur un buisson, plusieurs mètres plus bas. Mais fort heureusement, le reptile avait cessé de s'intéresser à lui.

Dans un concert de sifflements paniqués, les zarkens fuirent massivement vers les issues aménagées dans les gradins. Le dragon fit s'abattre une véritable tempête de flammes sur eux, ce qui en tua un bon millier, puis il se posa, au milieu des gradins. Omatir eu le temps de distinguer le zarken aux écailles brunes qui se débattait dans la mâchoire du monstrueux reptile, avant de perdre connaissance, seul, au fond de la vallée en flammes.
Les zarkens paniqués fuyaient en désordre total vers les sorties de l'arène tandis qu'un déluge de feu s'abattait sur eux. Mais alors même qu'ils fuyaient devant un mortel danger, ceux qui s'étaient dirigés vers l'issue est refluèrent dans la confusion la plus totale vers les gradins. Plusieurs d'entre eux furent changés en statues de glace qui explosèrent instantanément. Une sorcière enjamba les flaques d'eau, gelant tout ce qui passait à sa portée. Un ours-garou et un barbare dévalèrent les gradins à sa suite, achevant de mettre en déroute les zarkens encore en vie. Le dragon prit son envol, emmenant dans sa mâchoire suffisamment de cadavres pour le nourrir pendant plusieurs jours.

Parmi les zarkens qui se trouvaient encore dans les gradins, car ils n'avaient pu atteindre les sorties, certains tentèrent en vain de s'opposer à Katenbau, mais la plupart choisirent la fuite. C'est alors que le barbare vit, allongé au fond de la vallée en proie à un grand incendie, la silhouette de son frère cadet. Il se précipita, suivit par Metaxa et Nera. Milobrec fit s'abattre une pluie de poings du paradis sur les zarkens qui tentaient de leur barrer le passage. Katenbau sauta par dessus le mur qui séparait les gradins de la vallée et atterrit au milieu des flammes, imité par la jeune femme originaire du Mont Arreat. Nera s'arrêta au mur et entreprit d'invoquer de nombreux blizzards autour d'eux afin d'endiguer la progression de l'incendie.

Katenbau regarda frénétiquement autour de lui, cherchant son frère du regard, mais il ne vit que la lumière orange et agressive des flammes qui dansaient autour de lui. Tout n'était que désolation enflammée. Il finit cependant par repérer le buisson sur lequel était allongé Omatir. Il se lança dans cette direction, bondit par dessus un mur de flammes et atterrit d'une roulade auprès de son frère. Dans la lumière orange et mouvante, presque irréelle qui les éclairait, le visage d'Omatir paraissait paisible, serein.

Metaxa arriva quelques instants après lui. Elle s'agenouilla auprès de lui.

« Est-ce qu'il est... ? dit-elle.

Katenbau s'empressa de passer sa main transpirante sous la pièce d'armure qui protégeait le cou d'Omatir. Il sentit une palpitation faible mais régulière.

- Non, dit-il.

- Vite alors, il faut s'en aller ! Metaxa.

Les flammes s'étaient effectivement dangereusement rapprochées d'eux. Katenbau fit avaler en vitesse une potion de santé à son frère, puis ils sautèrent de nouveau par dessus le mur de flammes qui s'était rapproché d'eux, et retombèrent au milieu d'un paysage de mort.

L'incendie avait consumé déjà une grande partie de la vallée, et n'avait laissé que des cendres et des tronçons de bois calcinés derrière lui. Ils remontèrent au milieu des gradins grâce aux cordes que leur tendirent Nera et Minnoca. Une fois parvenus au niveau des gradins, ils allongèrent Omatir et tinrent conseil.

« Nek et Milobrec sont en train de s'occuper des derniers zarkens dans les gradins, dit Nera.

- Nous devons quitter cet endroit au plus vite et rentrer au plus vite à Ollfast, dit Katenbau.

- Je crois que nous allons d'abord devoir livrer bataille, dit Minnoca en montrant du doigt une des issues.

Presque à l'opposé de leur position, un groupe de zarkens venaient de sortir d'une des issues. L'un d'eux portait une armure qui le couvrait intégralement.

- Ils ne nous laisseront donc jamais en paix ? dit Katenbau. Bon, nous allons nous en occuper. Minnoca, reste ici et protège Omatir s'ils arrivent jusqu'à toi. Metaxa et Nera, suivez-moi. »

Tandis que Minnoca et celui qui semblait être le chef des zarkens restèrent en place, Katenbau, Metaxa et Nera foncèrent droit sur la trentaine de zarkens qui firent de même. Katenbau éventra deux zarkens en pleine course. Nera fit s'abattre une véritable apocalypse de glace sur ses adversaires. Metaxa bondit sur le premier ennemi qui passa à sa portée, et l'embrocha sur ses griffes. Le barbare entra dans une danse tournoyante ne laissant aucune chance de survie à ses adversaires les plus proches. Nek et Milobrec vinrent se joindre à la mêlée. Nera, au contraire, parvint à s'en extraire et se dirigea vers le chef zarken. Metaxa, elle, fut entraînée à l'écart du combat par un groupe de zarken apparemment plus puissants que les autres.

Deux zarkens avaient réussi à éviter la mêlée et se dirigeaient à toute vitesse vers Minnoca et Omatir. L'amazone encocha deux flèches, mit son arc à l'horizontale, visa et tira. L'un des zarkens tomba mort, l'autre poursuivit sa course. Elle tira une seconde flèche et la créature l'évita de même. Finalement, elle l'abattit à l'aide de son poignard. Minnoca entendit un gémissement derrière elle. Omatir était en train de revenir à lui.

Katenbau esquiva une attaque plongeante, se remis sur ses appuis, empala un zarken et para l'attaque d'un autre qui fut abattu par Nek l'instant suivant. Ses amis géraient bien la situation. Mais le barbare avait vu que Nera s'était dirigée vers le chef zarken. Il jugea que la magicienne avait davantage besoin de son aide que Nek et Milobrec, qui s'en donnaient à coeur joie. S'extrayant à grand peine de la mêlée, il courut à l'aide de la demi-elfe.

Metaxa, de son côté, avait été entraîné dans le dédale de couloirs qui serpentaient dans la roche au-dessous des gradins. Les zarkens fuyaient devant elle, et elle ne pouvait voir que leurs silhouettes fugitives disparaissant à l'angle d'un couloir.

Le corridor débouchait sur une salle de taille moyenne, apparemment sans issue, mais pourtant complètement vide. Ils ne pouvaient pas avoir disparu ainsi! Metaxa crut percevoir un mouvement par dessus son épaule. Lorsqu'elle se retourna pourtant, la salle était toujours aussi vide. Elle allait s'en retourner lorsqu'elle entendit un léger bruit venant d'au-dessus d'elle. Mais le plafond était aussi désert que le reste de la pièce. Une fois encore, elle crut voir un léger mouvement à la limite de son champ de vision, puis elle comprit. Ils étaient doués d'un mimétisme quasi-parfait.

Elle allait devoir se concentrer au plus haut point. Elle ferma les yeux, car la vue était devenue un sens inutile donc encombrant, et se concentrer sur les sons les plus infimes et les mouvements de l'air les plus imperceptibles. Elle put bientôt entendre les respirations des zarkens qui l'entouraient. Elle sentit l'un d'eux s'approchait en produisant un infime mais néanmoins décelable courant d'air. Metaxa attendit patiemment, puis étendit brusquement son bras droit. La sensation d'une résistance, puis le bruit mat d'un corps s'écroulant à terre l'informèrent que son coup avait fait mouche. Puis tout redevint calme.

Puis, la jeune femme perçut deux légers frottements à sa gauche et à sa droite. Les zarkens se déplaçaient autour d'elle en cherchant délibérément à brouiller les pistes. Elle se prépara un parer un assaut. Mais ce fut d'au-dessus d'elle que vint le sifflement d'un corps se laissant choir. Elle esquiva la chute du zarken d'une roulade, et, se remettant sur ses jambes, elle fendit l'air en direction de ce qu'elle supposait être la position d'un de ses assaillants. Le flot de sang sur son bras et le bruit d'un corps mort s'effondrant vinrent confirmer ses conjectures. Un instant plus tard, elle para une attaque à l'aide de ses griffes, puis envoya un coup de pied à son agresseur. Un sifflement de douleur lui confirma qu'elle avait visé juste. Il ne restait plus dans la pièce que deux zarkens, d'après ce qu'elle entendait. Ces derniers attaquèrent simultanément. Elle bloqua l'assaut du premier, pour le déséquilibrer et l'envoyer sur son adversaire, puis elle lança au hasard des shurikens à travers la pièce. L'un des deux zarkens, apparemment touché à mort, s'effondra. L'autre repassa à l'attaque. Metaxa estima la position grâce au sifflement de son épée, para à la dernière seconde, puis profita de son élan pour le mettre au sol. Là, elle l'égorgea d'un coup sec. Puis elle ouvrit les yeux. Les quatre zarkens, une fois morts, avaient repris leur teinte d'origine. Enjambant l'un des cadavres, Metaxa retourna à la surface.

Nera arriva auprès du chef des zarkens. Il se tenait, droit et immobile, au dessus d'elle.

« Vous ne partirez pas vivant ! lança-t-il d'une voix rauque.

- Vous feriez mieux d'abandonner, répondit la sorcière. Votre temps est passé. Laissez-nous sortir d'ici, ne nous attaquez plus et nous vous laisseront mourir à petit feu en paix.

- Je sais fort bien quelle puissance est la vôtre, humaine mêlée d'elfe, répondit le zarken. Mais nous tenons là notre revanche. Savez-vous qui je suis ? Je suis Ssaszokanterundiss, le maître suprême des zarkens. Ta race s'est montrée faible envers les hommes, demi-elfe, et les zarkens vont maintenant reprendre ce monde qui leur appartient de droit.

- Mes ancêtres, comme tu le dis, t'ont enfermé toi et les tiens pour mettre fin à votre folie mégalomane, car ils répugnaient à anéantir une forme de vie. Je serais moins indulgente. »

Sur ce, elle fit s'abattre une nuée de pics de glace sur Ssaszokanterundiss. Le zarken dégaina son arme, une double lame au tranchant acéré et mortel, et, à la grande surprise de Nera, para les sorts un à un. Son arme pouvait parer les sorts!

Nera lança de nombreux orbes de glace sur le maître zarken, en vain. La créature s'avança vers elle tout en parant les sorts répétés, un sourire carnassier sur les lèvres.

Katenbau plongea. La Lame des Anciens jaillit de son fourreau, juste à temps pour parer le coup destiné à Nera. Ssaszokanterundiss eut un grognement agacé, puis se tourna vers le barbare et l'attaqua violemment. Katenbau eut tout juste le temps de reprendre ses appuis avant de parer le coup. Il tenta une contre attaque rapide, mais le zarken esquiva et fut sur lui en un instant. L'orbe de glace le contraint à arrêter son assaut pour parer. Katenbau repassa à l'attaque, mais le zarken para de nouveau avec la partie gauche de son arme, utilisant la partie droite pour dévier dans le même temps un autre orbe de glace. Ssaszokanterundiss était de toute évidence rompu aux combats seul contre deux. Il força Katenbau et Nera à reculer jusque dans l'un des couloirs sortant des gradins et s'enfonçant dans les entrailles de la montagne. Là, il esquiva une attaque du barbare et se retourna de manière à interposer Katenbau entre lui et Nera, empêchant la demi-elfe d'attaquer sans risquer de blesser le barbare. Le combat les mena ainsi à travers de longs corridors silencieux puis ils débouchèrent dans une immense salle plongée dans l'ombre. Là, le combat dura encore de longues minutes jusqu'à ce que des bruits de pas rapides se fassent entendre dans le couloir qui débouchait dans leur dos. Omatir et Minnoca débarquèrent dans la salle.

« Milobrec est gravement touché ! cria l'amazone. Nera, nous avons besoin de toi là-haut !

- Je vais te remplacer ! cria Omatir »

Et joignant le geste à la parole, il prit son maul et chargea en direction de son frère et du zarken qui échangeaient encore de nombreuses attaques. La sorcière, elle, se retira prudemment, puis suivit l'amazone en courant vers la surface. Omatir, hurlant de rage, prit sa place aussitôt. Il abattit son maul de toutes ses forces sur le zarken qui para le coup, puis il enchaîna sur une attaque tout aussi puissante qui déséquilibra Ssaszokanterundiss et le contraignit à sauter pour esquiver la Lame des anciens. Les deux frères barbares attaquèrent de front simultanément, mais le grand maître zarken para les deux coups à la fois sans difficulté, puis les repoussa violemment, et enchaîna une série d'attaques très rapides qui fit reculer Katenbau et Omatir vers le fond de la salle. Là, sur toute la largeur de la salle, le sol disparaissait à une profondeur inconnue dans un gouffre d'un noir abyssal. Une plate-forme au contour circulaire, d'un diamètre d'environ six mètres, sans parapet ni bordure, permettait l'accès aux couloirs au fond de la salle, soutenue par une mince colonne qui disparaissait elle aussi dans le chiasme noir, et deux cordes qui la traversaient de part en part en la reliant aux deux murs. Le combat amena bientôt le zarken et les deux frères au bord du précipice. Omatir répétait ses attaques brutales mais rapidement enchaînées que Ssaszokanterundiss paraît sans difficultés. Katenbau parvint à contourner le combat pour prendre le zarken en tenailles, mais une fois de plus, il semblait à l'aise en combattant deux adversaires à la fois. Il esquiva une attaque de Katenbau, puis parvint à se glisser sous la garde d'Omatir et lui asséna un violent coup de pied dans le foie qui le projeta sur la plate-forme. Ssaszokanterundiss se rua sur lui, mais le barbare avait déjà repris son équilibre et para sans difficulté, puis repoussa le zarken tout près du bord de la plate-forme sur laquelle se trouvaient à présent les trois combattants. Celui, d'un geste sec, trancha une des cordes qui maintenaient en place la plate-forme, qui s'inclina fortement. Avant que les deux barbares n'aient eu le temps de réagir, le zarken plongea vers l'autre corde et la trancha. Il y eut alors un grondement, et la plate-forme oscilla dangereusement, reposant uniquement sur le sommet de la colonne dont le diamètre était bien vingt fois inférieur au sien. La moindre disproportion dans la répartition des charges, et, comme le savaient très bien les trois adversaires, la plate-forme sur laquelle ils se tenaient basculerait dans le vide.

Ssaszokanterundiss se trouvait précisément au centre du disque, et les deux barbares s'étaient tous les deux placés de part et d'autre de lui. Katenbau tenta plusieurs fois d'attaquer le zarken, mais sans grande conviction, car sa simple chute pourrait entraîner la leur. Il eut alors une idée.

Il sortit rapidement une corde d'une de ses poches, l'attacha à son bras et lança l'autre extrémité à Omatir qui fit de même. Avant que Ssaszokanterundiss n'aie comprit ce qui se passait, Katenbau sauta de la plate-forme vers la terre ferme. Le zarken comprit trop tard. La plate-forme, désormais en complet déséquilibre, bascula presque instantanément dans le vide, entraînant le grand maître zarken et le frère cadet de Katenbau avec elle. Mais, tandis que Ssaszokanterundiss disparaissait en hurlant dans les ténèbres, Omatir fut retenu par la corde. Katenbau le remonta alors lentement mais sûrement vers la surface. C'en était fait du grand maître des zarkens, définitivement vaincu à présent.

_______________


« C'est là tout ce que je peux faire, admit Janna. Je ne connais pas la cause de son état. Aucun antidote ne semble agir.

La guérisseuse se retira, laissant les six héros en compagnie de Verghunt et de leur compagnon gravement blessé.

- Qu'a-t-il bien pu lui arriver ? s'interrogea Katenbau. Sa blessure n'est que minime, et les armes des zarkens ne sont pas empoisonnées.

- Peut-être sont-ils eux-mêmes venimeux, suggéra Minnoca.

- Janna a essayé presque tous ses antidotes, et rien n'y fait, dit Verghunt. La seule chose à faire, ce serait de l'amener chez les zakarumites. Peut-être leurs prières pourront-elles l'aider ?

- Cela me paraît être une bonne idée, dit Katenbau.

Quelques hommes entrèrent dans la pièce sur un signe du vieux druide, et emportèrent le paladin sur une civière. Cela faisait quatre jours que Milobrec avait été blessé durant le combat contre les zarkens. Depuis, sa blessure au bras, certes profonde, avait commencé à cicatriser, et le venin semblait avoir été neutralisé par les décoctions de la guérisseuse. Pourtant, il semblait sombre dans un rêve toujours plus profond, gémissant parfois dans son sommeil, mais ses murmures n'étaient que borborygmes dénués de sens.

- Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, finit par dire Verghunt, j'aimerai vous parler en privé.

Ils le suivirent jusque dans sa demeure, à l'abri des oreilles indiscrètes.

- Nous avons, dit-il, des hypothèses assez sérieuses quant à ce qui a put se passer ici. Il semblerait que Moloch, Azmodan et Bélial se soient dirigés droit vers Xanidrya, notre capitale. Ce qu'ils y cherchent, je l'ignore. Mais, ajouta le vieux druide, il paraît plausible qu'ils soient assistés par une poignée de druides renégats, et par des mercenaires étrangers. Je vous demanderai de ne pas ébruiter cela, car premièrement, nous n'en sommes pas certains, et surtout, nous pensons que Warshan, le marchand, fait partie de ces renégats. Son attitude est suspecte de bien des points de vue. Nous ne pouvons cependant rien tenter tant que nous ne sommes pas certains de ce que nous faisons.

De plus, il semble à craindre que la cause de l'éveil des zarkens, des dragons, de la mutation des paisibles centaures en ces immondes créatures mi-araignées que vous avez déjà affronté, et du changement de comportement de certains des animaux, soit unique. Je pense que Moloch et ses deux acolytes sont parvenus, par un moyen ou par un autre, à corrompre un des esprits de la forêt.

Nek eut un frisson.

- Je ne saurai commander à vos actes, poursuivit Verghunt, mais je crois qu'il convient d'orienter vos recherches vers Xanidrya, de l'autre côté des monts de la forêt. J'ai peur toutefois que l'esprit ne tente de vous en empêcher par tous les moyens. Il va falloir que vous le détruisiez.

- Mais c'est un incommensurable sacrilège !cria Nek.

- Effectivement, et c'est pourquoi aucun des nôtres ne consentira à le faire. Cela est pourtant nécessaire, sinon c'est tout la forêt qui sera détruite. Je pensais que cela serait plus facile pour des gens de religion différente...

- Je m'en chargerai, dit sèchement Nek. Seul un druide peut faire un tel geste et espérer le pardon. Je le ferai.

- Dans ce cas, tout est dit, dit Verghunt. Je vous souhaite bonne chance. Et j'espère que votre compagnon se rétablira, ajouta-t-il. »

Alors qu'ils rentraient vers leur propre logement, le druide resta à l'écart, parlant peu et ruminant de sombres pensées.

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« Nous y voilà donc, dit Katenbau. Nous avons enfin passé ces damnées montagnes.

Dès le lendemain, ils étaient partis vers l'est afin d'atteindre la capitale le plus vite possible.

- Il va bien falloir y retourner, répondit Nek. La vallée des Esprits, Nen Gorûst, se trouve au nord. La chaîne des monts de la forêt se recourbe vers l'est à mesure que l'on progresse vers le nord. C'est là que se trouve la demeure supposée des esprits de la forêt.

- Alors nous irons vers le nord.

- Non, dit le druide. Je vais y aller seul. Il s'agit de mes croyances, continua-t-il avant que le barbare n'aie eu le temps de l'interrompre. Ce qui doit être fait est un horrible sacrilège, mais c'est moi qui suis désigné pour l'accomplir. Trouverais-je le pardon ?Je l'ignore, Katenbau. Mais c'est là mon devoir, et nul autre ne peut l'accomplir à ma place, de la même manière que seul toi pouvait exécuter le rituel de passage sur l'Arreat.

Katenbau fut plus troublé par cette réponse qu'il ne le laissa paraître. Comment se faisait-il que le druide avait eu vent de ce qui s'était passé au sommet de l'Arreat ? Il avait jusque là crut que ce secret n'était connu que de lui et Lëkor.

- Soit, répondit-il. Je n'aime guère cette idée, mais si personne ne s'y oppose, qu'il en soit ainsi.

- Bonne chance à vous, répondit simplement le druide. Et n'oubliez pas l'avertissement de Verghunt : n'ayez pas une confiance immodérée en les druides que vous croiserez ! Cherchez Xanidrya vers l'est ! »

Ils lui souhaitèrent bonne chance à leur tour, puis Nek se dirigea vers le nord, et disparut rapidement parmi les troncs.

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Milobrec fut réveillé par les tintements d'acier. Le plafond d'un blanc immaculé au dessus de lui lui indiqua qu'il se trouvait à l'intérieur du temple zakarumite d'Ollfast. Il tenta de se relever, et la douleur à son bras gauche lui arracha une grimace. Il se trouvait dans un recoin un peu à l'écart de la salle de prières, en compagnie d'autres blessés. Une grande agitation régnait autour de lui. Certains guérisseurs restaient auprès des malades tandis que d'autres se précipitaient en direction de l'entrée de la salle de prières. En les suivant du regard, Milobrec vit que les paladins étaient attaqués par des engeances démoniaques venant de la surface. Le paladin chercha son épée du regard. Son bras gauche le lançait terriblement, mais par chance il était droitier. Il trouva rapidement son épée, s'en saisit et se dirigea en courant vers l'affrontement.

Il distingua son père, lançant des sorts de soin à tous les paladins à sa portée. Il n'avait pas pu se tromper. Son visage était, à quelques rides près, exactement celui que lui avait de nombreuses fois dessiné sa mère.

Les engeances démoniaques étaient bien supérieures en nombre et mieux organisées. Les paladins perdaient sans cesse du terrain. Milobrec effectua un bond prodigieux, et, en réceptionnant, transperça une engeance qui s'apprêtait à abattre son père. Il en tua deux autres, esquiva une flèche qui termina sa course dans la gorge d'un autre paladin, et faucha en deux revers de lame la rangée d'archers ennemis. Les paladins reprenaient peu à peu la maîtrise du combat et parvenaient à endiguer le flot d'ennemis qui se tarit bientôt. Lorsque tout fut finit, et que le sang eut coulé jusqu'à rendre le sol glissant, Héloc se dirigea vers lui.

« Je te remercie, dit-il. Sans toi, je ne suis pas certain que nous aurions survécut.

Milobrec se dirigea vers son lit sans lui accorder un regard.

- Pourquoi diantre te comportes-tu ainsi ? s'écria Héloc. Tu es parti sans crier gare à ta première venue, et maintenant, tu nous aides et tu repars sans un mot ! Qu'est-ce que cela signifie ?

Milobrec se retourna, et dit avec un tremblement trahissant son émotion.

- Parce que je suis ton fils, et que ta lâcheté a brisé la vie de ma mère. »

Puis il rassembla ses affaires et quitta le temple en direction de la surface. Héloc ne bougea pas, trop abasourdi et bouleversé pour faire ou dire quoi que ce soit.

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La nuit était tombée, à présent. Un vent froid sifflait parmi les sapins. Nek approchait de son but, il le sentait. Il entra dans une clairière éclairée uniquement par la pleine lune blafarde. Un léger clapotement venait de l'opposé de la clairière. Là, faisant face au druide, un ruisseau se précipitait depuis une petite falaise en formant une mince cascade qui tombait dans un bassin d'eau claire qui scintillait sous l'éclat de la lune. La source des esprits. C'était là. Nek s'avança vers le bassin.

Plusieurs globes brillaient à l'intérieur du bassin, mais l'un d'eux étiolait tous les autres de sa puissance. Le druide s'en saisit. Un brouillard glacé envahit la clairière. Nek sentit une présence maléfique derrière lui. Une forme noire et indistincte, terrifiante, émergeait peu à peu de la brume.

L'attaque fut soudaine. La présence envahit en un instant l'esprit du druide, le torturant jusqu'au plus profond de sa conscience. Il s'écroula. Mais l'esprit trouva bientôt une résistance. Puis, aussi subitement qu'il y était entré, l'esprit corrompu fut bouté hors de celui de Nek. Le druide se releva. Son apparence avait changé. Son visage était couvert de tatouages, et quelque chose dans son regard semblait avoir changé. Une voix gronda dans son esprit.

« Fiacla-Géar...

- Je suis revenu, Esprit, répondit le druide. Mais toi, tu as quitté la voie de la sagesse en t'offrant à ces démons. Je suis revenu pour le Uileloscadh Mòr.

- Le Uileloscadh Mòr a déjà eu lieu.

- Non esprit, il approche. Comme ta fin. »

Et le combat commença. Aucun des deux adversaires ne fit un seul mouvement. Le combat était uniquement mental.

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Katenbau, Nera, Minnoca, Omatir et Metaxa avaient marché durant toute la journée vers l'est. D'après les indications de Verghunt, ils étaient encore à deux jours de marche de Xanidrya. Mais ce soir là, ils étaient observés.

L'amazone fut la première à en être consciente. Elle en parla à Metaxa, qui avait hérité du premier tour de garde. Toutes deux décidèrent de faire mine de s'enfoncer dans la forêt pour prendre leur espion à revers. Mais celui-ci passa à l'attaque avant qu'elles n'aient eu le temps de mettre leur plan en oeuvre. Il jaillit du feuillage en dégainant son épée et fonça sur Metaxa. Elle para sa première attaque mais fut surprise par la vitesse avec laquelle il enchaîna un second assaut. Il la terrassa d'un coup de coude, évita une flèche de l'amazone puis la neutralisa à son tour d'un puissant coup de pied dans le plexus. L'agitation avait réveillé Katenbau qui se dressa et dégaina la Lame des anciens.

Leur adversaire fonça droit sur le barbare et l'attaqua violemment. Katenbau réussit à parer le premier coup mais fut déséquilibré. Il se rétablit juste à temps pour éviter un second coup. A la lueur du feu de camp, le barbare put distinguer son visage. Il ne devait guère avoir plus de quinze ans, comme en témoignait son visage plutôt juvénile malgré la barbe qui commençait à l'envahir. Il enchaînait cependant les coups avec une violence et une rapidité inouïes, qui faisaient de lui l'un des adversaires les plus dangereux que Katenbau eut affronté depuis Baal. Le barbare parvint toutefois à bloquer une de ses attaques. Le jeune homme poussa vers la droite, et le barbare, quoique feignant de s'y opposer, suivit son mouvement. Une fois que la garde du garçon fut suffisamment ouverte, le barbare envoya un coup de poing dans le plexus de son adversaire, et le désarma tandis qu'Omatir, qui s'était également réveillé, l'immobilisa.

« Qui es-tu et pourquoi diantre nous attaques-tu ?demanda Katenbau.

- Je vous ai pris pour des druides renégats, répondit le jeune homme. Laissez-moi partir à présent.

- Il n'en est pas question. Que fais-tu à Scosglen ? Où est ta famille, et quel est ton nom ?

- Je poursuis Azmodan. Il s'est réfugié dans Xanidrya, mais les portes de la cité sont gardées par les renégats. Ma famille se trouve à des lieues d'ici, et mon nom ne vous dira rien.

