Fanfiction Diablo II

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Les contes du Marais Sombre

Par Arwen

LITTERÆ I

LITTERÆ II

LITTERÆ III

LITTERÆ IV

LITTERÆ V

LITTERÆ VI

LITTERÆ VII

Epilogue

"Entrez, entrez noble visiteur... Peu loin du bois obscur, dans les marais, se cache ma tour. Venez, n'ayez pas peur, les chandelles et la cheminée sont éteintes, certes, mais la lune est haute dans le ciel, sa pâle clarté vous rassurera, n'est ce pas ? Je me présente : Comtesse Ersebet Bathory, maîtresse en ces lieux depuis longtemps...oubliés. Ma contrée et mon donjon sont calmes, vous y trouverez le repos."

C'est ainsi que pourrait commencer l'histoire de Gwynllyw Aeshan Aeslanan Coiltenean... des fois, la vie - ou la non-vie- ne tient qu'à un fil...

La Comtesse était, comme à son habitude, assise dans un fauteuil face à la cheminée, dans la crypte. L'air se faisait oppressant, et malgré le vent glacial qui soufflait dans la pièce, les légères flammes bleuâtres qui consumaient le bois de l'âtre vacillaient à peine. Le visage du démon n'était que grâce et douceur, pourtant, ses grands yeux dorés révélaient sa nature intérieure, vile et dangereuse.

L'air commença alors à se rafraîchir, le vent tomba, et du sol de la crypte, une odeur de terre mouillée embauma la pièce. Les larges dalles de pierre brute foncèrent légèrement,et, d'un léger orifice dans le mortier, un peu d'eau entra, puis se répandit sur toute la dalle, diluant une immense tache brune au sol, et le léger flot rosâtre continua son chemin pour venir s'écraser aux pieds de la Comtesse. L'humidité la réveilla de son engourdissement, elle se leva, et d'un geste sec, drapa sa cape autour de ses épaules. Elle gagna rapidement l'étage supérieur, et regarda nerveusement à travers un soupirail. La lune commençait à monter dans un ciel d'encre, et, au loin, le soleil se couchait sur Tristram, étendant à l'ouest ses nuées ardentes.

Le démon monta les quelques marches qui la séparait du premier étage, du moins, de ce qu'il en restait... Seul le plancher avait tenu bon, mais il était à moitié pourri par les intempéries, et les quelques poutres qui le maintenait commençaient à être en piteux état. Elle s'appuya alors sur un tas de pierres qui formait un petit muret, et regarda au loin, en direction du Bois Obscur. La pluie se mit à ruisseler sur son visage, et, tandis que la solitude la gagnait, mêlée d'amertume et de rancoeur, elle attendait toujours, impassible, inlassablement...
Peu loin du bois obscur, se trouvait un jeune Druide, nommé Gwynllyw. Il errait à la recherche de Tristram, suivi de son loup blanc et de plusieurs corbeaux.

La nuit allait tomber, et il lui fallait trouver un endroit pour se reposer, avant de continuer sa quête. Il avait repéré l'entrée d'une grotte en fin de matinée, il décida qu'il y passerait la nuit. Il lui fallut courir jusqu'à la gueule béante de pierre, afin d'éviter la pluie qui commençait à peine à tomber, et les éventuels rôdeurs. Il pu enfin s'allonger sur le sol, son fétiche lui léchant affectueusement le profond cratère qui s'enfonçait dans ses côtes. L'hémorragie s'était arrêtée au prix de bien des souffrances, un bouchon de charpie et de feuillages comblant la plaie. Il pouvait se reposer à présent, contempler le plafond suintant, suivre du regard l'eau qui s'infiltrait, ses arabesques émeraude, ses gouttes d'argent se mêler à la terre ocre, et couler les long de quelques racines pour aller mourir sur le sol. Mourir... sur ce même sol, devenir élément liquide, s'évaporer... Dans ses accès de fièvre, Gwynllyw avait maintes fois vu Khaine, sa déesse mère, ouvrir ses grands bras, tendre vers lui ses doigts tortueux, l'appeler et disparaître une fois de plus. Maintes fois il aurait voulu la suivre, traverser en sa compagnie les plaines désolées où les âmes damnées se tordent et errent à jamais, et enfin, arriver au repos éternel, redevenir un enfant dans les bras de sa mère, à lui et à tous les autres de son clan.

