Fanfiction Diablo II

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Ode à l'homicide volontaire

Par SF
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Ode à l'homicide volontaire

Je n'ai jamais vraiment eu de vie.

Née dans une riche famille du Khanduras, j'ai toujours eu bien plus d'or qu'il ne fallait pour vivre cent vies insouciantes et dépensières. C'est ainsi que, libérée des considérations matérielles, j'ai pu m'abandonner complètement à ma seule réelle passion: le chant voluptueux des tambours barbares qui, peu à peu, est devenu une réelle drogue pour moi, occultant tous les autres aspects de ma vie.

Plusieurs fois par jour, je faisait jouer mes musiciens et je dansais de toutes mes forces, entrant ainsi dans une transe délicieuse qui se poursuivait jusqu'à ce que je m'effondre de fatigue sur les tapis épais du palais ou que mon père ou mon frère ne m'arrête. Lorsque la musique s'estompait alors que j'étais encore consciente, je me laissais tomber sur le sol et me recroquevillais sur moi-même en gémissant tant la douleur était forte.

Très vite, j'avais perdu toute notion du monde m'entourant. Je me faisait laver, habiller et nourrir par des servantes dont je ne connaissais ni les noms ni le nombre et des professeurs se succédaient à mes côtés, m'enseignant insidieusement l'arithmétique, la rhétorique, la morale, l'anatomie, l'histoire et la religion. Leurs paroles entraient en moi et s'inscrivaient dans les tréfonds de mon cerveau mais jamais je ne posais les yeux sur eux ni ne m'intéressais à leurs babillages ennuyeux. Je ne vivais que pour la musique, attendant impatiemment la danse suivante.

Lorsque je repense à cette époque, il me semble que mon père ait cessé de me rendre visite un jour mais que je n'aie pas remarqué son absence. Sans doute était-il mort. Le mot mère n'évoquait rien en moi et de toutes les créatures humaines qui me côtoyaient, seul mon frère avait, pour moi, une identité propre. Je ne saurais dire si je l'aimais mais j'aurais tout au moins aimé me souvenir de son prénom.

Régulièrement, mon père ou mon frère m'exhibait fièrement lors de réceptions au palais. La foule m'indifférait. Seule la danse comptait, le martèlement des tambours, les battements de mon coeur qui se répercutaient dans ma gorge, sur mes tempes et dans mes oreilles. Nombre de comtes, seigneurs et autres princes s'étaient succédés dans ma danse, tentant en vain de capter mon attention. Certains d'entre eux m'avaient embrassée sur le visage, dans le cou. Je m'en moquais.

Une nuit, un homme richement vêtu s'offusqua de mon indifférence et me frappa violemment au visage. Un son étrange parcourut la foule alors que je me relevais et reprenais ma danse, indifférente au sang qui coulait abondamment de mon nez et ma bouche sur ma longue robe blanche. Mes musiciens étaient formés à n'interrompre leur musique sous aucun prétexte. Dans le tourbillon d'images et de couleurs que captaient mes yeux, j'aperçus alors mon frère, le visage déformé par la rage, enfoncer sa dague dans le coeur de l'homme. Je savais ce qu'étaient les ventricules et les valvules. J'imaginais la lame se frayant un chemin à travers le péricarde, le myocarde et l'endocarde, le sang issu des veines caves et pulmonaires se déversant dans les oreillettes et s'échappant sur la tunique et sur le sol. Le chant des tambours saturait la pièce. J'imaginais l'aorte et l'artère pulmonaire vides, l'agonie et la mort.

Sans perdre le rythme des percutions, je m'approchai de mon frère, meurtrier et inquiet pour moi, qui m'observait d'un air désolé. Je me blottissai contre lui, l'enlaçai et plaquai mes lèvres couvertes de sang sur sa bouche avant de reprendre ma danse et l'oublier. Ma transe ayant repris, plus rien n'avait d'importance.

Une autre nuit, alors que je me tenais seule dans ma chambre, un chant de tambour inconnu de moi s'éleva sur la plaine. M'avançant sur mon balcon, je me laissais imprégner par la musique et entamais ma danse. L'air était chaud et la pleine lune éclairait le paysage d'une lueur laiteuse. Des gens couraient et hurlaient dans la cour. Je m'en moquais. Jamais je n'avais entendu de tambours aussi forts et profonds. Il me semblait que les coups étaient frappés entre mes poumons, à environ mi longueur de l'oesophage et se répercutaient à travers tout mon corps, m'échauffant profondément les sens.

Les tambours se rapprochèrent de moi sans cesser de jouer et un tintement métallique me rappelant vaguement le triangle se mêla à leur musique suave. Poussant brutalement la porte, mon frère fit irruption dans la chambre et déversa un torrent de mots tels que "danger", "bataille" et "fuir". Je baissais les yeux sur ma main dans laquelle il venait de déposer une épée glacée. Les tambours m'appelaient. Je voulais danser. Deux mains tièdes posées sur mes joues me forcèrent à rencontrer son regard:

- Tu m'écoutes ? Tu as compris ?