- Je déterminerai ce qui a une importance et ce qui n'en a pas, répondit durement le barbare. Dis-nous ton nom, c'est la plus élémentaire politesse après nous avoir attaqué en nous confondant avec d'autres.

Le jeune homme eut un soupir agacé, puis dit :

- Je m'appelle Menarnar. Voulez-vous bien me relâcher, à présent ? J'ai une mort à venger. »

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« Lëkor ! M'entends-tu, Lëkor ?

- Oui, maître.

- J'ai découvert ce que cherche Moloch. La situation est infiniment plus grave que ce que nous pensions. Je t'ai parlé de ma victoire contre Scatar, à la fin du Premier Age, et de son bannissement dans le tartare. J'avais, à l'époque, dans l'insouciance de ma victoire, dissimulé l'entrée du tartare sur un des plans mortels, mais je n'avait pas accordé d'importance à l'identité de ce plan.

- Voulez-vous dire que...

- Oui, Lëkor. La clef et l'entrée du tartare se trouvent sur Sanctuary. Il est presque certain que Moloch veut libérer son père, Scatar. Si jamais son plan réussit, alors la victoire du mal semble inéluctable. Scatar a perdu sa condition d'Eternel, et l'invocation que veut mener à bien Moloch ne pourra jamais libérer qu'une partie de sa puissance, mais cela suffira amplement pour faire pencher la balance en faveur du mal. Tu dois charger ce Katenbau d'empêcher cela. La clé du tartare est le cromlech de Xanidrya. Peut-être est-il maintenant enterré sous la capitale des druides. Moloch et ses séides s'y dirigent tout droit. La situation est terriblement urgente. Charge-les d'empêcher Moloch, Bélial et Azmodan d'accomplir le rituel d'invocation de Scatar.

- Je m'en charge immédiatement, Très Saint.

- Tu dois saisir toute l'importance de cette mission, Lëkor. L'avenir de la création entière, plus que jamais, est en jeu. Va au paradis. Là, tu trouveras une pierre d'âme que tu devras remettre à ce Katenbau. Va, maintenant. Ta mission en ce qui concerne le pouvoir du barbare, est désormais secondaire. Ne perds pas un instant ! »
Un vent fort soufflait entre les troncs et faisait ployer l'herbe. Les rayons de la Lune scintillaient à travers l'eau cristalline de la cascade et faisait briller la rosée d'une lueur pâle, transformant l'herbe nue en un tapis de diamants. Au centre de ce décor exprimant à lui seul toute la magie de Scosglen avait lieu un immobile combat à mort. Le druide au visage couvert de tatouages faisait face à une ombre noire et informe, au milieu de laquelle brillaient deux lueurs rouges. Seul le front plissé du druide laissait deviner l'intensité du combat mental qui l'opposait à l'esprit corrompu.

Finalement, un grand vent se leva, et peu à peu, dispersa la forme noire qui finit par ne plus être qu'une silhouette ténue, puis qui disparut dans le silence le plus total. Le druide se relâcha alors, et, visiblement exténué, s'effondra dans l'herbe humide. Il se releva finalement, et trouva la force d'ouvrir un portail vers Ollfast et de s'y traîner.

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Milobrec sortit du temple. Autour de lui régnait une agitation sans nom. Des druides couraient en tous sens. L'un d'eux courut vers le paladin. C'était Vonan.

« Milobrec, les esprits soient loués! Comment vont les zakarumites ?

- Nous avons repoussé l'attaque et il n'y a que peu de morts. Que s'est-il passé ?

- Nous avons été attaqués. Les démons ont forcé les portes au milieu de la nuit. Visiblement, leur cible était Verghunt. Je crains que les druides renégats n'aient appris qu'il était au courant de leur existence.

- Et Verghunt, comment va-t-il ?

Le regard de Vonan était éloquent.

- Qui le remplacera ?

- Normalement, ce devrait être le jeune Zanya, mais... hé toi ! cria-t-il à l'intention d'un villageois qui passait auprès d'eux. Va quérir Eunon au plus vite, et fait également mander Janna lorsqu'elle se sera occupé de tous les blessés. Nous allons devoir nous réunir, dit-il en se tournant de nouveau vers le paladin.

Le vieux marchand arriva en courant.

- Les esprits soient loué, Vonan, dit-il en déglutissant avec difficulté, tu es encore en vie, ainsi que notre ami paladin. Hélas, j'ai appris pour Verghunt. C'est une horrible tragédie. Mais j'ai autre chose à t'apprendre.

- Je t'écoute, Eunon, dit Vonan.

- Warshan a disparu. Il ne fait aucun doute que les renégats ont tout appris de ce que savait Verghunt. Ils passeront de nouveau à l'attaque si nécessaire.

Devant la surprise qu'afficha Milobrec, Vonan ajouta :

- Verghunt, Eunon et moi-même étions les seuls ici à connaître l'existence des traîtres. Quoiqu'il en soit, poursuivit-il, nous devons d'abord panser nos blessures et élire un nouveau chef.

- Tu penses à Zanya ?

- Effectivement. Je vais le convoquer, et lorsque Janna nous aura rejoint, nous l'informerons de ses nouvelles fonctions. Ensuite, il faudra envisager de riposter. Il est primordial que vos amis atteignent Xanidrya au plus vite, conclut-il en se tournant vers le paladin.

- Les voilà justement qui arrivent, dit Milobrec en montrant un portail bleu qui s'ouvrit au milieu des bruyères.

Venant appuyer les dires du paladin, une silhouette sortit du portail, mais celui-ci se referma derrière elle. Milobrec reconnut Nek, malgré les tatouages représentant des entrelacs complexes de symboles mystiques qui couvraient presque l'intégralité de son visage. Le druide semblait épuisé.

- Que t'est-il arrivé ?demanda Milobrec.

- J'ai... j'ai besoin de repos parvint à articuler Nek.

- Où sont les autres ? Et que sont ces tatouages ? Lumière Miséricordieuse, Nek, qu'as-tu fait ?

- J'ai vaincu l'esprit... maintenant laisse-moi me remettre.

Sans rien ajouter, le druide se dirigea vers leur demeure.

- Il a vaincu quoi ? dit le paladin, en se retournant vers Vonan et Eunon.

- Un des esprits de la forêt. Verghunt pensait que l'un d'eux avait été corrompu par les démons. Il a sans doute chargé votre ami de s'en occuper. Vous devriez le laisser se reposer.

- Voilà Janna. Nous devrions aller chercher le jeune Zanya. »

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Eunon, Vonan et Janna allèrent trouver le jeune homme, qui travaillait déjà à reconstruire la palissade, puis ils le menèrent au domicile du vieux marchand en compagnie de Milobrec.

« Tu es déjà au courant de la mort de Verghunt, je suppose, dit Janna.

- Oui.

- Il faut absolument un nouveau chef à Ollfast, affirma Vonan. Comme tu le sais, il doit être désigné par un conseil d'au moins trois personnalités du village.

- Vonan, Survivant de la Première Attaque, messager du village, héros de la Reconstruction, Janna, Prêtresse d'Ollfast, Guérisseuse et Survivante de la Première Attaque, et moi-même, proche ami de Verghunt et Son Conseiller, nommons Zanya, Survivant de la Première Attaque, Héros de la Reconstruction et fils de feu Kel'Zanx, Chef des troupes combattantes d'Ollfast, successeur de Verghunt et ainsi chef du village, récita Eunon.

Pendant un instant, Zanya parut trop étonné, puis il récita à son tour :

- Moi, Zanya, Survivant de la Première Attaque, Héros de la Reconstruction et fils de feu Kel'Zanx, Chef des troupes combattantes d'Ollfast, accepte la charge de chef du village.

Le vieux marchand prit note de ses dires, puis soupira :

- Voilà pour les officialités. Nous devons à présent parler de choses graves. Sache, Zanya, que Verghunt n'est pas resté passif après la première attaque. Il a envoyé des espions pour savoir avec exactitude ce qui se passait dans la forêt. Il a découvert que tous les évènements troubles depuis la chute du premier village jusqu'à aujourd'hui sont le fait d'un complot fomenté par un démon nommé Moloch, qui serait assisté par deux démon secondaires, et qui cherche activement nous ne savons quoi dans la forêt. Il a corrompu un des esprits de la forêt, mais l'un des membres de la compagnie d'aventuriers qui sont venus t'aider s'est chargé de le défaire.

Devant l'air choqué du jeune homme, il poursuivit:

- Verghunt a longtemps hésité, mais s'il en a parlé à ces étrangers, c'est qu'il a considéré qu'il s'agissait de la meilleure décision. Toi aussi, tu devras faire des choix difficiles, à présent.

- Et pour cause, continua Vonan. Verghunt a découverte que des druides ont trahi les leurs pour se rallier à Moloch. Et que Warshan faisait partie de ceux-là. Il est probable que l'attaque de cette nuit fut un assassinat plus qu'un véritable assaut du village. Warshan a d'ailleurs disparu. Ils vont sans doute lancer une autre attaque sur Ollfast dans les semaines à venir. Il va falloir agir de notre propre initiative. De toutes façons, nous ne pouvons nous contenter d'attendre que ce Moloch ait trouvé ce qu'il cherche...

Il fut interrompu par des coups à la porte.

- Qui est-ce ?

- Katenbau, fit la voix du barbare. Zanya est-il ici ?

- Effectivement, répondit le druide. Entrez.

- Nous allons donc voir si ce que tu affirmes est vrai, dit le barbare en ouvrant la porte.

Il entra, suivi d'un jeune homme d'un âge proche de celui de Zanya, quoique légèrement plus jeune.

- Reconnais-tu ce garçon ? demanda Katenbau à Zanya.

Le nouveau chef d'Ollfast parut hésiter un moment, puis sourit finalement.

- Bien entendu, c'est Menarnar! Sans lui et son frère, Ollfast serait sans doute resté un tas de cendres.

Menarnar sourit faiblement, un sourire dénué de joie.

- Dans ce cas, tu dis vrai, admit Katenbau. Excuse notre méfiance.

- Il est normal de se méfier de celui qui vous a d'abord attaqué, répondit-il.

- Excusez-nous, conclut le barbare à l'intention de Vonan, Eunon et Zanya.

Il se retira, ainsi que Menarnar. Sur le chemin menant à leur domicile, il dit au jeune homme.

- Si tu cherches vraiment à abattre Azmodan, quelle qu'en soit la raison, tu ferais mieux de nous accompagner. Il se trouve à Xanidrya, et c'est là que nous allons.

- Dans ce cas, répondit Menarnar, je vous suivrai. »

Une fois arrivés à la maison que leurs avaient attribué les habitants d'Ollfast, ils retrouvèrent Nek. Celui-ci répondit de façon évasive à leurs questions concernant l'origine de ses tatouages et le combat contre l'esprit. Il prétexta avoir besoin d'air frais tandis que les autres se couchaient. Katenbau attendit que les autres se soient endormis, puis rejoignit le druide.

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« Comment sais-tu ce qui s'est passé au sommet de l'Arreat ? Je croyais que cela était resté secret.

Le druide se tourna vers Katenbau.

- Lëkor m'en a parlé. Il a pensé que je pouvais t'aider s'il venait à partir.

- Pourquoi t'as-t-il choisi ?Je veux dire, pourquoi toi plus qu'un autre ?

- Parce que je ne suis pas celui que j'affirme être, Katenbau. Et Lëkor s'en est rendu compte dès qu'il m'a vu. Mon véritable nom te dira peut-être quelque chose. Je suis Fiacla-Géar.

- Le père des druides ? Mais c'est impossible !

- Ton aïeul Bul-Kathos et moi-même avons été chargés, il y a quelques siècle de cela, de protéger Sanctuay jusqu'au moment venu, le Uileloscadh Mòr.

- La bataille finale...

- Tout à fait. Bul-Kathos et moi avons pensé qu'il serait sage que l'un de nous survive jusqu'à cette époque pour accomplir au mieux notre devoir.

- Mais vous... tu n'as pas pu survivre pendant tous ces siècles.

- Naturellement, non. Mon âme subsiste et se réincarne à chaque fin de vie dans un autre druide. Son apparence physique n'est pas modifiée, mais dans ce cas, il y a eu une exception.

- Mais qu'en est-il de Nek, ou plutôt de son esprit ? L'avez-vous détruit ?

- Bien sûr que non. Je n'ai jamais fait de magie noire. En vérité cependant, je ne sais si il pourra revenir un jour. Toujours est-il que le combat contre l'esprit m'a épuisé. Il a réussit à mettre à nu ma présence pour un instant, et à présent, ce corps ressemblera à ce qu'était le mien à l'époque où j'ai pratiqué le sort. Mais ce n'est pas le plus important. Mon âme subsiste dans l'attente du Uileloscadh Mòr, car ma tâche est d'aider à l'empêcher. Et je le sens, Katenbau. Je le sens dans l'air, je le sens dans la nature, je le sens au plus profond de moi. Le Uileloscadh Mòr approche.

Katenbau se souvint de «l'épreuve» dont Lëkor lui avait parlé. Il préféra ne plus y penser.

- Il se trame quelque chose de grave, Katenbau, il se trame quelque chose de très grave ici même, à Scosglen, et nous devons à tout prix l'empêcher.

- On fera notre possible, Nek... ou Fiacla-Géar, je ne sais plus quoi en penser. Dès demain, nous partons pour Xanidrya. »

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Les deux paladins s'arrêtèrent. Devant eux, un feu brûlait. Plusieurs personnes semblaient assises autour. Ils s'en approchèrent le plus discrètement possible.

Ils avaient été envoyés ici par le Nouveau Conseil de Zakarum, à la requête d'un évêché de Scosglen, qui semblait avoir besoin de renforts. Le voyage avait été long, et ils comprenaient maintenant la raison de l'insistance de la lettre du prêtre responsable de la mission. La forêt était sinistre et peu sûre.

Cachés derrière des arbres, ils attendirent et écoutèrent. Une voix forte parlait avec un accent très marqué, qui lui faisait rouler exagérément des r.

« J'espère que ce Warshan tiendra ses engagements. Je n'ai pas pour habitude d'offrir mes services. Les types dont il veux qu'on se charge sont apparemment coriaces. Il aura intérêt à y mettre le prix.

- Je ne crois pas qu'il soit assez inconscient pour tenter de duper la Mort Silencieuse. Quant à tenter de tous nous duper, il ne s'agit plus d'inconscience mais de folie suicidaire, je crois. Warshan donnera l'argent.

- Je l'espère, fit une troisième voix, grave et rauque. En tout cas, on doit suivre un plan. Il faut les coincer avant Xanidrya. Je sais qu'il y a un paladin parmi eux. Je me le réserve. Vous vous occuperez des autres comme vous voudrez.

- Je ne suis pas favorable à tout cela, rétorqua une voix féminine. Si chacun veut refroidir le sien, on ne s'en sortira pas. Ils ont liquidé les Trois quand même. Il va falloir garder ça à l'esprit et...

- Tais-toi donc ! fit la voix rauque.

Il y eut des bruits de pas, puis une homme trancha les branchages qui dissimulaient les deux paladins, les rendant visibles et vulnérables.

- Tiens donc ! ricana-t-il. Voilà de la visite. Je m'en occupe, dit-il en se tournant vers les autres.

Il dégaina son épée. La lame, noire, couverte de glyphes néfastes, était visiblement maléfique, d'ouvrage démoniaque. Son porteur, protégé par une solide armure, faite d'un métal noir et luisant inconnu sur Sanctuary, irradiait le mal par tous les pores de la peau. L'air sembla frémir autour de l'épée maléfique tandis qu'elle jaillissait hors de son fourreau. Les deux paladins dégainèrent à leur tour et le combat s'engagea.

Il fut court. L'homme à l'épée noire abattit le premier paladin d'un puissant coup d'estoc qui perfora son garde et son thorax. Le second paladin contre-attaqua, décidé à vendre chèrement sa peau. Son adversaire bloqua le coup avec une facilité déconcertante et lança une boule d'énergie négative qui atteignit le paladin en plein ventre. Celui-ci parut alors vieillir à une vitesse phénoménale, et en quelques instants ne fut plus qu'un tas de poussière que le vent soulevait.

- Bien joué, Hankar, fit le géant à l'accent nordique.

- Ce n'était qu'un échauffement, répondit le dénommé Hankar en regardant le tas de poussière d'un oeil méprisant. Le vrai combat arrive. J'ai hâte. »

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« D'après Vonan, nous devrions être à moins d'une demi-journée de marche de Xanidrya, soupira Katenbau.

Ils s'étaient arrêtés sur une colline légèrement surélevée.

- Pourtant, on n'en voit pas trace à l'horizon, poursuivit le barbare en grommelant.

- Xanidrya est située dans une petite cuvette, répondit Nek. On ne peut la voir que lorsqu'on est très proche de ses murs. Nous allons dans la bonne direction.

- Bon, fit le barbare. Dans ce cas nous allons repartir d'ici peu.

Ce fut rapidement fait. Alors qu'ils progressaient péniblement mais régulièrement parmi les troncs d'arbres, quelques minutes seulement après leur départ, Metaxa, qui était à la tête de la file, les arrêta.

- Il y a quelque chose d'anormal, dit-elle. »

A peine eut-elle terminé sa phrase que d'épaisses ténèbres s'abattirent tout autour d'eux.

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Malgré les murmures interrogateurs de ses compagnons, Metaxa entendit le bruit de pas précipités tout autour d'eux. On était en train de les encercler. Elle perçut un mouvement rapide et silencieux à sa gauche, et quelque chose la percuta et la projeta plusieurs mètre plus loin. Elle se releva et para un coup qui lui était adressé. Quelqu'un cria :

« Celle-là sait combattre en aveugle, Shadòsz, tu t'en occupes !

La jeune femme entendit un léger feulement à sa droite; un violent coup de pied au plexus lui coupa le souffle et la projeta hors de l'épaisse fumée noire dans laquelle ils se trouvaient. La jeune femme se releva et étouffa une exclamation de surprise.

Son adversaire semblait être à mi-chemin entre les mondes matériel et éthéré. Habillé d'un vêtement noir et le visage teinté de noir pour mieux se fondre des ombres, il semblait n'être qu'une illusion lui-même. Pourtant l'arbalète qu'il arborait n'avait rien d'irréel, ni le carreau qui vint se planter dans un tronc juste à côté de sa tête. Metaxa se reprit et passa à l'attaque.

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Hankar avança prudemment dans la véritable purée de pois qui se trouvait devant lui. Ce Shadòsz était finalement plutôt efficace, sans doute valait-il mieux qu'il ne se tire pas vivant de la bataille. Il se fraya un chemin en silence parmi les brumes noires, guidé par l'aura de sainteté du paladin. Il entendait les murmures autour de lui. Que leurs cibles devaient être étonnées ! ils ne s'attendaient pas à ce qu'on les attaque à une pareille distance de Xanidrya.

Hankar heurta brutalement une silhouette qui tomba plus loin avec un cri; c'était une voix féminine. Il attaqua au hasard, et à sa grande surprise, son coup fut paré.

« Celle-là sait combattre en aveugle, Shadòsz, cria-t-il, tu t'en occupes.

Puis il trouva le paladin. Il empestait la vertu et la bienveillance plusieurs mètres à la ronde. Hankar le balaya, puis le projeta vers l'extérieur de la masse de fumée. L'autre se redressa, et pouvait le voir à présent qu'ils étaient en bordure de nuage. Il était, avec sa peau aussi noire que son armure était blanche et rutilante, comme un contraire parfait de Hankar, qui portait un surco bardé de pointes et aussi sombre que les abimes qui encerclaient les gris continents de l'enfer.

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Milobrec identifia rapidement son adversaire. C'était un paladin noir, un sombre reflet des chevaliers de Zakarum. Les paladins noirs avaient toujours été un nombre très réduit, mais leur puissance considérable, qui leur était accordée par les divinités infernales, en faisaient les plus redoutables ennemis que les adorateurs de Zakarum aient jamais eu à affronter, un ennemi dont la haine survivait aux siècles. Milobrec frissonna. Il était fort connu chez les disciples de la lumière que les paladins noirs étaient spécialement formés pour combattre les serviteurs de Zakarum.

Le combat n'eut pas besoin de quoi que ce fut pour commencer. Le paladin noir invoqua une puissante onde d'énergie négative, que Milobrec esquiva. L'onde alla frapper un tronc derrière lui, qui se réduisit en poussière en quelques instants. Entre temps, le paladin avait déjà dégainé son épée et chargeait son adversaire. Le choc fut terriblement violent, mais le paladin noir tint le coup. Milobrec parvint à repousser son adversaire, puis invoqua un poing du paradis juste à côté du paladin noir qui lança une nouvelle vague n'énergie négative. Les deux boules crépitantes d'énergie, l'une d'un bleu intense, l'autre d'un noir profond, se percutèrent et s'annulèrent. Le combat reprit aussitôt.

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Le nuage commençait à se dissiper lorsqu'un cri de rage surpuissant s'éleva juste à côté de Menarnar. Le jeune entendit un sifflement continu juste à côté de lui et se plaqua contre le sol par réflexe. A peine eut-il terminé son mouvement que le tranchant d'une immense hache fendit l'air là où se trouvait sa gorge un instant auparavant. Menarnar entendit la hache tinter contre une arme. Le jeune guerrier reconnut la voix d'Omatir. Il se releva et courut à son aide.

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J'Tenkda était restée à l'écart des combats jusque là. Que ces larbins d'assassins, et ces guerriers sans intelligence se jettent les uns sur les autres et s'entrétripent; cela ne laisserait qu'un plus grand terrain de jeu aux maîtres de l'art profane. Si elle avait accepté d'aider ce Warshan, ce n'était guère pour la récompense, qu'elle obtiendrait en même temps que sa tête, mais pour la joie d'obtenir la victoire sur la sorcière demi-elfe, celle dont on disait qu'elle avait vaincu les Trois.

Mais il était temps d'entrer en action. Shadòsz avait réussit son minable tour de passe-passe et s'occupait d'une gamine visiblement à peine moins médiocre que lui, cette brute épaisse de Hankar s'était comme prévu chargé du paladin, et enfin Klaus, dont l'intelligence était inversement proportionnelle à sa force -elle rit de sa duplicité, ses « compagnons étaient lamentablement manipulables-, se chargeait des barbares de l'autre camp.

J'Tenkda se téléporta juste à côté de la dénommée Nera, la saisit brusquement, et avant que la demi-elfe n'ait pu réagir, se téléporta de nouveau à l'écart des combats. Car elle n'aimait pas être dérangée lorsqu'elle tuait quelqu'un.

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La brume était totalement dissipée à présent, laissant Katenbau, Nek et Minnoca seuls.

« Où sont-ils passés ? demanda l'amazone.

Aucune réponse ne lui vint, car l'attention du barbare et druide étaient déjà retenues par deux silhouettes qui s'approchaient d'eux. Il y avait là un homme, habillé d'un vêtement gris terne très simple, de taille assez moyenne, le crâne rasé avec un motif tatoué sur son sommet, ainsi qu'une femme, entièrement vêtue d'une robe noire, qui ne laissait apparaître que son visage, pâle et plutôt maigre. Sans dire prononcer un seul mot, l'homme au crâne rasé se changea en loup-garou et bondit sur Nek qui fit de même. Katenbau réagit aussitôt et dégaina sa Lame des anciens. Il chargea la femme, qui invoqua plusieurs morts-vivants. Le barbare n'en fit qu'une bouchée et poursuivit sa course. Mais alors qu'il n'était plus qu'à quelques mètres de la nécromancienne, une prison d'os jaillit autour de lui. Avant qu'il n'aie eu le temps d'essayer de la détruire, des éclairs jaillirent des ossements et la frappèrent à la poitrine l'immobilisant. Un sourire malsain étira le visage de la femme, qui poursuivit son incantation. La douleur devenait de plus en plus insupportable et Katenbau perdit l'équilibre. Une flèche gelante de Minnoca atteignit alors la prison, rompant le sort. Le barbare se releva et asséna un magistral coup du haut vers le bas qui visait le ventre de la nécromancienne. A la surprise du barbare, celle-ci ne réagit pas. Puis elle retroussa la manche gauche de sa robe, révélant un macabre spectacle. Là où devait se trouver un bras, il y avait un greffon mort-vivant, un membre squelettique. La femme saisit de son bras-mort-vivant la Lame des anciens et la bloqua. Katenbau était ébahit. Le plus résistant des boucliers aurait volé en éclats! Il n'eut pas le temps de méditer davantage sur ce qui venait de se passer. Un violent uppercut vint la cueillir à la mâchoire, et avec une force surhumaine, le soulevant et le propulsant plusieurs mètres plus loin. Apparemment, la nécromancienne avait bien des ressources.

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La Mort Silencieuse s'était jusque là contentée d'observer. La magie de Shadòsz lui avait donné le temps de s'embusquer, sa discrétion naturelle avait fait le reste. De là, il avait vu l'illusionniste s'éloigna en combattant une jeune femme, puis Hankar et Klaus étaient arrivés et combattaient le paladin, le barbare et la gamin un peu plus loin. J'Tenkda avait enlevé sa sorcière pour s'en charger à l'écart comme prévu. Les trois cibles qui restaient étaient largement occupées à combattre le type au crâne rasé, qui prétendait n'avoir pas de nom, et Karede. La Mort Silencieuse se déplaça lentement dans les branchages, avec toute la discrétion que supposait son surnom, jusqu'à trouver un bon appui pour son assaut. Il devait faire mouche du premier coup. Pour cela il choisit l'amazone qui lui tournait le dos.

Il y était. Dans une détente incroyable, il bondit silencieusement dans le dos de l'amazone. Le temps parut se figer. Mais alors quelque chose d'imprévu se produisit. L'amazone se retourna dans sa direction, elle l'avait repéré!

Minnoca décocha une flèche glacée à l'intention de l'assassin qu'elle observait du coin de l'oeil depuis le début du combat.

La Mort Silencieuse se retourna dans son saut, esquivant le trait, et, en terminant sa rotation, dégaina lança un poignard en direction de la gorge de l'amazone avec une précision mortelle.

L'amazone attrapa le poignard juste avant que celui-ci n'arrive au niveau de son cou. La Mort Silencieuse réceptionna juste à côté d'elle. Il reprit ses appuis juste à temps pour esquiver de justesse son propre poignard que l'amazone avait récupéré, et d'un geste rapide, la balaya, et bondit de nouveau dans les arbres pour s'y fondre derechef. Il avait affaire à une cible expérimentée. Mais la Mort Silencieuse avait tout son temps.

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Menarnar finit par retrouver Omatir. Le barbare affrontait une autre homme, entièrement vêtu de peaux de bêtes. Menarnar était de taille assez moyenne, et pour lui, Omatir était un véritable colosse. Mais Omatir lui-même arrivait à peine au menton du titan qu'il affrontait. Si le jeune homme ne le voyait pas de ses yeux, il n'aurait jamais cru qu'un homme put être aussi grand.

Le géant maniait à une double hache à sa mesure, ou plutôt à sa démesure. Menarnar courut à l'aide d'Omatir.

« Ah ! s'esclaffa le géant. Une dent de plus à mon collier !

