Fanfiction Diablo II

Retour à la liste des Fanfiction

Le passage de la terreur

Par Yenish
Les autres histoires de l'auteur

Chapitre 1 : Intrépides

Chapitre 2 : Les yeux de la terreur

Chapitre 3 : Nuit maudite

Chapitre 4 : Espoir renaissant

Chapitre 5 : Mort éternelle (inspiré d'une histoire de Lolis)

Elle était complètement à bout de souffle et du finalement s'arrêter pour respirer. Lâchant son bâton-arc, elle se plia en deux et posa les mains sur ses genoux. Elle releva la tête et vit le barbare suivit du paladin qui lui fonçaient dessus, leurs visages éreintés mais maintenant confiants, surs de leur victoire. La jeune fille avait bien tenté de les semer et avait failli réussir entre les caisses de docks, mais à chaque fois ils l'avaient retrouvée de justesse. Rien à faire, elle devait s'avouer vaincue, elle ne ferait jamais le poids si elle acceptait le combat de toute façon. En plus elle avait encore eu droit à l'arc, pas de chance.

Le barbare était maintenant tout proche, il leva sa hache, prêt à l'abattre sur l'amazone. Celle-ci n'esquissa pas un mouvement de défense ni de fuite. Au contraire, elle s'assit pour se reposer de ses efforts.

- Pffff, c'est pas du jeu si tu te bats pas ! Je suis un barbare, tu dois au moins de défendre un peu. T'es vraiment pas drôle Ira.

- J'ai plus envie, répondit-elle simplement.


Lui aussi essoufflé et maintenant boudeur, Junrod s'assit à ses cotés. Il avait 8 ans, 2 de moins qu'elle. Trev, le paladin arrivait enfin. Etant encore plus jeune, 7 ans, il avait toujours du mal à les suivre. De plus, autant Iranya était grande pour son âge, autant lui était encore petit et frêle. C'est pour cela que lorsqu'il s'agissait de jouer aux mercenaires, elle était toujours seule contre les deux. Mais elle se lassait de ce jeu enfantin. Elle n'aimait pas se battre avec des bouts de bois, et de plus c'était vraiment fatiguant dans la chaleur de l'été. Elle se rendait maintenant compte qu'elle était trempée de sueur, et la poussière omniprésente se collait à sa peau matte et burinée par le soleil.

Elle regarda autour d'elle. Ils avaient couru jusqu'au mur nord du marché et elle pouvait entendre les coups de marteaux réguliers de Fara la forgeronne. Le marché était presque vide, le soleil allant très bientôt se coucher. Quelques villageois faisaient cependant leurs dernières emplettes, quelques figues, des herbes ou un morceau de viande pour le repas du soir. Le marché ne serait vraiment désert que bien après l'arrivée de la nuit. Cité portuaire, Lut Golhein était une plaque tournante pour le commerce et prospérait depuis quelques dizaines d'années, presque insensible aux troubles extérieurs. La ville était très bien protégée par ses hautes murailles et toutes les tribus voisines profitaient de la ville et de ses marchandises. Il était donc rare que des caravanes soient attaquées.

Face à eux se dressait le deuxième coeur de la ville : l'auberge du voyageur. C'était la plus grande auberge de tout le continent, avait déjà entendu dire Iranya, et pour elle qui n'avait jamais quitté Lut Golhein c'était une chose évidente et acquise. L'intérieur semblait déjà animé, de nombreux marchants et marins de passage y prenant leur repas. Iranya n'avait jamais vu à quoi ressemblait une soirée à l'auberge. Atma la patronne faisait en sorte qu'aucun des garnements de la ville ne pénètre ses murs. Elle trouvait, à juste titre, qu'une auberge ou l'on se soule, ou l'on joue et ou l'on jure n'est pas un lieu pour les enfants de leur age. Iranya pensait bien entendu le contraire et se sentait frustrée d'être privée de cette partie si intéressante de la ville.

Trev venait juste de s'asseoir avec eux et regardait lui aussi l'auberge, mais avec un tout autre regard que son amie. Il n'était pas vraiment un aventurier de nature et préférait encore la douce sécurité des jupes de sa mère à l'inconnu d'un lieu si bruyant. Iranya l'aimait bien, comme le frère qu'elle n'avait pas. Il était blond, chose rare dans cette contré et très petit. Son père était un marin de passage qu'il n'avait jamais vu et qui ne devait même pas savoir qu'il avait un fils. Junrod n'était lui non plus pas très grand, et ne le serait sans doute jamais car il descendait d'une tribu d'homme courts sur pattes et très robustes. Iranya quant à elle était déjà élancée et athlétique comme sa mère. Elle avait de longs cheveux noirs et une peau couleur caramel. Ils étaient tous les trois très différents, mais étaient devenus bons amis au fil du temps. Leurs différences importaient peu et ils s'entendaient merveilleusement bien.

Les trois enfants restèrent ainsi quelques instant à récupérer, puis la jeune fille pris la parole.

- Bon, maintenant qu'on a bien couru, euh, combattu, il est l'heure de boire un verre à l'auberge, plaisanta-t-elle

Junrod la regarda, un instant étonné, puis il enchaîna.

- Oui, un bon verre d'alcool des sables ! Une bouteille même !

- Vous z'êtes pas sérieux hein ? On n'a pas le droit de boire vous savez ! s'inquiéta aussitôt Trev à qui l'idée paraissait tout, sauf attrayante.

- Mais non, ballot, bien sur que non, s'esclaffa aussitôt Junrod, tu prends toujours tout ce qu'on dit trop au sérieux !


Mais en regardant Iranya, il s'arrêta de rire bien vite. Son regard dirigé vers l'auberge, elle souriait, et son expression ne prêtait pas à confusion.

- Non Iranya, c'est pas une bonne idée, on va se faire punir. De toute façon Atma nous mettra tout de suite à la porte.

- Pas tant qu'elle ne nous verra pas, le coupa Iranya. Allez quoi, ça va être marrant ! Mais peut être que vous n'êtes que des vers de sable, bande de froussards !


Elle connaissait bien ses deux camarades et savait comment les faire aller dans la direction qu'elle voulait. Ils étaient de trop bons amis pour qu'elle profite d'eux et ne les entraînait jamais à faire de grosses bêtises, mais elle avait vraiment envie de faire quelque chose de spécial ce soir-là.

- Froussard, nous, répète un peu ! On va y aller, tu vas voir ! Hein Trev ?

- Heu, ze sais pas... Oui, Non. Si vous voulez, mais c'est pas une bonn...

- Très bien ! dit Iranya en se levant. Je sais comment on va rentrer. La porte de derrière est presque cassée et elle ferme mal, je suis sur qu'on peut rentrer sans problème.


