Fanfiction Diablo II

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Sang Divin

Par Bert
Les autres histoires de l'auteur

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Les corbeaux de la légendaire cathédrale de Tristram se turent pour la première fois depuis longtemps, et laissèrent place à la voix grave et lourde d'un homme. De cette voix s'écoulait une sanglante rivière de souvenirs et de regrets qui célébraient l'étrange histoire d'une guerre lointaine ; une guerre d'un temps où les hommes devaient s'affronter entre eux pour avoir des ennemis, leur monde n'étant pas encore pourri par l'infernal fléau des démons originels.

Son dénouement avait en effet quelque chose d'étrange ; quelque chose que les mortels ne reconnaissent plus dans leur guerre perpétuelle contre l'enfer : une fin. Presque heureuse, d'ailleurs. Jetant un coup d'oeil au mur noirci de la cathédrale, Bertogale aurait voulu ne pas s'aventurer dans la narration des douloureux souvenirs de son pèlerinage à Kurast. Finalement, il aurait préféré s'arrêter sur ce mot... « Amen. » Peut-être aurait-il continué encore un peu si la fin eut été ainsi :

« Je rentrais alors à Tristram, épaulé d'Iljuîtes et d'Hypérion, tandis que devant nous, Lachdanan chevauchait, guéri de ses blessures, le dos droit et le profil haut. Derrière nous, une trentaine de cavaliers, leurs armures déchirées et leurs lances brisées, mais les joues rouges de vie et de bonheur. Bientôt, et au fur et à mesure que nous avancions, ces cavaliers se dispersèrent, regagnant chacun leur village d'origine respectif. Nous n'étions plus que quatre lorsque nous arrivâmes à Tristram. Là, des chants s'élevèrent dans toute la ville. Le soleil brillait, le ciel était azure. Partout on accourait accueillir les quatre héros. Kandorma était là aussi... »

Mais il n'en fut pas ainsi. Des entités démoniaques avaient changé la ville et bientôt Sanctuary à jamais. Le monde en fut défiguré au point que plus aucun mortel ne reconnu sa terre natale ou de paysages familiers, condamné à errer éternellement dans un désert de désolation et d'oublie. Et à présent Bertogale était devant ce mur noir, cet ultime symbole de la défaite humaine, cette synthèse de la misère impuissante des mortels. Mais le mur n'était pas complètement noir. Il y avait en effet à l'angle, une trace pourpre qui, si on y regardait méticuleusement, avait la forme d'une main. Il lui semblait avoir déjà vu cette main.

_______________


Après quelques minutes de silence, le marchand assis à ses côtés sur le frêle banc de bois posa la fatidique question :

« Et après ? »

Les yeux hypnotisés du conteur se libérèrent de la fascinante noirceur du mur. Il regarda à ses côté le brave marchand enrobé dans son pull jaunâtre et usé, puis en face de lui, le prêtre accroupi sur les pierres froides du sol, le menton posait sur son poing tandis que sa deuxième main serrait fermement la miche de pain, suppliant le conteur du regard pour qu'il reprenne son récit.

« Comment ça, 'et après ? demanda Bertogale.
- Et bien, répondit le voyageur enthousiasmé, le pèlerinage vers Kurast, ce qu'il advint de Léoric-
- Oui, c'est vrai, il y a encore beaucoup à dire.
- Je tiens à vous rappeler, repris le prêtre, que vos confessions ne sont pas valides si vous ne les faîtes pas jusqu'au bout-
- Ca va, j'ai compris. Laissez-moi réfléchir un peu... »

Bertogale s'empara d'un morceau de pain et après avoir profondément inspiré, il reprit :

« C'était donc la fin de la guerre...
C'était donc la fin de la guerre. Les habitants de Khanduras s'en souvinrent comme une défaite cuisante, se rappelant surtout du terrible assaut de Léoric, tandis que notre courageuse victoire fut vite oubliée, seulement connue de peu. Entre autre, le poids lourd de la défaite peser sur tout le royaume et le moral de tous était au plus bas. Notre glorieuse nation n'était plus qu'une vaste funérailles.

Malgré notre lutte et son incroyable dénouement, notre quête n'était pas encore finie, si ce n'est, à peine commencée. Nous devions encore détrôner Léoric. Lachdanan réquisitionna les quelques chevaliers qui lui restaient et tenta d'obtenir l'aide d'Hypérion et d'Iljuîtes. Bien entendu, je lui restais fidèle.