Il abattit sa hache de toutes ses forces sur Menarnar qui para le coup. Sa lame vibrant tant qu'il crut l'échapper. Omatir attaqua de nouveau, mais un simple geste de son adversaire le repoussa plusieurs mètres plus loin.

- Tout ça est bien trop facile pour Klaus ! beugla-t-il. J'aurais vos têtes ! »

Joignant le geste à la parole, il effectua un grand geste circulaire destiné à décapiter ses adversaires d'un coup. Omatir et Menarnar évitèrent le coup en se baissant. L'une des lames trancha net le tronc d'un orme, mais l'autre se coinça dans celui d'un vieux chêne centenaire. Menarnar voulut en profiter pour attaquer le dénommé Klaus, mais celui-ci le stoppa d'un violent coup de poing à la figure. Un moment, le jeune homme crut que son crâne avait explosé sous la violence de l'impact. Il s'effondra et vit le décor tourner autour de lui pour n'être plus qu'un tourbillon roux indistinct. Omatir s'empressa de s'interposer entre le jeune homme sonné et le géant. Il dévia une attaque d'une puissance formidable et la hache s'enfonça dans le sol, tranchant net toutes les feuilles mortes qui le recouvraient. Le frère cadet de Katenbau ne vit pas la seconde lame s'abattre sur lui. Celle-ci balaya sa garde et le frappa de plein fouet dans le torse. Fort heureusement, elle avait été déviée et l'attaque fut finalement portée par le plat de la hache et non le tranchant; cela suffit néanmoins à couper le souffle d'Omatir. Klaus ricana.
"Je n'ai pas envie de perdre mon temps en palabres, dit J'Tenkda. Prépare-toi à mourir dignement.

- Cela a le mérite d'être franc et précis. Et aurais-je l'honneur de savoir au nom de quoi je serai tuée ?ironisa Nera.

- Bien entendu, répondit J'Tenkda. Je n'ai battu jusque là que de médiocres mages, des chefs de clans sur le déclin ou de vieilles barbares plus érudites que puissantes. La tête d'une sorcière ayant vaincu les Trois sera un trophée de marque. Est-ce tout ?

- Ce sera tout. »

Nera invoqua toutes ses protections, et son adversaire fit de même. L'expérience des combats lui avait apprit qu'il valait mieux évaluer la puissance de son adversaire. Elle lança une demi-douzaine d'orbes de glace en direction de l'autre sorcière. Tous les projectiles, sans exception, furent absorbés par le bouclier de J'Tenkda. Cette dernière répondit par des boules de feu d'une taille spectaculaire, puis par une sorte d'orbe qui projeta des traits de feu, de glace, des éclairs et des sphères semblables à des esprits d'os dans toute les direction. Mais cela n'était qu'une diversion destinée à occuper son ennemie. J'Tenkda invoqua ensuite une barrière de verre autour de Nera. Profitant de la surprise de la demi-elfe, elle envoya un choc télékinétique en direction de la barrière de verre, qui se brisa. Les éclats filèrent à toute vitesse en direction de la veuve de Lëkor qui les arrêta un à un par la télékinésie à quelques centimètres de son visage, puis les renvoya en direction de J'Tenkda. Les éclats tranchants traversèrent la sorcière sans dommages, le sort ne pouvant blesser la sorcière qui en était à l'origine. Nera répliqua par des blizzards et des épieux de glaces, mais aucun projectile ne traversa les protections de son adversaire qui invoquait un nouveau sort.

L'incantation était affreusement complexe, mais le sort qui en résulterait pourrait faire gagner immédiatement le duel à J'Tenkda. Lorsqu'elle eut achevé l'évocation, la sorcière étendit les bras vers l'avant. Il y eut un énorme appel d'air, et une colonne de trois mètres de diamètre jaillit de ses paumes en direction de Nera.

La demi-elfe ne comprit d'abord pas. Le sort d'inferno était certes le plus impressionnant qu'elle aie jamais vu, mais elle ne comprit pas pourquoi son adversaire avait pris le risque d'incanter si longtemps pour un sort qui s'écraserait fatalement contre ses protections magiques. D'ailleurs, l'invocation d'un inferno n'était pas si longue que ça...

Elle comprit en voyant les reflets mauves sur les flammes.

J'Tenkda avait combiné un sort de brèche, qui détruisait toutes les protections magiques avec le sort d'inferno. Les protections de la demi-elfe seraient détruites au contact du nuage ardent, et elle n'aurait alors pas le temps de s'enfuir.

L'inferno atteignit sa cible avec une vitesse démoniaque. Nera disparut dans le grand brasier.

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Cinq adversaires, et aucun moyen de savoir lequel était le vrai. Metaxa allait avoir fort à faire. Sec cinq ennemis avaient chacun un carreau à leur arbalète et s'étaient répartis autour d'elle. Les cinq carreaux fusèrent en même temps, mais aucun d'eux n'atteignit sa cible. Metaxa les évita d'un saut acrobatique, s'accrocha à deux mains à une branche au dessus d'elle, effectua deux tours en prenant de la vitesse, puis laissa son élan la projeter sur un des tireurs. Ses genoux le plaquèrent au sol, et ses griffes transpercèrent sa gorge un instant plus tard. L'illusion s'évanouit. Les quatre autres arbalétiers s'étaient disposés autour d'elle.

Elle s'élança en direction de l'un d'eux. Deux carreaux fusèrent dans son dos, ne transperçant guère que l'air. La guerrière originaire de l'Arreat perçut un sifflement derrière elle. Elle se saisit au dernier moment du trait qui allait se planter dans son dos, se retourna pour viser, et le renvoya en direction du tireur. Se tournant de nouveau vers son adversaire, elle vit qu'il s'apprêtait à l'abattre à bout portant. Metaxa projeta instinctivement ses jambes vers l'avant, ce qui déséquilibra le tireur. Le coup partit vers le haut et le carreau alla se perdre dans les feuillages. Metaxa reprit presque instantanément ses appuis, et l'instant suivant, ses griffes étaient plantées dans la poitrine de l'illusion qui s'évanouit. Un rapide coup d'oeil lui indiqua que le carreau qu'elle avait renvoyé avait fait mouche. Il ne restait plus que deux tireurs.

L'un se saisit d'une sorte de poudre noire qui, lorsqu'il la lança sur le sol, produisit le même nuage noirâtre et opaque que celui qui avait aveuglé les héros lors de l'embuscade. Metaxa profita de cette diversion pour se réfugier dans les branchages. Le nuage se dissipa bientôt, révélant une clairière vide. En cherchant bien, elle finit par repérer Shadòsz, un peu à l'écart. Metaxa sourit. C'était tellement grossier.

Shadòsz retint un rictus de satisfaction lorsque son ennemie plongea en direction de l'illusion qu'il avait créé.

Au cours de sa chute, en direction de ce qu'elle savait être une illusion, Metaxa se retourna subrepticement pour estimer la position du véritable Shadòsz. Puis elle lança un manteau des ombres juste avant de réceptionner.

Shadòsz écumait de rage. Cette chienne avait deviné son plan! Il la chercha des yeux, mais c'était peine perdue. Un sifflement dans son dos le fit se retourner. Et il vit le shuriken, tout près de son visage, trop près. Et puis ce fut le noir.

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Narkell émergea du couvert des arbres. Il se trouvait aux abords d'un canyon de quelques mètres de profondeur, au fond duquel un torrent s'écoulait avec force remous. L'autre druide le rejoignit, lui aussi transformé en loup-garou. Narkell plongea directement sur son ennemi, estimant qu'il valait mieux mettre un terme au combat le plus rapidement possible.

Warshan lui avait certifié que les mercenaires qu'il avait engagé étaient suffisamment compétents pour venir à bout des sept étrangers, mais Narkell n'en était pas persuadé. Sinon, pourquoi Warshan aurait-il envoyé avec eux son lieutenant à une heure aussi critique? Dans tous les cas, Narkell allait accomplir sa mission, c'est-à-dire s'occuper des gêneurs, puis s'arranger pour que les mercenaires remportent le combat en subissant le plus de pertes possible, après quoi il se débarrasserait d'eux. Il ne serait guère difficile de monter la Mort Silencieuse contre Shadòsz, ni de manipuler cette brute irréfléchie de Klaus et son acolyte, le paladin noir. La sorcière au nom imprononçable était bien plus intelligente, mais si bouffie d'orgueil qu'elle serait à peine moins manipulable. Après avoir lancé l'étincelle qui embraserait le foyer, Narkell n'aurait plus qu'à se débarrasser des survivants, et rentrer victorieux à Xanidrya.

Et il ne s'arrêterait pas là; Warshan s'était associé à ce Moloch en espérant devenir le maître de Sanctuary, ou au moins de Scosglen, en récompense, après la victoire du démon. Narkell n'était pas aussi aveugle. Lorsque ce Moloch aurait le pouvoir, la première de ses actions serait de se débarrasser de Warshan, pour l'exemple. Il confierait les rennes à un homme de l'ombre, et cet homme serait Narkell. Mais avant tout, il convenait de se débarrasser du druide qui lui faisait face.

Et ce n'était pas chose aisée. L'autre était aussi puissant et rapide que lui. Le combat tournait régulièrement à de furieux corps à corps au cours desquels n'importe quel coup pouvait devenir mortel. L'un de ces corps à corps les amena juste au bord du petit précipice. Narkell feignit d'attaquer son adversaire à la gorge et lança son autre patte en direction du torse de son adversaire.

Fiacla-Géar esquiva d'une feinte de corps et déséquilibra le druide renégat d'une charge de l'épaule.

Narkell perdit l'équilibre et commença à se voûter vers l'arrière. Ses bras brassèrent désespérément l'air, ouvrant sa garde. Il avait presque rétabli son équilibre lorsque les griffes de Fiacla-Géar transpercèrent son thorax et perforèrent les deux ventricules de son coeur simultanément. Ses plans s'effondrèrent en même temps que son corps sans vie.

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Menarnar encaissa le choc comme il put. Son épée vibra entre ses mains avec tant de force qu'il manqua de l'échapper. Klaus enchaîna sur un autre coup tout aussi brutal, éclatant de rire à chaque fois que l'épée de l'adolescent émettait un tintement aigu, comme si elle allait se briser. Menarnar se retrouva acculé contre un tronc. Un revers de hache balaya sa garde, un autre le désarma. Klaus lui envoya un coup de poing au ventre qui le plia en deux, puis le saisit à gorge et le souleva en raffermissant sa prise.

Une douleur dans le dos força la montagne de muscles à relâcher son adversaire, qui n'était guère plus pour lui qu'un jouet, et à se retourner péniblement en direction d'Omatir qui avait maintenant reprit ses esprits. Klaus partit alors dans une série d'attaques interminable, dont la vitesse et la brutalité toujours croissantes mirent bientôt le frère cadet de Katenbau en fâcheuse posture. Le barbare mercenaire tenta finalement d'assommer Omatir à l'aide du manche de sa double hache. Ce dernier parvint à bloquer l'arme et à l'immobiliser assez longtemps pour que Menarnar, qui les avait rejoint , aie le temps d'abattre sa lame de toutes ses forces sur le manche en bois de la double hache, qui céda.

Grognant, Klaus abandonna la plus petite partie de son arme désormais brisée en deux, et se saisit de l'autre comme d'une hache à deux mains.

« C'est bon, dit Omatir, je peux m'en occuper seul maintenant!

- En es-tu sûr ? demanda Menarnar.

- Vas-y, grogna le frère cadet de Katenbau. Les autres ont plus besoin de toi que moi. »

Le jeune homme hésita quelques instants, puis obéit à Omatir.



Fiacla-Géar reprit sa forme humaine. Le druide renégat était mort. Il n'avait pas de temps à perdre, les autres ne s'en étaient peut-être pas aussi bien tirés que lui. De forts éclairs de lumière, assez loin en aval du torrent à côté duquel il se tenait attirèrent son attention.

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Les flammes se dissipèrent peu à peu, la sorcière avait disparu. J'Tenkda eut un sourire victorieux, qui se changea en grimace de fureur lorsqu'elle découvrit qu'il n'y avait pas de cendres. D'un manière ou d'une autre, sa proie avait réussi à se téléporter. Mais elle n'avait pas eu le temps de se soucier de sa discrétion, et les effluves de mana permirent à J'Tenkda de retrouver sa trace sans difficulté.

Nera s'en était tirée de justesse. Elle avait tout juste eu le temps d'invoquer un bouclier d'énergie avant que le nuage ardent ne l'atteigne. Alors que ses réserves de mana partaient en fumée à une vitesse ahurissante, elle avait en catastrophe un sort de téléportation au hasard. Mais son adversaire n'allait pas tarder à la retrouver. Elle jeta un coup d'oeil aux alentours pour voir où elle se trouvait. La végétation était beaucoup moins dense autour d'elle, et pour cause: elle se trouvait sur un promontoire rocheux surplombant d'une petite dizaine de mètres un gouffre au fond duquel mugissait un torrent furieux. Une silhouette féminine apparut subitement près d'elle.

« Alors, fuirais-tu déjà le combat ? lança J'Tenkda. Il ne fait pourtant que commencer.

Nera avait épuisé la quasi-totalité de son énergie magique, mais il n'était guère sage de le montrer.

- Pas du tout, répondit-elle. Ce combat ne va pas durer. Finissons-en.

- Tu as peut-être raison, ironisa J'Tenkda. Ce devrait finalement être assez rapide. »

Ce faisant, elle prononça une incantation courte et sèche. La poussière et le sable arrachés à la pierre par l'action du vent s'élevèrent en un tourbillon ocre et opaque, et s'assemblèrent en trois formes humanoïdes qui avancèrent en direction de Nera. La demi-elfe trouva la force de lancer un orbe de glace dans leur direction. Les golems de sable encaissèrent le choc de plein fouet mais ne parurent pas en souffrir.

Nera eut alors une idée. Elle fit s'abattre un déluge de traits de glace sur les golem, les ralentissant suffisamment pour qu'elle puisse mener à bien son plan. Elle allait réaliser un transfert d'énergie qui, s'il avait lieu correctement, lui permettrait de récupérer le mana ayant servi à créer les golems tout en les détruisant. Le risque était considérable, car le transfert pouvait aussi s'effectuer dans l'autre sens, et mieux valait ne pas en imaginer le résultat.

En voyant son ennemie fermer les yeux, J'Tenkda comprit qu'elle s'était résignée, privée d'énergie magique. Les golems avançaient lentement mais inexorablement. Celui qui était le plus proche de la demi-elfe leva son bras, prêt à l'abattre sur la nuque de Nera. Mais à l'instant précédent le contact, le poing de glaise disparut. Les trois golems s'effondrèrent, et il n'en resta plus que trois tas de sable. Nera rouvrit les yeux et sourit d'un air railleur.

C'en était trop pour J'Tenkda. Elle allait maintenant passer aux choses sérieuses. Tenant à garder le contrôle du duel, elle se lança immédiatement dans une incantation d'une puissance terrible.

Lorsqu'elle vit des formes sombres s'accumuler tout autour de son ennemie, Nera comprit qu'elle allait utiliser la magie noire. Seuls les êtres les plus maléfiques osaient utiliser cette puissance obscure dont l'usage par les clans de sorciers était proscrit depuis la déchéance d'Horazon. La magie noire était très puissante, mais également facile à retourner contre le lanceur de sorts qui l'avait employée. Nera avait à présent largement assez d'énergie pour lancer un bouclier de réflexion, et elle ne s'en priva pas.

J'Tenkda acheva de lancer son sort. Celui-ci lui permettrait d'absorber irrémédiablement tout le mana de son ennemie, après quoi elle déchaînerait son pouvoir décuplé sur une cible démunie. L'éclair rouge partit de ses mains et fonça droit sur Nera. Il fut alors réfléchit par une barrière invisible, et avant que J'Tenkda n'aie eu le temps de réagir, il la frappa en plein ventre. Ses réserves de mana disparurent quasi-instantanément.

Gorgée de puissance, Nera décida de mettre fin au duel. Elle détruisit par télékinésie toutes les potions de la ceinture de J'Tenkda. Puis elle se concentra, et envoya un choc télékinétique qui frappa son adversaire de plein fouet et la fit chuter du promontoire.

J'Tenkda eut l'impression d'avaler des litres d'eau avant de refaire surface. Elle y parvint finalement, et tenta de nager vers une rive, mais le courant était bien trop fort. Il la projeta comme un fétu de paille sur un rocher. Avec un craquement sinistre, plusieurs de ses côtes cédèrent, la faisant hurler de douleur. Ainsi donc, la bâtarde demi-elfe l'avait battue. Mais elle ne s'en tirerait pas ainsi.Elle cracha le sang qui avait envahi sa bouche, et rassemblant le peu d'énergie qu'elle avait récupéré, elle envoya une puissant onde de choc en direction du promontoire sur lequel se tenait Nera. Un épais tronc d'arbre, charrié par le courant, vint heurter J'Tenkda avec une force effroyable, broyant sa colonne vertébrale. Elle mourut sans savoir si elle serait vengée.

Nera n'eut pas le temps de réagir. Le promontoire s'effondra sous elle, la précipitant dans le torrent. C'était si stupide! Comment avait-elle pu se relâcher ainsi après sa victoire? Toujours était-il que l'eau écumante se rapprochait toujours plus vite, et qu'il était trop tard pour se téléporter. Une ombre épaisse la surplomba, et elle fut retenue par la taille.

Fiacla-Géar rattrapa Nera de justesse dans ses serres; il preprit de l'altitude, et se posa un peu plus loin avant de reprendre sa forme humaine.

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Milobrec haleta. Une fois de plus, les blessures de son adversaire se refermaient. L'issue de ce combat ne pourrait pas lui être favorable, et aussi bien Milobrec que Hankar le savaient. C'est alors qu'un troisième protagoniste vint gâcher la limpidité de la situation.

« Je vais prendre ta place, cria Menarnar. Va aider les autres!

- Bien volontiers, grommela le paladin. Sois prudent.

- Ne t'inquiète pas, assura l'adolescent.

Il dégaina son épée.

- Alors ce sera toi en premier, finalement, dit Hankar. Ainsi soit-il. Vois cette lame, jeune homme, ricana-t-il en agitant son épée devant Menarnar. Elle s'appelle Sorrow, car elle a été forgée pour infliger une mort la plus douloureuse possible. Mais ne sois pas inquiet. Tu n'es qu'un gamin, alors je ferais vite.

- Epargne-moi ton discours, répondit Menarnar, et viens te battre! »

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Karede repoussa une enième fois le barbare, qui alla s'écraser derechef contre un tronc d'arbre. C'était presque insuffisamment divertissant de facilité. Le barbare n'avait aucun espoir, elle n'avait qu'à décider de mettre un terme à ses jours et le combat serait terminé.

Mais peut-être ses alliés ne s'en tiraient-ils pas aussi bien. Non pas que Karede se souciât de leur sort, seul le pouvoir qu'elle acquérrai la motivait. Avec ces nouvelles victimes, elle pourrait enfin disposer d'assez de puissance pour achever sa transformation en liche. Mais l'échec des autres risquerait de compromettre la réussite finale du plan. En tout cas, elle décida d'achever Katenbau, par précaution. D'un seul saut acrobatique qui fit tournoyer les pans de sa robe, elle franchit la dizaine de mètres qui la séparait du barbare. Ce dernier para la première attaque et riposta, mais Karede parvint à détourner la Lame des Anciens, et asséna un puissant coup de son bras mort-vivant dans le ventre de Katenbau.

Le barbare s'effondra sous la douleur insupportable. Il avait l'impression de mourir à petit feu, d'être extrait de son propre corps. Une expression sadique apparut sur le visage jusque là froid et détaché de Karede. Jouer était divertissant, mettre à mort était jouissif.

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Fou de rage, Klaus abattit la moitié de sa double hache désormais brisée avec une force inouïe sur Omatir. Celui-ci dévia le coup avec difficulté, mais n'eut pas le temps de contre-attaquer que déjà la montagne de muscles repassait à l'assaut avec encore plus de force et de vélocité. Il enchaîna ainsi plusieurs coups d'une violence incroyable, fendant l'air du tranchant de sa hache, et faisaient reculer Omatir jusqu'à ce que ce dernier trébuche et tombe sur une large pierre plate, légèrement surélevée, qui devait être un lieu de culte druidique de moindre importance, qui ne devait guère être à l'usage que des voyageurs. Le frère cadet de Katenbau roula sur son côté pour éviter le coup de hache suivant. Sous la violence de l'impact, la pierre se crevassa et de nombreux éclats écorchèrent Omatir. Il réussit tout de même à se relever, et d'un puissant coup de pied, à repousser quelque peu Klaus. Le colosse nordique n'en repassa pas moins à l'attaque, mais cette fois-ci, Omatir parvint aisément à dévier le coup, et la hache vint se planter dans le roc. Profitant d'une situation favorable, le frère cadet de Katenbau envoya un coup surpuissant dans le torse de son ennemi, qui était à peine protégé par quelques peaux d'animaux. Il y eut un craquement, et Klaus hurla, mais plus de fureur que de douleur.

Omatir était tout simplement époustouflé par le fait que l'on puisse survivre à un coup pareil. Cet instant de déconcentration lui valut de recevoir un crochet du gauche qui le plaqua au sol. Sa tête donna contre la pierre, mais malgré l'étourdissement, il parvint à éviter le coup de hache suivant.

Si Klaus tentait de le dissimuler, il était tout de même évident que ses côtes cassées le faisaient souffrir. Son attaque fut trop lente, et son ennemi se saisit de sa hache et le fit culbuter par dessus la pierre plate. Il esquiva un coup de maul qui manqua de lui broyer la mâchoire et se redressa.

Alors, Omatir sauta par dessus son adversaire, et pendant son saut, asséna un puissant coup sur le crâne de Klaus, et réceptionna dans son dos. Il y eut un tintement grave.

Avec un grognement agacé, Klaus retira son casque bosselé par l'impact, qui était désormais inutile. Le haut de son crâne arborait une large blessure d'où le sang coulait abondamment pour dégouliner le long de son visage. Il saisit sa hache à deux mains et se prépara à charger. Le sang qui avait coulé sur l'intégralité de sa face, ajouté à son regard dément, lui donnaient plus l'air d'un démon que d'un humain. Avec un cri animal, il fonça droit sur Omatir, enchaînant des coups d'une brutalité inconcevable avec une vivacité hors du commun. Alors qu'il avait presque acculé le frère cadet de Katenbau contre un arbre, il perdit l'équilibre, et emporté par son élan, alla percuter le tronc, et ne bougea plus. Omatir vit alors que le colosse s'était empalé sur une branche basse. Il se détourna.

Il avait presque quitté la clairière lorsqu'un bruit se fit entendre derrière lui. Horrifié, il se retourna. Klaus s'extrayait de la branche sur laquelle il était empalé. La montagne de muscles récupéra sa hache et se retourna vers Omatir. Son torse n'était plus que lambeaux de chairs en bataille, d'où le sang jaillissait à gros bouillons, et pourtant il vivait encore. C'était impossible. Le hurlement de haine terrifiant qui se fit entendre confirma le témoignage des yeux d'Omatir, qui croyait halluciner.

Mais les gestes de Klaus étaient saccadés. Il agonisait. Omatir parait ses attaques sans difficulté. Le frère cadet de Katenbau brisa la garde du colosse d'un revers de maul, et, voyant la gorge non protégée, envoya là un coup surpuissant. La carotide fut pulvérisée par l'impact, et la pomme d'Adam vint transpercer la trachée. Le mercenaire barbare s'effondra, cette fois-ci définitivement.

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La Mort Silencieuse était en train de guetter l'amazone lorsqu'une autre femme, au corps plus mince et plus pâle, et aux cheveux noirs corbeau coupés assez court la rejoignit. Les deux femmes échangèrent quelques mots, et l'amazone partit en décochant un trait intelligent vers la Mort Silencieuse.

L'assassin évita la flèche sans difficulté mais, voyant que celle-ci revenait dans sa direction, la saisit au vol et la planta dans une branche. Lorsqu'il reporta son attention sur sa nouvelle adversaire, celle-ci avait déjà disparu. « Rapide...pensa-t-il, mais pas encore assez.» Son ouïe avait perçu un très léger frottement au dessus de lui.

Il avait à peine quitté la branche sur laquelle il se trouvait qu'un shuriken s'y enfonça profondément. Une mortelle partie de chasse commença dans les branchages ombragés du vieux chêne. Le poignard que la Mort Silencieuse avait lancé au jugé sur son adversaire retomba, paré, et alla se perdre dans les feuilles mortes au dessous de lui.

Metaxa estima la position de son adversaire et fut sur lui en un instant. Mais là où devait se trouver la gorge démunie de ce dernier, il n'y avait plus que du vent. Metaxa para un poignard qui filait vers son dos, plus par chance que par réflexe. La Mort Silencieuse s'était de nouveau évaporé.

L'assassin se trouvait de nouveau dans le rôle du prédateur, celui qu'il affectionnait le plus. Délibérément, il effectua un mouvement brusque qui fit se retourner Metaxa, et s'éclipsa un instant plus tard, un shuriken tranchant l'air derrière lui. Puis ce fut un bruit quasi imperceptible mais pourtant intentionnel qui obtint le même résultat. Peu à peu, la proie perdrait conscience de la position de son prédateur. Finalement, la Mort Silencieuse se laissa choir comme un rapace en piqué et, dans sa chute trancha la base de la branche sur laquelle se tenait Metaxa, puis se rétablit grâce à une aspérité du tronc. Il bénéficiait maintenant de quelques secondes avant que sa proie ne reprenne ses appuis. Il se rua sur elle.

Metaxa n'eut pas le temps de reprendre des appuis tables que déjà, son ennemi était sur elle. Elle sortit alors de ses poches un peu de la poudre de Shadòsz, qu'elle avait récupéré.

La Mort Silencieuse fut abasourdi de se retrouver dans un nuage de fumée si épaisse que même son acuité exceptionnelle ne pouvait percer. Un violent coup de pied lui fit perdre l'équilibre et il s'écrasa contre le sol.

Metaxa atterrit juste à côté de son adversaire. Il n'était pas, contrairement à Shadòsz, vêtu d'un ample manteau noir qui semblait fait d'ombre-même, mais d'un vêtement bien plus moulant, et dont la couleur semblait changer en permanence pour mieux se fondre dans le décor. Metaxa se saisit de ses griffes, et la Mort Silencieuse de deux rapières.

La partie de chasse céda place à un duel où chacune des deux parties rivalisait d'agilité avec l'autre. Metaxa dévia l'ensemble de l'enchaînement de son adversaire, puis bloqua sa double attaque finale, et riposta d'un coup de tête qui fit chanceler son adversaire. Un coup de pied au plexus le plia en deux, et deux estocs dans la poitrine finirent le travail. La Mort Silencieuse n'avait pas davantage résisté que son rival Shadòsz à Metaxa.

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Milobrec déboucha dans la clairière. Karede se désintéressa de Katenbau et se retourna juste à temps pour bloquer le coup du paladin de sa main morte-vivante. Ce dernier fut si surpris qu'il ne réagit pas lorsqu'un violent coup de poing le cueillit à la mâchoire pour le soulever. Il s'écrasa quelques mètres plus loin, à côté de Katenbau que Karede saisit de nouveau, cette fois-ci à la gorge.