Se tordant de douleur, il ne se rendit pas compte qu'il se mettait en position foetale, son loup à ses pieds et ses armes autour de lui, ainsi qu'étaient composées les sépultures de ses aïeux. La Mort pouvait venir, il ne résisterait pas, ses plaies s'infectaient, et bientôt les vers l'habiterait, il pourrait sentir l'envahisseur dans son corps, la fièvre le terrasserait, enfin ! Il serait libre... Malgré le vent glacé qui caressait les parois de l'abri son abri de fortune, Gwynllyw étouffait. Il ferma les yeux à demi, et tandis que le décor devenait brume, il sentit un frisson parcourir son échine, lui arrachant un gémissement, et un léger claquement couvrit le bruit de la pluie. Dans un dernier soupir, il fit le vide dans son esprit et ferma les yeux... méprisant la longue masse noire qui se penchait à ses côtés.
Plus que jamais, la faim se faisait sentir. Le marais sombre n'était guère fréquenté. Les siècles étaient passés sur cet endroit maudit, et sa contrée fut oubliée de tous. Les grands yeux dorés de la Comtesse se fixèrent sur le bois obscur, le ciel était presque noir, elle pourrait enfin aller errer, une fois de plus, en quête du précieux liquide qui la maintenait en vie.

Elle descendit à toute vitesse les quelques marches qui la séparait du rez-de-chaussée, passa rapidement sous le porche... dehors, enfin ! Elle avait toujours cette même sensation, mêlée de curiosité et de peur, à chaque fois qu'elle sortait. Les années et les intempéries avaient fissuré le mortier entre les pierres scellant sa prison, elle était libre à nouveau. Les mortels ne savaient que trop peu de choses d'elle, son coeur rempli de haine dictera à nouveau ses actes. La peine fut rude, sa demeure serait devenue son tombeau, si, une nuit, personne n'était venu voir, à travers la meurtrière grillagée, si elle était encore en vie. Elle avait été conduite loin du village, et son corps fut jeté du haut d'une falaise. Pendant une seconde, elle crut la douleur l'envahir à nouveau, sentir son corps disloqué, l'air si doux dans sa chevelure, mais l'incapacité de se mouvoir, et le sol, dur et froid. Le Comte l'avait cherché des jours durant, et lui avait donné un peu de ce qu'il avait de plus cher. Vladimir... Il était parti comme il était venu, lui promettant de veiller sur elle, comme il veillait sur l'Empire. Elle s'avança dans l'obscurité, son instinct la guidant. Elle sentait une certaine nervosité la gagner, elle avait peur à chaque fois qu'elle sortait, même si elle était sûre de son immortalité.

La horde de déchus qui passa à côté d'elle ne sembla pas la voir, ce qui la rassura. A mesure que le démon s'enfonçait dans la nuit, une aura bleutée se formait, une douce chaleur s'en dégageait, de même qu'un vent glacial se mit à souffler entre les hauts arbres. Son Sire veillait, elle le savait.
Les bois se firent plus épais, et la faim plus ardente encore. La Comtesse avançait péniblement, se griffant le visage aux branches basses, et déchirant sa robe. C'était sa soif de vengeance qui lui permettait de résister, toujours plus. Une odeur fétide se répandit soudain. Derrière un gros chêne, un clan de démons semblait s'agiter. La Comtesse les observa, restant à distance. Les bêtes étaient aux prises de corbeaux, qui ne se lassaient de les attaquer au visage, tandis qu'un grand loup blanc à la fourrure maculée de pourpre s'acharnait sur les pattes de l'un d'eux, plus grand et plus fort. Ersezbeth crut reconnaitre le Clan de la Lune, et s'avança doucement.