Et c'est suivie de deux vaillants petits guerriers très peu sur d'eux que la jeune fille se dirigea vers l'arrière de l'établissement, en faisant tout de même un petit détour pour ne pas se faire remarquer.

Après s'être acharnée vingt bonnes minutes sur la serrure, à l'aide d'un petit bout de bois puis d'une broche cassé trouvée par Junrod, Iranya soupira et abandonna, au grand soulagement de Trev. Mais alors la porte s'ouvrit, lui cognant le nez et la faisant tomber à la renverse sur ses amis. Cependant l'homme qui venait de sortir ne les remarqua pas, d'une part à cause de l'obscurité qui régnait maintenant, mais surtout parce que ses pensées étaient déjà bien embrumées par l'alcool. Il se tourna tout de suite vers le mur et commença à déboutonner son pantalon pour assouvir un besoin naturel. Les enfants s'entre-regardèrent un instant, puis Iryana s'avança et jeta un coup d'oeil par la porte restée ouverte. Junrod essaya de lui attraper l'épaule, mais elle se glissa alors à l'intérieur de la taverne. Les deux garçons n'hésitèrent pas longtemps et la suivirent. Si elle le faisait, ils devaient la suivre, leur honneur était en jeu.

La première chose qu'elle remarqua fut l'odeur. L'air de l'auberge était un mélange de sueur, d'alcool et de fumée. Elle ne pu s'empêcher de tousser. De nombreuses chandelles éclairaient la salle, mais on avait l'impression que les murs absorbaient la lumière et que les ténèbres n'attendaient qu'un signe pour envahir la pièce. Cependant l'atmosphère n'était pas pour autant oppressante, mais au contraire conviviale, intime presque. Des rires fusaient à une table, une conversation animée sur le temps mis pour traverser l'océan austral enflammait une autre. La salle était pleine, les tables toutes occupées par nombres d'hommes, principalement des marins remarqua Iranya. Aucun ne semblait s'intéresser à elle, et elle chercha du regarda Atma. Celle-ci était occupée de l'autre coté, près de l'entrée principale.

- Parfait, on est entré sans problème, pensa la jeune fille.

A ce moment deux mains la poussèrent dans le dos, la faisant basculer en avant. Elle se retourna d'un bond, la peur d'être grondée lui envahissant l'estomac.

- Oups, désolé Ira, s'excusa Junrod dans un murmure.

- Imbéciles ! Faites gaffe, lui répondit-elle, sur le même ton, bien que leurs petites voix n'aient aucune chance d'être entendues dans le brouhaha ambiant. Les deux garçons acquiescèrent sérieusement.

Ils se faufilèrent en file indienne entre deux tables, sans trop savoir où ils allaient, quand Trev lui tira la jupe.

- Atma arrive, elle arrive ! La panique que le petit éprouvait se communiqua instantanément aux deux autres. Ils se figèrent, ne sachant où aller, regardant anxieusement autour d'eux.

- Sous la table ! s'exclama Trev, et son idée fut instantanément adoptée par les trois enfants qui se mirent à quatre pattes et se glissèrent sous la longue table, entre les jambes des clients. Ils se serrèrent et se firent les plus petits, les plus immobiles possible. Atma arriva alors, portant son plateau, et déposa les choppes de bières qu'elle transportait, ce qui provoqua une grande exclamation de bienvenu chez les hommes attablés. Les enfants ne pouvaient voir que le bas de la robe de la femme, mais rien ne leur avait semblé si dangereux jusque là. Pendant un temps qui leur parut durer des heures elle resta là à servir, puis se retourna et partit vers la cuisine. Les 3 jeunes aventuriers relâchèrent leur respiration, et se regardèrent. Ils rirent alors tout bas, infiniment fiers de leur hardiesse.

Au dessus d'eux, la conversation battait son plein et les voix s'échauffaient.

- Dix je que vous dis ! Dix à moi tout seul, c'est la vérité vraie, aussi vraie que je m'appelle Gelgash le guerrier ! Et les dires de l'homme étaient appuyés de violents coups de talons.

Gelgash était connu dans toute la ville pour sa langue bien pendue et son épée si prompte à rester au fourreau. Le regard d'Iranya remarqua alors un objet qui sortait de la botte du vantard. Le manche d'un magnifique couteau. Pas un de ces couteaux d'aventuriers fait pour résister au temps, à la pluie et au sable, mais un couteau orné de pierres brillantes, un couteau de parade. Pour la jeune fille, c'était là un objet merveilleux. Elle venait de trouver le but de sa venue ici, le trophée de leur aventure, le prix pour leur courage ! Et c'est suivi par les yeux ronds d'incrédulité et d'horreur de ses amis qu'elle avança la main vers le couteau...
Ils continuèrent de courir bien après avoir tourné au coin de la rue et après que les cris d'Atma ne se soient tus. Enfin ils s'arrêtèrent et se réunir dans un coin de la rue, près de l'échoppe de Drognan. Les deux garçons s'approchèrent près d'Iranya et c'est avec une attitude pleine de respect qu'ils regardèrent le couteau qu'elle serait entre ses petites mains.

- J'le crois pas ! J'le crois pas ! disait Junrod, On est rentré dans la taverne ! Et on a piqué le couteau de Gelgash !

Trev lui aussi était abasourdi et n'en revenait pas, cependant il n'était pas aussi euphorique que ses amis et ses peurs enfantines commençaient à l'envahir.

- On va aller en prison, ils vont nous jeter dans un cachot !

- Mais non ! On jette pas les enfants en prison, et pis de toute façon personne nous a vu le prendre. Tant que vous direz rien on sera tranquille !


Trev commença à se détendre, et Iranya continua,

- C'est que le couteau de Gelgash. Il est trop bête pour remarquer qu'il l'a plus. On va garder ça comme notre secret, c'est à nous maintenant et pas à ce gros lourdaud. C'est notre trésor, à nous !

Maintenant calmé, Trev sourit lui aussi, et pendant quelques minutes les trois enfants se racontèrent leur aventure, essayant de n'oublier aucun détail et en ajoutant une bonne dose d'imaginaires. Ils rirent beaucoup, se vantèrent encore plus et commencèrent à échafauder d'autres plans pour leur futures aventures, plus dangereux et irréalisables les uns que les autres. Un long gargouillis du ventre de Junrod les ramena enfin à la réalité et à des préoccupations plus terre-à-terre.

- Oula, j'ai faim, et maman va s'inquiéter, il est tard !

- Zuteuh, ze vais me faire gronder moi aussi, réalisa Trev.