« Lâche-le ! cria une voix féminine.

La nécromancienne laissa le barbare s'effondrer au sol.

- Et maintenant, approche, cria Minnoca. »

D'un bond, Karede fut sur elle. L'amazone décocha une flèche à son intention, mais elle la saisit au vol et la brisa entre les phalanges nues de toute chair de ses doigts. L'amazone comprit qu'elle ne se tirerait sans doute pas vivante du combat, car le bras mort-vivant de son ennemie la rendait invulnérable.

Milobrec, qui avait depuis retrouvé ses esprits, avait fait le même constat. La conclusion qu'il en tira fut moins pessimiste.

Karede allait porter le coup de grâce à son adversaire lorsqu'un projectile la frappa dans le dos. Elle sentit des flammes l'envelopper, qui ne lui causaient aucun mal, jusqu'à ce qu'elles atteignent son bras mort-vivant.

Elle eut l'impression que son âme était une créature myope et nocturne, que l'on exposait brutalement à la lumière crue du jour. Jamais elle n'avait connu une telle souffrance, même lorsque le rituel visant à faire d'elle une liche avait été interrompu par quelques viz-jaq t'aar, qu'elle avait par la suite massacré. Elle se retourna, hurlant de rage et de douleur, vers le paladin. Un autre poing du paradis la faucha, accélérant sa combustion. Son bras acheva de se carboniser, et avec ses cendres disparut l'invincibilité de Karede. Elle tomba à genoux, folle de douleur, tandis que le feu sacré dévorait le reste de son corps. Un lambeau de son visage autrefois fin et gracieux se détacha pour aller terminer sa combustion parmi les feuilles mortes. La peau de son front se liquéfia comme la cire d'une bougie, et coula sur ses orbites, l'aveuglant, avant que ses yeux ne prennent feu à leur tour. Karede n'était guère plus qu'un amas agonisant de chairs affreusement carbonisées lorsque Minnoca se résolut à l'achever d'une flèche en plein front. Les flammes bleutées continuèrent à envelopper le cadavre jusqu'à ce que même les ossements soient réduits en poussière.

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Hankar avait d'abord eu du mal à s'adapter à son nouvel adversaire. Le paladin était très défensif, et n'attaquait guère que lorsque la situation lui était favorable. L'adolescent qui l'avait remplacé semblait être un simple épéiste, il pourrait donc blesser Hankar. Le dénommé Menarnar avait en plus un style de combat radicalement différent. Il semblait n'avoir appris que très sommairement à se battre, et se ruait inconsidérément à l'attaque avec une force et une vivacité extraordinaires qu'il semblait puiser non pas dans sa force physique, mais dans une colère ineffable qui brûlait en lui et le guidait. Hankar songeait qu'il aurait pu faire un très dangereux paladin noir, mais pour l'instant, il devait se contenter de le combattre.

Et ce n'était pas chose facile. Menarnar enchaînait depuis plusieurs minutes des attaques dont la puissance n'était égalée que par la sauvagerie avec laquelle il les assénait. Hankar bloquait difficilement les assauts et ne pouvait placer de contre-attaque. Il espérait profiter de la fatigue du jeune homme, qui ne semblait jamais devoir arriver. Il allait donc être nécessaire de prendre les choses en main.

Alors que Menarnar terminait un de ses enchaînements, Hankar dévia le dernier coup, et profita de la surprise du jeune homme pour lui envoyer un violent coup de pied dans le bas-ventre. Menarnar s'effondra.

«ça n'est pas...loyal...haleta-t-il.

- Ca fait partie du jeu, répondit simplement l'autre. La guerre n'est pas noble. Et maintenant, je vais te...

- Tu ne vas rien faire du tout ! dit une voix derrière lui.

C'était celle de Katenbau. Il déboucha d'entre les arbres, soutenu par Milobrec, et suivi de Minnoca et Metaxa. Menarnar se releva. Nek et Nera apparurent à l'autre bout de la clairière, et enfin Omatir vint compléter le cercle des aventuriers autour de Hankar et de son adversaire.

- Je vois que le plan a capoté, fit Hankar. Et qu'allez-vous faire? Me tuer?

Minnoca encocha une flèche.

- Je ne suis pas contre, dit-elle.

- Non, l'interrompit Katenbau. Qui t'envoie?demanda-t-il au paladin noir.

- Tu ne le sauras pas.

- Il y avait un druide renégat avec eux, dit Fiacla-Géar. Ce doivent être eux qui les ont envoyé.

Katenbau chercha Menarnar du regard.

- Si tu veux faire tes preuves, Menarnar...

- D'accord, comprit Hankar. Alors, gamin, la situation est simple : tu dois me tuer pour entrer dans leur clan.

- Je suis prêt, murmura Menarnar.

Mais sa voix tremblait, et le paladin noir s'en aperçut.

- Comment ? Se pourrait-il que tu n'aies jamais tué un homme, jeune Menarnar ? Voilà qui est très intéressant, assurément. Nous verrons si tu en es capable... ou non.

- Es-tu sûr que c'est une bonne idée, murmura Milobrec.

- Je sais ce que je fais. Menarnar vaincra. »

Le duel avait déjà commencé. Conscient de l'ascendant psychologique qu'il venait de prendre, Hankar chargea. Sorrow tinta contre l'épée du jeune homme, et le paladin noir brisa la garde de son adversaire; il enchaîna sur un coup de taille qui trancha quelques mailles de l'armure de Menarnar. L'adolescent dévia un puissant estoc, et se rétablit la seconde suivante pour bloquer un nouveau coup de taille. Epée contre épée, les deux guerriers forcèrent, et finalement ce fut Menarnar qui repoussa son adversaire. Il brisa sa garde d'un coup formidable et enchaîna avec une vivacité extraordinaire sur un estoc qui manqua de peu l'abdomen du paladin noir, et se retrouva pris au corps à corps. Il se baissa afin d'éviter un coup circulaire. La lame fendit l'air, passant peu au dessus de son crâne.

Là, Menarnar balaya son adversaire au niveau des tibias et releva son épée pour parer un coup venant du haut. Hankar tomba à genoux. De la main gauche, il rétablit son équilibre, mais trop lentement. Il hurla de douleur lorsque Menarnar lui tranchant le membre droit au niveau de l'avant-bras.

Le jeune homme récupéra Sorrow de sa main gauche et plaça les deux épées sous la gorge du paladin noir. Il sembla hésiter. Hankar avait raison. Tuer un homme était infiniment plus difficile qu'abattre cent démons. Les deux lames s'éloignèrent un peu de la gorge du paladin noir.

Katenbau se trouvait alors juste en face du jeune homme. Ce dernier semblait en proie à un terrible dilemme.

« Tu dois te poser la question, gamin, dit Hankar. Que vas-tu faire, et dans quel clan cela va-t-il te faire entrer. Qui seras-tu ensuite ? Fais ce que tu veux. »

Qui serait-il ? Menarnar ne chercha pas longtemps. Un meurtrier. Un assassin. Il ne vaudrait pas mieux qu'Azmodan. Mais qui était-il, déjà ? Pourrait-il jamais être autre chose qu'un meurtrier ? Car c'était là son destin. Etait-ce là ce qu'il voulait ?

« fais ce que tu veux ». Les mots résonnèrent inlassablement dans l'esprit de Menarnar. Que voulait-il, précisément ? Avait-il encore une volonté ? Les question disparurent. Quelqu'un d'autre prit sa place.

Katenbau crut d'abord avoir mal vu. Le visage de Menarnar était soudain devenu froid et impassible, et surtout vieux. Vieux et patient, mais déterminé. Le temps de se rendre compte de ce qu'il venait de voir, la tête de Hankar était tombée avec un son mat, et le visage de l'adolescent était redevenu aussi ordinaire que possible après avoir commis son premier meurtre.

Rien ne s'était passé comme Katenbau l'avait prévu. Ils avaient vaincu, mais étaient tous affaiblis. Et pour Menarnar, la victoire avait le goût d'une défaite, une défaite de plus dans sa bataille contre le destin qu'on lui avait imposé. Ils rentrèrent à Ollfast.
« Faites passer le message, dit Zanya. Nous agirons dans trois jours. Ceux qui veulent nous rejoindre n'ont que ce délai-là, et pas un jour de plus.

-Très bien, dit Eunon.

Les responsables des trois autres clans sortirent, précédés par le vieil homme. Zanya et Vonan s'attardèrent dans la salle.

-Je vois que le rôle de chef te va à merveille, dit ce dernier. Plus sérieusement, ajouta-t-il, je crois que tu as pris la bonne décision.

-Il s'agit de frapper avant les renégats. Je sais qu'il est difficile, dit le jeune homme, d'attaquer la capitale de notre peuple, mais nous ne pouvons pas permettre aux renégats de nous assaillir à nouveau, ou même simplement de renforcer leur position.

-Je suis d'ac...

Vonan fut interrompu par une sphère lumineuse qui apparut à son côté. La sphère grandit jusqu'à prendre la forme d'un archange.

-Bonjour à vous, amis humains, dit la voix de Lëkor. Je sais qu'un dénommé Katenbau et ses compagnons se trouvent là. Il me faut leur parler de toute urgence.

-Je suis désolé, s'apprêta à dire Zanya, mais ils sont...

-Ils reviennent ! le coupa Vonan.

-Veuillez les convoquer, s'il vous plaît. Cette affaire vous concerne également. »


Quelques minutes plus tard, Lëkor, Vonan, Zanya et les huit héros se trouvaient réunis chez la guérisseuse Janna, qui écouta également attentivement le discours de l'archange.

« Mes recherches sur la raison de la présence à Scosglen du démon primaire qu'est Moloch ont abouti à une découverte des plus inquiétantes. Moloch cherche, avec le concours d'Azmodan et Bélial ainsi que celui des druides renégats, à briser les portes du Tartare. Cet endroit terrible est un monde dérivant à l'écart de Sanctuary, dans lequel se trouve enfermé Scatar, le père de tous les démons. Il a emprisonné là par le Très Saint, il y a des centaines de millénaires de cela. Le rituel visant à faire apparaître le Tartare au coeur de Sanctuary nécessite la présence de nombreux mages, mais surtout de trois démons surpuissants. Azmodan et Bélial ne sont que des démons secondaires, et Scatar ne sera donc pas aussi puissant que s'il avait été invoqué par les Trois, mais son pouvoir dépassera tout de même l'entendement. Il n'y a pas de comparaison possible avec ce que vous avez pu connaître jusque là, dit-il aux héros. Même le pouvoir des Trois réunis n'arrive pas à la cheville de celui de Scatar, même légèrement affaibli.

Si le plan de Moloch réussit, l'être le plus puissant de la création voudra déchaîner sa vengeance sur le monde. Tout serait perdu. Au moment où je vous parle, les druides renégats renforcent leur position au coeur-même de Xanidrya, et ils commenceront sans doute bientôt le rituel. Il va sans dire qu'ils ne doivent à aucun prix le mener à bien.

J'ai entendu dire que vous rassembliez des troupes pour attaquer Xanidrya, dit Lëkor à Zanya. C'est une excellente décision, quoique un peu tardive, mais je me dois de saluer votre courage. Les renégats seront vite avertis et sont assez nombreux pour soutenir un siège.

La bataille que vous vous préparez à mener est d'une importance capitale, au moins autant que l'ont été celles d'Harrogath, où encore qu'a pu l'être la traque des Trois par les horadrims. Votre armée sera la seule chance de Sanctuary d'échapper au pire. La victoire est impérative. Je le répète, vous allez être le seul espoir de salut de ce monde, et peut-être même de toute la création. Vous devez à tout prix reprendre Xanidrya et mettre fin aux agissements des forces obscures qui y sont à l'oeuvre. Je n'ai plus grand chose à ajouter. Mes liens avec ce monde ne peuvent pas durer longtemps, depuis la destruction de la Pierre-Monde. Je vais devoir me retirer. Mais avant, je dois donner cela à Katenbau.

Il tendit une pierre luisant d'un léger éclat vert au barbare.

-C'est une ?

-Pierre d'âme, effectivement, termina Lëkor. Ton rôle va être semblable à celui des horadrims. Une fois Moloch vaincu, tu emprisonneras son âme dans cette pierre. Je la récupérerai pour la mettre en sécurité. Je vais devoir m'en aller, à présent. Bonne chance à toi, Katenbau. Bonne chance à vous tous, dit-il aux autres. Sanctuary aura besoin toute votre bravoure, mais j'ai foi en vous. Bonne chance. »

Puis il disparut.

-J'ai l'impression que tout cela ne va pas nous ôter un poids, dit Vonan. Mais cela ne fait que renforcer la nécessité de cette bataille.

-Absolument, dit Katenbau. De combien d'hommes pensez-vous disposer d'ici trois jours ?

-Nous avons pour l'instant presque sept cent combattants, mais nous espérons doubler ce nombre d'ici là. Et d'autres nous rejoindrons en chemin. Il est tout à fait raisonnable d'espérer que nous soyons dix-huit centaines à nous présenter devant la porte de Xanidrya, pour la bataille finale. Scosglen a été ravagée par les raids des créatures de ce Moloch, des wargs, et des créatures anciennes qu'il a fait revenir à la vie. Il n'y a guère de survivants ailleurs qu'à Ollfast, à présent, sauf peut-être à l'est de Xanidrya, mais nous ne pouvons nous permettre d'aller là-bas.

-Je ne pensai pas que le peuple des druides disparaîtrait ainsi. Cette bataille peut-être la dernière que livreront les druides. Nous devions protéger Sanctuary du Uileloscadh Mòr, et voilà que nous mourrons peut-être avant qu'il ait lieu.

-Les renégats paieront, dit Fiacla-Géar. L'enjeu de cette bataille est considérable, mais tout n'est pas perdu.

-Nek a raison, dit Katenbau, vous ne devez pas désespérer. Vous ne serez guère plus de mille six cents hommes, mais les renégats ne sont peut-être pas plus nombreux que vous. Nous allons utiliser ces trois jours pour nous remettre de nos combats, et nous vous aiderons pendant la bataille. Si nous avons réussi à Harrogath, je ne vois comment nous pourrions échouer à Xanidrya.

-Cette fois, nous devrons prendre de force une cité, et non la défendre, tempéra Milobrec. Ce sont deux choses bien différentes. Avez-vous des armes de siège ?

-Des habitants d'un village du nord de la forêt sont arrivés hier avec des balistes.

-Dans ce cas, je ne vois pas ce qui pourrait faire obstacle à notre victoire, dit Katenbau.

-Le temps, fit Vonan, le temps. Il joue contre nous. Bon, dit-il, je crois qu'il est inutile de prolonger cette conversation. Nous partirons dans trois jours pour Xanidrya. Tenez-vous prêt.

Lui et Zanya se retirèrent. Les héros restèrent un moment en compagnie de Katenbau, qui devait rester chez la guérisseuse à cause des blessures qu'il avait reçu en affrontant Karede, puis se retirèrent, à l'exception de Fiacla-Géar. Le barbare attendit que Janna aille s'occuper d'autres malades, pour reprendre la conversation avec le druide.

-Ils sont bien graves, murmura le barbare. J'ai l'impression que quelle que soit l'issue de la bataille, ils se sentiront perdants.

-Il est difficile pour eux, et je dois bien l'avouer, pour moi aussi, de se résoudre à attaquer Xanidrya. Même s'il est probable que tout y ait été profané, elle reste notre capitale, et l'un des lieux les plus sacrés de tout Scosglen.

-Je comprends... il m'a aussi été difficile de voir Harrogath à genoux, il y a plusieurs années.

Katenbau hésita beaucoup avant d'ajouter.

-Dis-moi, Fiacla-Géar... tu as donc connu mon aïeul, Bul-Kathos ?

Le druide sourit en entendant cette question.

-Je m'attendais bien à ce que tu me parles de Bul-Kathos. Effectivement, je l'ai connu. Et très bien. En fait, Bul-Kathos était mon meilleur ami, et il en était de même pour moi. Nous étions comme deux frères. L'histoire n'a retenu que notre divergence par rapport à la meilleure façon d'accomplir notre mission, mais nous étions très proches. Il te ressemblait beaucoup, par certains aspects. Physiquement, il avait plus ou moins la même figure que toi, et la même stature. Même moralement, vous êtes semblables. Il était un immense chef de guerre, mais savait se faire humble la plupart du temps, et n'aimait guère perdre son temps en discussions lorsque l'action était nécessaire.

Je devine la question que tu vas me poser. Tu ne dois en aucun cas te sentir indigne de lui. Tes exploits sont au moins aussi légendaires que les siens. Vous êtes de la même trempe. Tu sauras parfaitement prendre sa succession, le moment venu. Et puis, pour avoir été très proche de lui, je peux t'affirmer qu'il n'était pas plus parfait. Par exemple, Bul-Kathos avait horreur des tapis. Il se couvrait régulièrement de ridicule en trébuchant sur la peau de tigre des steppes qui décorait l'entrée de son palais.

Katenbau éclata de rire. Cela encouragea Fiacla-Géar à décrire d'autres anecdotes en détail. Janna dut chasser le druide à une heure tardive, pour le repos des autres infirmes.


La colonne, composée de mille trois cent hommes parmi lesquels se trouvaient les sept héros, Menarnar, mais aussi Zanya et Vonan, partit d'Ollfast à la date prévue. Ils traversèrent le passage souterrain, puis se retrouvèrent dans la vaste plaine les séparant des Monts de la forêt. Ils la traversèrent et atteignirent l'endroit où les héros avaient vu deux dragons s'affronter. Ils étaient alors déjà presque mille cinq cent. Zanya ordonna une pause. Après un repas court et silencieux, ils furent rejoins par un important groupe de druides originaires du sud de Scosglen, ce qui porta leur nombre à plus de mille sept cent. Ils traversèrent les montagnes, et se retrouvèrent près de l'endroit où la coterie avait été attaquée par les mercenaires à la solde des renégats. Ils furent là rejoints par une troisième troupe, venant cette fois-ci du nord, et furent donc deux mille hommes à passer la nuit au creux d'une vallée fardière, à moins d'une journée de marche de Xanidrya. Le lendemain, ils reprirent leur marche, et arrivèrent en début d'après-midi au bord de la cuvette au fond de laquelle s'étendait la capitale des druides, apparemment déserte. Une pente assez raide plongeait devant eux vers les murs de la capitale, qui étaient cependant protégés par un fossé. Les deux milles soldats de l'armée druidique se trouvaient derrière la crête du relief qui surplombait la cité, dissimulés à la vue des défenseurs. Zanya, Vonan et quelques membres de la coterie tenaient un dernier conseil avant la bataille.

« Le moment est donc venu, dit simplement Zanya. Mais nous devrons frapper avec force, mais aussi établir nos plans avec sagacité. Que disent les éclaireurs, Minnoca ?

-Les renégats ne sont pas tous placés dans la cité-même. Beaucoup sont alignés sur les remparts, mais au moins deux cents défendent la porte. Le terrain nous est cependant nettement favorable. Il y a des emplacement assez protégés à mi-pente qui nous permettrons d'installer les balistes. Il faudra néanmoins les couvrir avec au moins deux-cent fantassins et une soixantaine d'archers. Une fois la porte détruite, nous pourrons charger.

Zanya interrogea du regard tous les autres capitaines. Aucun d'eux ne paraissant opposé au plan, le jeune chef répondit :

-Nous ferons donc ainsi.»

Les chefs de clans et les huit membres de la coterie avancèrent donc, suivi d'un premier corps d'un peu moins de trois cents hommes. Ils descendirent une partie de la pente, et s'arrêtèrent sur promontoire rocheux, d'où ils dominaient les soldats qui les entouraient.

« Mes frères ! hurla Zanya. Je sais à quel point ils vous est difficile de vous résoudre à attaquer aujourd'hui la sainte Xanidrya. Mais cette bataille a un sens bien plus profond que ce que vous pouvez penser. Les renégats qui occupent en la cité sont au service de démons qui entendent provoquer le Uileloscadh Mòr, ce sont eux également qui ont planifié l'attaque des villages, le massacre de vos amis, de vos familles, de vos pères, de vos femmes et de vos fils, ce sont eux encore qui ont corrompu un des esprits de la forêt, ce sont eux enfin que nous allons châtier en ce jour. Plus qu'une vengeance, plus qu'une purification, c'est la tâche confiée aux pères de vos pères que nous allons accomplir aujourd'hui. Lorsque Fiacla-Géar a créé l'ordre des druides sous le Glòr-an-Fhàidha, il y a plusieurs siècles, c'était en vue des heures sombres que nous vivons actuellement.

Et en ce jour sombre, nous répondons à l'appel des prophéties, pour sauver le monde ainsi que l'avait voulu le premier des druides. Etes-vous prêts, mes frères ?

Une formidable clameur s'éleva des rangs des soldats druides. Sur un signe de Zanya, quelques fantassins dévalèrent la pente, et se séparèrent en trois groupes. Chacun des trois groupes s'arrêta à mi-distance des murs, et installèrent là trois balistes. Lorsque les premiers projectiles vinrent s'écraser contres les montants de bois de la porte de Xanidrya, les renégats réagirent, et les quelques deux cents qui se trouvaient en dehors de la cité remontèrent la pente aussi vite que possible en direction des balistes. Zanya choisit ce moment pour terminer son discours.

-A Xanidrya, à présent, cria-t-il en dégainant son épée, pour le combat final ! »

Les trois cents hommes qui attendaient derrière lui chargèrent. Ils dévalèrent la pente à toute vitesse, comme les eaux d'un torrent en crue. Les choc des deux armées fut terrible; la supériorité numérique et la pente favorable donnèrent l'avantage aux soldats de Zanya. La mêlée qui suivit le choc s'éclaircit assez rapidement. Les renégats étaient mis en déroute. Ils se replièrent vers les murs de la cité. Les druides les suivirent, ce qui fut une grave erreur. Ils furent bientôt à portée de tir depuis la muraille. Une pluie de boules de feu s'abattit sur eux, provoquant des déflagrations qui soulevaient la terre noire et la faisaient retomber sur les cadavres mutilés. Des membres sectionnés et des corps désarticulés fusaient dans toutes les directions. Les renégats se retournèrent alors, et revinrent au combat. Ce fut au tour des hommes de Zanya d'être mis en déroute. Ils se débandèrent et tentèrent de se replier sous une pluie de flèches et de sorts, mais la pente leur était à présent défavorable. La retraite devint une débâcle, des trois cent guerriers n'en restaient plus qu'une grosse centaine lorsqu'ils retournèrent au niveau des balistes. Les engins de siège continuaient de tirer sur la porte, qui n'allait pas tarder à céder. Les renégats s'enhardirent, et avancèrent jusqu'au niveau des balistes, que les soldats druides défendaient comme ils le pouvaient.

« Ils ne tiendront longtemps, s'exclama Zanya !

-Quelques uns des nôtres vont les rejoindre, dit Katenbau. Faites venir le gros de l'armée, et dès que la porte sera détruite, chargez! Nous nous retrouverons dans la cité. »

Sur ces mots, le barbare, suivi de Nera, Omatir et Fiacla-Géar, s'élança au secours de la petite centaine de druides qui défendaient désespérément les engins de siège. En quelques foulées, les deux frères se trouvèrent au coeur de la mêlée. La Lame des Anciens faucha plusieurs adversaires d'un coup, faisant voler les membres sectionnés. Omatir balayait les renégats de son maul, broyant sans distinction les crânes et les membres. Fiacla-Géar les rejoignit, transformé en ours-garou, et ses pattes furent bien vite couvertes de sang. Nera invoqua des blizzards et des orbes de glace par dizaines, qui décimèrent les forces des renégats. Alors que ceux-ci commençaient déjà à refluer, Katenbau se fraya un chemin à l'épée jusqu'à Kenndron, le chef des soldats chargés de protéger les balistes.

«Devons-nous encore les suivre ? demandant ce dernier, en désignant les renégats qui se repliaient.

-Cette fois-ci, ordonnez à vos archers de rester en retrait pour vous couvrir.. »

Les hommes de Kenndron s'élancèrent donc à la poursuite des renégats qui fuyaient en direction du couvert des murs. Cette fois-ci, alors que les premières boules de feu explosaient, les archers se positionnèrent à la limite de la portée des mages renégats et les arrosèrent de flèches, aidés par Nera qui faisait de même avec des orbes de glace. Les mages furent contraints de se replier derrière le parapet de la muraille. Les hommes de Kenndron purent poursuivre leur charge sans crainte, et ils ne tardèrent pas à venir à bout des lambeaux de l'infanterie renégate. Au même moment, les montants de la porte cédèrent sous l'impact d'un énième projectile de baliste.

-En avant, à présent, cria Zanya. Puisse leur sang laver les pierres de Xanidrya de leur souillure ! A l'attaque, chargez ! »

Et il descendit du promontoire, dévalant à toute vitesse la pente, imité par le reste de son armée, dans un fracas apocalyptique. L'armée des druides couvrit la distance qui la séparait de la porte brisée de Xanidrya en quelques instants, et, malgré la pluie de sortilèges qui s'abattait sur elle, entra dans la cité comme un raz-de-marée incontrôlable.

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« Nous allons passer à l'avant dernière étape du rituel, dit la voix caverneuse. Vous pouvez renvoyer six de vos serviteurs.

D'un geste de la main, Warshan se fit obéir.

-Reprenons, à présent, fit la haute silhouette. »

Elle s'avança, en compagnie de deux autres silhouettes drapées de grandes capes, vers le cercle suivant, composé de trois monolithes. Warshan les y rejoignit, flanqué de trois mages, et ils continuèrent le rituel.

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A l'étage d'un bâtiment à demi-écroulé du quartier ouest de Xanidrya se tenait un conseil de guerre autour d'une table de fortune. Là étaient réunis Zanya, Vonan, les sept héros, Menarnar et Kenndron qui revenait du front.

« Nous tenons le quartier ouest et aussi le quartier sud, exposa ce dernier. Les renégats tiennent encore bon au nord, mais ils n'avancent plus. Le gros de leurs forces est situé dans le quartier central, apparemment près du Tùr Dùlra.

-Maudits soient-ils ! grogna Vonan. Ils profanent tout ce que nous tenons pour sacré !

-Ce doit être là que se trouvent Moloch, Azmodan et Bélial, renchérit Katenbau. Nous devrions nous frayer un passage jusque là-bas le plus vite possible.

-Continue, Kenndron, dit Zanya.

Le druide s'exécuta.

-Leur défense est très solide, ils doivent avoir encore plus de huit cents dans le quartier central, et la plupart sont massés dans le second anneau.

La ville de Xanidrya était effectivement divisée en cinq quartiers, un pour chacun des points cardinaux et un quartier central. Ce dernier était situé sur une butte, surplombant le reste de la cité. La colline était agencée de telle manière qu'on y trouvait deux niveaux, séparés l'un de l'autre par une puissante muraille. L'anneau inférieur était pavé, organisé en rues et ruelles, comme la majeure partie de la cité. Le sommet de la butte, où se trouvait le Tùr Dùlra, le collège des druides, et le Glor-an-Fhaidhà, le chêne sacré, avait toujours été laissé en l'état. Les édifices, à l'exception du Tùr Dùlra, se trouvait tous parmi les branchages des immenses arbres.