A l'entrée de la clairière, elle se baissa, tendit la main et appela les animaux, ainsi qu'on lui avait appris. Son aura bleue devint ardente, et le loup lâcha prise. Il vint se blottir dans les plis de sa robe, et les démons se retournèrent vivement, le regardant s'éloigner. Les corbeaux se calmèrent, et se posèrent sur les branches alentour.

La Comtesse se releva, le chef de Clan grogna, et se mit en garde, la faux en avant. Les autres le suivirent, mais elle avançait toujours, les mains le long du corps, le loup la suivant. A quelques mètres seulement d'eux, elle s'arrêta, leurs grognements l'alertant. Elle fit glisser de son corsage une dague, ne sachant que faire d'autre. Elle regarda le chef de clan dans les yeux, et porta la main à la garde. Les yeux de l'animal se figèrent, et il fit signe à ses compagnons de baisser leurs armes. Surprise, Ersezbeth recula, regardant sa dague, à peine sortie des pans de sa robe. Elle remarqua son imposante chevalière qui luisait dans les rayons de lune. Le dragon en émail rouge enchâssé dans celle ci semblait presque vivant, un instant, elle aurait cru que... Non, c'était la faim qui la faisait divaguer, Vlad était reparti sur ses terres, il ne pouvait...

Elle releva la tête, faisant face aux démons. Ils semblaient presque apeurés. Elle tenta de parler, mais aucun son ne sortait de sa bouche, elle se contenta d'avancer vers eux, malgré leur taille imposante et la peur en elle, presque palpable. Elle voulait comprendre, pourquoi ils étaient ici, pourquoi ces animaux enragés, pourquoi leur peur... Ses pensées se tournèrent une fois de plus vers son Sire, celui qui lui avait offert les Ténèbres, et l'immortalité... à quel prix ! Elle reprit ses esprits, alertée par le souffle rauque du démon, qui s'écarta vivement à son passage. La clairière donnait sur un rocher, dans lequel une grotte avait été creusée au fil du temps, par l'eau et les racines. Le loup se fit agressif, soudainement, barrant l'entrée de la grotte de tout son corps, et malgré sa fatigue apparente, montrait les dents en grognant. La Comtesse eut un bref mouvement de recul, le loup se calma et entra dans la gueule de pierre. Ersezbeth le suivit, se courbant pour entrer. Elle buta sur quelque chose, une sorte de bâton, ornementé d'artefacts divers. Le loup se tourna vers elle, et s'enfon ça un peu plus dans les ténèbres. Elle essaya de suivre l'exigu boyau, heurtant souvent les parois, et enfin se retrouva dans une petite salle, humide et malodorante. Il y avait une étroite sortie, couverte par les racines et les branches. L'eau suintait du plafond, ruisselant sur les parois déformées, et le filet d'eau ainsi formé suivait tranquillement les méandres formées par des pierres, pour venir s'écraser une une masse sombre. Ersezbeth se pencha, et posa la main dessus. Elle poussa un faible cri et retira vivement la main. Des mèches blondes dépassaient d'une pièce d'étoffe. Elle regarda autour et vit un sac, et un gourdin. En se penchant encore, elle devina le sang, la plaie béante, et aussi un cri sourd, celui de la douleur.
Les blés ondulaient sous le vent frais, et le soleil ardent écrasait Gwynllyw de sa chaleur. Allongé sous un épais chêne, le jeune druide se reposait. Il était plus heureux que jamais car son apprentissage était enfin terminé, et la cité de Kaer Drakkhen était en temps de paix.