J'enfonçais la pointe de l'épée dans sa gorge et lui tranchais l'oesophage, la trachée et la carotide. La prodigieuse pression de l'artère cérébrale projeta une grande quantité de sang dont la majeure partie vint tâcher ma chemise du nuit et mon visage. Stupéfait, mon frère recula de quelques pas en appliquant ses deux mains sur la plaie. Nous nous observâmes droit dans les yeux alors que le sang s'infiltrait dans la trachée et descendait vers les poumons. Une violente quinte de toux le projeta au sol et je m'allongeais sur lui, l'enlaçais et posais mes lèvres sur son cou. Il ne bougeait déjà presque plus. Je remplissais ma bouche de sang et rejetais la tête en arrière afin de l'avaler tout doucement. Le liquide sirupeux descendit tout doucement le long de mon oesophage jusqu'à mon estomac et je frissonnais sous l'intensité du plaisir que je ressentis alors. Les tambours de guerre battaient plus que jamais dans mon âme et l'épée que je tenais encore en main réclamait plus de sang. Jamais je ne m'étais sentie aussi vivante.

D'un mouvement de moulinet, je projetais le tranchant de la lame dans le visage d'une servante qui sanglotait à mes côtés. Le son de la mâchoire qui se brise me frappa très distinctivement les oreilles, alors que le hurlement et le bruit de chair déchirée me laissaient indifférente. La nuit commençait à peine et des foules de combattants se pressaient à l'extérieur. Danser toute la journée pendant des années m'avait forgé un corps redoutable. J'allais tuer pour me sentir vivante. Ma vie prenait enfin un sens. Je me jetais par la fenêtre et atterrissais en pleine bataille. Le tambour hurlait un air si violemment endiablé qu'il était impossible qu'il soit joué par un humain. Je crois au contraire que le joueur était mort et que ces sons étaient les miens: battements de mon coeur ou fruit de mon imagination. Toujours est-il que je m'imprégnais de leur rythme et me lançais dans une danse de guerre macabre et destructrice, pourfendant avec délice tout ce qui passait à ma portée, sans aucune distinction.

Ce jour funeste marqua pour moi le début d'une nouvelle vie de débauche sanguinaire qui jamais ne cessa.

Je suis aujourd'hui démon au coeur brisé. J'ai bu du sang à en vomir et j'ai tranché plus de vies que tout autre mortel. J'ai essuyé une croisade des soeurs de l'oeil aveugle et bien que mon palais ne soit plus que ruines, aucune des cent guerrières vierges n'a survécu à ma soif de sang. Pensez-vous que je regrette ma vie de meurtrière ? Croyez-vous que j'aurais dû vivre sagement dans un monde dégoulinant de candeur comme vous le faites ? Je ne regrette aucune des vies que j'ai prises et j'en prendrai encore et encore. Je sortirai la nuit et dévorerai les fermes isolées. Voilà comment je vis.

Qui êtes-vous pour me jeter la pierre ? Des humains ? De stupides amas de chair et d'os qui se tortillent dans leurs principes moraux, espérant rejoindre un jour le paradis ? Apprenez ceci: le paradis n'est pas pour les hommes. Il n'est pas le royaume éclatant du moindre dieu, tout juste un monde contrôlé par les anges dont le désir de voir couler le sang de leurs ennemis est aussi fort que celui des démons. Vous croyez que les anges vous aiment ? Il vous méprisent et ne rêvent que de vous utiliser pour combattre l'enfer. Vous croyez que l'âme perdure après la mort ? Tout cela n'est que mensonge. Vous n'êtes que de fragiles amas de chair et de sang dont il ne reste rien après le passage de ma lame. En fait, rien ne vous différencie intrinsèquement des fourmis que vous écrasez du bout des doigts pour vous amuser. Pourquoi me priverais-je du plaisir de vous abattre si vous êtes trop faibles pour vous défendre ? Pourquoi me priverais-je du goût suave qu'a votre sang lorsqu'il coule chaud d'une plaie alors que vous haletez une dernière fois ?

Vous n'êtes pas convaincus, n'est-ce pas ? Même sans âme, vous vous croyez supérieurs aux animaux. Vous vous dites qu'un humain a toute une vie pour répandre son influence sur le monde et le modifier. Vous prenez ce privilège d'ingérence pour un droit et pensez que chacun dispose de sa vie et que nul n'a le droit de l'en déposséder. La propriété privée est une invention humaine qui n'a aucun fondement naturel. Je ne lui accorde aucune valeur. La vie de chacun appartient à celui qui a le pouvoir de la lui prendre.

Je sais aussi que vous pensez que chacun doit vivre une vie aussi longue que possible afin d'avoir le plus possible de chances de répandre le bien et améliorer le monde. Ce dernier argument est à mon sens le plus ridicule et le plus hypocrite que vous ayez à m'opposer car il suffit de voir ce que vous faites de votre vie pour le réfuter. Observez les gardes de Léoric battre la campagne à la recherche de traîtres imaginaires à trucider. Observez les paladins du Zakarum, sains chevaliers du bien, rechercher l'engeance démoniaque là où elle n'est pas et jubiler en massacrant de paisibles paysans avant de venir s'éteindre dans mes bras. Pensez-vous que les hommes intrinsèquement mauvais méritent de vivre ? Pensez-vous que les innocents intrinsèquement bons doivent supporter ce monde de souffrance ? N'est-ce pas avec une grande bonté que je juge et condamne les pêcheurs. N'est-ce pas avec une touchante pitié que je libère les innocents de leurs vies de tourment ? N'ais-je pas raison de délivrer les jeunes enfants, si gracieux, attachants et savoureux à mes yeux, de la tourmente infernale de la vie ?

Amélia Khania, contesse de Darkswamp, contrée de Tristram, royaume du Khanduras, Sanctuary.
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