-J'ai cependant une bonne nouvelle à vous annoncer. Les tribus de l'est ont répondu à notre appel. Leurs guerriers livrent un terrible combat aux renégats dans le quartier est au moment où je vous parle. J'ai rencontré leur chef dans le quartier sud. Ils avancent vite, et estiment pouvoir entrer dans le premier anneau du quartier central d'ici quelques heures.

-C'est une excellente nouvelle ! dit Zanya. Voilà qui va nous permettre d'envoyer encore plus de forces à l'assaut du repaire des renégats. Messieurs et mesdames...

-Nous sommes prêts ,dit Katenbau.

-Soit, fit Zanya. Alors ne perdons pas de temps. Mettons un terme à cette damnée bataille.»

Sortant de la bâtisse, ils se dirigèrent vers la porte donnant accès au quartier du centre, où se massait la plupart de leur armée. Le décor autour d'eux était cataclysmique. Plus aucun bâtiment n'était intact. Les pierres étaient noircies par la suie et les cadavres jonchaient les rues, s'entassant contre les murs, étendus sur les pavés, amoncellés au milieu des places. Le sang ruisselait dans les caniveaux. Il n'y avait plus guère de combats dans le quartier dévasté, et Minnoca n'eut à abattre qu'un mage qui tenta de les attaquer par surprise. Du nord, cependant, montaient encore des rumeurs de combat.

« Vonan, tu iras là-bas, dit Zanya. Tu prendras le commandement des troupes qui s'y trouvent déjà, et tu achèveras de prendre le quartier nord. Une fois cela fait, tu nous rejoindras au centre.

-Bien. »

Le druide partit en direction du nord, lance en main. Les autres arrivèrent près de la porte. Là, plus de mille guerriers, le gros de l'armée de Zanya, étaient massés près de la muraille. Une pluie de flèches et de sorts s'abattait sur les remparts, empêchant les tireurs adverses de prendre les druides pour cible.

Zanya, Kenndron et Katenbau se placèrent sur un tas de décombres. Sur l'ordre du jeune homme, un soldat vint planter un long mât, haut d'environ deux mètres cinquante. Sous l'effet du vent, la bannière qu'il portait se déplia, révélant un étendard représentant un chêne blanc couronné d'une nuée d'étoiles grenat, sur un font vert.

« Voici pourquoi vous vous battez ! Vous avez déjà fait beaucoup, mais il nous faut encore reprendre le Tùr Dùlra. Poussons encore, la victoire est proche ! »

Et d'un geste, il ordonna que l'on amène le bélier. Le lourd tronc d'arbre, traîné par une trentaine d'hommes, s'abattit maintes fois sur la porte donnant accès au premier anneau du quartier central avant que cette dernière ne cède. Un flot de guerrier s'engouffra là, débouchant sur une place apparemment déserte, au milieu de laquelle se dressait une fontaine vide.

« Où sont-ils ? se demanda Omatir.

La réponse vint bien vite. De toutes les fenêtres donnant sur la cour partirent d'énormes boules de feu. Une série d'explosions balaya les soldats de Zanya, occasionnant un incroyable chaos. Des dizaines de flèches se fichèrent autour des fenêtres dans les instants suivants en réponse, mais les mages renégats s'étaient de nouveau mis à l'abri. Minnoca décocha une flèche d'immolation qui passa par l'une des fenêtres. Le mage qui se cachait derrière mourut dans l'explosion avant d'avoir pu comprendre ce qui lui arrivait.

-Entrez dans les maisons ! hurla Katenbau. »

Les soldats ne se le firent pas dire deux fois. Mais une fois les portes enfoncées, un flot d'ennemis sortait des masures inhabitées, profitant de la surprise générale pour causer de grands dégâts. Les mages renégats s'enhardirent, et la bataille reprit de plus belle. Les druides reculaient de toutes part, et les boules de feu recommençaient à fuser. Un nouvel afflux de combattants druidiques vint débloquer la situation. Les nouveaux arrivants, menés par Zanya lui-même, mirent fin à l'encerclement de leurs alliés et firent basculer le combat à l'avantage des druides. Metaxa et Minnoca, la première par sa discrétion, la seconde par ses flèches d'immolation, se chargèrent d'éliminer les mages encore en vie, tandis que les forces de Zanya achevaient de repousser les renégats. Deux larges rues partaient de la place, l'une vers l'est, l'autre vers le nord.

« Kenndron, rejoins les tribus de l'est, dit Zanya. Emmène deux cents hommes avec toi.

-C'est peu, fit observer Katenbau.

-Ils se dirigent vers une zone qui est au mains d'un allié. Ce n'est pas notre cas. Mais soit. Seriez-vous disposé à envoyer quelques de vos amis avec Kenndron ?

Le barbare parut hésiter.

-Pourquoi pas ? finit-il par dire. Metaxa, Nera et Milobrec vont vous accompagner.

-Parfait, dit Zanya. Kenndron, une fois que tu auras trouvé nos alliés, tu attaqueras le Tùr Dùlra par le sud. Nous te rejoindrons là-bas. »

Le lieutenant de Zanya s'en fut donc, avec Nera, Milobrec et Metaxa et une compagnie de deux cents hommes, vers les sud-est. Les huit cent hommes commandés par Zanya, accompagnés par le reste de la coterie, poursuivit son avancée vers le nord-ouest.

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« Combien d'hommes reste-t-il ? demanda Warshan.

Une autre phase du rituel venait d'être terminée. Les trois démons avaient demander à rester seuls.

-Environ quatre centaines, répondit Surmôn. Ils sont presque tous postés dans les arbres.

-Malheur ! Ne pouvez-vous pas les faire revenir ici au plus vite ? Il faut protéger le Collège, le plus longtemps possible. Et nos ennemis ?

-C'est impossible, répondit le dénommé Surmôn. Une partie de leur armée a traversé nos défenses. Une retraite est impossible. Nous ne pouvons qu'espérer avoir le temps d'éliminer ceux-là avant que le gros de leurs troupes ne les rejoigne.

-Damnation ! gronda Warshan. Netrir, prends le commandement des troupes qui nous reste et organise une sortie. Il faut faire plier ceux-là avant que leurs renforts n'arrive. Surmôn, accompagne-le ! Orgveld, tu resteras ici. Ils auront besoin de ta puissance de feu pour les couvrir.

-Bien, répondit le jeune homme. »

Les trois disciples quittèrent la salle par un escalier montant, tandis que Warshan ruminait de sombres pensées.

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Les sept cents hommes placés sous les ordres de Zanya attendaient impatiemment le long des murailles entourant la porte nord donnant accès au sommet de la colline, et au Tùr Dùlra. Zanya lui-même, ainsi que Katenbau et Fiacla-Géar se trouvaient aligné sur les remparts. Contrairement au reste de la cité, le sommet de la colline qui dominait Xanidrya n'était pas pavé. C'était un espace de forêt préservé pur, où d'immenses arbres, dont les branchages auraient aisément pu supporter le poids de châteaux humains, s'élevaient à des hauteurs surnaturelles. De longues échelles de corde grimpaient dans ces arbres, donnant accès à des plate-formes circulaires plus spacieuses que le pont de grands navires, qui étaient autant de forteresses suspendues à des hauteurs vertigineuses, et reliées entre elles par de simples ponts de corde. Le tout formait en complexe entrelacs d'escaliers, de ponts suspendus, d'échelles et de remparts noyés dans une mer de feuilles aux teintes vives, allant du cuivré au rouge sang.

« Ils n'attendent que nous, dit Fiacla-Géar. Dès que nos hommes passeront sous ces arbres, ce sera un carnage.

-Il n'y a pas d'autre solution envisageable, commença Zanya...

Il fut interrompu par le cri de sentinelles postées sur la muraille.

-Regardez !

Un groupe de guerriers, peut-être une trentaine, dévalaient la pente, abandonnant armes et armures pour ne pas se ralentir, en direction de l'armée de Zanya. Sur eux pleuvait une nuée de flèches et de boules de feu depuis les arbres. L'une d'elles tomba au milieu du groupe. Le souffle projeta plusieurs soldats en l'air, qui retombaient avec des gesticulations de marionnette désarticulée sur leurs camarades. La fuite se changeait en déroute. Certains couraient toujours, d'autres rampaient. Alors qu'ils s'éloignaient d'un des grands troncs, une accalmie permit à reconnaître parmi eux quelques soldats qui étaient sous les ordres de Vonan. Une pluie de flèches s'abattit de nouveau sur eux. La moitié n'y survécut pas. Il n'en restait plus guère qu'une dizaine, et ils étaient encore assez loin du premier anneau. Une boule de feu explosa devant eux, soulevant un nuage de terre brune. Seuls cinq reparurent lorsque la terre retomba. Une seconde boule de feu souffla trois d'entre eux. Deux étaient morts, le troisième gravement blessé. Celui qui était encore valide revint sur ses pas pour aider son ami.

-Ouvrez les portes ! cria Zanya.

Les deux soldats avaient presque atteint la porte lorsqu'une flèche se planta dans le dos du valide. Le blessé rampa jusqu'à la porte, où des hommes de Zanya s'en saisirent et l'amenèrent à ce dernier.

Il était en piteux état. Sa jambe saignait abondamment, et son regard était celui d'un homme qui vient de voir la mort pour la première fois. D'un homme qui n'aurait jamais du voir la guerre. Il restait silencieux plusieurs secondes avant de répondre à la question de Katenbau :

-Quelle est votre situation là-haut ?

-Catastrophique. Nous sommes arrivés en premier près du Tùr Dùlra, en évitant les projectiles qui nous pleuvaient dessus. Mais nous avons été arrêtés autour du Collège. Tout se passait bien. Puis il y a eu une sortie en force des renégats, et nous avons été repoussés loin, jusqu'à la portée de leurs tireurs dans les arbres. Nous serons bientôt encerclés. Nous avons besoin de votre aide.

Détaillant plus avant le visage du blessé, Zanya remarqua que celui-ci était fort âgé.

-Ces traîtres nous forcent à envoyer les pères de nos pères au combat, grommela-t-il. Ils n'ont pas d'honneur. »

Après avoir échangé un regard entendu avec les autres, il donna l'ordre de charger.

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Surmôn dégaina son épée. Ce fut le signal. Les portes du Tùr Dùlra s'ouvrirent en grinçant, et les cinq cents hommes placés sous son commandement déferlèrent en direction des assiégeants. Les soldats de Vonan s'étaient déjà repliés derrière les murets qui encerclaient le Collège, d'où les mages renégats les arrosaient copieusement d'éclairs et de boules de feu. Les boules de feu, les flèches, les éclairs et les éclats de roche en fusion se croisaient et explosaient partout, créant un capharnaüm incroyable encore amplifié par le vent violent qui sifflait furieusement sur le champ de bataille, faisant voler les dernières feuilles mortes et le premiers flocons de neige, réduisant considérablement la visibilité. La sortie des hommes de Surmôn et Netrir ne fit qu'ajouter au chaos qui régnait déjà.

Le combat tourna rapidement à l'avantage de Surmôn. Le tumulte de la charge l'avait éloigné de Netrir, mais ses hommes balayaient leurs ennemis comme de simples fétus de paille. Quelques métamorphes aux ordres de Vonan avaient cependant réussi à s'infiltrer dans le hall sombre du Collège, profitant de la confusion générale. Celui-ci était assez impressionnant. Le sol était dallé avec de lourdes pierres noires et blanches assemblées de façon à ressembler à un échiquier géant, et de là montaient deux larges escaliers de marbre, menant à un balcon où se tenait un jeune homme qui affichait un sourire confiant. Les métamorphes n'eurent guère que le temps de constater sa présence. Une lumière dansante illumina la salle, et une dizaine d'orbes de feu s'échappèrent des mains d'Orgveld, qui projetèrent des boules de feu dans toutes les directions avant d'exploser violemment eux -même au contact des murs.

« Personne n'entre pour le moment, rit Orgveld. »

Dehors, le combat devenait désespéré pour Vonan. Les renégats, après avoir effectué une sortie en nombre, s'étaient retournés, de sorte à prendre les soldats de Vonan en tenaille. Et leur plan avait réussi. Les forces que Vonan tenait sous ses ordres, déjà très affaiblies, étaient bousculées sous tous les flancs. Celui-ci décida de lancer une dernière charge. Entouré de quelques-uns de ses lieutenant, il lança une dernière offensive, droit sur celui qui semblait être le capitaine des renégats durant la charge. Son assaut obtint l'effet escompté dans le sens où il isola le commandant des renégats. Vonan parvint à le mettre au sol en empalant sa monture, et au milieu du fracas des armes et des déflagrations, un duel acharné commença.

Voyant son frère Netrir mis au sol par le chef des druides, Surmôn éperonna le warg qu'il chevauchait. Son frère aîné Narkell était déjà disparu en mission, il ne devait advenir la même de son frère cadet. Il voulut crier un ordre à ses séides, mais une clameur montant du sud l'interrompit. Des renforts druidiques. La situation se compliquait.

Kenndron arrivait.

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Il souffla doucement sur le vieux parchemin pour en ôter la poussière. L'âge avait presque effacé les caractères, rendant le texte pratiquement illisible, mais toujours compréhensible.

Il s'était refusé à lire ce parchemin maudit. Tous les précédents annonçaient l'apocalypse. Nébi était un bon croyant. Il écoutait la parole sainte et craignait la colère de la lumière. Le besoin d'argent, cependant, l'avait conduit à accepter de diriger les fouilles commanditées par ce vieux mage dont on ne savait rien. Forcer l'entrée d'un mausolée quelconque dans un cimetière perdu au fin fond des contreforts orientaux de la chaîne de Tamoe, et envoyer régulièrement des bilans détaillés de tout ce que ses ouvriers y trouveraient, le tout pour un salaire confortable, voilà qui n'avait guère fait hésiter Nebi, à plus forte raison à présent qu'il avait une femme et un enfant à nourrir. Les étranges sculptures à l'entrée du tombeau n'avaient effrayées que quelques ouvriers superstitieux. Nébi, lui n'avaient d'abord pas craint les idoles.

Mais les choses avaient changé. Plusieurs ouvriers étaient morts, tués par d'affreux pièges, ou terrassés par d'immondes créatures dont ils avaient fait brûler les cadavres à l'extérieur du cimetière. L'endroit devait être la sépulture d'un hérétique, peut-être même d'un mage noir.

Mais le pire pour Nébi étaient ces terribles parchemins qui fascinaient tant son employeur. Ces horreurs, pourtant rédigées dix-huit siècles plus tôt, évoquaient précisément les troubles qui avaient agité Sanctuary, avec la déchéance de Léoric, la chute de Tristram, les troubles qui s'en étaient suivi et la bataille d'Harrogath. Il n'avait pas tardé à comprendre que ces parchemins étaient des prophéties, et surtout que ces prophéties avaient vu juste. Les derniers rouleaux évoquaient une terrible catastrophe.

C'était alors que Nébi s'était trouvé enfermé dans une salle. Pendant toute une journée, ses ouvriers avaient tenté de l'en tirer, mais rien n'y avait fait. Et la veille, quelqu'un ou quelque chose les avait fait fuir. Maintenant, il n'avait plus aucun n'espoir de survivre. Il n'avait pas commit le péché de suicide, et avait attendu un miracle.

Le miracle n'était jamais venu. Sentant la mort venir, Nébi avait alors déroulé les derniers parchemin.

« De deux mondes ne seront plus alors qu'un,
Et le mal déferlera de Septentrion.
Sa tanière sera la grande tour d'acier noir et d'airain,
Mais nulle prison ne saurait contenir tel démon.

Neuf fières cités se lèveront contre son dessein,
Mais le mal sera plus fort que tout humain.
Et l'espoir sera banni, l'honneur bafoué,
Le Juste détruit, le Bien oublié.

Deux seuls sont les élus du destin,
Deux lueurs d'espoir néanmoins,
Le sort se règlera, et il sera sans faille
Pour le perdant de la Grande Bataille

Quand sonnera l'heure...
Et l'heure viendra
Quand un oeil me touchera. »

Nébi termina sa lecture, puis pria en silence.
Le worg s'effondra dans de furieuses convulsions. Netrir parvint à éviter le cadavre de sa monture et dégaina son épée. Son adversaire était le lancier qui semblait diriger les troupes druidiques.

Vonan dévia le premier estoc de son adversaire, et riposta; son coup fut trop lent. L'épée de Netrir jaillit, et le bois de la lance fut fendu en deux. Vonan en abandonna une partie, et tint l'autre comme une javeline, récupérant au passage le bouclier d'un renégat mort. Le coup suivant de Netrir ripa dessus. Vonan tourna sur lui-même, profitant de l'élan de son adversaire pour se retrouver dans son dos. Puis, d'un estoc vif et précis, il mit un terme au combat.

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Surmôn hurla de haine en voyant son frère empalé par un druide. Il voulu lancer une charge, mais ses hommes étaient déjà aux prises avec les druides qui montaient de l'est. Il jeta un regard noir en direction de Vonan, puis chargea les forces de Kenndron. Ce n'était que partie remise.

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Un chaos indescriptible régnait sur la pente ouest de la colline. L'armée de Zanya montaient en direction du Tùr Dùlra sous une pluie de flèches et de sorts. Le druides s'étaient cependant préparés à la situation. Des rangées d'archers vinrent se placer aux pieds des troncs, décochant des flèches dont la tête avait été remplacée par un grappin et autour desquelles étaient solidement nouées des cordes en direction des plate-formes. Des grappes de druides s'y accrochèrent et commencèrent l'ascension. Les mages au service de Zanya arrosèrent copieusement de sortilèges les assiégés, les empêchant de décrocher les grappins. Les premiers combattants grimpèrent sur les plates formes, et la bataille eut alors lieu au sol et dans les arbres. Une fois les premières plates-formes prises, les hommes de Zanya amenèrent de longues échelles et continuèrent leur ascension.


Minnoca abattit la sentinelle d'une flèche en pleine tête. Puis elle se glissa subrepticement sous le plancher de la plate-forme. Celle-ci était de forme circulaire, avec en son centre un bâtiment de taille moyenne, que traversait le tronc. Progressant lentement parmi les branches, l'amazone s'approcha du centre de la plate-forme. Là, le tronc traversait le sol, en laissant assez d'espace pour une personne. Elle allait les avoir par surprise.

Elle jaillit du trou et abattit trois renégats avant que ceux-ci n'aient eu le temps de réagir. Un mage, derrière elle, commença une incantation qui se termina par un gargouillis incompréhensible lorsqu'une flèche lui traversa la gorge. Le fortin était désormais vide. Elle sortit et se retrouva sur la plate-forme. Le spectacle grandiose qui s'offrit à elle ne la fit cependant pas hésiter. Il s'en fallut de trois secondes, et la plate-forme était nettoyée pour de bon.

Fouillant dans son sac, elle en tira une longue corde qu'elle laissa se dérouler jusqu'au niveau du sol. Quelques instants plus tard, Omatir l'avait rejoint sur la plate-forme.

« Quel endroit extraordinaire, dit le barbare, contemplant les arbres titanesques.

La bataille faisait rage partout, à présent. Des boules de feu fusaient en tout sens, du sol vers les arbres, des arbres vers le sol, d'un arbre à un autre. Des troupes de guerriers s'affrontaient partout, sur des plates-formes à plus de quarante mètres au dessus du sol, sur des ponts de cordes suspendus à des hauteurs vertigineuses, d'autres s'agglutinaient le long de cordes suspendues aux plate-formes les plus basses. Des dizaines de corps basculaient dans le vide à chaque seconde.

-Vraiment impressionnant, continua Omatir. Un superbe terrain de jeu. Je crois que nous allons autant nous amuser que sur l'Arreat, il y a des années de ça.

-Sans doute, sourit Minnoca. En attendant, nous avons un arbre à nettoyer, à nous seuls.

-Je m'en réjouis d'avance, dit le barbare. Ne traînons pas davantage ! »



« Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, dit Katenbau en regardant son frère massacrer des renégats, trente mètres au dessus de lui.

-Ayez confiance en votre frère, répondit Zanya. Pressons-nous, à présent. Le Tùr Dùlra nous attend. »


La mort d'un de leurs capitaines sembla déstabiliser les renégats. Vonan appela autour de lui les troupes qui lui restaient et lança une charge. Prévoyant la manoeuvre, Surmôn cria à ses hommes

« Ecartez les rangs ! Laissez-les passer ! »

Les druides ne rencontrèrent aucune résistance et poursuivirent leur charge jusqu'à avoir complètement traversé les lignes ennemies et rejoint les forces de Kenndron. Les deux armées druidiques se réunirent, tandis que Surmôn rappela tous ses hommes derrière lui. Malgré les renforts, Vonan n'avait guère que quatre cents hommes sous ses ordres, contre presque six cent hommes, worgs et quelques zarkens sous le commandement de Surmôn. Le druide ne se laissa pas démonter.

« D'autres renforts arrivent ! cria-t-il aux renégats. Cette bataille est sans espoir pour vous. Je garantis que tous ceux qui se rendront maintenant auront droit à un procès équitable. Réfléchissez à mon offre.

Il y eut quelque hésitation dans les rangs des renégats. Certains n'étaient que des villageois que l'on avait enrôlé sous la menace, ou des marginaux qui avaient vu là une chance de trouver leur place dans un nouvel ordre. Surmôn ne s'était lui-même engagé que pour protéger son frère Netrir qui lui avait rejoint les renégats sur les conseils de Narkell. Mais une colère noire bouillonnait en lui. Il avait failli à sa tâche. Mais s'il n'avait pas été incapable de protéger Netrir, il se chargerait au moins de le venger.

-N'écoutez pas ces mensonges ! hurla-t-il. N'écoutez que votre loyauté ! Vous avez juré allégeance ! Votre devoir est de vous battre !

Une dizaine d'hommes avaient quitté les rangs. Plusieurs flèches fusèrent. Tous s'effondrèrent.

-Une nouvelle ère se dessine ! Vous, qui étiez les mendiants, les parias, les moins que rien, vous deviendrez des seigneurs ! suivez-moi !

Sur ces mots, Surmôn lança son worg. Jetant un coup d'oeil en arrière, il vit que toute son armée l'avait suivi. Sa monture sauta par dessus les cadavres des traîtres, et il fonça droit sur celui qui avait tué son frère.

-Sus à eux ! cria Vonan en réponse. A l'attaque ! »

Les druides chargèrent à leur tour. Les deux armées se rencontrèrent dans un grand fracas métallique au milieu d'une véritable tempête de neige. Bois contre fer, acier contre crocs et griffes, le millier d'hommes, de worgs et de zarkens s'affronta dans un maelström de chaos, de violence et de mort.

Surmôn fonça droit sur Vonan. Nera le vit et lança un épieu de glace qui frappa de plein fouet le worg qu'il montait. Le frère aîné de Netrir sauta du dos de la créature qui explosa en blocs de glace, et atterrit juste derrière le druide. Alors qu'il allait abattre son épée sur Vonan qui ne se doutait encore de rien, un paladin bloqua son coup.

Milobrec s'interposa de justesse entre Vonan et le général de l'armée renégate. Il dévia le coup de ce dernier et riposta en enchaînant cinq autres coups avec une vitesse effarante, forçant l'autre à céder beaucoup de terrain.

La bataille tourna peu à peu à l'avantage des renégats. Bien plus que l'infériorité numérique, ce fut l'absence de cavalerie qui pénalisa les druides. Les guerriers renégats montés sur des worgs balayaient l'infanterie des druides sans difficulté, chargeant brusquement sur les flancs de l'adversaire avant de se retirer prestement et de frapper ailleurs.


Alors que Milobrec venait de bloquer un estoc de Surmôn, un worg le chargea. Le paladin plongea, évitant les mâchoires de l'animal, et, se relevant, il vit que son adversaire avait disparut. Le worg repassa à l'attaque, monté cette fois-ci par le guerrier. Milobrec ne chercha pas à éviter derechef l'assaut, mais se cramponna à la fourrure dégouttante de sang et de sueur du worg et se hissa sur son dos. Un coup de poing lui indiqua que Surmôn n'était pas disposé à partager sa monture. Les deux hommes dégainèrent leurs épées. Celles-ci s'entrechoquèrent dans un tintement aigu qu'étouffa le fracas de la bataille autour d'eux. Le worg, lancé à pleine vitesse, les empêchait de porter des coups rapides, mais ils tentèrent plusieurs fois de se déséquilibrer l'un l'autre. Bousculé par un coup d'épaule, le paladin bascula sur le côté et se raccrocha de justesse au pelage du worg. Il parvint à se redresser et para un revers de lame. Le worg eut un violent soubresaut sous eux, compromettant encore davantage leur équilibre déjà précaire. Une flèche l'avait atteint au flanc. La créature s'effondra en pleine course et roula plusieurs fois sur elle-même. Milobrec crut mourir. Sa tête cogna brutalement contre le sol, il fut soulevé de nouveau, frappa une seconde fois le sol, avant d'être projeté plusieurs mètres derrière le cadavre du worg. Sa cheville le faisait horriblement souffrir. Par bonheur, sa chute l'avait projeté à l'écart des combats. Se redressant un peu, il vit le corps de Surmôn, qui lui était tombé sur la nuque. Il tenta de se relever, mais retomba en position assise. Il n'avait plus qu'à attendre de l'aide.


L'armée de Zanya arriva finalement au sommet de la colline, devant la façade principale du Tùr Dùlra. Les trois cents hommes aux ordres du jeune chef renversèrent rapidement le cours de la bataille. Les renégats se trouvèrent pris entre deux feus, privés de leurs deux capitaines, leur arrière-garde chargée par les troupes de Zanya, le flanc gauche bousculé par celles de Kenndron, ils refluèrent de façon désorganisée vers le sud tandis que le ciel continuait de s'assombrir, la nuit tombant peu à peu. Le vent redoubla de force et la neige tomba plus drue encore. Zanya réussit à trouver Kenndron avant que la visibilité ne devienne quasi nulle.

« Où est passé Vonan ? demanda-t-il.

-Je crois l'avoir vu entrer dans le Tùr Dùlra! Cria Kenndron pour couvrir le sifflement du vent. Il faut...

Il fut interrompu par Metaxa, qui aidait tant bien que mal Milobrec à se tenir debout.

-Il a besoin de soins ! dit la jeune guerrière, désignant le paladin.

-Il y a un camp provisoire avec des guérisseurs dans le premier anneau du quartier central, près de la porte nord, indiqua Kenndron. C'est à quelques minutes d'ici. Tu pense pouvoir y arriver seule ?

Voyant l'assassin acquiescer et prendre le direction du nord en soutenant Milobrec, le mage se retourna vers son supérieur.

-La bataille n'est pas encore gagnée, mais nous avons deux druides pour un renégat. Je crois qu'il est temps de lancer l'offensive sur le Tùr Dùlra pour en déloger ces démons.

Le jeune chef réfléchit un court moment, puis conclut.

-J'emmène cent hommes avec moi. Katenbau ?

-Ce serait perdre du temps qu'attendre que Minnoca et Omatir nous rejoignent. Il en est également ainsi de Metaxa. Nera, Nek, Menarnar et moi-même vous accompagneront.