Mais Hypérion nous quitta et retourna à Westmarch. Iljuîtes était toujours envieux d'aller à Kurast, comme il me l'avait expliqué lors de notre première rencontre. La seul raison pour laquelle il s'était attardé à Khanduras était à cause de la guerre, ce « mal » comme il l'avait nommé, qui hantait cette terre, et pensant notre cause gagnée et la mort de Léoric inévitable, il s'en alla, désireux de rattraper le temps perdu ; et ainsi, après ces éphémères retrouvailles, nous nous dispersions à nouveau.

_______________


Une pluie battante s'acharnait sur Tristram. Le ciel était noir et l'orage grondait, tandis que le son des gouttes lourdes raisonnait dans les rues. Sur une place publique qu'un échafaud dominait depuis une semaine, un attroupement de personnes se tenait, la gorge noué et le coeur lourd. Sur la sinistre scène se tenait sept hommes, dont le bourreau et sa victime dont une corde parait le cou. Un autre tenait un parchemin à la main, tandis que derrière lui, les baguettes heurtaient les tambours avec une régularité presque macabre. Le détenteur du parchemin commença alors sa lecture :

« Cet individu est accusé de désertion et de haute trahison. Complot contre le Roi, coopération avec l'ennemi et tentative de créer une révolution. La proclamation du Roi décrète que quiconque-
- Il est fou ! hurla l'accusé pris de terreur. Si nous restons ici, nous courons tous à notre perte !»

Mais l'émissaire du Roi continua son discours sans écouter les avertissements de l'accusé, tandis que les tambours battaient derrière, non perturbés pas les cris de désespoirs de la victime. Après quelques minutes de dialogues entre l'énumération des lois de l'un et les prophéties apocalyptiques de l'autre, les tambours se turent. Seule la pluie brisait ce terrifiant rideau de silence.

Le visage des spectateurs était vide, leurs yeux glauques, tandis que leur mâchoire tombait raide. Leurs mains pales pendaient, se balançant quelque peu, comme pour mimer le cadavre qui danserait inconsciemment au rythme du vent, toujours en laisse, accroché à un poteau. Mêmes les enfants regardaient ce spectacle sans la moindre réaction, peut-être tristement habitués à cette macabre mise en scène. L'émissaire du Roi se retourna vers le bourreau et le visage statique, hocha la tête pour que l'on ouvre la trappe au pied du condamné.
Mécaniquement, le bourreau s'avança vers le levier et posa ses épais gants noirs sur le poignet. L'orage gronda tandis qu'une dernière fois le regard de l'accusé croisa celui de l'impitoyable émissaire. Ce-dernier osa même un sourire, pris d'une jouissance sadique.

Le bourreau s'effondra avant même d'avoir pu commettre l'exécution, et sa masse corporelle s'écrasa sur le bois dans un bruit lourd et vaste, tandis que son masque vira du noir au rouge. Entre ses deux yeux bandait une flèche. Pris de terreur, l'émissaire parcourait la foule à la recherche du coupable.

« Encore des traitres ? »

Mais cet effort ne fut pas nécessaire, car l'archer, s'avança lui-même, enrobé dans une cape et le visage masqué par une capuche. Tandis qu'il montait sur l'échafaud, sa marche inspirait le respect.

« Cet homme est innocent, proclama-t-il.
- Et qui êtes vous pour tenir de tel propos ? répliqua l'émissaire.
- Je suis Lachdanan, dernier capitaine de Khanduras, et je suis revenu de ma campagne de guerre pour rétablir l'ordre à Tristram.
- Ah, voilà donc le prince des traitres. Vous n'avez aucun pouvoir ici, Lachdanan. Gardes, saisissez-le ! »

Les quatre hommes retirèrent leur tambour et dégainèrent leur épée. Presque comme pour faire un jeu de miroir, Lachdanan jeta son arc à terre s'empara de son sabre. Puis discrètement, il se retourna et fit un clin d'oeil. Parmi la foule, un deuxième homme vêtu d'une cape surgit, l'épée à la main et tandis que les gardes regardaient ahuris cet étrange individu qui lui aussi se précipitait sur l'échafaud, Lachdanan engagea le combat avec férocité. D'un geste rapide, il dépourvu son première adversaire de son arme mais les autres rappliquèrent aussi tôt. Il dû reculer quelque peu mais parvenait cependant à maitriser ses trois ennemis.

Son complice eut tôt fait de le rejoindre et d'un bond surprenant, fit reculer un garde et hésiter les autres. Inégalé dans leur maîtrise du sabre, les deux complices parvinrent à contenir les assauts des quatre hommes au moyen de quelques prouesses martiales. L'émissaire fou de rage, s'en alla terminait ce que le bourreau avait commencé tandis que l'accusé appelait ses sauveurs à la rescousse. Finalement parvenant à se faufiler à travers les sentinelles, le complice de Lachdanan défia l'émissaire et lui tendis sa lame. Ce-dernier, furieux, s'empara d'une dague, longue et aiguisée et le juge félon engagea le duel. Mais le mystérieux sauveur ne s'y laissa surprendre et tendant son pied, fit tomber son adversaire dans son élan, qui humilié frappait le sol de son épaule.