Et c'est ainsi que les deux garçons s'en allèrent en courant vers leur maison respective, se préparant à recevoir les foudres parentales mais heureux de leur soirée.

Iranya n'était pas si pressée. Bien qu'elle aussi ait faim, elle n'était pas encore attendue chez elle. Son père, simple garde du palais, était chargé de la surveillance de l'entrée principale pour le début de la nuit. Quant à sa mère, elle devait servir en ce moment même le repas à Jehrin et ses invités. Iranya avait fait le ménage avant de partir jouer et donc n'avait rien d'autre d'important à faire. Elle s'assit et contempla encore une fois le couteau, son couteau. Il lui paraissait toujours aussi beau et sa lame était bien affûtée. Elle sortit son mouchoir et l'enveloppa pour éviter de se couper. Il lui faudrait trouver autre chose plus tard.

Son regard fut attiré par un mouvement sur sa gauche. La porte de la ville venait de s'ouvrir et deux personnes à pied entrèrent. Ils échangèrent quelques mots avec les gardes puis empruntèrent la rue principale. Ils passèrent devant la fillette mais ne lui prêtèrent pas attention. Iranya était intriguée : il était très rare de voir des voyageurs à pieds, sans caravanes ni même une mule. Mais surtout, elle avait ressenti un très étrange frisson lorsqu'ils l'avaient dépassée. Le plus petit des deux était un homme très maigrichon et il n'était pas du désert, sa peau était bien trop blanche. Il semblait malade, presque cadavérique. Mais sa présence était entièrement occultée par son compagnon. Revêtu des pieds à la tête d'une grande cape grise, Iranya n'avait pas pu voir son visage. Il dégageait une aura puissante et la jeune fille n'avait pu réprimer un tremblement lorsqu'il était passé près d'elle. Sa gorge était instantanément devenue sèche et ses mains moites. Un cliquetis régulier résonnant quand il marchait trahissait une armure et une épée sous son vêtement. Mais malgré l'heure tardive et après une journée de marche, sa démarche était encore assurée et reflétait une force et une agilité peu commune.

Ils tournèrent à droite, prenant la direction opposée de la taverne du voyageur. Cela voulait dire qu'il allait dormir chez Elzix. Son auberge était petite, sale et presque toujours vide. Quant à Elzix, sa sénilité et son penchant pour la boisson n'en faisait pas un hôte des plus agréable. Ils ne voulaient donc pas attirer l'attention et préféraient éviter la grande auberge. Intriguée par l'homme à la cape et désireuse de voir son visage Eranya commença à les suivre. Son intuition ne l'avait pas trompée car ils allèrent droit sur le petit troquet crasseux. Elle se rapprocha et se cola contre le mur, près de la porte. Elle pu ainsi entendre la voix pâteuse d'Elzix quand il répondit enfin aux appels d'un des deux hommes. Ils voulaient une chambre, pour une nuit. Jusque là, rien de bizarre. « Rentre chez toi, se dit-elle, tu n'as rien à faire ici, tu vas t'attirer des ennuis ». C'était la voix de la raison, elle le savait, elle l'approuvait. Elle s'éloigna de l'entrée, marchant vers sa maison. Mais elle entra sans réfléchir dans la petite ruelle qui longeait l'établissement. Elle se rendit soudain compte qu'elle serait son couteau de toutes ses forces. Ses phalanges lui faisaient mal et elle se força à desserrer les doigts et à respirer profondément. Elle attendit ici quelques instants, indécise. La fenêtre entre ouverte semblait l'appeler, et renonçant à écouter sa raison, elle grimpa sur une caisse et se hissa dans l'ouverture.

Iranya avait l'habitude des acrobaties et c'est sans un bruit qu'elle atterrit dans le sombre couloir. Son coeur battait à tout rompre et elle serra à nouveau son couteau. Elle regarda autour d'elle. Trois portes donnaient sur le couloir et un étroit escalier menait au premier étage. Elle se trouvait à une extrémité du couloir, l'autre étant un coude donnant sur la réception. Elle réalisa soudain qu'elle ne savait pas se qu'elle faisait là, et surtout qu'elle ne voulait pas être là. Elle ne céda pas à la panique, mais contrairement à ce qu'elle souhaitait en elle-même, elle ne se retourna pas et ne ressortit pas par la fenêtre. Au contraire, ses jambes se mirent en marche et elle avança doucement, longeant furtivement un mur. Elzix s'endormait toujours en quelques secondes et elle pouvait déjà entendre son ronflement régulier. Hormis cela, le silence était total, pesant, et contrastait avec le boucan chaleureux et vivant de l'auberge du voyageur. Ici, tout semblait mort et sombre, comme quelque antichambre du royaume des enfers. Iranya, continuait d'avancer, elle avait dépassé une porte et se trouvait presque au milieu du couloir. Sous ses pieds, une latte de bois mal en place craqua en un long bruit sinistre qui lui glaça le sang. Elle eu l'impression que le monde entier venait de hurler une longue complainte stridente pour alerter de sa présence. Entièrement paralysée, elle n'osait respirer et un filet de sueur commença à lui couler au milieu du dos. Elle entendait clairement le battement de son coeur taper dans ses oreilles. Rien ne se passait, rien ne bougeait dans l'obscurité du couloir. Elle commença à se détendre. Tout à coup la porte face à laquelle elle se trouvait s'ouvrit, et Iranya se trouva soudain devant l'homme à la cape. Celui-ci était deux fois plus grand qu'elle, et sa silhouette lui apparut telle une ombre titanesque dans le contre-jour de la chambre. Iranya leva lentement les yeux vers le visage de l'homme. Celui-ci ne bougeait pas. Alors elle vit, et toutes les peurs qu'elle avait connues ne furent plus rien en comparaison de la terreur qu'elle ressentit alors. Il était certes humain, mais son visage était ravagé, comme rongé de l'intérieur. Sa barbe était grise et irrégulière et sa peau tombait en lambeaux comme celle d'un lépreux. Mais tout ce qu'Iranya voyait étaient les yeux de l'homme. Ceux-ci n'étaient pas humains, elle pouvait le sentir au plus profond de son âme. Il n'étaient pas vides ni morts, mais montraient ce qu'était réellement cet homme, ce qui l'habitait, ce qui le consumait. Quiconque regardait ces yeux ne pouvait éprouver qu'un sentiment : c'était les yeux de la Terreur.

- Maître, ce n'est qu'une enfant, implora l'autre homme derrière en se rapprochant, laissez-là, je vous en supplie !