-Parfait, conclut Zanya. Kenndron, prends le commandement du reste de l'armée et n'accepte aucune reddition. Bonne chance.

-A vous aussi. »

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Le vent fit entrer quelques flocons de neiges dans le vaste hall. Orgveld se réchauffa les mains. A ce qu'il entendait, le gros de la bataille s'éloignait peu à peu du Tùr Dùlra. Lui-même n'avait eu à repousser que trois groupes de druides.

Orgveld pressentait cependant que quelque chose n'allait pas. Les druides devaient être plus nombreux que prévu, car les combats s'éternisaient. Quelques survivants lui avaient dit que les deux frères Netrir et Surmôn étaient morts. Les choses ne se déroulaient pas exactement selon les plans dressés par son maître. Narkell n'était pas revenu de sa mission. Non pas que le druide aie eu une quelconque importance aux yeux d'Orgveld. Warshan et lui-même éprouvaient un singulier mépris à leur encontre. Les druides avaient envahi leurs terres et exterminé leur peuple un millénaire plus tôt, et les horreurs que ses maîtres démoniaques déchaînaient sur eux apparaissaient à Orgveld comme un juste retour. Son maître et lui faisaient partie des derniers descendants des peuples qui habitaient Scosglen avant l'arrivée des druides, les véritables propriétaires de la forêt, et aujourd'hui enfin, par une ironie favorable du sort, après avoir été longtemps rejetés pour leur non-appartenance à l'ordre druidique, ils recouvraient leur bien, et tenaient à leur merci les symboles puants de l'ordre instauré par les fils de ce chien de Fiacla-Géar, le Glor-an-Fàidha et le Tùr Dùlra.

Un groupe de druides se glissa dans le hall, tirant Orgveld de ses pensées. Il psalmodia doucement une longue incantation, l'esprit calme et serein., laissant aux druides l'illusion qu'ils pourraient pénétrer impunément dans le Collège. Alors que les druides l'avaient repérés et que les premiers d'entre eux s'élançaient dans les escaliers, Orgveld acheva son incantation. Des nuages de vapeurs brûlantes jaillirent brusquement du sol, tuant plusieurs hommes sur le coup. Des gerbes de flammes déferlèrent sur toute la largeur des escaliers de marbre, en brûlant vif une dizaine d'autres avant de monter en colonnes au plafond, et de retomber en une pluie ardente sur les survivants. Seuls deux avaient eu la présence d'esprit de se protéger sous les escaliers en attendant la fin du sortilège. Tous les autres périrent. Voyant les survivants grimper les escaliers à toute vitesse dans sa direction, Orgveld avala une potion préparée par son maître. Sa peau prit une teinte grise, et il sentit une force incroyable l'envahir. Il esquiva l'attaque du premier druide et lui brisa le coude sans effort. Usant de sa nouvelle force, il le souleva de terre et le projeta contre un mur. Le druide laissa une trace sanglante sur les pierres, et ne se releva pas. Orgveld se tourna vers l'autre, qui était armé d'une javeline et d'un petit bouclier, et semblait être le chef, un sourire mauvais sur les lèvres.



Zanya entra dans le Tùr Dùlra, suivi par Katenbau, Nera, Fiacla-Géar, Menarnar et quelques soldats. Jamais encore il n'avais visité le Collège des druides. Son père, cependant, avait été formé ici. Il ne s'était pas imaginé y entrer dans ces conditions.

Plusieurs cadavres jonchaient le sol de marbre. De violentes explosions avaient fracturé le sol en plusieurs endroits. La plupart des corps étaient carbonisés. Une épaisse couche de suie couvrait les murs et les premières marches des deux escaliers. Ceux-ci étaient également couverts de cadavres. Le regard de Zanya remonta vers le balcon auquel menaient les escaliers et qui surplombait le hall, et là il vit un mage renégat, maintenant un druide par la gorge plusieurs centimètres au-dessus du sol. Le jeune homme reconnut immédiatement le druide qui se faisait étrangler. C'était Vonan.

Orgveld finit par remarquer les nouveaux arrivants. Il s'approcha contre la balustrade du balcon, maintenant toujours le druide suspendu par la gorge. Il voulut narguer ses nouveaux ennemis, mais voyant leur nombre et leur équipement, il préféra abandonner momentanément le combat. Il lâcha le druide, se retourna et disparut dans un couloir derrière son dos.

Vonan tomba comme au ralenti, puis s'écrasa au sol plusieurs mètres plus bas. Alors que Katenbau, Menarnar et Fiacla-Géar s'élançaient à la poursuite du mage renégat, Zanya s'approcha du corps de son ami.

« Vonan...

Celui-ci entrouvrit les yeux.

-Pardonne-moi... j'ai échoué.

-Non... bafouilla le jeune chef, tu... tu es un héros. Tu as mené nos hommes à la victoire sur le champ de bataille.

-Pour tomber ici, juste avant la bataille finale. Mais ce n'est pas grave, Zanya... Verghunt et moi avons commencé quelque chose, il y a quelques semaines. Sa mort fut un terrible choc, mais... mais tu as réussi a reprendre la flambeau, mieux que l'on ne pouvait espérer.

-Je n'ai fais que...

-Eunon et moi nous en sommes longtemps voulu d'avoir placé un tel poids sur tes épaules, mais tu as fait preuve d'une maturité étonnante. Maintenant, je vais devoir t'abandonner le commandement total. Mais tu auras l'aide d'hommes dignes de confiance. Eunon, Kenndron, et les étrangers qui nous ont aidé...

Vonan toussa. Du sang s'échappa de sa bouche ouverte, il déglutit avec difficulté.

-Je suis plus fier de toi que je ne saurais le dire, Zanya. Il est dommage que Verghunt n'ai pu voir ce que tu es devenu...

Il parlait avec de plus en plus de difficulté, s'interrompant régulièrement pour cracher du sang, respirant avec lenteur.

-Il est dommage que ton père ne puisse voir ce qui tu es devenu. C'était un homme bon, Zanya... et tu es digne de lui.

-Vonan, il faut que tu économise tes forces, dit Zanya, les larmes aux yeux. Nous allons t'emmener auprès des guérisseurs.

-Allons, il est bien trop tard. Adieu, Zanya. Je te souhaite bonne chance. Puisses-tu être victorieux. »

Zanya resta prostré devant le cadavre de son ami. La tristesse céda vite place à la colère dans sa tête, mais la douleur resta, comme un poids terriblement lourd. Tous ceux qui avaient voulu le protéger et faire de lui un homme étaient mort les uns après les autres. Son père, d'abord, puis Verghunt, et enfin Vonan. Pour la troisième fois, il se retrouvait orphelin.

La main de Nera se posa sur son épaule.

« Tu vas devoir te remettre, dit doucement la demi-elfe.

-C'est... c'est si injuste...

-C'était un frère et un père pour toi, c'est cela ?

Le jeune homme leva son visage aux yeux rougis par les pleurs.

-Vous avez... ?

-Oui.

-C'était votre aussi frère ?

-Mon mari, dit-elle aussi rapidement que possible. C'était le plus grand héros de tous les temps.

-Je suis désolé.

-Ce n'est rien.

Zanya se releva.

-En ces moments, reprit Nera, nous devons nous souvenir de leur volonté, et non de notre peine.

-Je dois retrouver ce mage.

-Je t'accompagne.

-Je voudrais être seul.

-Je comprends. Je m'assurerai seulement que tu arrive sans dommage devant son meurtrier.

-C'est d'accord. »

Zanya gravit les marches quarte à quatre, se lançant à la poursuite d'Orgveld, suivi par Nera. Ils s'engouffrèrent dans le couloir par lequel le meurtrier de Vonan avait fui. Celui-ci débouchait sur un carrefour.

Reconnaissant les traînées de sang que les pattes de Fiacla-Géar laissaient lorsqu'il courait, Nera indiqua le couloir de gauche.

« Ils sont passés par là.

-Alors prenons à droite, fit Zanya, et il joignit l'acte à la parole. »

Nera le suivit.

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On amena Milobrec dans l'une des vastes tentes disposées dans le quartier nord, où déjà s'allongeaient des dizaines de blessés aux chances de survie plus ou moins réduites. Les hurlements des gravement blessés, le gargouillis immonde émis par les brûlés, les plaintes des mourants, étaient cependant couvert par le fracas de la bataille qui faisait rage quelques centaines de mètres plus loin. Un druide ôta l'armure du paladin, et regarda sa blessure un certain temps avant de dire :

-Une fracture. Vous ne pourrez pas retourner au combat avant la fin de la bataille, mais ce ne devrait pas non plus être trop long. Nous nous occuperons de lui, dit-il à l'intention de Metaxa.

La guerrière sortit précipitamment de la tente.

-Eh bien, termina-t-il, je vais vous laisser aux soins du guérisseur. »

Le druide disparut derrière une des toiles qui avaient été dressées entre chaque compartiment de la tente. Un homme vint le remplacer, sans doute le guérisseur en question. Milobrec eut un haut-le-coeur. C'était son père.

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Katenbau, Fiacla-Géar et Menarnar s'avancèrent dans ce qui semblait être une vaste bibliothèque. Des ouvrages poussiéreux aux reliures de cuir surannées s'alignaient par centaines sur les rangées d'étagères démesurées.

-Le mage ne doit pas être là, dit Menarnar.

-Ce n'est pas grave, répondit Katenbau, ce n'est pas lui que nous recherchons, mais Mo... »

Il fut interrompu par un carreau d'arbalète qui vint se planter dans la couverture d'un ouvrage traitant des vertus thérapeutiques de la vessie d'ours, à quelques centimètres de sa tête. Le tireur se retira immédiatement derrière une étagère. Menarnar le suivit, épée au poing.

Fiacla-Géar lui plongea dessus, le planquant au sol. Deux boules de feu se croisèrent et explosèrent au dessus d'eux. Le jeune homme se redressa, et lança Sorrow qui alla se planter dans le torse d'un des mages. L'autre recula précipitamment, mais Katenbau, se frayant un chemin à l'épée à travers une étagère, lui coupa la retraite, puis la tête.

Menarnar récupéra Sorrow, laissant le corps du mage s'effondrer dans une mare de sang, et partit à la poursuite de l'arbalétier. Celui-ci s'était réfugié derrière un amoncellement de tables protégé par une poignée de guerriers. Les premiers d'entre eux le chargèrent, sans autre résultat que morts par empalement et éviscération. Les autres choisirent de l'encercler, mais furent rapidement mis en échec par Fiacla-Géar qui jaillit, métamorphosé, sur leur droite, pulvérisant au passage une étagère et envoyant voler des copeaux de bois, des pages de manuscrits rendus indéchiffrables par le temps et des parchemins poussiéreux à travers toute la pièce. La forme d'ours du druide n'avait plus guère de l'animal que le nom. Menarnar l'aurait davantage décrit comme un monstrueuse machine à tuer de presque quatre mètres de hauteur, avec un corps massif couvert d'un épais pelage brun, à la gueule terrifiante et muni de pattes aussi lourdes qu'un homme adulte.

Fiacla-Géar balaya de ses griffes les guerriers, qui ne purent opposer aucune résistance devant sa force exceptionnelle. Les renégats furent écrasés en quelques secondes.

« L'endroit est sûr, maintenant, dit le druide en reprenant sa forme humaine.

-Poursuivons notre chemin, alors. Il faut trouver Moloch au plus vite et l'arrêter. »

Les trois héros s'engouffrèrent dans un escalier descendant, au fond de la bibliothèque dévastée.


« Il est là, dit Zanya. Je le sens. Laissez-moi, maintenant.

-Je comprends, dit Nera. Mais tu n'as aucune chance, pareillement équipé. Attends un instant. Il faut t'armer en conséquence, si tu veux affronter un mage.

Elle saisit son épée et lança un enchantement complexe et la rendit au jeune chef. Elle lança un autre sort sur son armure, puis lui dit.

-Je pense que cela devrait suffire. Ta bravoure et ta détermination feront le reste.

-Merci, mais qu'avez vous fait ?

-tu t'en rendras compte toi-même. Garde bien ton sang-froid. Il ne devra pas te faire défaut au moment critique. Bonne chance.

-Merci à vous. »

Tandis que Nera rebroussa chemin, cherchant à rejoindre le reste de la coterie, Zanya se hissa à travers la trappe, et grimpa sur le toit du Tùr Dùlra.



Le couloir débouchait sur un grand amphithéâtre. Des centaines des tables étaient disposées en demi-sphère autour d'un disque de pierre central, d'où un escalier en spirale descendait dans les ténèbres. Katenbau, Menarnar et Fiacla-Géar descendaient prudemment l'une des allées qui descendaient vers le centre de l'amphithéâtre lorsqu'une voix retentit derrière eux.

« Je vous souhaite la bienvenue, messieurs !

Un homme se trouvait une vingtaine de rangées au dessus d'eux.

-J'attendais votre venue avec impatience, continua la voix, qui était celle d'un vieil homme, tandis qu'il se retournaient. Vous me répondrez sans doute que cela signifie que je n'ai aucune confiance en mes serviteurs. Ma foi, cela n'est pas faux, et j'en veux pour preuve le fait que vous soyez parvenus jusqu'ici.

-Rendez vous, Warshan ! cria Katenbau. Votre armée est défaite, vous ne pouvez plus continuer le combat.

Warshan éclata d'un rire sonore, et descendit deux marches avant de répondre.

-Je comprends que vous vous enorgueillissiez de votre victoire contre les zarkens avec lesquels je m'étais allié, puis contre les mercenaires que j'avais lancé contre vous, puis contre mon armée, mais ne soyez pas ridicule. Mes alliés sont encore en position dominante, et vous le savez. Et vous savez également que j'ai pour tâche de vous stopper ici et maintenant.

-Si tu sais qui nous sommes, tu sais également que tu ne peux nous vaincre, répliqua Katenbau.

-C'est ce que vous croyez. Je ne suis pas stupide. Moloch m'a donné quelques « armes » pour venir à bout de vous.

-Nous verrons bien si elles sont suffisantes.

-Pauvre fou, sourit Warshan. Je vais t'écraser. »

Sur ces mots, le chef des renégats envoya une sphère de feu noir qui s'écrasa sur l'escalier où ils se tenaient l'instant précédent, qui explosa littéralement, projetant des blocs de pierre dans toute les directions, ne laissant qu'un cratère fumant. Katenbau sortit de la table sous laquelle il s'était abrité.

-Vous en voulez encore ? ricana Warshan.

Son pouvoir était extraordinaire. Sans même lancer d'incantation, il fit apparaître une sphère de feu noir, celle-là beaucoup plus volumineuse que la précédente, et l'envoya au centre de l'amphithéâtre. De la boule jaillirent ensuite de longues flammes, noires elles aussi, qui poursuivirent les trois héros en ne laissant que des cendres sur leurs passages. Le sortilège prit finalement fin après avoir séparé les trois héros. Fiacla-Géar avait du descendre plusieurs rangées pour éviter les langues de feu mortelles, et Katenbau se trouvait à son exact opposé par rapport au centre de l'amphithéâtre. Seul Menarnar avait réussit à rester à une distance dangereuse de Warshan.

Celui-ci voulut faire apparaître une troisième boule encore plus volumineuse; mais cette fois-ci, la sphère grandit immédiatement jusqu'à l'englober totalement. Le feu noir commença à pénétrer dans son corps par ses yeux, sa bouche et ses oreilles. Il hurla comme un damné, et commença à s'élever au dessus du sol. Lorsqu'il atteignit une hauteur de trois mètres, la sphère disparut. Ses pupilles s'étaient dilatées jusqu'à recouvrir le reste de l'oeil, enténébrant la totalité de ses orbites, et ses veines étaient gonflées.

-JE VAIS VOUS EXTERMINER ! hurla-t-il d'une voix qui n'avait plus rien d'humain. »

Le sol se mit alors à trembler violemment. Les tables et les débris de pierre s'élevèrent peu à peu au dessus du sol, puis se mirent à tourner de plus en plus rapidement en spirale autour de Warshan. Plusieurs boules de feu noir jaillirent des paumes translucides du chef des renégats et partirent dans toutes les directions, en rebondissant sur chaque obstacle rencontré. Warshan fut bientôt entouré d'un tourbillon de gravats et de feu.

-Je vais essayer de créer une brèche dans le tourbillon ! cria Fiacla-Géar. Essayez de vous en servir pour approcher Warsahn et l'abattre.

Il invoqua un surpuissant vent qu'il dirigea sur un point précis de la spirale, créant bientôt une ouverture.

-Dépêchez-vous, c'est très difficile ! »

Katenbau et Menarnar obéirent sans poser de questions. Ils s'engouffrèrent dans la brèche que le druide avait ouverte pour eux.

Une immense tornade de feu et de poussière les entourait. Cependant, hormis un bloc de pierre ou une boule de feu qui s'écrasaient de temps à autre au sol, il régnait un calme impressionnant à l'intérieur du tourbillon. Warshan lévitait à une hauteur d'environ quatre mètres, les yeux clos.

-Comment allons-nous l'atteindre ? cria Menarnar pour couvrir le tumulte qui les entourait.

Le barbare lui désigna du doigt les dalles de pierre, qui commençaient à trembler sous eux.

-Quoi ? C'est de la f...

La pierre sur laquelle il se trouvait fut projetée en l'air à la vitesse d'une flèche. Le jeune homme eut tout juste le temps de sauter par réflexe avant que celle-ci n'aille rejoindre la spirale et soit immédiatement pulvérisée par les boules de feu. Il atterrit sur une autre dalle qui s'était à son tour détachée du sol et filait pers le haut de la spirale. De là, il sauta encore et atterrit sur une troisième dalle. Il aperçut fugitivement Katenbau, projeté vers le plafond à une vitesse ahurissante et entendit confusément sa voix avoir de devoir sauter de nouveau.

-Essayons de l'atteindre comme ça !

Arrachées une à une du sol par la télékinésie de Warshan, les épaisses dalles de pierre étaient projetées à la verticale à une vitesse incroyable. Menarnar et Katenbau sautaient de l'une à l'autre en cherchant à se rapprocher de Warshan. Le jeune guerrier fut le premier à atteindre le chef des renégats. Plongeant d'une dalle sur laquelle il venait à peine de réceptionner, il donna un large coup d'épée qui déchira le flanc du chef des renégats et interrompit immédiatement son sort. Warshan, Katenbau et Menarnar atterrirent lourdement sur le sol nu. Les boules de feu disparurent, et les pierres amorcèrent leur chute.

Katenbau et Menarnar n'avaient plus aucun endroit où s'abriter. Les pierres que le sort avait arraché du sol retombaient et allaient les broyer vifs d'un instant à l'autre. Mais ce ne fut pas le cas. Les blocs, dont certains devaient aisément dépasser la tonne, arrêtèrent leur chute à environ quatre mètres du sol.

-Dépêchez-vous! Cria la voix de Nera.

Les deux hommes ne se le firent pas dire deux fois. Ils s'écartèrent vivement, et les lourdes pierres retombèrent là où ils se trouvaient quelques secondes plus tôt.

-Que ferions-nous sans toi, Nera ?rit Katenbau.

-Pas de vieux os, en tout cas, répondit la sorcière. Ecartez-vous.

Warshan s'était lui aussi relevé. Il se prépara à lancer un nouveau sort, mais fut interrompu au milieu de son incantation. La douleur le plia en deux. Des flammes noires sortirent bientôt de sa bouche et de ses orbites, et disparurent.

-Non... murmura-t-il.

Il tenta de lancer un sort, mais les pouvoirs démoniaques l'avaient quitté.

-Traître! Eut-il le temps de hurler avant que l'épieu de glace ne le transforme en statue de glace, qui ne tarda pas à exploser en petits blocs épars.

-Il aurait du savoir que l'aide d'un démon a un prix, dit sombrement Nera.

-Repartons, coupa précipitamment Menarnar. »

Ils descendirent au milieu de l'amphithéâtre dévasté, et empruntèrent l'escalier en spirale.

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« Mon fils... quelle incroyable hasard que nous nous retrouvions ! dit Héloc. Je suis si fier de toi. Je t'ai cherch...

-Si c'est là un facétie du sort, le coupa Milobrec, alors elle est de bien mauvais goût. Je ne veux plus avoir affaire à toi.

-Je regrette ce que j'ai pu faire. Mais maintenant que nous nous sommes retrouvés, je me comporterai en père digne, je te le promets.

Milobrec explosa.

-Digne ! Mais jamais tu n'as été digne! Sais-tu seulement ce qui nous est arrivé à ma mère et à moi, lorsque tu l'as abandonnée ? Elle n'avait rien pour vivre. Elle a du se vendre à des hommes pour me nourrir !

Il reprit son souffle. Héloc semblait avoir vieilli de vingt ans.

-Et elle est morte ! Abattue par une de ces brutes ! Où étais-tu pour la protéger ? Où étais-tu lorsque j'ai du me battre avec les chiens et les rats pour trouver à manger dans les rues ? Tu nous as abandonnés ! Et maintenant que les choses vont mieux, tu voudrais revenir ? Tu n'as donc pas compris qu'il est trop tard ? Tu as brisé la vie de ma mère, et tu as failli briser la mienne ! Je n'ai pas besoin de toi. Sais-tu le plus horrible ? Jusqu'au bout, ma mère m'a parlé de toi en bien. Elle disait qu'un jour tu viendrais me trouver et m'aider.

Mais tu n'es jamais venu. Au début, j'ai voulu te retrouver. J'ai voulu te connaître. Mais plus maintenant. Même si tu as changé. Tu n'es pas mon père. Je n'ai pas de père.

-Laisse-moi au moins m'occuper de ta jambe... parvint à bégayer Héloc, sans conviction, car il semblait au bord des larmes.

-Je ne désire pas guérir, répondit sèchement Milobrec. Va-t-en.

Alors que son père sortait de la tente, il ajouta :

-Tu fais sans doute le bien, aujourd'hui. Peut-être cela lavera-t-il tes péchés, et peut-être la providence te pardonnera-t-elle. Mais pas moi. J'en suis incapable. »

Le prêtre sortit dans le froid mordant de l'extérieur, où sévissait un terrible blizzard. Ce n'était pas le froid, cependant, qui était à l'origine de ses larmes.

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Zanya se hissa sur le toit du Tùr Dùlra, au coeur d'une véritable tempête de neige. Le hurlement du vent couvrait presque entièrement le fracas de la bataille. Il avança péniblement courbé par le blizzard, et aperçut le mage qui avait tué Vonan. Il se tenait, droit comme I, sur un parapet surplombant la cour intérieure du Collège.

« Tu es venu, finalement, dit celui-ci en se retournant.

-Oui, pour te tuer, répondit Zanya.

-Honorable franchise, ironisa Orgveld. Tu me ressembles un peu finalement.

-Que veux-tu dire ?

Qu'attendait cet idiot de Warshan pour envoyer quelqu'un à son secours ? En attendant, Orgveld continua à gagner du temps.

-Hé bien, pour commencer, nous avons tous les deux à peu près le même âge.

C'était sans doute vrai. Zanya nota que les traits du mage étaient assez juvéniles.

-Ensuite, nous sommes tous les deux promis à un poste de chef chacun dans notre camp. C'est même déjà ton cas, et je n'y suis pas étranger.

Orgveld ignorait qu'au même moment, il devenait lui aussi par défaut le chef des renégats.

-La comparaison s'arrête là, dit Zanya. Tu as choisi la mauvaise voie; maintenant, prépare-toi à mourir. »

Orgveld répondit à la menace par un ricanement mauvais, puis se lança dans une incantation qui, une fois terminée, fit apparaître d'étranges lueurs blanches autour des deux combattants. Zanya resta un instant sans bouger, et fut surpris par un éclair qui jaillit de l'une des sphères lumineuses et le manqua de peu. Des éclairs partaient dans toutes les directions à partir des sphères. Le jeune homme en évita une, puis une autre, avant d'être surpris par une troisième qui arriva dans son dos. Par un réflexe insensé, il plaça son épée en position de parade, et, contre toute attente, l'éclair rebondit dessus.

« Elle peut parer les sorts... » pensa-t-il. Il dévia ainsi tous les autres éclairs et chargea Orgveld. Celui-ci psalmodia une courte formule, et une flamme violette jaillit de son poing fermé pour former une épée avec laquelle il bloqua de justesse le coup de Zanya. Sa contre attaque fut déviée par le jeune chef des druides, et Orgveld perdit l'équilibre. Il se téléporta de justesse loin de son adversaire pour éviter l'estoc de ce dernier.

De là, il invoqua plusieurs hydres autour de Zanya. Le jeune homme encerclé, eut de plus en plus de mal à parer les traits de feu lancés par les chimères ardentes de son ennemi. De la même manière qu'il sentait le pouvoir de son épée se manifester, même sans l'utiliser, il tenta de trouver celui que Nera avait conféré à son armure, et ne tarda pas à le trouver et à l'utiliser.

Orgveld fut désagréablement surpris de voir son ennemi se téléporter à distance sûre des hydres, qui ne tardèrent pas à disparaître. Peu importait, il avait le temps de jouer. Il invoqua de nouveau la flamme violette qui devint une épée et repassa à l'attaque.

En quelques téléportations, ils furent l'un devant l'autre. Zanya laissa exploser toute sa colère. D'un puissant coup du bas vers le haut, et il balaya la garde de son adversaire, et enchaîna sur un coup circulaire visant la gorge d'Orgveld, qui disparut juste avant d'être touché. Le jeune chef des druides se retourna et, voyant son ennemi réapparaître dans son dos, para de justesse son attaque avant de riposter par un estoc fulgurant. L'autre disparut de nouveau. Zanya le chercha du regard avant d'entendre un sifflement au dessus de lui.

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L'escalier en spirale débouchait sur une immense salle qui aurait ressemblait à une caverne, mais dont le sol et le plafond était faits non de pierre mais de terre meuble. Les larges racines des immenses arbres qui couvraient la colline du Tùr Dùlra traversaient par faisceaux le plafond de la salle et s'enfonçaient dans son sol, telles des colonnes plus imposantes encore que celles qui soutenaient le fronton du temple d'Athulua, sur Lycander. La salle, qui était sans aucun doute immense, car ils n'en voyaient pas les parois, était éclairée par des champignons phosphorescents, qui croissaient aussi bien sur les racines qu'à même le sol; leur lumière fantôme produisait d'étranges jeux d'ombres avec les racines des arbres.

« Cet endroit est incroyable, murmura Katenbau.

-Ce qui est aussi incroyable, c'est qu'aucun druide n'aie jamais eu connaissance de son existence, poursuivit Fiacla-Géar.

-Regardez, là-bas ! dit Nera en montrant des lumières de torches, quelques dizaines de mètres devant eux. »

Ils avancèrent de l'endroit que montrait la sorcière, et, une fois à portée de vue, se cachèrent derrière des racines épaisses pour observer la scène. Trois puissants menhirs de granit étaient dressés un triangle autour d'un seul monolithe, bien plus imposant, dont la surface était vierge, contrairement aux trois autres menhirs qui étaient eux couvertes de runes et de glyphes.