Pendant ce temps Lachdanan continuait son combat difficile, d'autant plus difficile que son épaule droite lui faisait défaut. Les coups s'enchaînaient rapidement, non pas que ses adversaires furent rapides mais ils étaient nombreux et inévitablement, le capitaine faiblissait. Son épée lui était de plus en plus lourde et chaque parade lui coutait un peu plus de force. L'on croyait entendre un marteau s'écrasant sur son enclume à chaque coup. Finalement, Lachdanan parvint à lancer un nouvel assaut et perça la poitrine d'un des trois gardes. Les deux autres fléchirent, pour le moins effrayé, tandis que le capitaine leur lançait un regard provocateur :

« Aller, venez... »

Ce temps durant, l'émissaire se releva et récupérant sa dague, se jeta sur le complice qui se précipitait vers l'accusé. Mais au craquement du bois, ce-dernier avait ouï l'approche mesquine de son opposant ; et d'un geste rapide, presque instinctif, il se retourna et flanqua un fantastique coup droit dans la face de l'assaillant. Et ayant déjà récupéré sa lame, il engagea son impuissant adversaire. Mais soudain comme l'orage, l'émissaire se jeta vers le levier et d'un coup brusque le tira vers lui.

La trappe s'ouvrit et l'accusé, impuissant, tombait dans l'odieux piège, tandis que la corde se resserrait fatalement autour de son cou. Incapable de respirer, il ouvrit grand sa bouche puis commença à se débattre pris d'une rage furieuse, sentant à présent la mort étendre sa main sur son innocente âme.

Le complice se précipita vers la corde pour la couper mais l'infâme juge lança sa dague habilement qui traça une vilaine coupure dans la paume de son adversaire. Le blessé laissa tomber son arme sur le coup et avant qu'il ne puisse la récupérer son infâme ennemi s'en empara et le menaça de ses deux armes. Savourant le moment, il fit reculer son ennemi jusqu'à ce que celui-ci trébuche sur un morceau de bois :

« Les traitres seront punis. »

Puis, rapide comme l'éclaire, le complice s'empara de l'arc et saisissant une flèche, foudroya son adversaire qui, incrédule, tombait, touché au coeur. Puis avec dextérité et rapidité, le vainqueur récupéra son épée du cadavre et coupa les liens qui resserraient le gosier de son ami. L'acte fait, le condamné s'écrasa sur le sol, raide, en passant par la trappe. Sans lui laisser le temps de vérifier l'état de son ami, un garde se jeta sur le complice de Lachdanan. L'assaut fut brutal et il du reculer d'un pas pour mieux le parer ; mais ce fatal pas le conduit au bord du précipice, là où la trappe s'était ouverte, et voyant que son adversaire perdait l'équilibre, le garde en profita pour lancer une autre attaque.

Prenant le risque de pencher sa tête en arrière pour éviter la lame qui fendait l'air, l'homme masqué s'agrippa à l'armure de son ennemi et l'utilisant comme appui, se releva et précipita son adversaire dans le trou. Il en suivit un :

« Aïe ! »

C'était la voix de Kandorma. 'Bien, il est toujours vivant', pensa son sauveur. Puis accourant au secoure de son capitaine, il assomma le dernier garde du pommeau de son épée.

L'instant suivant, les deux hommes récupérèrent leur ami qui étouffait sous un corps lourd. Dégageant le garde, ils saluèrent Kandorma qui s'essuyait le cou de sa main :

« Désolé pour le retard.
- Bertogale ! Tu es revenu !
- Il faut se dépêcher, les autres nous attendent, insista Lachdanan. »

Et se plongeant dans les rues ténébreuses, les trois hommes disparurent.
Après quelques minutes de course, nous arrivâmes à la caserne, lieu que Lachdanan avait choisi pour rassembler ses forces et diriger son complot. L'endroit avait été abandonné mais regorgeait d'armes et d'accessoires bien utiles aux conspirateurs qui s'y réunissaient. Nous étions une vingtaine, tous armés et revivifier par deux jours de repos. Nous avions prévu d'étendre ces quelques jours à une semaine pour nous remettre totalement de la récente bataille mais l'exécution de Kandorma avait précipité les choses, plus rapidement que nous le souhaitions.