Sa Comté, Aerendir, avait connu énormément d'invasion, tous convoitant ses innombrables trésors, et la sagesse de ses habitants, sans doute le plus grand d'entre eux.

Au loin, des cloches retentirent, et tirèrent Gwynllyw de sa torpeur. Il se leva, prit son bâton et courut en direction des hautes tours derrière les champs. Les grandes portes de la cité l'impressionnaient toujours, tant par leur taille que leur splendeur. Leur bois noir et leurs ferrures dorées aux motifs végétaux contrastaient agréablement avec les murailles de calcaire et le soubassement de grès rose. Les marchands attendaient qu'on leur ouvre, et le druide se faufila entre eux, jusqu'à la petite porte réservée aux hommes à pied. Il entra dans la cité, déjà les rues étaient noires de monde, et le sol couvert de pétales de rose.

Comme à chaque début de cycle, les prince Waileen sortait de son palais pour le solstice d'été, et paradait dans toute la cité.

Gwynllyw croisa son propre regard dans l'eau d'une fontaine. On lui avait quelquefois trouvé un profil semblable à celui sur les pièces de monnaie, et lui même cherchait la lueur mauve de ses yeux, celle qui brillait dans l'iris de son souverain au dernier solstice.

Il leva les yeux, la rue était vide, un vent froid soufflait au travers des bâtiments à l'abandon et des vautours tournaient autour de la grande tour nord, la demeure du prince.

Gwynllyw avança dans la rue, à la recherche d'une quelconque trace de vie. Il lui semblait que la nuit était tombée tout d'un coup, éclairant la rue de quelques blêmes rayons de lune. L'air chargé d'humidité se faisait maintenant oppressant, ou étais ce la peur qui commençait à le gagner ? Il ne comprenait pas. Où étaient passés la foule et la musique ? Il se mit à courir vers la tour, persuadé qu'il était épié, ou que quelque chose le suivait. Il se heurta à la première marche menant à la bâtisse, et s'arrêta net, pensant qu'une horde de gardes surgirait pour le chasser... mais il ne vit personne. La cité était bel et bien déserte. il commença à monter l'escalier qui le séparait de la tour, se demandant comment tout ceci était possible : d'abord la foule, la nuit et maintenant le palais royal.

En temps normal, nul ne l'approcher. En temps normal... Gwynllyw n'avait plus aucune notion du temps.
Perdu dans ses pensées, il se cogna violemment à la double porte de la tour, ce qui eut pour effet de le l'ouvrir. Les portes mesuraient bien 10 pieds de haut et un bon pied d'épaisseur, pourtant un seul homme pouvait les pousser aisément. Le druide entra dans la salle, ne sachant où donner des yeux tellement l'intérieur du palais était somptueux... aussi beau à l'intérieur qu'il était austère à l'extérieur. LE seul bâtiment noir de tout Aerendir... Pourtant les feuilles mortes se mêlaient aux veines du sol de marbre noir, et le lierre à la rampe du double escalier. En haut de celui ci, une grande porte peinte de motifs végétaux était entrouverte, attirant le regard de Gwynllyw. Ce qu'il l'attirait en fait le plus était le grand tableau au dessus de la porte, qui prenait appui sur le linteau et semblait se perdre dans le sombre plafond.

Gwynllyw reconnut d'abord le prince Waileen, debout, accoudé à un fauteuil, tenant sa lance à la main. Il avait le port altier de sa lignée, ainsi que ses yeux mauves à l'iris allongé, et une bien étrange pilosité pour sa race, puisque en plus de ses épais cheveux blanche, il avait de singuliers favoris raides qui lui tombaient dans le cou, et un petit bouc, blanc également, qui partait du bas du menton. De quelle race était il d'ailleurs ? Lui même ne le savait probablement pas, puisque personne n'avait de caractéristiques physiques semblables, mais tout en cet homme inspirait la sagesse.