Trois silhouettes dissimulées par de longues capes de voyage se trouvaient à côté des trois menhirs. Apparemment absorbées par leur rituel, elles ne remarquèrent pas la présence des quatre héros. Ceux-ci se préparaient à passer à l'action lorsque les trois silhouettes cessèrent leur incantation. La plus grande des trois s'avança vers le monolithe central, puis dit :

-Bélial, Azmodan, occupez-vous d'eux. »

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Minnoca et Omatir rejoignirent le gros des forces druidiques après avoir éliminé la plupart des renégats qui se cachaient dans les immenses arbres. Ils ne tardèrent pas à rencontrer Kenndron, qui dirigeait l'armée des druides.

« Où sont les autres ? demanda Minnoca.

-Ils sont entrés dans le Collège avec Zanya, s'époumona le druide pour couvrir le fracas de la bataille.

-Alors rejoignons-les, répondit l'amazone.

-Ce n'est pas si simple. Voyez, dit-il en les amenant près du front.

Les renégats s'étaient regroupés devant les portes du Tùr Dùlra pour en interdire l'entrée aux druides.

-Nous avons beau les charger encore et encore, il faudra bien une heure pour les déloger de là. »

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La lame siffla en passant tout près de l'oreille de Zanya. Orgveld réceptionna et bloqua la contre attaque de son adversaire avant de se téléporter dans son dos et de lui envoyer une boule de feu. Le jeune chef des druides la dévia sans difficulté.

« On va relever un peu le niveau, maintenant... marmonna Orgveld en envoyant plusieurs orbes de glace en direction de Zanya.

Le jeune homme évita tous les projectiles glacés à grand renfort de parades et de téléportations, avant de se rendre compte de la disparition de son adversaire. Deux sphères enflammées apparurent à chaque extrémité du toit et foncèrent droit sur lui. Il se téléporta à distance sûre et vit avec stupeur que les deux boules de feu changèrent de direction pour lui arriver à nouveau dessus. Il les para à l'aide de son épée, mais une fois encore, les deux sphères changèrent de direction et le prirent de nouveau pour cibles. « Des sortilèges intelligents... » comprit Zanya. Mais cela ne lui disait guère comment s'en débarrasser, et surtout où avait pu passer son ennemi. Il se téléporta alors à plusieurs mètres au dessus du toit, et se téléporta derechef avant d'avoir amorcé sa chute, et continua ainsi en s'élevant toujours plus haut au dessus du Tùr Dùlra. Les deux boules le poursuivaient toujours, même s'il prenait de plus en plus d'avance sur elles. Il discerna alors au dessus de lui une lumière violette.

Orgveld se laissa tomber sur son ennemi, tel un rapace en piqué. Ils se trouvaient à bien soixante mètres de hauteur. L'autre était piégé; s'ils se téléportait vers le bas ou de côté, les boules de feu auraient raison de lui, et s'il continuait à se téléporter vers le haut, Orgveld le trancherait en deux avant qu'il n'aie eu le temps de réagir.

Zanya échafauda un plan aussi rapidement que possible. Il continua à se téléporter vers le haut, tandis que les boules de feu le talonnaient, et qu'Orgveld fondait sur lui à une vitesse hallucinante. Puis il cessa de se téléporter, et commença à tomber. Avec un léger retard, les trajectoires des boules de feu s'infléchirent, et Zanya se trouvait déjà plusieurs mètres en dessous d'elles lorsque les deux boules explosèrent l'une contre l'autre. Orgveld fut surpris par la tactique du druide, et ne put éviter la déflagration.

Se téléportant à plusieurs reprises vers le bas, Zanya parvint à ralentir sa chute, et réceptionna tranquillement sur le toit du Tùr Dùlra. Orgveld s'écrasa lourdement derrière lui, mais d'après le bruit de téléportation qui l'avait précédé, le jeune druide déduisit que sa chute n'avait pas été mortelle.

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Les deux silhouettes s'avancèrent en direction des quatre héros. La plus imposante des deux retira sa cape. Un moment, les héros crurent qu'il n'y avait rien sous le tissu, puis une brume gris clair apparut d'elle même, sur laquelle ressortit une ombre noire, semblable à celle d'un homme, mais elle faisait bien deux têtes de plus que Katenbau, qui pourtant tutoyait les deux mètres vingt. Les brumes s'amassèrent bientôt tel un manteau autour de la forme, et telles la vapeur se condensant pour devenir de la buée, formèrent une armure d'un blanc impeccablement éclatant autour de la forme. Le démon portait à l'un de ses bras un écu de taille modeste, et tenait de l'autre un énorme marteau de guerre. Son heaume ressemblait en tout point à celui des gardes de Lut Gholein, mis à part le fait que la partie recouvrant la face était un masque de théâtre dont l'expression changeait constamment.

« Le seigneur du mensonge... comprit Katenbau.

Bélial s'inclina en une moqueuse révérence avant de charger le descendant de Bul-Kathos. La Lame des anciens bloqua le marteau du démon, et le barbare répliqua par un coup du bas vers le haut que le seigneur du mensonge esquiva habilement.

Azmodan imita son cousin et se débarrassa de sa cape en fonçant dans la direction de Fiacla-Géar. Il ressemblait à un grand homme décharné, la peau d'un blanc cadavérique, translucide, presque transparente, tendue sur les os. Sept cornes ornaient le haut de son crâne, évoquant une couronne, et sa bouche sans lèvres s'étira sur des crocs acérés en un sourire carnassier, tandis que des griffes rétractiles démesurées jaillissaient de ses phalanges. Voyant le seigneur du péché arriver sur lui, Fiacla-Géar se métamorphosa et se mit en garde, mais Azmodan l'évita d'un saut spectaculaire et atterrit devant Menarnar.

-Ton frère te manque tant ? ricana-t-il.

-Je vais t'envoyer brûler en enfer, répondit le jeune guerrier, ignorant la provocation.

-Toujours aussi borné ? Alors prépare-toi à le rejoindre ! »

Sur ces mots, le démon visa de ses griffes la gorge du jeune homme, qui para le coup et contre attaqua sans plus de succès.

Fiacla-Géar et Nera, d'abord pris de court par la vivacité des deux démons secondaires, ne tardèrent pas à réagir. Le druide se jeta à l'aide du barbare, et la demi-elfe se téléporta dans le dos d'Azmodan pour le prendre en tenailles.

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Orgveld entrouvrit les yeux. La première chose qui lui vint à l'esprit fut une envie de suicide. Son corps lui faisait souffrir le martyre. La moitié de la surface de sa peau était gravement brûlée. La chair carbonisée fumait encore. Il entrouvrit ses lèvres éclatées et couvertes de sang séché, laissant entrer dans sa bouche une faible goulée d'air glacial, mais revigorant. Il hurla de douleur lorsque la peau de sa main resta fixée à la pierre du toit, tandis qu'il s'appuyait dessus pour se relever.

Passant sa main droite, qui était intacte mis à part quelques brûlures mineures, sur son crâne, il se rendit compte que l'explosion avait brûlé presque tous ses cheveux. Il se redressa, tituba sur quelques mètres aperçut le druide.

« Hé toi ! cria-t-il. Tu vas payer ! »

Sur ce, il lança une énorme boule de feu en direction de Zanya, puis une autre, et encore une troisième. Le jeune commandant des forces druidiques para les sorts les uns après les autres, mais ceux-ci étaient d'une telle puissance que l'impact le faisait reculer de presque un mètre. Orgveld enchaîna sort sur sort, faisant reculer son ennemi jusqu'au bord du toit.

Zanya ne s'en aperçut qu'au dernier moment. Il para une énième boule, et vacilla au bord du précipice.

Orgveld se téléporta juste devant lui. Un rictus de joie maléfique se dessina sur son visage défiguré par les flammes lorsque Zanya se courba lentement vers l'arrière et tomba, qui devint une grimace de rage lorsque le druide se raccrocha à la dernière minute au mince canal de pierre dans lequel devaient couler les eaux de pluie.

Zanya s'accrocha tant bien que mal au bord du toit. Son épée tomba dans la neige, sept mètres plus bas, et s'enfonça, pointe vers le haut. La pierre qu'il tenait de sa main droite se détacha du reste, et le jeune homme reste suspendu par sa main gauche. Orgveld l'écrasa de son talon.

-Voyons combien de temps tu vas tenir, dit-il en augmentant la pression.

Zanya ne tint pas longtemps. Son autre main lâcha, et il chuta.

Il réapparut dans le dos d'Orgveld et le saisit par les poignets, avant de se téléporter de nouveau dans le vide.

-Pour Vonan, pour Verghunt, et pour mon père, murmura-t-il alors qu'ils chutaient tous les deux. »

Puis il lâcha le chef des renégats et se téléporta sur le toit. Orgveld n'eut pas le temps de l'imiter, et termina sa chute plusieurs plus bas, sur l'épée de Zanya.

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Dans un tintement aigu, les griffes d'Azmodan et Sorrow se croisèrent. Le seigneur du péché tira de son côté, espérant déséquilibrer son adversaire, mais Menarnar se laissa entraîner et reprit rapidement ses appuis, tout en plantant un poignard qu'il avait dégainé la vitesse de l'éclair dans le torse du démon, qui ne broncha pas. Azmodan évita une orbe de glace, retira le poignard et le lança en direction de la magicienne, puis, sans prendre le temps de regarder si son tir avait fait mouche, repassa à l'attaque.

Katenbau bloqua difficilement un puissant coup de marteau, puis répliqua par une série d'attaques d'une rapidité hallucinante que Bélial para les uns après les autres, tout en écartant de son bras libre le loup-garou qui tentait de lui transpercer la gorge. Le druide, le barbare et le démon enchaînaient les coups avec une célérité incroyable, dans un corps à corps qui ressemblait à un ballet d'acier, d'ivoire et d'argent d'une précision surréaliste et d'une grâce mortelle.

La lourdeur du seigneur du mensonge n'était qu'apparente; d'un coup de son poing d'acier d'une puissance formidable, il envoya Fiacla-Géar contre une racine, plusieurs mètres plus loin. Le druide resta au sol, sonné. Le démon se tourna alors vers Katenbau, et balaya sa garde d'un coup de marteau d'une force incroyable avant d'enchaîner sur un coup de poing qui manqua de décrocher la mâchoire du barbare. Des volutes de brume noire s'échappèrent du torse du démon et entrèrent dans ses narines; il parut alors sur le point de s'endormir. Nera s'en rendit compte et lança un orbe de glace dans la direction de Bélial. Le démon évita le sort, et reporta son attention sur la sorcière. Les volutes disparurent et Katenbau s'effondra.

Bélial fonçait droit sur Nera lorsqu'une silhouette jaillit dans le dos de la demi-elfe et intercepta le démon.

« Metaxa ! soupira-t-elle de soulagement.

La guerrière fonça droit sur le seigneur du mensonge, tandis que Katenbau se relevait, une lueur étrange dans les yeux. Il chargea Metaxa qui se retrouva prise entre deux feux.

-Mais qu'est-ce que tu fais ?

-Je m'en occupe, dit Fiacla-Géar.

Il se métamorphosa en ours, et isola Katenbau du combat. Metaxa n'en avait pas moins du mal à contenir Bélial.

-Aide-moi, Nera !

La sorcière, hésitante, jeta un regard en direction de Menarnar.

-Vas-y, je peux m'en charger tout seul ! cria-t-il en parant une attaque d'Azmodan.

Fiacla-Géar émit un grognement obscur, signifiant probablement qu'il n'avait pas besoin d'aide. Nera s'élança donc en direction de Bélial et Metaxa faisant pleuvoir une nuée de sortilèges sur le démon. Fiacla-Géar parvint à désarmer le barbare et à le plaquer contre une racine particulièrement épaisse en attendant que le maléfice de Bélial disparaisse.

Menarnar se retrouva seul face à Azmodan.

-Nous sommes de nouveaux tranquilles... murmura le démon. Je vais pouvoir finir le travail, cette fois.

-Je te rappelle que c'est toi qui avais fui, la dernière fois, répondit Menarnar, alors viens te battre et cesse de jacasser. J'ai une mort à venger. Tu ne pourras pas t'enfuir, cette fois. »

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Zanya se hissa sur le toit et resta allongé plusieurs minutes, avant d'entendre des cris d'hommes non loin de lui. Des druides grimpaient sur le toit via la trappe qu'il avait emprunté. Il se releva doucement tandis que l'un d'eux courait dans sa direction. C'était Kenndron.

« Tout va bien, Zanya ?

-Kenndron, Vonan est...

-Je sais, j'ai vu.

-Je l'ai vengé Kenndron.. je, j'ai... sanglota Zanya en tentant de le cacher en essuyant la suie de son front.

-Tu as fait ce qui était bien, j'en suis sûr, répondit doucement Kenndron en le prenant par l'épaule. Calme-toi.

Plusieurs soldats druides étaient à présent rassemblés autour d'eux.

-Tu es notre chef. Nous avons presque gagné la bataille et nos hommes sont dans le Tùr Dùlra. Que faut-il faire ?

Zanya se reprit.

-Combien reste-t-il de renégats ?

-Environ deux centaines, peut-être moins. J'ai laissé le commandement des forces extérieures aux deux étrangers.

-Bien. Il nous faut maintenant trouver les démons. Fouillons le Collège de haut en bas. Nous devons les trouver au plus vite. »

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Tandis que Katenbau redevenait peu à peu lui-même sous la surveillance de Fiacla-Géar, que Metaxa et Nera affrontaient Bélial et que Menarnar combattait Azmodan, le troisième démon cessa son incantation. Une lueur bleutée apparut sur ses mains.

Moloch rejeta sa cape, et momentanément, toutes les attentions se tournèrent vers lui. Il ressemblait à un terrifiant arthropode bipède. Ses puissantes jambes étaient protégées par un solide exosquelette chitineux et bardé de pointes. De son thorax puissant partaient non pas deux mais quatre bras bien protégés par la même carapace noire hérissée de pics que le reste du corps. Ses mains reliées par un poignet qui pouvait pivoter dans toutes les directions imaginables à l'avant-bras étaient percées en leur centre. Sa bouche était dissimulée par deux paires de crochets, à la manière d'une araignée, et il n'avait pas de nez., seulement deux fentes qui se dilataient lorsqu'il inspirait.

Ses quatre mains brillaient d'un léger éclat bleuté.

« C'est terminé ? gronda Azmodan.

Moloch répondit par un hochement de tête, puis s'élança en direction des escaliers qui remontaient vers l'amphithéâtre. Au même moment, Katenbau reprit ses esprits.

-Que se passe-t-il ?

-Suis-moi ! répondit Fiacla-Géar en poursuivant le démon. »

Le druide se lança à la poursuite de Moloch, suivi de près par Katenbau, tandis que le combat reprenait derrière eux.

Moloch remonta quatre à quatre les marches de l'escalier en spirale et se retrouva dans l'amphithéâtre. Il commença à monter les gradins lorsqu'une troupe de druides apparut plusieurs rangées au dessus de lui, lui bloquant la sortie. Le druide et le barbare émergèrent à leur tour de l'escalier.

« Arrêtez-le! cria Fiacla-Géar. »

Les druides se disposèrent en demi-cercle autour de la sortie, mais le démon les projeta contre les murs d'un simple geste du doigt avant de s'engouffrer dans le couloir, Fiacla-Géar et Katenbau sur ses talons. Moloch s'engouffra dans un corridor. Un druide lui bloquait le passage, qui se mit en garde dès qu'il le vit. Des longues lames effilés jaillirent de chacune des quatre mains du démon, qui se déplièrent en tronçons reliés par un long fouet. Les quatre fouets claquèrent, et sectionnèrent les deux bras et la tête du druide qui n'eut pas le temps d'esquisser le moindre mouvement. Moloch continua sa course folle à travers les corridors, massacrant tous les druides qui croisaient son chemin, tandis que Fiacla-Géar et Katenbau le suivaient tant bien que mal, sautant par dessus les cadavres démembrés, jusqu'à ce qu'ils débouchent dans la cour intérieure du Tùr Dùlra, où se dressait le Glòr-an-Fhàidha, l'immense chêne sacré des druides.

Celle-ci était un vaste disque, organisé autour du l'énorme Chêne sacré qui était presque aussi énorme que les autres arbres de la colline. Son tronc avait bien dix mètres de diamètre, et son branchage était si dense et imposant qu'il cachait le ciel à la vue de ceux qui se trouvaient dans la cour.

-Empêchez-le d'atteindre le tronc ! cria Fiacla-Géar.

Parmi les quelques druides qui arpentaient la cour enneigée, le premier à réagir fut Kenndron. Il tenta de s'interposer entre Moloch et le Glòr-an-Fhàidha, mais le démon, d'un geste de la main, lui envoya un choc télékinétique qui propulsa le druide contre le tronc du chêne. Kenndron ne se releva pas. D'autres druides s'interposèrent, sans plus de succès. L'un d'eux envoya une boule de feu à l'intention de Moloch, qui encaissa le choc sans broncher, et atteignit finalement l'arbre sacré, qui se retrouva nimbé d'un halo bleuté, qui projetait une lumière irréelle, comme une aurore boréale, sur la neige d'un blanc impeccable qui recouvrait le sol aussitôt que les mains du démon l'eurent effleuré.

Puis il y eut un profond grondement, comme si les cieux se déchiraient au dessus d'eux, et un éclair violet jaillit du chêne sacré, s'éleva dans le ciel jusqu'à traverser l'épaisse couche de nuages qui masquait la lune, avant de disparaître hors de leur champ de vision. Pendant un moment, il ne se passa rien, puis un autre grondement, cette fois clairement identifiable, et beaucoup plus puissant, répondit au précédent. La terre commença à trembler. La neige qui s'était entassée sur les branches nues du Glòr-an-Fhàidha tomba au sol, et quelques druides perdirent leur équilibre. Puis tout s'arrêta.

-Père... murmura Moloch. »

Puis il se tourna vers Katenbau et Fiacla-Géar, visiblement décidé à en finir avec eux.


« Ils ont échoué ? s'écria Metaxa.

-Il semblerait, répondit Nera, alors dépêchons-nous d'en finir avec ceux-là pour aider Katenbau et Nek.

-Je suis d'accord, ricana Azmodan, finissons-en. »

Et le combat reprit, Nera et Metaxa contre Bélial, Menarnar contre Azmodan.

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Le tremblement de terre annonçant la victoire de leurs maîtres remonta efficacement le moral des renégats, et porta un coup à celui des druides. Les serviteurs des démons firent une sortie en force, et balayèrent les premiers rangs de l'armée druidique, avant de la disperser. C'est alors qu'un puissant rugissement se fit entendre, précédant le bruit d'immenses ailes qui brassaient l'air froid de la nuit. Un dragon vert se posa au beau milieu du champ de bataille, écrasant plusieurs dizaines de combattants des deux camps. Il rugit à nouveau, puis sembla chercher quelque chose du regard; l'ayant trouvé, il s'avança, écrasant d'autres guerriers, et s'arrêta, dominant de toute sa stature un guerrier entouré de cadavres.

Le dragon inclina le cou jusqu'à ce que sa tête soit à peu près au niveau d'Omatir. Le barbare reconnut immédiatement le grand reptile. C'était celui qu'il avait affronté puis libéré dans l'arène des zarkens. Le dragon poussa un long rugissement, son haleine de charogne rance manqua de faire s'évanouir le frère cadet de Katenbau. Omatir saisit son maul, acceptant le combat.
"Raise your head and taste the courage
(the one of light)
Fall from grace, unholy night
I've come here to kill you,
Won't leave until you've died
Murder born of vengeance,
I closed my brother's eyes tonight...

It's cold tonight as the clouds turn grey
And from my hands to my brother's grave
You took his side, you took his gift,
Feel the power of a fallen man, crestfallen man..."

Avenged Sevenfold

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Contre toute attente, le dragon posa la tête au sol, indiquant au barbare de grimper dessus. Omatir s'exécuta, escalada comme il put la longue nuque, s'assit derrière les deux ailes immenses et saisit les chaînes qui pendaient encore de ses épaules pour s'en servir comme de rennes. Le dragon se redressa, et Omatir faillit perdre l'équilibre, tel un cavalier inexpérimenté sur un cheval qui se cabre. Chevaucher un dragon n'était guère aisé, surtout sans selle ni mors, encore que le barbare eut du mal à se représenter un être aussi titanesque et indomptable sellé. Le grand reptile décolla alors, et bien vite Omatir découvrit les joies du vol. Le dragon se laissait guider sans broncher par le barbare. Celui-ci lui fit décrire un cercle à plusieurs dizaines de mètres au dessus du Tùr Dùlra, puis fondit en piqué sur les forces des renégats en les gratifiant d'un déluge de flammes, sous les acclamations des druides. Le dragon reprit de l'altitude, puis fondit derechef en faisant s'abattre une pluie de mort sur ses ennemis. Les derniers renégats se débandèrent une fois pour toutes, et les druides dévalèrent la colline en les poursuivant jusqu'au dernier.

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« Et maintenant, je vais m'occuper de vous, gronda Moloch.

Et sans prévenir il lança une boule de feu noire qui frappa Fiacla-Géar au ventre. Le druide fut projeté quelques mètres plus loin. L'instant suivant, Katenbau était déjà en l'air, prêt à abattre la Lame des Anciens sur le crâne du démon.

- Oh, non... murmura Moloch.

Il fit un petit geste de la main, et le barbare se retrouva immobilisé à deux mètres du sol.

- Je crois savoir que vous êtes ceux auxquels je dois le fait de n'avoir jamais rencontré mes frères, n'est-ce pas ?

D'un autre geste, il propulsa par télékinésie le barbare contre un mur du Tùr Dùlra. Le choc manqua de faire perdre connaissance à Katenbau. Il eut à peine le temps de reprendre sa respiration que déjà Moloch l'envoyait avec une facilité déconcertante percuter le mur d'en face avec la vitesse d'un projectile de baliste. Les jointures de l'armure du barbare cédèrent, et elle tomba au sol. Moloch continua de s'amuser avec le barbare, et l'envoya percuter les autres murs avec une violence inouïe. Le torse de Katenbau était couvert de contusions, et tout son corps lui faisait souffrir le martyre. Seule la volonté du démon le maintenait conscient, sans doute pour le faire souffrir encore et encore.


D'un surpuissant revers de marteau, Bélial balaya la garde de Metaxa, et la repoussa d'un violent coup de poing. La guerrière resta sonnée, et le seigneur du mensonge en profita pour fondre sur Nera. Des fumerolles noires sortirent de son torse, et entrèrent de force dans les narines de la demi-elfe, comme auparavant avec Katenbau.

La salle sembla disparaître devant elle, tandis que deux silhouettes apparaissaient dans l'ombre, l'une petite, l'autre grande et fière. Les formes se précisèrent et Nera reconnut le visage de Lëkor.

« Mon amour... murmura la voix du nécromancien.

Une tristesse infinie envahit Nera.

- Mon amour, tu peux nous rejoindre... nous pouvons nous retrouver, et alors nous ne nous quitterons plus...

La figure de la petite silhouette se précisa à son tour. C'était un enfant, un magnifique garçon. Comme en réponse à ses questions, la voix de son mari reprit :

- C'est notre fils, Nera. Notre fils... il est si impatient d'être avec toi...

Des larmes coulèrent sur les joues de la sorcière. Elle eut une révélation. Tout était si simple. Elle n'avait qu'une seule chose à faire, puis elle pourrait connaître un bonheur sans fin en compagnie du mari qu'elle avait perdu et du fils qu'elle n'avait jamais eu. Une seule chose, si simple. Le mana commença à monter en elle.

- Nera ! cria la voix lointaine, discordante de Metaxa.

- Tu n'as plus à te soucier d'eux, fit la voix du nécromancien. Tu as assez donné pour ce monde où tu n'as jamais eu vraiment ta place. Il est temps de penser à toi, de penser à nous.

- Non, répondit Nera. Ceci est faux. Lëkor ne saurait parler ainsi.

- Cela n'a pas de sens, poursuivit doucement la voix. Les elfes t'ont rejeté, les hommes ne t'ont jamais véritablement accepté, à part moi. Tu as suffisamment fait pour eux. Tu as mérité de nous rejoindre, à présent.

- Non, pas maintenant. Lëkor n'aurais jamais voulu que j'abandonne ses amis.

La peine se mua en colère.

- Ceci est un mensonge ! Tu n'es qu'un mensonge !

L'image du nécromancien et de l'enfant s'estompèrent peu à peu. Avant de disparaître, l'enfant sourit, et une voix enfantine se fit entendre.

- Bientôt... »

La salle réapparut clairement devant Nera. Le seigneur du mensonge s'était de nouveau tourné vers Metaxa.

Nera concentra son pouvoir en un unique sort. L'orbe de glace partit, et se ficha dans le dos de Bélial avec une vitesse trop fulgurante pour que l'oeil put suivre sa trajectoire. Le démon souffrit visiblement. Une fine pellicule de gel recouvrit l'ensemble de son être, et il se figea. Metaxa enfonça ses deux griffes dans le ventre du démon gelé une fois, puis deux, puis trois, accumulant une énergie colossale, avant de la libérer, sous forme de griffes de tonnerre, avec un dernier coup, qui fit au sens propre exploser le seigneur du mensonge. La foudre libéra une énergie phénoménale, et l'armure gelée explosa en volutes de fumée, ne laissant derrière elle que le masque de théâtre, qui roula sur quelques mètres, figé dans un sourire moqueur et cynique. Bélial était détruit.

« Je m'occupe d'Azmodan, cria Menarnar, partez aider Katenbau et Nek ! »

Metaxa et Nera se précipitèrent vers les escaliers, laissant Azmodan et le jeune homme à leur duel.



Minnoca traversa en courant les corridors déserts du Tùr Dùlra. Le tremblement de terre ne pouvait signifier qu'une seule chose : les autres avaient échoué. De toute évidence ils devaient être en danger grave, puisque les démons avaient été assez puissants pour les tenir en échec. Si jamais l'un d'eux était mort... Si jamais Katenbau...

Elle écarta cette pensée, et dévala un long escalier qui donnait sur un long couloir circulaire. Le barbare lui avait toujours plu, ne serait-ce que physiquement, mais elle avait l'impression que quelque chose avait changé entre eux pendant le temps qu'ils avaient passé dans les souterrains du fort d'Oswonn. Ils n'en avaient jamais reparlé, le barbare évitant soigneusement le sujet en public, et préférant l'éluder chaque fois qu'ils se retrouvaient seuls.

Il y eut un embranchement à droite. L'amazone l'emprunta, et déboucha dans la cour intérieure. Un immense démon, haut d'environ quatre mètres, se tenait au pied du chêne immense qui se dressait en son milieu, couvert d'une carapace chitineuse, dont l'attention était retenue par un corps suspendu à plusieurs mètres au dessus du sol. Le sang de Minnoca ne fit qu'un tour.

« Katenbau !

Le démon, se détourna, et avec un soupir ennuyé, envoya le barbare percuter le mur d'en face. Katenbau traversa une fenêtre, et atterrit dans ce qui semblait être une salle d'études adjacente à la cour intérieure. Il chuta lourdement sur une table qui céda sous son poids. L'épuisement et la douleur intenable lui firent perdre conscience presque aussitôt.