Iranya tourna son regard vers lui, et le charme qui la paralysait se dissipa sur l'instant. Elle sentit qu'on lui rendait le contrôle de son corps, qu'elle pouvait de nouveau bouger. Elle avait envie d'hurler, mais son premier réflexe fut de s'enfuir en courant. Il la suivait, elle le savait, elle pouvait entendre ses pas, sentir sa respiration sur sa nuque, ses mains allaient l'attraper. Elle tourna au coin du couloir et passa en trombe devant le comptoir, elle ouvrit la porte sans se retourner. Elle sentait la présence de l'homme, du démon derrière elle, prêt à la saisir. La rue était déserte, elle ne voyait personne, pas un seul adulte pour la sauver. Elle essaya de regarder derrière mais trébucha, s'étalant de tout son long sur le sol. Elle allait mourir, elle le savait, mais se serait en se battant. La jeune fille se mit sur le dos et pointa son petit couteau devant elle, dérisoire défense contre le mal qui la pourchassait. Il n'y avait personne, elle était seule, allongée dans la rue. Le monstre ne la suivait pas, il n'était pas là. Elle cligna plusieurs fois des yeux avant de baisser les bras et de ranger son arme sous ses vêtements. Sans comprendre vraiment ce qui se passait, elle se releva et s'enfuit chez elle, sans demander son reste.

Iranya ne dormit pas beaucoup cette nuit là, et son sommeil fut empli de cauchemars. Mais blotti au fond de son lit, au milieu de la nuit, même en sachant ce qui se trouvait à quelques pâtés de maison de là, elle trouva le réconfort en regardant une lame qui brillait sous les étoiles.
Le palais était une véritable petite ville au sein de Lut Golhein. Lorsque le voyageur arrivait en vue de la ville, il ne pouvait manquer de remarquer la gigantesque coupole dorée haute d'une dizaine de mètres. Somptueux dans les moindres détails, le palace forçait l'admiration de tous ceux qui avaient l'occasion d'y pénétrer. Chaque colonne était finement sculptée et enjolivée d'une couche d'or pur. Des tapisseries et de magnifiques broderies décoraient les murs, leurs couleurs ajustées à la teinte de chaque pièce. Ca et là des sculptures trônaient entre les divans de soie et les tables de bois rares. Immense, il servait de demeure au seigneur de Lut Golhein, Jehrin. Celui-ci était un homme intelligent et très prévoyant. Commerçant dans l'âme, il avait assit de solides bases de partenariat avec les principales villes de la région et des pays alentours, et depuis son accession au pouvoir la richesse de la ville s'était considérablement accrue. L'intérieur du palais était chaque jour un incessant va et vient de serviteurs, véritable fourmilière humaine.

Iranya se sentait un peu perdue. Pour la punir d'être rentré si sale la veille, sa mère avait fait en sorte qu'elle vienne travailler avec elle. Ce serait pour elle l'occasion d'apprendre enfin à faire quelque chose de ses deux mains. Iranya avait tout d'abord été enchantée de se retrouver dans l'incroyable et magnifique palais, mais une fois l'ébahissement passé, elle avait très vite déchanté. Son travail consistait à se rendre utile de toutes les manières qu'elle pouvait. L'épluchage en lamelle de cinquante noix de coco ne l'avait pas particulièrement emballé, pas plus que le récurage des immenses sols d'une des salles de réception de l'étage. Le dos courbaturé, les jambes et les bras comme quatre bouts de bois, elle exhortait mentalement le soleil à accélérer sa course afin que cette terrible journée s'achève. Pour se reposer un peu, elle s'était finalement cachée derrière la grande statue d'un roi de jadis, dans le coin d'une petite salle peu fréquentée. Ses pensées commençaient à divaguer et elle imaginait mille façons d'échapper à cette vie de serviteur qu'elle ne pourrait jamais supporter. La porte de la pièce s'ouvrit soudain et trois hommes entrèrent avant de la refermer. Iranya ne voulait pas se trouver prise en faute et resta immobile derrière la statue, attentive à ne pas se faire remarquer. Elle ne pouvait donc pas voir les hommes, mais elle reconnu la voix de Jehrin.

- C'est mauvais, vraiment mauvais !.

- Je donnerais cher pour savoir qui a fait cela ! dit une autre voix.

- La n'est pas le plus urgent. Il nous faut d'abord assurer la sécurité de la ville. Ensuite nous verrons pour les caravanes. Faites en sorte que les navires soient partis d'ici trois jours. Je ne veux pas prendre de risque avec les marchants.

- Si je puis me permettre messire, il serait bon d'en garder au moins un au port, au cas où nous devrions fuir...

- Hum, oui, bonne idée, que le meilleur capitaine reste au port, mais n'expliquer pas pourquoi. Et je veux que la surveillance des murs soit doublée. Lodrin, faites en sortes que mes femmes soient sous bonne protection dans le harem.

- Bien sire.

- Et vous Ynyh, allez me chercher Greiz, ne crois que nous allons avoir besoin de ses mercenaires, même si cela ne me plait guère. Je le recevrai dans le petit salon.

- Bien sire.

Sur ce les hommes quittèrent la pièce, laissant Iranya perplexe et songeuse. Elle n'avait jamais connu la guerre mais avait entendu beaucoup d'histoires. Cependant elle ne pensait pas qu'un clan quelconque soit sur le point d'attaquer la ville. Jehrin n'aurait pas été aussi inquiet, la ville était bien fortifiée et leurs tribus voisines peu puissantes. Une pensée s'imposa en elle : c'était à cause de l'homme à la cape, elle en était sure. Elle n'avait pourtant aucune idée de ce qu'il avait fait ou de ce qu'il pouvait faire. Elle frissonna, le souvenir de la nuit précédente était encore fraîchement gravé dans sa mémoire. Il était maléfique et très puissant, cela elle le savait. Elle devait en parler à Jehrin, il devait être mis au courant ! Mais alors qu'elle se levait, elle imagina ce qu'elle lui dirait. Qu'il y avait chez Elzix un homme avec des yeux de monstre ? Qu'elle avait pris si peur qu'elle avait couru toute seule dans la nuit ? Et comment expliquerait-elle ce qu'elle faisait là-bas ? Non, elle ne pouvait rien dire, personne ne croirait une fille de dix ans et elle n'obtiendrait qu'une punition. Sa décision était prise, elle garderait cela pour elle. C'est le coeur lourd et l'esprit sombre qu'elle sortit à son tour de la pièce.