Sur le fauteuil se trouvait une femme, portant un nouveau né dans les bras. Elle était radicalement différente du prince. Ses cheveux châtains - ou étaient ils roux ? - étaient enserrés dans un chignon piqué de perles, et quelques mèches ondulées venaient se poser sur son visage fin, quoique un peu anguleux, qui accueillait deux grands yeux verts cernés de noir. Son habit était très différent de celui du prince, qui portait un manteau droit blanc maintenu par une fibule en forme de feuille de lierre. La robe de la reine était serrée à la taille, et les longues manches lacées de celle-ci finissaient en un incroyable bouillonnement de volants, tout comme sa jupe, teintée d'un pourpre profond. Gwynllyw était irrésistiblement attiré par les yeux de la femme qui de plus en plus profonds. Il aurait aimé se perdre dans leur immensité verte, allant de l'émeraude au doré, mais ses propres yeux le brûlait et tandis qu'une migraine des plus douloureuses s'installait dans son crâne, il sentit son corps peser de plus en plus lourd, et le palier s'effondra, l'emportant dans sa chute.

Gwynllyw se réveilla en sursaut, mais les yeux qui le fiaient n'étaient pas ceux de la femme du tableau. Le mal était en elle à présent...
Les heures semblaient figées. Ersezbeth était assise, comme à son habitude, dans son fauteuil près de la cheminée. Elle fixait tour à tour les draps tachés du lit qui se soulevaient doucement, et son unique robe, maculée et visqueuse de pourpre. Lui seul savait, lui seul pouvait l'entendre. Elle lisait clairement en lui, d'abord sa blessure, profonde, béante, répercussion physique de sa douleur intérieure, puis, plus loin, comme classé dans un tiroir, le palais qu'elle avait longtemps adoré, maintenant victime des ombres qu'elle portait en elle. Elle aurait aimé le mener là où elle le désirait, mais les souvenirs trop flous d'une époque révolue l'empêchait d'avancer. Les portes de l'étage restaient désespérément closes.

Sursaut. Gwynllyw avait ouvert les yeux. Elle ne dit rien, et même si le dossier du fauteuil cachait le tête du lit, elle le savait. Les songes de ce dernier s'étaient brutalement stoppés, ainsi que sa propre rêverie. Des sabots martelèrent brusquement le mur, juste à l'extérieur, et une ombre telle deux naseaux fumants se découpèrent dans le parfait rectangle du soupirail. Deux. Gwynllyw était terrifié, le rêve était sorti de son esprit, mais pas l'atmosphère moite qui régnait à l'intérieur du caveau, pas plus que le bruit incessant du galop d'un cheval. Ersezbeth souriait. Peut être comprendrait-il, peut être entendrait-il les ombres au dehors, qui n'étaient que sa propre ombre, son passé.
La nature s'éveillait sous le soleil levant des plaines. La Comtesse était, comme à son habitude, assise sur le muret de pierres qui ceignait la tour. Bientôt la lumière se ferait trop vive pour ses pupilles écarlates, elle profitait pleinement de ces quelques dernières minutes de pénombre. Mille fois elle s'était demandée ce qu'elle allait faire de Gwynllyw, et elle n'avait pas de réponse.

Le jeune druide dormait, engourdi par l'humidité ambiante, sous une épaisse peau de loup. Son sommeil s'était apaisé dans la nuit, et ses chimères semblaient disparues. Il ouvrit à demi les yeux, et les referma aussitôt, aveuglé par le rai de lumière du soupirail. Il plissa les paupières, et les rouvrit. Les murs dansaient autour de lui, et bien que sa vision eût été floue, il pu sans mal reconnaître l'endroit où il se trouvait. Un frisson parcourut son échine. Comment était-il ici ? Que lui était-il arrivé ? Il avala difficilement sa salive et tenta de se lever. La douleur lui traversa la poitrine et il retomba lourdement sur le dos. Il resta allongé sur le dos, contemplant les volutes du plafond rongé par le temps. A présent il pensait à sa mère, il ne savait pas vraiment pourquoi. L'atmosphère lui était familière, pourtant ce lieu austère n'était pas le palais de son enfance.