« Bien, commença Lachdanan, notre mission fut un franc succès et nous avons pu récupérer notre allié, de justesse d'ailleurs. Notre temps est à présent compté. » En effet, le capitaine ne doutait pas que quelques villageois avaient accouru auprès du Roi et lui avaient signalé la venu de ses « rebelles ». Le plus gênant dans l'affaire était d'avoir perdu l'effet de surprise et la couverture de l'anonymat. Puis il reprit : « Je vais être franc avec vous : les choses ne se déroulent pas tout à fait comme nous les avions prévus. Cependant, si nous agissons rapidement, nous devrions réussir notre coup sans trop avoir à nous battre. »

Il y eut quelques murmures, des interrogations et des exclamations, puis soudain un violent bruit interrompu les conversations naissantes.

« J'ai dit rapidement. »

Les hommes s'emparèrent alors de leurs armures, d'épées et de boucliers, d'arcs et de flèches, prenant tous soin de se recouvrir d'une cape sombre ; car tel était l'uniforme qui nous permettrait de nous identifier. A travers le son des habilles qui s'enfilaient et des lames qui s'aiguisaient, j'entendis la voix de Kandorma qui m'appelait. J'avais oublié qu'il avait manqué un épisode et qu'il ignorait complètement par quel miracle nous avions survécu à notre audacieux assaut.

« Pardonne ma curiosité, expliquait-il, mais par le Zakarum comment avez-vous... comment ?
- Par le Zakarum comme tu dis, répondis-je, tout en resserrant les lacets de mes bottes. Te souviens-tu du heaume d'argent qui ornait ma tête ?
- Bien-sûre...
- Il s'agissait en vérité d'une relique sacrée pour les paladins. Or, à l'apogée de la bataille, un paladin de Westmarch l'a reconnue et voyant cela comme un signe, il interrompit la lutte et renonça à ses dessins de se venger de Léoric pour son impardonnable pêché.
- Quoi ? s'exclama-t-il, complètement surpris. Pour ce heaume, deux milles hommes ont renonçaient à leur vengeance ? Te rends-tu compte de l'importance que doit avoir cette relique ? »

Une soudaine pensée m'heurta. Il était vrai que je n'avais jamais envisagé ce que représentait réellement ce casque qui finalement, par sa simple présence avait déjà accompli tant d'exploits. Je gardais cependant en tête que si je l'avais, ce n'était que par hasard et que bien entendu, il ne m'était pas destiné... le paladin se serait alors trompait... mais alors que devais-je faire de cette relique ? Serait-ce un pêché de le garder ou était-ce à présent mon devoir de le porter ? Je savais que dans beaucoup de légende, les mages parvenaient à immortaliser leurs pouvoirs en les enferment dans des objets- cela en était peut-être un ? Une sorte d'héritage de Patrius. Mais dans ma mémoire, le nom de Patrius ne raisonnait nulle part et mise à part son statut de paladin, je ne connaissais rien de ce personnage. Cela valait peut-être alors le coup de faire le pèlerinage : rien que pour répondre à ces questions...

Je fus rappelé à la réalité par l'infatigable orage qui rugit encore une fois de sa voix maîtresse. Passant un dernier coup de chiffon sur mon épée, j'enfilais la cape et recouvrais ma tête de ma capuche.

« Tu ne prends pas le heaume ? me fit remarquer Kandorma.
- Oh, tu sais... répondis-je quelque peu hésitant ; car pour être franc, ce casque par sa puissance avait à présent un aspect effrayant et redoutable, comme une force qu'on ne devait déchaîner qu'avec la plus sage prudence. Ce n'est peut-être pas la peine.
- Prend le : tu ne l'as jamais regretté. »

_______________


L'orage s'agitait, symétriquement à notre groupe. La pluie était plus froide, plus lourde et plus dense encore, tandis qu'au loin dans les cieux, les éclairs dansaient dans un feu d'artifices jaune et blanc. Dans toute la ville, des rumeurs d'un complot couraient et déjà, beaucoup faisaient le choix d'assister le coup ou de rester fidèles au Roi. Les soldats de Léoric infestaient les rues, arrêtant chaque passant pour l'interroger, voyant des traitres partout et des ennemis à chaque coin.

Lachdanan fut patient au final. Au début, sa marche était furtive et rapide, puis, prudent, il avait trouvé refuge dans une vielle maison abandonnée et avec ses hommes, attendait patiemment que la pression et la peur épuisent ses ennemis. Au bout d'une heure, des cris de terreur emplirent Tristram ; comme Lachdanan l'avait prévu, la paranoïa avait atteint les habitants et les soldats étaient complètement débordés. Ce plan prenait à présent une tournure vicieuse, aussi sadique que subtile et pour la première fois, je doutais de mon capitaine, reconnaissant péniblement en lui l'astuce de Kentaur.