La nuit était rarement aussi noire. L'ensemble du ciel était caché par une couche de nuages très inhabituelle en plein milieu de l'été. Mais cela arrangeait bien Holnar et il remerciait l'esprit du vent pour ce coup de pouce inattendu. Il s'assura que la voie était libre avant de parcourir les quelques mètres à découvert qui le séparaient des caisses. Les quais étaient très encombrés, bien plus que de normal. Comme tout le monde dans la ville il avait entendu les rumeurs comme quoi les caravanes avaient été attaquées et les personnes les accompagnant massacrées. Mais il ne croyait pas aux monstres et ne se préoccupait à vrai dire guère de la cause de l'agitation qui avait régnée cette soirée. Ce qui lui importait beaucoup plus était que les marchands avaient été ordonnés de quitter Lut Golhein et que cette nuit était la dernière où il pourrait exercer ses activités nocturnes avant longtemps. Il avait pris l'habitude de traîner sur les quais quand il était petit. Puis il avait aidé par ci par là les marins à transporter les marchandises quand il avait été assez fort. Un an auparavant il avait trimé toute une après-midi à descendre des caisses d'un bateau mais le marchand avait estimé pouvoir impunément voler un adolescent de 13 ans, prétextant qu'il avait reversé et cassé des vases. La nuit venue pour se venger, Holnar était revenu et avait décidé de se payer lui-même. En voyant la facilité avec laquelle il pouvait voler des objets qu'il ne pourrait jamais se payer, il pris vite goût à ses escapades nocturnes. Ce n'est pas en temps que larbin sur les quais ou en aidant sa mère dans son auberge qu'il deviendrait riche. Et malgré son jeune âge, c'était déjà quelque chose qu'il voulait plus que tout.

Attentif au moindre bruit qui pourrait trahir la présence d'un garde ou d'un marin de passage, Holnar se faufila entre les rangées de caisses, à la recherche de marchandises qu'il avait remarqué dans l'après-midi. Enfin il les trouva, exactement là où il les avait vu. Armé de son petit pied de biche, il commença à doucement ouvrir la première caisse. L'important il l'avait vite compris était que l'on ne s'aperçoive du vol que longtemps après, en pleine mer ou arrivé à destination si possible. Aussi faisait-il attention à ne pas abîmer les caisses pour pouvoir les refermer sans problème. Un bruit attira son attention, des pas lents et traînant venaient vers lui et il ne les avait pas entendu à cause du bruit des vagues. Un veilleur sans aucun doute. Il cacha précipitamment son outil entre deux caisses et couru se réfugier au milieu de sac de céréales. Tapi ainsi dans l'obscurité sans bouger, il n'y avait aucun danger. Les pas se rapprochèrent et Holnar entendait maintenant la respiration de l'homme. Il se sentait à la fois en danger, prèt à être découvert, mais aussi en sécurité, sur de sa cachette. Il adorait cette sensation grisante, cette poussée d'adrénaline, et c'était peut-être même la raison principale pour laquelle il volait si souvent. Ne pas bouger, rester immobile, retenir sa respiration, attendre que l'homme passe et tout irait bien. Lové entre les sacs il souriait à l'ignorance du veilleur de nuit, il était bien plus malin qu'eux tous.

Malheureusement pour lui les pas n'étaient pas ceux d'un homme, et la créature n'avait plus besoin d'yeux pour trouver de la chair fraîche.

Inanya ne dormait pas quand le hurlement déchira la nuit mais elle se serra encore plus profondément dans son lit. Elle s'était sentie mal toute la soirée et s'était déjà réveillée deux fois en sursaut, trempée de sueur malgré la fraîcheur de la nuit. Quelque chose n'allait pas, et même le couteau ne parvenait pas à entièrement la rassurer. Ses parents n'étaient pas rentrés pour dormir. Encore une fois son père était de service et sa mère devait dormir au palais pour servir les femmes du seigneur au cas où elles se réveilleraient. Iranya pris la décision d'aller au palais. Elle voulait revoir ses parents pour leur dire ce qu'elle avait vu la nuit précédente. Eux la croiraient peut-être. Elle n'avait rien osé leur dire, mais la jeune fille savait que l'homme à la cape était la cause de tous les maux. Le hurlement qu'elle venait d'entendre venait de vaincre ses dernières résistances et elle s'habilla en toute hâte.

Arrivé au palais elle ne vit aucune agitation et s'en étonna tout d'abord. Puis elle réalisa que le cri venait des quais mais il ne pouvait pas avoir été entendu d'ici. Elle essaya d'entrer dans le palais mais un garde qu'elle ne connaissait pas lui en interdit le passage.

- Non petite, tu ne peux pas entrer.

- Mais mes parents son dedans, je dois les voir !

- Comment s'appellent-ils ?

- Celène et Tristain, mon papa est garde comme vous.

A ce moment là un cri de femme retentit, il venait de l'intérieur du palais. Il fut bientôt suivi par d'autres hurlements féminins.

- Que se passe-t-il donc là-dedans ? s'étonna le garde en se retournant.

- Maman !! s'écria Iranya et elle s'élança pour passer à coté du garde distrait. Celui-ci réussit cependant à l'attraper par le bras et la tira en arrière.

Jehrin déboucha alors dans l'escalier. Habillé seulement d'une riche chemise de nuit en soie, il était complètement paniqué.

- Allez chercher les gardes, tous les gardes ! Il y a... il y a..., puis commençant à se reprendre : « interdisez l'entrée à toute personne, je ne veux que personne, vous m'entendez ! Personne ! ne franchisse ces portes s'il n'est pas un garde. C'est bien clair ? »

- Oui messire, répondit le garde, perplexe.

- Je vais chercher les gardes moi-même. Et sur ce Jehrin les dépassa d'un pas rapide, se dirigeant en robe de nuit vers la salle de garde.

Iranya ne savait plus que faire, elle était complètement perdue. Elle ne pouvait penser qu'à sa mère qui était dans le harem, en bas. Le garde lui avait ordonné de s'éloigner pour lui éviter les cris, mais elle en entendait encore malgré la distance. Les gardes de réserve arrivèrent alors que des larmes commençaient à couler de ses yeux. Voyant son père, elle courut vers lui les bras grand ouverts.

- Papa ! Maman est dedans, il y a des cris, il faut que tu ailles la sauver, Papa je t'en prie, et ses derniers mots furent coupés par les sanglots qui la prirent.

- Oui ma petite Ira, je vais la sauver, je te le jure, n'ait plus peur. Arrète de pleurer, tu es une grande fille maintenant.

Il l'embrassa puis il la repoussa gentiment et s'en alla rejoindre les autres gardes qui entraient dans le palais. Il se retourna avant de franchir la porte, sourit et souffla un baiser vers sa fille.