Ces derniers mots résonnèrent dans son esprit. Le palais ? Il avait été élevé dans les bois par un mage. Du moins le pensait-il. Tout était confus dans son esprit, alors qu'il essayait de se remémorer son rêve, il lui semblait qu'une infime partie de sa vie s'immiçait dans ses songes, et il n'était plus sûr de rien le concernant.

Craquement, il leva la tête. Il y avait quelque chose au dessus de lui. Ou quelqu'un... Il vit progressivement une ombre pourpre se détacher du plafond, et descendre le long du mur. Il remarqua alors l'étroit escalier de pierre qui perçait la voûte, se perdant dans la lumière naissante du jour. L'ombre avançait toujours, elle prit forme humaine au moment où elle toucha le sol. Il s'enfouit sous les draps et l'observa un moment. La femme portait une épaisse tresse rousse nouée en chignon, et malgré sa maigreur et son teint cadavérique, il s'en dégageait une certaine attirance. Sa robe, démodée et usée, tombait jusqu'à ses chevilles, mais un pan déchiré dévoilait à demi sa cheville et la naissance d'un mollet. Le tout semblait taché de brun, et ressemblait à une plaie béante. Une plaie. La douleur traversa à nouveau son côté, et la femme se retourna vivement, comme si elle eût senti la douleur. "Gwynllyw ?" Son prénom... Elle savait son prénom... L'étonnement le paralysa à moitié, et il eut juste le temps de fermer les yeux tandis qu'elle s'approchait. La Comtesse se contenta de remonter les draps sur les épaules du druide, et retourna dans son fauteuil. Gwynllyw ne la voyait que de dos, mais il pouvait deviner aisément ses mouvements. Elle ouvrit un petit coffret posé sur la table, et en sortit une lourde chevalière qu'elle passa à l'annulaire droit. Elle se leva, et, rapidement, alla fouiller dans une malle dont elle sortit un tas de chiffons. Elle les déplia et découvrit une tenue de voyage, ainsi qu'une lourde cape de peau huilée.

Le druide se redressa doucement, en serrant les dents. Il la regardait faire, et malgré son crâne endolori, il trouva au fond de sa mémoire une scène similaire. Une femme s'habillait en homme et enfourchait un immense cheval noir, se perdant dans la brume matinale. Elle l'avait embrassé avant de partir, et il se souvenait clairement de ses yeux, tels deux émeraudes. Il se remémora rapidement son rêve... Il fallait regarder les yeux de la femme. Il le savait. Un rapide regard alentour, et malgré la douleur, il articula : "Qu'avez vous vu là-haut ? La Comtesse se retourna, et s'approcha. Sans dire un mot, elle se pencha et regarda intensément Gwynllyw. Son regard le paralysa. Il en était des fourbes et des perfides, mais celui-ci était le plus froid qu'il avait vu. Les yeux semblaient de verre, vides, transparents, éclairés d'une lueur malsaine par les pupilles écarlates. "Je vous attendais", lâcha-t-elle enfin.

"Je sais qui vous êtes, je vous ai vue en songe". Ersezbeth se releva, comme si un poignard lui avait traversé l'épine dorsale. Il avait énormément d'intuition, elle ne pouvait le nier, mais à ce point...