La suite des événements s'enchaîna avec célérité et confusion. D'un geste de bras, Lachdanan nous fit avancer à vif allure et bientôt, nous nous étions faufilés jusqu'à la maison du Roi, sans rencontrer la moindre résistance. Les gardes avaient désertés la vaste porte de bois sur laquelle était gravée une croix chrétienne. Plaçant ses partisans tout autour de la demeure, Lachdanan s'avança et d'un coup de son épaule gauche brisa la porte qui tombait dans un bruit massif et pesant ; le son de son poids s'écrasant sur la pierre raisonna longuement, comme s'il on avait violé la porte d'un sanctuaire sacré. Un vent sifflant pénétra l'entrée et les quelques torches de flammes qui pendaient au mur se turent dans l'obscurité la plus pesante.

Du grand vitrail à l'arrière du bâtiment, pénétraient les rayons de la lune qui illuminaient un sinistre spectacle. En effet, sur les côtés étaient deux gardes, morts, l'un tué par l'autre et le troisième par le Roi, chacun s'accusant de conspiration et de trahison. A présent leur cadavre gisait sur le sol froid et quelques gouttes de pluie venaient nettoyer le sang qui les tachait. Enfin, au bout de la salle, entre deux colonnes, sur un grand fauteuil de bois aux motifs étranges, se tenait, impatient, droit, comme lui-même gravé sur son trône, Léoric, le Roi félon.

Son visage était pale, rendu bleuâtre par la lumière de la nuit, ses joues s'étaient creusaient et ses cheveux d'or avaient perdu leur teinte pour devenir d'un blanc poussiéreux. Seul dans son corps immobile vivait les yeux, qui pris de terreur fixait son superbe ennemi. Ses vielles mains squelettiques se crispaient, et l'une d'elle tenait une dague dorée, tachée du sang de sa dernière victime, qu'une trace écarlate reliait à travers le vaste hall. Enfin, sur sa tête, une couronne brisée, parsemée de fissures et d'entenailles, miroitant la clarté bleuâtre de la lune.

Resserrant sa dague, le vieillard prit alors la parole :

« Lachdanan... C'est donc de ta main que je mourrais ? La mort ne m'effraie pas. En vérité, je t'attendais. J'avais un dernier service à te demander. »

Sa voix était grave et lourde, oscillant entre le ton plus sadiquement subtil et la folie la plus ténébreuse.

« Je ne viens pas te rendre un service, reprit Lachdanan, je viens te punir de tes crimes et de tes innombrables meurtres. Je viens pour abattre le tyran. Je viens purger cette ville du Mal qui l'hante.
- Oui, coupable ! sanglota Léoric. Oh, combien coupable ! Maudit soit la lumière qui fuit les ténèbres et qui prive l'homme du sacrifice! Ma vie contre la sienne ! Si je n'avais tant résisté, c'est moi qu'ils auraient emporté et non Albrecht ! Comment osez-vous, hurla-t-il, m'accuser d'avoir commis le Mal alors que je n'ai fait que le subir ? Je vous maudis pour votre bêtise ! Mais par ma malédiction, vous serez tous guéris de votre sottise et vous connaîtrais enfin les tourments qui déchirent mon âme ! »

Blessé et provoqué par ces mots de malheur, Lachdanan s'avança vers le Roi, son épée le devançant, d'un pas hâtif, tandis que la fureur de l'orage redoublait. Dehors des cris d'horreurs s'élevèrent, accompagnée de bruit de fer et de chair, le tout écrasé par la pluie battante, tandis que les pas de Lachdanan devenaient de plus en plus fermes ; et comme pour combler cette symphonie d'horreur et de folie, Léoric poussa un rire sadique. Mes pensées devinrent chaotiques, déstructurés et incertaines. J'avais l'impression de commettre une grave erreur.

« Attends Lachdanan ! implorais-je. »

Le capitaine se retourna et ce faisant, Léoric se jeta dans son dos, la dague à la main. Mais Lachdanan se retourna vivement et s'emparant du bras de son assaillant, le jeta au sol avant de lui enfoncer l'épée dans le coeur. Je courais alors vers le Roi et m'agenouillant, j'attrapais sa tête pour en tirer quelques mots :

« Qui a emporté Albrecht ? demandais-je. »

Dans un ultime effort, le Roi pointa le vitrail derrière de son trône avant de fermer ses yeux, presque paisiblement. C'en était finit de lui. Dehors, des combats avaient eus lieu. Des soldats gisaient morts : trois morts de chaque côté. Dans le ciel, les éléments se déchiraient, tandis qu'à travers les nuages, la lune brillait à présent, pleine et resplendissante. Le vitrail en était étincelant, presque blanc.