Pas très loin de là deux silhouettes s'en allaient vers le coeur du désert. Leur mission à Lut Golhein était terminée. Les monstres qui assiégeaient maintenant la ville s'écartaient d'eux, par respect, mais surtout par crainte.
Le vent caressait le doux visage d'Iranya, effaçant la trace de la dernière larme qui avait coulée sur sa joue bronzée. Comme tous les matins depuis une semaine la jeune fille était montée sur le mur d'enceinte près de la grande porte. Les rares gardes présents ne cherchaient pas à la faire descendre car ils comprenaient son chagrin. Personne ne parlaient des événements qui étaient arrivés voila maintenant sept jours. Iranya avait cependant entendu ce qui était arrivé, pas dans les détails, mais elle savait qu'elle ne reverrait jamais ses parents. Le reste importait bien peu. La même nuit que le carnage dans le palais, un monstre était sorti sur les quais et avait démembré le fils d'Atma. Il avait aussi tué son mari la nuit suivante, lorsque celui-ci était parti avec une poignée d'hommes chercher l'assassin de son fils dans son repaire. Peu étaient revenus, et tous racontaient que les égouts étaient envahit par des monstres, comme les alentours de Lut Golhein. Et plus personne n'osait entrer dans le palais.

Le soleil commençait à monter dans le ciel matinal et la douce fraîcheur de l'aube allait bientôt laisser place à la canicule étouffante de l'été. La jeune fille ne voulait pas descendre, pas encore. Elle aimait monter sur les murs, s'assoire sur un créneau, balancer ses jambes dans les vides et regarder le désert. Et surtout ne penser à rien, se laisser envahir par les sensations et porter par la vie ambiante, oublier cette nuit-là. Le vent marin qui l'enveloppe et pousse ses cheveux sur son visage, le bruit de la ville se réveillant et l'écho des vagues berçaient doucement la jeune fille. La pierre froide sous la main qui se réchauffe progressivement et le sable jaune qui commence à éblouir quand le soleil se montre enfin, voilà tout ce qui avait permis à la jeune fille de finalement surmonter sa peine.

Les larmes coulaient toute seules et avec elles son lourd chagrin s'en allait un peu plus chaque jour. Mais en même temps un autre sentiment montait en elle, qui la remplissait de rancoeur : une haine sourde envers le monstre qui avait fait son malheur, et surtout le désespoir de n'y rien pouvoir. Elle était si faible, si petite encore, si impuissante. Que pouvait-elle espérer contre l'homme qui avait apporté la terreur sur la ville ? Certes elle avait dès le lendemain raconté tout ce qu'elle savait à Jehrin, mais c'était bien peu et n'avait servi à rien. Que faire d'autre ? Elle se leva et se dirigea vers le marché. Elle y retrouverait certainement Trev et Junrod. Elle avait envie de leur présence, la solitude est un fardeau dur à porter si longtemps pour une fillette de son âge et elle ne les avait pas vu depuis longtemps.

Ils traînèrent ensemble toute la matinée, quelque peu désoeuvrés, n'ayant pas vraiment le coeur à jouer. Mais la jeune fille se sentait mieux et en compagnie de ses amis et elle oublia quelques heures les événements passés. Un certain remue-ménage attira l'attention des enfants vers le milieu de la journée. Une foule s'était rassemblée autour de quelques hommes qu'ils ne connaissaient pas, et qui venaient sans aucun doute d'arriver en ville par caravane, la première en une semaine.

- Un barbare ! s'écria Junrod et apercevant l'imposante carrure d'un guerrier tatoué.

- Et un paladin ! dit à son tour Trev, et les trois enfants rejoignirent en courant l'attroupement.

La caravane n'était pas vraiment une caravane marchande. Constituée seulement de quatre dromadaires, elle ne transportait que quelques caisses. Mais cela importait peu, les voyageurs attiraient sur eux toute l'attention. Iranya avait déjà vu le caravanier, un petit homme nommé Vriw, ou Viraw, elle ne se souvenait pas. Il avait guidé jusqu'à Lut Golhein une troupe de quatre hommes, dont trois semblaient des aventuriers aguerris. Le barbare tout d'abord forçait l'admiration par sa taille et sa musculature. Il avait sans doute fait tout le chemin à pied car même les dromadaires paraissaient petits à coté de lui. Il ne portait qu'une petite tunique en étoffe qui mettait en valeur les tatouages de ses bras et de son visage. Nonchalamment posée sur son épaule, une énorme masse de fer étincelait, et le barbare semblait ne même pas remarquer son poids.

A ses coté se tenait un guerrier tout de métal revêtu, portant sous le soleil de plomb son armure complète. Un boulier finement ciselé était accroché dans son dos et un fourreau pendait à son coté. Il tenait son casque sous le bras et regardait la foule avec assurance. Il était bien moins grand que son compagnon, mais sa tenue et son regard inspirait respect et confiance. En retrait par rapport à ses deux guerriers se tenaient deux autres hommes. Un vieillard tout d'abord discutait avec Jehrin. Un homme d'une trentaine d'année portant sur lui d'étranges peaux de bêtes écoutait attentivement leur conversation.

Les trois enfants avaient à peine rejoint la foule que les quatre voyageurs se dirigèrent vers le poste de garde, accompagné de Jehrin. Ils souhaitaient sans doute discuter des récents événements à l'abri d'oreilles indiscrètes. Décus, les enfants finirent par retourner au marché et s'assirent sous la fraîcheur relative de l'ombre d'un étale.

- Tu as vu sa masse ! Elle était énorme ! Je pari que c'était un martel de fer !

Les deux garçons étaient tout excités par ce qu'ils avaient vu.

- Et ses cicatrices, tu as vu sur son bras, entre les tatouages !

- Il devait avoir chaud l'autre avec son armure, dit la jeune fille. Iranya ne partageait pas l'enthousiasme de ses amis.

- Elle était belle hein ? repris tout de suite Trev, avec ça il doit être imbattable.

- Pas contre le barbare, dit Junrod

- Tu paries ?

Iranya se leva et laissa ses deux amis à leur intense discussion. Elle réfléchissait à la signification de la venue de ses guerriers. Ils étaient sûrement à la recherche de l'homme à la cape, mais cette pensée ne la soulagea pas. Il était trop tard pour elle, ils ne pourraient pas sauver ses parents, ils étaient morts. Elle n'oubliait pas la terreur qu'elle avait ressentit la nuit l'arrivée du mal, mais ce souvenir s'effaçait. Au fond de son coeur elle savait que la seule chose qui l'apaiserait serait de se venger elle-même, mais elle ne le pouvait pas. Résignée, elle partit marcher sans trop savoir où...

Le monstre qui avait tué le fils d'Atma était terré dans les égouts, mais les rues étaient maintenant désertes dès le crépuscule, chacun se réfugiant dans la futile sécurité de sa maison. La tante chez qui elle vivait maintenant l'avait envoyée faire quelques dernières courses et la nuit n'allait pas tarder à tomber, aussi Iranya se pressait-elle de rentrer. Le soleil rougeoyant étirait toutes les ombres et un calme malsain s'étendait progressivement sur la ville.