- Vous autres humains faites preuve d'une courage parfaitement stupide, ce qui est très agaçant. Enfin, je suppose que si ta dernière volonté est de mourir avant ton ami, je pourrai me permettre de la respecter.

-I l n'y a que toi qui mourras, ce soir, fit la voix de Nera.

- De plus vous avez un penchant très marqué pour le mélodrame, ironisa le démon. L'héroïsme... un concept très étrange.

Metaxa et Nera vinrent se placer à côté de Minnoca.

- Bah, de toute façon, votre race ne va pas tarder à disparaître, alors cela n'a plus beaucoup d'importance. »

Les quatre fouets tranchants se déployèrent. Chacun d'eux prit alors une teinte différente. Des flammes coururent sur l'un, des arcs électriques apparaissaient sur un autre, une fine pellicule de givre recouvrait le troisième, et le dernier était enduit de flammes noires. Moloch se mit en garde, prêt à combattre.



Menarnar avait changé. Azmodan s'en rendit bien vite compte, rien qu'en observant l'attitude du jeune homme. Celui-ci n'était plus l'adolescent timoré qui se battait plus pour sa propre vie que pour vaincre son adversaire, mais un jeune homme qui ne craignait plus ni la mort, ni la douleur, et qui laissait libre cours à sa furie en combat, portant ses coups avec une violence et une brutalité qui n'avaient d'égale que la vitesse avec laquelle il les enchaînait. Le seigneur du péché en était presque effrayé, et le jeune homme finit par s'en rendre compte.

« Tu m'as tout pris, démon, dit-il. Je n'ai plus rien à perdre, et plus rien à gagner.

- Voilà de nobles sentiments, se moqua Azmodan.

- Je n'ai jamais prétendu être un héros, répondit tranquillement Menarnar, seulement un vengeur. Et je vais prendre ta vie avant l'aube. »

Joignant le geste à la parole, il leva haut Sorrow, qui luisait à la lueur des champignons fluorescents, comme si l'épée, de sa propre volonté, réclamait du sang, et l'abattit sur le seigneur du péché qui la bloqua à l'aide de ses griffes; le jeune homme enchaîna immédiatement sur plusieurs coups circulaires que le démon para avec difficulté, puis poursuivit son attaque avec un estoc rapide et précis, qui entailla le flanc de son adversaire, et acheva son mouvement dans le dos d'Azmodan. Le démon se retourna pour dévier de justesse une nouvelle attaque, qui fut de nouveau suivie par tout un enchaînement d'une fluidité incroyable. Le seigneur du péché comprit qu'il ne parviendrait jamais à tenir un tel rythme longtemps. Il invoqua une puissante déflagration juste devant Menarnar. Le souffle déséquilibra le jeune homme, et Azmodan chargea, profitant d'une ouverture momentanée. Mais le porteur de Sorrow avait anticipé le mouvement de son ennemi, et esquiva le coup sans difficulté, avant de répliquer par un coup du pommeau de son épée qu'il asséna au visage du démon surpris. L'arcade se fendit, et un épais sang noir commença à couler le long de la face d'Azmodan.

Ce dernier, furieux, repoussa Menarnar d'une charge de l'épaule, puis provoqua une autre explosion, cette fois-ci bien plus puissante que la première. Le jeune homme fut projeté contre une racine épaisse et se rétablit tant bien que mal. Une seconde plus tard, le démon était sur lui, le harcelant de coups rapides et précis. Le frère de Miniryak en bloqua la majorité, mais se retrouva avec une profonde coupure au visage, et une blessure assez profonde à l'épaule. Il répliqua par une série de coups surpuissants, qui repoussèrent Azmodan plusieurs mètres plus loin. Le seigneur du péché invoqua une troisième explosion, toute aussi puissante que la précédente, qui propulsa Menarnar contre le plafond. Il se cogna violemment le dos contre la terre qui était plus solide qu'en apparence, et retomba lourdement sur le sol de la salle. Azmodan s'approcha de lui, et lui asséna un violent coup de pied, qui le fit rouler sur lui même. Il se releva péniblement, et un autre coup de poing le remit au sol. Il sentit le goût âcre du sang dans sa bouche. Une autre explosion le jeta quelques mètre plus loin. Là, il se releva, cracha le sang qui emplissait sa bouche et fit de nouveau face à son adversaire.

Le regard méprisant du démon lui rappela le jour où, tenant dans ses bras le corps de Miniryak, il s'était juré de le retrouver et de l'abattre. Avec un cri de pure haine, Menarnar se lança de nouveau au combat, frappant avec plus de rage et de puissance que jamais. La force des coups était telle qu'Azmodan reculait sous l'impact à chaque fois qu'il en bloquait un. Il termina son enchaînement par un revers de lame si puissant qu'il trancha net les griffes du démon. Le coup suivant découpa net les mains du seigneur du péché.

Alors qu'il s'apprêtait à achever Azmodan, Menarnar ressentit une douleur incroyable au niveau de son index droit.

« Tue le... fit une voix dans sa tête... Tue le ! Obéis-moi, tue-le !

- Je ne vous obéirais pas ! cria Menarnar à haute voix, au grand étonnement d'Azmodan, qui, était toujours immobilisé contre une racine, le tranchant de Sorrow affleurant sa gorge.

- Tu m'obéiras ! Tu n'as pas le choix ! cria dans son esprit la voix de Berênhar.

- Il n'en est pas question, répondit le jeune homme, toujours à voix, haute, comme si son aïeul se trouvait devant lui. J'agis de mon propre chef.

- De ton propre chef ? Mais tu n'as pas de volonté ! Sinon, pourquoi pourchasserais-tu ce démon ? Cela n'a pas de sens !

Sentant là une opportunité, Azmodan dit :

- Si tu me tues, cela prouvera que tu n'es pas libre. Et alors, tu devras toujours lui obéir.

D'une légère pression de l'épée, Menarnar le fit taire.

- Ne l'écoute pas ! Tue-le ! Venge l'Empire ! Venge tes ancêtres !

- Tue moi, dit Azmodan, et ton âme sera à lui. A jamais.

- Si tu le laisses partir, Menarnar, menaça la voix, tu passeras pour toujours du côté du mal ! Alors, au nom de tes ancêtres, TUE-LE !

- Non... répondit simplement Menarnar.

- Tu as le choix entre la servitude et la liberté, dit Azmodan.

- Tu as le choix entre le bien et le mal, répliqua Berênhar dans son esprit.

- Ecoute-moi ! crièrent simultanément l'empereur et le démon.

- NON ! hurla-t-il. JE N'ECOUTERAI PLUS JAMAIS !

Son épée s'éloigna lentement de la gorge d'Azmodan, qui commença immédiatement à invoquer une explosion.

Puis Menarnar acheva de tourner sur lui-même, et son épée s'enfonça dans la poitrine du démon qui eut un hoquet de surprise. Une giclée de sang aspergea le visage du jeune homme.

- Au nom de Miniryak...

Il retira son épée, et Azmodan chancela. Puis il le décapita d'un coup net. Puis il dégaina une courte dague, et trancha net son index droit, où il avait passé naguère l'anneau de Berênhar. La douleur ne lui arracha qu'un grognement.

- Et en mon nom à moi. »

_______________


Les trois femmes et le démon s'observaient mutuellement, chaque partie n'osant engager le combat. Mettant fin à la situation, un druide arriva dans la cour par une porte située dans le dos de Moloch. Avant même d'avoir bien compris ce qui se trouvait sous ses yeux, l'homme avait le torse traversé de part en part par un des fouets du démon. Des flammes noires léchèrent son corps, et en quelques instants il ne fut plus que poussière.

Le temps que mit le démon à se retourner suffit à Metaxa pour être sur lui. La guerrière coinça de ses griffes deux des chaînes. Moloch s'apprêtait à la frapper à l'aide de celui qui avait tué le druide lorsqu'une flèche gelée l'atteignit au bras, le paralysant. Un orbe de glace immobilisa son dernier bras libre. Sifflant de fureur, Moloch utilisa ses fouets enroulés autour des griffes de Metaxa pour projeter cette dernière contre un mur. Elle parvint à reprendre ses appuis sans trop de dommages.

Mais le démon primaire était déjà sur Nera et Minnoca. L'emprise du froid diminua rapidement, et ses quatre bras furent bien vite libres à nouveau. La sorcière eut cependant le temps de lancer un puissant charme de protection autour d'elle-même et de l'amazone, contre lequel claquaient impuissamment les fouets de leur ennemi. Pendant ce temps, Metaxa avait escaladé le tronc du Glòr-an-Fhàidha, et, accrochée à une branche, se préparait à fondre comme un rapace sur Moloch.

Que le démon ait vu le reflet de la guerrière dans les yeux de Nera ou de Minnoca, ou qu'il ait anticipé le coup par quelque don de prescience, le résultat fut le même. Il enroula au dernier moment son fouet gelé autour de la taille de Metaxa et l'envoya percuter violemment un mur de l'autre côté de la cour. Blessée gravement et engourdie par le froid, elle ne trouva pas la force de ses relever. Puis il profita de la déconcentration passagère de la demi-elfe pour briser son charme d'un coup rageur de fouet noir, et saisit Minnoca et Nera à l'aide de ses deux fouets restants, et leur réserva le même sort qu'à Metaxa.

Enfin, il enroula ses quatre fouets les uns autour des autres, formant une seule boule nimbée d'un halo rouge sang. De là partirent, dans toutes les directions et au hasard, des boules de feu, de froid, de poison et de foudre, par centaines, dont plusieurs frappèrent les trois femmes.

Puis Moloch mit un terme au sort, et le chaos cessa. Le silence retomba sur la cour intérieure, un silence de mort. Par télékinésie, il souleva les corps de Metaxa, inconsciente, de Nera, brisée par la puissance magique du démon, et de Minnoca, qui n'allait guère mieux. Lentement, il exerça une pression grandissante sur leur gorge.

Puis le silence fut brisé.

« Moloch ! » rugit la voix de Katenbau.

Le barbare se tenait, le torse nu et couvert de brûlures, d'ecchymoses et de balafres, sur le pan de mur effondré. Moloch laissa choir les corps de Minnoca, Nera et Metaxa, et se retourna vers lui. Katenbau tendit le bras, et la Lame des Anciens se dégagea d'elle-même de la neige pour venir dans sa main, comme lors du combat à la cathédrale d'Inarius. D'un salto magistral il se retrouva face au démon, et lui trancha un bras avant que celui-ci n'ait eu le temps de réagir. Le membre sectionné, qui tenait encore le fouet noir, s'enfonça dans l'épaisse couche de neige. Moloch, excédé, tenta de projeter son adversaire contre un mur, mais il se heurta à une véritable forteresse mentale imprenable.

« A la régulière, cette fois, démon, murmura Katenbau. »

Le barbare et le démon se jetèrent dans un corps à corps fulgurant, Molch jouant de ses trois fouets avec une dextérité incroyable, et Katenbau parant, esquivant et répondant si vite qu'il semblait que chaque combattant savait à l'avance quand et comment son ennemi allait frapper. Le ballet mortel se poursuivit à un rythme effréné pendant plusieurs minutes, puis Moloch commit enfin une erreur. Un autre bras tomba. Fou de rage, le démon parvint à enrouler ses deux fouets restant autour de la Lame des Anciens, et désarma le barbare. Katenbau arrêta mentalement l'épée et la récupéra juste assez tôt pour parer le coup suivant. La danse de mort reprit, jusqu'à ce qu'un troisième combattant rejoigne Moloch et Katenbau.

Moloch parvenait assez aisément à dévier les coups de son adversaire, malgré les deux bras qu'il avait perdu. Il lui était cependant impossible de désarmer ou de repousser son ennemi. Il échafauda rapidement un plan. Ses deux fouets s'enroulèrent autour de la Lame des Anciens, et de puissantes griffes jaillirent de ses orteils. Alors qu'il s'apprêtait à les envoyer dans les ventre du barbare, une douleur aiguë dans le dos l'arrêta.

Fiacla-Géar, métamorphosé en ours, remua ses griffes dans la plaie, forçant Moloch à se courber vers l'arrière. Voyant Metaxa et Minnoca reprendre leurs esprits, Katenbau se décala, tirant sur les chaînes pour faire du torse solidement protégé une cible facile. L'amazone décocha une flèche d'immolation qui se ficha droit dans le poitrail du démon. L'explosion souleva en partie la carapace, que Metaxa arracha à l'aide de ses griffes. Katenbau lâcha son épée pour libérer ses mains. Moloch voulut le frapper de ses fouets, mais un autre coup de griffes dans le dos le mit à genoux. Le barbare retira alors d'une poche de sa ceinture une pierre à l'éclat vert émeraude. Il enfonça la pierre d'âme dans le coeur désormais sans protection de Moloch.


Des cascades de feu s'abattirent sur les derniers renégats. Lorsque le dernier groupe disparut sous un déluge ardent, une clameur victorieuse s'éleva de l'armée des druides, tandis que l'aube pointait à l'est.

La journée fut employée à panser les blessure et à fêter la victoire. Puis le lendemain, les druides creusèrent la neige pour retrouver les corps. Ceux des renégats furent entassés dans une grande fosse à l'écart du champ de bataille, puis brûlés, tandis que les cadavres des druides furent ensevelis en cercle autour d'un monument à la gloire des morts qui fut érigé à côté de l'entrée du Tùr Dùlra.

Puis les messagers partirent, annonçant la nouvelle de la victoire dans tous les havres de paix. Une semaine plus tard, tous les druides survivants de Scosglen étaient rassemblés à Xanidrya. On se recueillit devant le monument aux morts, puis, au soir, un grand banquet fut organisé devant le Collège. A la fin de ce dernier, Zanya, et quelques autres, dont Eunon, Kenndron, Gûrun, le chef des villages de l'est, et Katenbau, se levèrent. Le jeune homme, se tenant devant sept bon milliers de convives, leva son verre.

« Ce soir, commença-t-il, nous célébrons la plus grande victoire de l'histoire de notre peuple. Gloire aux morts triomphants !

Tous, Zanya comprit, levèrent leur gobelet et le burent d'une gorgée.

- Comme je l'ai dis, cette bataille est la plus grande que nous ayons jamais connu. L'Ennemi a été chassé de Scosglen.

Il y eut de nombreuses acclamations. Zanya fit une pause avant de reprendre.

- Le sacrifice de mille huit-cent d'entre nous n'aura donc pas été vain.

Il y eut un silence affligé. Nombreux étaient ceux qui, ayant déjà perdu tous leurs biens, avait encore perdu un parent ou un ami.

- Cependant, la victoire nous laisse un goût amer. En effet, les démons responsables de ce carnage, bien que tous mis à mort par nos alliés -il désigna Katenbau de la tête, sont parvenus à leurs fins. Ils ont déclenché le Uileloscadh Mòr; la paix sera donc courte.

Nous devons cependant mettre ce temps à profit pour panser nos blessures. L'avenir s'annonce sombre, et nous devrons défendre nos terres de nouveau, mais pour le moment, il faut reconstruire notre pays. Je vous annonce que les travaux de réparation à Xanidrya reprendront dès demain.

Enfin, vient le temps de récompenser les héros de cette bataille. Tous nos combattants ont fait preuve d'une bravoure exemplaire, mais certains ont fait preuve d'un héroïsme particulier. D'abord, je veux parler des étrangers qui nous ont beaucoup aidé. Katenbau a tué bien des ennemis, et vaincu Moloch, leur chef suprême.

Il y eut un tonnerre d'applaudissements.

- Menarnar a vaincu Warshan le chef des renégats, et abattu Azmodan , l'un des trois démons, a lui seul.

Il y eut encore des vivats bruyants. Zanya cita encore Minnoca, Nera, Milobrec, Metaxa, Nek et Omatir. Ce dernier eut droit aux vivats les plus chaleureux. « Chevalier Dragon ! » scandèrent certains. Il s'agissait du nom que lui avait donné les soldats druides, étant non seulement le seul homme à avoir chevauché un dragon mais aussi parce qu'il avait tué plus de deux cents ennemis, renversant à lui seul le cours de la bataille. Le dragon, lui, avait reçu le nom de Vurtzan, qui signifie Coeur Fidèle dans la langue des druides.

- Enfin, terminons avec un homme qui a sacrifié sa vie pour notre cause. Vonan était un de nos plus brillants généraux. Il a périt en héros au cours de la bataille. J'aimerais que nous buvions à sa mémoire. Puisse son sacrifice n'avoir pas été vain.

Ils burent tous, et répétèrent.

- Puisse son sacrifice n'avoir pas été vain. »
"Ils ont échoué, Lëkor, je l'ai senti ! Mon frère est de retour. Je peux le sentir d'ici ! Sa fureur est plus terrible que jamais.

- Que devons-nous faire, maître ?

- J'ai senti un grand pouvoir se dresser au nord de Sanctuary. Une île a surgi des flots, brisant la banquise arctique. C'est là qu'il se tient. Je ne vois qu'une option, Lëkor. Il faut envoyer les guerriers humains là-bas pour défaire Scatar.

- Mais ses pouvoirs ne sont-ils pas infinis ?

- Pas tout à fait, même s'il est sans aucun doute à l'heure actuelle l'être le plus puissant de la création, et de loin.

- N'est-ce pas une folie de les envoyer ainsi à la mort ? Ne vaudrait-il pas mieux envoyer nos propres troupes ?

- De toute manière, Lëkor, la situation est désespérée. Je ne sais pas si tu réalises à quel point elle l'est. Le retour de Scatar annonce la fin d'ici peu du Grand Conflit. La dernière bataille est sur le point de se livrer, et notre victoire est très improbable. Mais mon plan n'est peut-être pas si désespéré. Il est probable que j'aie découvert d'où vient le pouvoir du barbare.

Il y eut un silence dans l'esprit de l'archange.

- Et qu'est-ce, maître ?

- Il se pourrait qu'une partie du pouvoir de Thao se trouve dans ce Katenbau. Ne me demande pas pourquoi ni comment, je l'ignore, mais il en est ainsi.

- Le Créateur ?

- Le Créateur lui-même. Cela devrait permettre au barbare de tenir tête à Scatar, peut-être même de l'emporter avec lui dans la mort. Tout dépendra de la mesure du pouvoir que Thao a placé en lui.

- Vous le sacrifieriez ?

- N'oublie pas ce que je t'ai dis quand je t'ai fait archange, Lëkor. Tu as été son ami, étant mortel. Mais à présent tu sers le Bien. Si nous luttons depuis fort longtemps au côté des humains, ce n'est qu'une alliance de circonstance. Notre but ultime est la défaite de Scatar, et non pas de sauver Sanctuary, ni de protéger l'humanité. Il n'existe que deux clans. Le Bien et le Mal. Tous ceux qui trouvent ou prétendent avoir trouvé un équilibre ne sont que des pions. Les hommes sont des pions dans le Grand Conflit, rien de plus.

- J'ai bien compris, Très Saint.

- J'en suis heureux. Bien, il va d'abord falloir procéder avec méthode. Au moins, nous savons que Scatar n'aura pas de soutiens immédiats. Diablo, Baal et Méphisto sont morts, et il ne reste plus qu'à détruire la pierre d'âme de Moloch. Occupe-toi de guider le barbare et ses acolytes dans les sommets de Kwol-Tak-Kren, au nord, au-delà de L'Arreat et des steppes barbares, en bordure de la Mer Gelée. J'ai le sentiment que ce Katenbau trouvera là de quoi se renforcer. Enfin, il ne sera sans doute pas inutile d'ôter les chaînes de ses compagnons. Quant à lui, je ne crois pas que ce soit utile.

Va maintenant. La lumière du Très Saint est sur toi. Guide le barbare vers le plus haut sommet de Kwol-Tak-Kren. Scatar aura besoin d'un peu de temps pour se constituer une armée suffisante, mais il n'y a guère de temps à perdre.

- Bien, maître. Merci, maître. »

_______________


La reconstruction de Xanidrya avait commencé. Tous les adultes valides s'y étaient attelés, et en moins d'une semaine, tout le quartier central fut réparé. Zanya s'était vu accorder les pleins pouvoirs par les chefs de village survivants au cours d'un vote qui fut rapidement expédié. Si les druides avaient vécu jusque là en anarchie, il ne faisait pas de doute que la reconstruction de Xanidrya et la préparation au Uileloscadh Mòr devaient être opérées sous la direction d'un pouvoir central.

Le huitième jour après la bataille, après une réunion entre Zanya, Kenndron et Gûrun, qui étaient devenu ses bras droits, et les anciens chefs de village, qui avait pour sujet l'autorité dont devait pouvoir disposer Zanya en matière de stratégie militaire. Une fois encore, on lui accorda les pleins pouvoirs, convenant que la victoire n'aurait pu être sans lui. Les chefs et Gûrun se retirèrent, laissant Zanya, Kenndron et la coterie seuls dans l'imposante salle de réunion.

« Je vois que tout s'est bien terminé pour vous, druides, fit une voix venant du fond de la salle.

- Lëkor, soupira Katenbau. Tu dois savoir qu'il n'en a pas été de même pour nous.

- Je le sais. Ne vous sentez pas coupable. Vous avez bravement combattu, me faisant honneur plus que je n'aurais su l'espérer. Hélas, nous nous sommes aperçu de la conspiration de Moloch trop tard. Le mal est fait à présent, mais il n'est peut-être pas tout à fait trop tard pour y remédier.

Tous parurent soulagés, à l'exception de Nera, dont le visage affichait un mélange de doute et de regret.

- Il reste un espoir. Il va néanmoins falloir tous vous préparer à la guerre. Scatar, en cet instant même, projette de conquérir Sanctuary pour, au mieux, asservir la race humaine, ou plus certainement, l'éradiquer.

- A lui seul ? demanda Katenbau.

- Non, certes, quoiqu'il en ait sans doute le pouvoir. Il va créer une armée, à partir de quoi, ça je l'ignore, mais il veut planifier intelligemment son attaque. Scatar n'est pas comme Diablo, Méphisto ou Baal. Il est patient et saura tirer les leçons de l'échec des Trois. Il n'attaquera pas bille en tête, et il ne sous-estimera pas les hommes. A mon avis, il attendra l'hiver prochain. D'ici là, vous devrez vous préparer. Il vous faudra aborder l'île de Nord, au coeur de laquelle se trouve la Tour Noire de Scatar, en été, lorsque les banquises auront fondu. De là, vous pourrez peut-être l'atteindre et le défaire avant que ses armées n'aient déferlé sur Sanctuary.

Vous devez vous rendre au plus vite dans les monts de Kwol-Tak-Kren, plus précisément dans le plus haut village, sur la plus haute montagne. L'un des vôtres saura vous y guider. Je ne vous cache pas que cette mission est désespérée.

Katenbau eut un petit rire.

- Plus encore que d'habitude, corrigea l'archange avec une pointe d'amusement. Seuls ceux qui le désirent devront t'accompagner. Les autres ne sauraient être blâmés. Maintenant, je voudrais te parler en privé.

Zanya et les autres ses retirèrent.

- Voilà donc arrivée l'heure de l'épreuve dont je t'ai parlé il y a treize ans. Te sens-tu prêt ?

- Hé bien...

- Je m'en doutais. C'est pour cela que je vous envoie dans ce village. Là-bas, tes amis devront s'arrêter. Par contre, toi, tu devras réaliser l'ascension du sommet. Là-bas, tu trouveras la force de vaincre Scatar. Une fois fin prêt, tu redescendras. Là, vous devrez vous diriger vers les villages de mineurs sur le versant nord de Kwol-Tak-Kren. Dès que les mers seront libérées de glaces, faites vous emmener sur l'île du Nord. Préparez-vous bien au voyage. Le domaine de Scatar est un véritable enfer glacé. Enfin, sa tour peut vous réserver de désagréables surprises.

- Je vois.

- Il sera très difficile pour vous de vous en sortir tous vivants. Je vais augmenter artificiellement le pouvoir de tes amis à cette fin. Quant à toi, eh bien, lorsque tu auras effectué ton pèlerinage au sommet du plus haut mont de Kwol-Tak-Kren, tu auras tant appris que je ne pourrai plus rien faire pour t'aider.

L'archange déplia ses vastes ailes.

- Je crois t'avoir tout dit. Ah ! j'allais oublier la pierre d'âme de Moloch.

Le barbare sorti la pierre à l'éclat vert émeraude de son vêtement, fut un instant tenté de la garder pour lui, mais sa discipline mentale écarta rapidement la tentation. L'archange s'en saisit.

- Tu as déjà accompli énormément, Katenbau, dit Lëkor. Mais ta véritable épreuve arrive. Je suis certain que tu sauras être à la hauteur. Bonne chance, Katenbau. »

Puis il disparut dans un rai de lumière argentée.



Tous les druides de Xanidrya étaient rassemblés le long de la rue qui descendait du Tùr Dùlra jusqu'à la porte ouest de la cité, ne laissant qu'un passage de quelques mètres de large, que les héros empruntèrent, partant du Collège. Il descendirent la longue rue qui menait à la porte principale du quartier central, là où Zanya avait planté la nouvelle bannière des druides durant la bataille. Héloc se trouvait parmi la foule, qui fredonnait l'air d'une chanson vieille comme l'ordre druidique lui-même. Milobrec fit semblant de ne pas remarquer sa présence.

Ils arrivèrent enfin près de la porte ouest, où les attendaient Zanya et Menarnar.

« Je vous souhaite de tout coeur bonne chance, dit Zanya, tentant un sourire forcé.

Les héros notèrent cependant sa gravité, et celle des druides qui les entouraient.

- Même si cette paix sera courte pour tous, je regrette qu'elle prenne déjà fin pour vous. Il est déplorable que votre exploit ne soit pas récompensé à sa juste mesure.

- L'amitié avec les druides est une récompense suffisante, répondit Nera.

De son côté, Katenbau conversait avec Menarnar.

- Tu as fait le bon choix, dit le barbare. Tu as subi bien plus d'épreuves qu'il n'en est nécessaire pour un adolescent de seize ans. J'espère que tu pourras refaire ta vie ici comme tu l'entends. Nous accompagner serait une erreur, et je suis soulagé que tu l'ai compris.

- Je n'en suis pas encore vraiment certain, mais il m'a semblé que c'était en effet raisonnable, même si mon coeur est triste de ne pas vous suivre.

- Ne t'inquiète pas, nous arriverons à nous débrouiller sans ton aide.

- Ca, j'en doute! rit le jeune homme. Enfin, je suppose que vous réussirez à survivre...

- Petit idiot ! jura le barbare. »

Les portes de Xanidrya s'ouvrirent, et ils quittèrent la cité.



La rumeur du chant des druides les suivit dans la forêt comme un courant d'air. Katenbau, pour briser le silence écrasant, demanda à Fiacla-Géar:

- Que signifie ce chant ?

- C'est une épopée très ancienne... un druide qui part seul affronter une armée d'ennemis pour protéger son village. Une histoire connue de tous, ici.

- Ce chant nous est donc plutôt appropriés, finalement, dit Metaxa.

Le druide eut un sourire amer, puis répondit.

- Peut-être... c'est l'histoire d'un sacrifice; le guerrier meurt finalement, et son village est détruit, et livré aux flammes. Il meurt en vain.»
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