Je m'en approchais avec prudence et hésitation et bientôt je pouvais distinguer ce qui s'y cachait. A un kilomètre de là, s'élevait la haute et terrifiante silhouette de la cathédrale.

_______________


Le complot avait réussi. Pourtant un mauvais pressentiment me hantait. Rien n'allait plus. L'orage n'avait point prit fin et des cordes s'abattaient toujours avec force sur la ville. Alors que la nuit avançait, la lune fut masquée de sombres nuages et les ténèbres les plus désolantes recouvrirent la ville. Lachdanan avait disparu et ses chevaliers s'étaient dispersés, comme succombant à une sorte de folie. Des rumeurs diaboliques et des hurlements de désespoir couraient les rues. Seul et sans but, je courais à travers le rideau d'eau qui engloutissait chaque maison, chaque places, chaque rues.

J'aboutissais finalement à la caserne où Kandorma attendait patiemment, se reposant pour guérir ses blessures.

« Alors ? me lança-t-il avec impatience.
- C'est fait.
- Et maintenant ?
- Je n'en sais rien... Kandorma, peut on vraiment cicatriser les blessures de la tyrannie ? »

Mon ami sentait mon agitation et l'étrange malaise qui bafouillait mes pensées. Il me regarda quelques secondes, puis tentant d'ouvrir la bouche, il se leva et s'emparant du heaume argenté que j'avais laissé derrière moi, il répondit, plaçant la relique dans mes mains :

« Oui. »

Pourtant de la Coiffure de Patrius ne dégageait plus l'aura bienfaitrice qui autrefois me consolait sans cesse. J'avais l'impression de tenir entre mes doigts mouillés un objet vide pour lequel je n'avais aucune affinité et qui en vérité appartenait à un autre. Repensant à l'impitoyable tuerie, je fus emporté d'une vif colère et dans mon élan incontrôlable, lançais la relique contre le sol. Je me précipitais alors à l'extérieur pour pousser un hurlement de fureur qu'accompagnait mille autres cris et les grondements incessants de l'orage. Puis retournant vers Kandorma, je prononçais ces éternelles paroles de regret :

« J'ai des remords Kandorma... Pourtant n'ai-je pas participé à un grand acte de justice ? Même moi je ne le crois plus... »

Je fus pris de pitié pour Léoric. Ils ont emporté Albrecht. Albrecht, le prince, fils du Roi... Ils l'avaient emporté... perdre son fils... quel malédiction. Cela ne justifie-t-il pas toutes les folies ? Je me souvenais alors que j'avais moi-même une famille à Tristram, des parents qui avaient une auberge dans un recoin retiré de la ville. Courant alors pour les retrouver, les embrasser et les aimer et ne plus jamais les quitter, je quittais mon ami qui après un temps se résout à me suivre.

Mais l'auberge était sombre, vide. Tout avait été ravagé.

« Mère ! Père ! »

Mais aucune réponse ne perçait le silence de la nuit. Il ne restait qu'une chaise intacte et épuisé, je m'affaissais dessus, succombant lentement au désespoir. Heureusement mon camarade fut là pour me consoler.

« Est-ce qu'ils sont... ? demandais-je, sanglotant tel un enfant qui s'est perdu.
- Je ne sais pas, répondit Kandorma. La maison était déjà dans cet état lorsque je revins, il y a trois jours. Je ne les ai pas vus. »

Ma gorge était serré et mon coeur tel une enclume. Finalement tout n'avait été qu'un échec continuel. Nous n'avions pas réussi à sauver Tristram. Nous étions arrivés trop tard. Je ne reconnaissais plus le généreux village réputé pour ses vins et la bonne humeur paysanne qui y régnait. Tout n'était plus que ruine et abyme. Mort et regret.

Un groupe d'hommes osa pénétrer la vieille auberge et il me sembla même qu'ils appelaient mon nom. C'était d'anciens clients qui avaient l'habitude de venir boire une coupe régulièrement. Pour la plupart de braves paysans. Ils avaient pris l'initiative de s'armer de fourches et de faux ; l'homme qui les menait se nommait Hongar et ce fut lui qui me reconnu. Nous fîmes un effort collectif pour redresser une table et quelques chaises qui tenaient à peine et allumant la cheminé ainsi quelques bougies, nous nous consultâmes pour faire l'ordre dans le chaos des événements.