Allongeant le pas, la jeune fille s'engagea dans la rue menant à sa nouvelle demeure, quand soudain une sensation étrange s'empara d'elle. En apparence rien n'avait changé mais elle sentait quelque chose de bizarre. Elle pouvait toujours voir le bout de la ruelle mais avait le sentiment qu'un voile était tombé devant ses yeux. Ses pas ralentirent, maintenant incertains, car elle craignait de buter dans un objet qu'elle n'aurait pas remarqué. Pourtant il faisait encore jour, ce qui accentuait son malaise. Elle cru entendre un bruit sur sa droite et se tourna brusquement, mais il n'y avait que quelques caisses contre un mur.

- Qui est la ?, dit-elle alors, se sentant stupide de poser cette question.

Elle savait que la porte de sa maison n'était qu'à une vingtaine de mètre devant elle, et elle se mit à courir dans cette direction. Mais elle avait à peine fait deux pas que deux mains lui tirèrent le bras, la déséquilibrant. Elle failli tomber mais se rétablit de justesse et regarda la personne qui l'avait attrapée. Toute de noir vêtue, la femme qui se dressait face à elle était d'une beauté particulière. Ses cheveux étaient coupés courts, et noirs comme la nuit ils accentuaient la blancheur de son tain. Sa silhouette était mince et effilée, féline même car on pouvait deviner une force peu commune chez elle. Ses habits de cuir étaient très inhabituels pour cette région mais lui permettait de se déplacer rapidement et sans bruit. Iranya n'avait jamais vu quelqu'un lui ressemblant et restait bouche bée.

- Excuse moi petite, je ne voulais pas te faire peur, dit l'inconnue en lui lâchant le bras.

- Je n'ai pas eu peur, répondit Iranya, et c'était vrai. Seule la surprise l'avait poussée à courir.

- Suis-moi, avant que l'effet se dissipe, et la grande femme se dirigea vers une petite ruelle sombre.

Sans même y réfléchir, Iranya lui emboîta le pas. Arrivées dans un coin à l'écart, l'inconnue l'invita à s'assoire à coté d'elle sur une pile de sacs.

- Quand j'arrive dans une ville, j'aime bien me faire mon opinion par moi-même, à ma façon, commença à dire la femme, c'est pourquoi je préfère ne pas être remarquée. Le petit tour que j'ai fait, c'était pour ça. Je voulais te parler, seule à seule.

- A moi ? Mais pourquoi ? s'étonna Iranya

- Jehrin nous a parlé de toi, et je pense qu'il ne nous a pas tout dit.

- Tu étais avec les autres de la caravane ? C'est pas possible, on ne t'a pas vu !

- On ne me voit que quand je le décide, répondit l'inconnue dans un sourire. Mais s'il te plait, j'aimerais que tu me raconte ce que tu sais du rôdeur, je n'ai pas beaucoup de temps devant moi.

Iranya lui raconta alors ce qu'elle avait vécue, dans les moindres détails. Et n'omit rien et parla en toute franchise. Elle se sentait bien de livrer ainsi son histoire. Même si la femme était une inconnue, Iranya appréciait sa présence et se sentait en sécurité. Elle lui dit donc tout, de l'arrivée de l'homme à la cape et de son compagnon, jusqu'à la dernière vision de son père. La femme ne l'interrompit pas quand la jeune fille dit ce qu'elle pensait des monstres autour et de leur lien avec le rôdeur, de la créature des égouts et de celles du palais.

- Je te remercie, jolie jeune fille, dit enfin la femme en se relevant, tu m'as été d'une aide précieuse. Tu es bien plus perspicace que beaucoup d'adultes. Je vais tout faire pour venger tes parents, crois moi.

- Merci, fut tout ce que Iranya trouva à répondre.

Elle se sentait légère comme jamais, délivrée d'un énorme fardeau. Cela lui avait fait énormément de bien de déballer tout ce qu'elle avait sur le coeur, tous ses souvenirs honnis, et la femme l'avait écoutée comme personne ne l'aurait fait. L'inconnue lui sourit et lui dit un dernier mot :

- Je m'appelle Célaïne, mais garde mon nom et notre entrevue pour toi. Nous nous reverrons peut-être.

Et en trois mouvements souples et rapide elle grimpa sur le toit d'une maison en s'en alla.

Célaïne, murmura Iranya, presque comme le nom de ma mère. Elle rentra chez elle apaisée et cette nuit là, pour la première fois depuis une semaine, elle dormit sans faire de cauchemar.
Loin dans les profondeurs des égouts de Lut Golein, la bête fut dérangée. Ses perceptions aiguisées, héritage d'un très lointain passé oublié d'elle même où elle vivait sous un ciel brûlant de lumière, lui révélèrent la présence des visiteurs.

Au début, pendant quelques minutes, elle ne fit cependant que percevoir une fracture dans le monde des esprits des morts qui lui était si familier. Des squelettes, des zombis, la plupart ses serviteurs dédiés, d'autres des gardiens sans allégeance particulière mais dotés de la même férocité pour enlever la vie, tous tombaient en nombre.

Puis Radament se souvint de son nom, chose très rare. Quand le déchu se rappelait de détails de son ancienne vie mortelle, détails qui en fait n'étaient souvent qu'impressions diffuses et frustrations diverses, c'était souvent le signe d'une puissante magie à l'oeuvre, magie qui perturbait la torpeur de sa non-vie.

Le mort vivant concentra ses pensées vers la source de cette magie, et identifia l'arme avant de voir son porteur.

Radament lu le nom de l'arme dans le monde des esprits, un nom qui n'est exprimable correctement que dans 12 langues anciennes oubliées même par les plus sages érudits. Elle portait tant de noms, tous signifiant la mort définitive pour les non-vivants et était simplement appelée Briseuse de Roc par son porteur, un combattant nordique bien jeune et inexpérimenté pour oser venir le chercher, "lui" Radament, ex mage d'une très puissante confrérie.

L'arme était proche, sa magie puissante. Les souvenirs de sa vie mortelle n'avaient jamais été aussi clairs dans toute sa longue errance parmi les morts qui bougent encore.

Un gémissement sépulcral sorti des profondeurs de sa carcasse pourrissante. Tous les squelettes de la zone se mirent aussitôt à venir à leur maître, tous venaient d'entendre l'appel de Radament.