Il retomba dans les draps, à bout de forces. Il ferma à demi les yeux, et de nouveau, elle replaça les couvertures sur lui d'un mouvement des plus doux. Une fraction de seconde, il vit la chevalière. Il retomba dans un gouffre et revit les portes de Kaer Drakkhen, le dragon cramoisi sur les tentures, les yeux du souverain, ses propres yeux. Il ouvrit brusquement les yeux et enchaîna : "Vos yeux... Ne sont-ils pas verts ? Ils sont rouges tels un dracconite, mais, ne sont-ils pas verts en dessous ?" Il haletait, et passa sa main dans son épaisse chevelure. Quelques cheveux roux se détachèrent et vinrent contraster avec la peau de loup immaculée. Il fixait toujours la Comtesse de ses grands yeux mauves, et se redressa d'un trait. Il se fit glisser jusqu'au bord du lit et mit les pieds par terre. Au moment où il se releva, la douleur le fit vaciller mais il se rattrapa au montant et tituba jusqu'au fauteuil. La main de la Comtesse vint s'abattre sur son épaule. "Vous ne pouvez partir... pas maintenant." Il attrapa son capuchon et le noua aussi vite qu'il put, et se retourna. "Allons à Kaer Drakkhen, vous leur direz qui vous êtes."

- Mais de quoi parlez vous ?

- De vous voyons !

Gwynllyw avança jusqu'à la porte et poussa l'épais battant. La pluie avait commencé à tomber, le ciel s'était assombri tout d'un coup, et les brumes commençaient à monter sur le marais.

- Venez !

- Non !

Il fit un pas au dehors et se retourna. Le regard de la comtesse était éteint, rempli de tristesse. Il comprit.

- Vous ne supportez pas la lumière...

Elle se retourna et fit quelques pas vers la pénombre de la pièce.

- Très bien, je leur dirai alors.

- Non attendez !

Gwynllyw se mit à courir parmi les herbes folles, déjà la terre était humide et glissante, et la pluie qui redoublait semblait apaiser ses plaies, où était-ce l'enthousiasme.

- Pas par les plaines ! Ils...

Les cris de la comtesse étaient vains, le druide était trop loin.

- Adieu Gwynllyw.

Elle ferma la porte et retourna à sa table.

Gwynllyw courait toujours, faisant attention aux mares et aux trous d'eau cachés par les herbes. Les branches griffaient son visage, et son torse lui faisait mal, mais il ne s'en souciait que guère et continuait son chemin. Le sol était détrempé, il avait atteint les profondeurs des marais. Soudainement, il vit la terre vaciller et il tomba lourdement sur le sol. Son pied était pris dans une liane. Il était incapable de se relever, le sol était trop boueux et il était trop faible. Ses élans s'anéantirent d'un coup. Il tourna la tête pour respirer. Un rapace se posa à son côté. Gwynllyw tendit les doigts pour caresser son plumage, et remarqua que l'oiseau avait les yeux couleur émeraude. Merci Ersezbeth. Il sourit et sentit sa poitrine se contracter. Son souffle se bloqua, et sa tête retomba dans l'épaisse flaque de boue, teintée de rose sale. Il ferma les yeux, et un dernier spasme lui arracha un souffle. Le faucon se percha sur son corps sans vie, et veilla.
La Comtesse avait revêtu sa tenue de voyage. Elle resserra le noeud de son jabot et sortit. La pénombre avait envahi les marais. Elle contourna le donjon et trouva sa monture. Elle caressa du bout des doigts les noirs naseaux fumants, et monta l'animal. Le cheval partit prudemment en direction du nord, et contourna les plaines. Celles-ci à peine dépassées, la comtesse jeta un oeil en arrière. Un grondement sourd se fit entendre, et la lune fut obscurcie par une masse sombre qui se déplaçait rapidement, dans toute la largeur du vallon. Elle éperonna le cheval, qui partit de plus belle. La brume l'enveloppa et elle disparut dans les épaisses forêts de sapins du nord.
Des jours, des semaines peut être s'étaient écoulées. La Comtesse aperçut alors les hauts monts de Valachie et la forteresse qui se découpaient sur les montagnes enneigées. Elle ralenti alors qu'un corbeau approchait. Il se posa doucement sur son gant et elle caressa affectueusement son plumage. Elle était attendue... Il l'avait attendue...
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