Après leur avoir conté- bien-sûre pas toute la vérité mais une bonne partie- la guerre contre Westmarch, Hongar nous expliqua ce qu'il s'était déroulé pendant ce temps à Tristram. En effet, le fils du Roi, Albrecht aurait disparu, il y a de cela déjà quelques mois. Avant la guerre même. Il nous rappela la funeste histoire des paysans qui furent massacrés mais que nous oubliâmes vite à cause de la guerre. Puis, ce fut à nouveau calme à Tristram, jusqu'au retour de Léoric. C'est alors que la situation commença à dégénérer : il voyait des traitres et des complots partout. Les exécutions s'enchaînèrent de manière presqu'industrielle. Puis ce fut le complot. Léoric fut tué et à présent l'anarchie s'était emparée de la ville.

« Le plus inquiétant dans tout cela, remarqua Kandorma, c'est que l'on ne sait pas qui à enlever Albrecht.
- Je sais, repris-je, la question me turlupinait depuis un moment déjà. Lorsque Léoric mourut, il pointa la cathédrale avant de sombrer.
- La cathédrale ? s'interrogea Kandorma.
- C'est là-bas que loge Lazarius, reprit Hongar.
- Nous avons encore une fois étés manipulés, conclu-je. Nous avons jugé trop rapidement sans prendre le temps de comprendre la véritable nature de ce que nous affrontions. Peut-être que nous n'en serions pas là si nous n'avions était plus patient.
- Alors, m'interrompu Kandorma, qu'est-ce qu'on fait ?
- Nous allons parlementer avec Lazarius, terminai-je. »

Ainsi, suivis de quelques paysans, mon fidèle ami et moi partîmes vers la cathédrale avec la ferme intention d'arracher le Mal par sa racine cette fois et non d'en couper incessamment les branches. Encore une fois, j'espérais que la dernière bataille était proche. En me remémorant mes aventures, je regagnais confiance, pensant à notre incroyable affrontement contre les soldats de Westmarch. J'emportais aussi la Coiffure de Patrius, et le coeur, pétrit de haine et de vengeance mais aussi d'amour et de devoir, je menais la troupe vers le sanctuaire.

Après une demi-heure de marche, nous arrivâmes devant le vaste monument. Déterminé, je poussais la porte grande ouverte, qui, dans un grincement épais, s'ouvrit lentement et majestueusement.
La cathédrale semblait vide. Pas totalement vide mais vide de vie ; il y avait indéniablement une présence maléfique qui dégageait une étrange aura que je ne puis identifier. Saisissant une torche qui pendait au mur, je commençais l'exploration du monument à la recherche de l'archevêque. Il n'y avait qu'une seule torche donc je ne fus pas suivi. De toute façon, je voulais être seul. Ma marche était lente car je voulais prendre le temps de contempler les fresques qui ornaient le mur. Certains dessins maléfiques avaient étés dessinés sur les murs sacrés de ce lieu, tel que des étoiles du diable.

Je dû m'enfoncer jusqu'à l'autel au fond pour trouver Lazarius, affaissé dans un coin, tremblant de peur et sanglotant. Il émit un « pitié » à peine audible. J'allumais d'autres torches pour percer les ténèbres et illuminer mon interlocuteur.

« Ne me tuez pas ! lança-t-il.
- Allons, pourquoi vous tuerais-je si vous n'êtes coupable d'aucun crime ?
- Ce n'était pas ma faute !
- Qu'est-ce qui n'était pas votre faute ? »

Lazarius hésita. De derrière les paysans appelaient et demandaient ce qu'il se passait. Puis ce fut le silence. L'archevêque essayait de cacher son visage dans sa robe, comme une créature qu'on avait malmenée. Moi-même commençais à m'impatienter. A voir l'état de cet homme, il me semblait qu'il était innocent. Mais il savait. Il savait ce qu'il s'était passé et bien que cela semblait le torturer d'en parler, il devait le faire.

« Qui a enlevé Albrecht ? »

Il releva sa tête et son visage devint plus sombre. Dans ses yeux brillait une sorte de haine colérique, mêlée à un frisson de terreur :

« Les démons sont de retour.
- Quels démons ?
- Ils sont sortis du labyrinthe des ruines horadrims et ont enlevé le prince Albrecht avant de semer la terreur dans toute la ville.
- Quel démon !?
- Je ne sais pas... »

Et il sanglota encore avant de prononcer une prière. Puis l'attrapant par le col de sa robe, je le trainais hors de la cathédrale, là où tous les paysans m'attendaient.