Le barbare allait arriver, et Radament perçut enfin les autres présences : un paladin, dont l'aura de dévotion irritaient tous ses servants. Et des bêtes esprits, guidées par un faible homme. Le mort vivant éprouva du mépris envers cette misérable troupe si pathétique. Puis tout de suite après il eu peur : il n'avait pas éprouvé de sentiment depuis longtemps, et il avait oublié ce que c'était, après avoir tout simplement oublié la raison, la logique, le passage du temps. Il ne compris pas la raison de ce tremblement si étrange. La mort, seule réalité ancrée dans ses pensées reprit le dessus et intima au monstre de poursuivre son dessein éternel. Tuer.

Déja deux douzaines de morts vivants, dont ses minions favoris, les horreurs, entouraient leur maître. Ils faisaient sentir dans le monde des morts leur faim dévorante qui les torturaient en permanence, mais plus encore quand la perspective de l'assouvir devenait accessible.

"RHHAAAAAAAAAAAAAOOOO".

Le barbare, au niveau supérieur, venait d'utiliser un de ses cris de guerre. Il serait la dans moins de deux minutes.

Un chant macabre inarticulé sorti de l'intérieur de Radament. Le sort le rendit insensible aux blessures des armes, lui renforça sa carcasse, le rendit plus rapide et le chargea en électricité.

Etant donné la jeunesse du barbare, arme-esprit ou non, il pensait que cela suffirait. Les autres combattants n'étaient pas dangereux. Pas même l'assassin Vizjerei dont il venait de sentir l'âme si bien dissimulée dans les ténèbres. Mais ces souterrains étaient les siens, et rien ne pouvait s'y cacher sans qu'il ne le sache. Dans un vestige d'une fierté pourtant longtemps oubliée, il se refusa à lancer des incantations plus fortes.

"RHAAAAAAAOOOOOOOOO !!!".

Le barbare était la, ainsi que ses quatre acolytes.

La masse et son porteur lui foncèrent dessus, et les autres se postèrent en retrait, unissant leurs forces.
C'est alors que Radament ordonna silencieusement à ses laquais de refermer l'étau autour de l'impudent nordique.

Le choc de la masse soulagea Radament, le barbare utilisait contre lui une technique de guerre totalement inutile. Quand le guerrier se décida à maximiser sa rage, le mort vivant sentit nettement la blessure du coup. Cependant l'effort fourni par le barbare pour le toucher le rendit davantage vulnérable car il y mit toute sa puissance.

Les squelettes arrachaient des morceaux de tissus, des cheveux, des lambeaux de chairs au barbare qui eut le visage crispé de douleur, douleur accentuée par les chocs électriques qui le frappaient de plein fouet. Et le mort vivant se dit que finalement, sa peur n'était peut être pas justifiée.

"HoooooWWWWWW!!!!".

Une sorte de torpeur envahit la pièce, Radament lui même sentit sa carapace se ramollir, et ses combattants devenir moins virulents. Le barbare avait de la ressource, mais il tomberait bientôt, alors que lui Radament survivrait, toujours. Le guerrier était jeune, sa chair devait être tendre...

Le guerrier sembla alors réaliser l'impasse de sa situation, et d'un bond s'extirpa de la mêlée.

Radament était trop surpris pour réagir. Il avait presque oublié la signification de la fuite. Déçu, le mort vivant décida envoya ses séides à la poursuite du combattant. S'il s'enfuyait c'est qu'il était presque mort car les barbares sont réputés être téméraires. C'est fou le nombre de choses que Radament se rappelait ! Il n'avait pas tant pensé depuis des siècles.

Alors qu'il en était à ses considérations, une épée fit exploser le crâne d'un de ses squelettes. Les autres guerriers étaient encore vivants, et ils avançaient farouchement sur lui en écartant les démons leur barrant la route.

L'assassin ne se battait pas et restait en retrait. Elle était si peureuse. A moins que...

Mais oui ! Elle haranguait ses propres créatures et troublait le flux des esprits qui liaient les âmes des morts à Radament !

Il se rendit compte que même ses propres horreurs oubliaient ses instructions en langage noir pour se jeter dans le désordre le plus complet contre le barbare, ou se battaient entre elles.

Médusé, fatigué d'avoir tant pensé en si peu de temps, Radament assista au massacre de sa garde personnelle, garde qu'il avait peine à reconstituer au fur et à mesure qu'elle était détruite.

Un mage tel que lui aurait du trouver une solution, mais la torpeur de la non vie avait réduit son initiative au minimum. C'était déjà trop pour lui en si peu de temps.

Briseuse de Roc lui frappa à nouveau ses chairs putréfiées.

Et Radament comprit sa fin. Car même si la masse ne lui faisait pas autant de mal qu'il l'avait imaginé, il comprit qu'il se trouvait en face d'un des rares êtres à dominer complètement une arme-esprit.
Les yeux du barbare exprimaient en effet tant une détermination hors normes qu'une infinie lassitude des choses.

Puis vint le dernier coup, et dans l'espace d'un court instant, Radament, qui s'appelait autrefois bien autrement, se souvint de sa vie, de son vrai nom, de ses peines et de ses joies.

Mais il connut une peur sans nom quand il comprit que son essence allait être digérée par l'arme. Après tout il était un damné, et même quand il était mortel, il se destinait à l'enfer...

Le bateau était hors de vue, mais Iranya resta encore quelques instants à regarder l'horizon. Les aventuriers arrivés deux semaines auparavant avaient chassé le mal de la région, libérant les égouts et le palais de leurs démons, et poursuivant le rôdeur dans le désert. Leur tâche n'était cependant pas accomplie et ils avaient appareillés en toute hâte pour Kurast. La jeune fille n'avait pas revu Celaïne mais elle la savait sur le bateau, avec ses compagnons de quêtes. La vie allait pouvoir reprendre un cours normal, la ville allait penser ses plaies et effacer le malheur qui l'avait frappée. Mais Iranya était sure qu'elle n'oublierait la belle femme qui lui avait apporté le repos de l'esprit et elle pria pour qu'elle puisse un jour la revoir.



** Un héros n'est pas le meilleur combattant, ni le plus pur. Ce n'est pas le guerrier le plus intelligent ni le plus audacieux. On ne naît pas avec une âme de héros, on ne se bat pas pour le devenir. C'est le destin qui choisit, car c'est lui le seul maître. ** HsineY di 'tor. Philosophe arician.
Aucun commentaire - [Poster un commentaire]
Il n'y a pas de commentaire. Soyez le premier à commenter cette histoire !

Poster un commentaire

Vous devez vous identifier pour poster un commentaire.
Nombre de visites sur l'accueil depuis la création du site Diablo II : 43.009.075 visites.
© Copyright 1998-2024 JudgeHype SRL. Reproduction totale ou partielle interdite sans l'autorisation de l'auteur. Politique de confidentialité.