« Explique leur, à eux, hurlais-je, les contes de fées que tu m'a racontés ! »

Il s'agenouilla parterre et commença à implorer le ciel. Kandorma intervint alors, l'air soucieux et perdu :

« Qu'a-t-il dit ? Sais-tu où est Albrecht ?
- Il ne raconte que des balivernes ! Des histoires de démons et de diables ! Des mensonges !
- Ceux ne sont pas des mensonges, intervint Hongar. Plusieurs rumeurs rapportent que d'étranges créatures rodent dans les parages. »
Je poussais un long soupire pour mieux contenir ma colère. Puis après un court moment de réflexion, je me retournais vers l'archevêque qui avait arrêté de sangloter depuis qu'Hongar l'avait défendu et me regarder avec espoir :

« Alors, ceux sont les démons qui errent dans les labyrinthes souterrains ? Soit ! Nous irons dans les labyrinthes chasser les démons. J'emporterais quelques paysans et... et vous aussi vous viendriez avec nous Lazarius. »

Il se releva tandis que ses lèvres s'élargirent. J'aurais dû deviner le mauvais présage qu'annonçait ce sourire.

_______________


Nous étions une dizaine. Lazarius menait la marche tandis que moi je la fermais, tenant chacun une torche. Kandorma était là aussi. Nous étions à présent dans les donjons souterrains des Horadrims : les catacombes. Cela devait faire un long quart d'heure que nous suivions le même couloir dans le silence le plus total. Même l'orage ne se faisait plus entendre.

J'avais ordonné à Hongar, resté à la surface, de retrouver Lachdanan pour qu'il rassemble les paysans et met en place un nouveau gouvernement. Je me demandais où il s'était réfugié et ce qu'il était advenu de ses chevaliers. Il y avait aussi la malédiction de Léoric qui raisonnait dans ma tête et l'étrange doute qu'il n'avait pas seulement prononcé ces mots pris dans un élan de folie. Puis je repensais à Albrecht, me demandant quelle étrange entité l'avait enlevé. Contemplant à présent les murs assombris et le sol parsemé d'ossements, l'hypothèse de démons me semblait de plus en plus plausible ; mais à ce moment là, qu'est-ce qui les aurait réveillés ?

Tandis que je me perdais dans mes pensées, notre marche continuait, lentement mais régulièrement sans jamais ralentir. Des craquements d'os et des bruits de pas rapides commencèrent à se faire entendre. L'obscurité était toujours croissante au fur et à mesure que nos torches s'affaiblissaient et il me semblait qu'en même temps des êtres démoniaques nous guettaient, attendant que notre feu s'éteigne pour nous sauter dessus. Je confiais alors ma torche à Kandorma et, enfilant la Coiffure de Patrius, posais ma main sur le pommeau de mon épée.

« Tu as remarqué, soupira Kandorma aussi discrètement que possible, que cela fait une demi-heure que Lazarius mène notre marche sans la moindre hésitation ?
- Tu as raison, repris-je, ça sent le piège... mais on n'a pas d'autre piste pour le moment ; soyons patients. »

Nous descendîmes un escalier avant d'arriver dans un espace un peu plus ouvert et parsemé de piliers sur lesquelles étaient accrochées d'autres torches. Au centre, sur un piédestal, était un épais tome, ouvert.

« Faisons une pause, proposais-je. »

Lazarius sembla outragé par cette proposition. Sans doute craignait-il que son plan ne se déroule pas tout à fait comme prévu. Kandorma s'avança vers le livre et commença à lire la page, éclairant les lignes de sa torche, tout en prenant soin de ne pas brûler les pages du manuscrit.
« Le Grand Conflit, commença-t-il.
Le grand conflit est le combat originel par qui le Bien et le Mal demeurent éternel ; comme le possible et l'impossible, l'un ne peut sans l'autre être plausible. L'homme devra choisir et lutter pour choisir. Nul ne sera neutre car tous devront agir. La flamme infernale se répand sur nos terres, mais dans les cieux cachée, brille la sainte lumière !
- Taisez-vous ! ordonna Lazarius. Assez de lectures apocalyptiques.
- Il a raison, repris-je. Donne-moi la torche, je vais allumer celles qui pendent aux piliers.
- A quoi bon ? se lamenta un des paysans. Le ciel nous a abandonné ! Non, pire, nous l'avons abandonné. Nous sommes perdus, sous terre, dans les entrailles du monde, frôlant l'enfer...
- Personne n'a dit que nous étions perdus.
- Voyez ce que vous avez fait ! lança Lazarius à Kandorma.
- Vous, taisez-vous ! repris-je. Dîtes nous plutôt où vous nous mener. Et pourquoi ces torches ne s'allument-elles pas ?
- Elles sont trop vielles, expliqua Lazarius.
- Bientôt ce sera l'obscurité totale et les démons nous dévoreront, pleura le paysan. Qui ne les a pas entendus, là haut, entrain de nous suivre et de nous guetter vicieusement ? »

Il y eut un nouveau silence. Tout le monde avait entendu les bruits de pas rapides, les cliquetis d'os, et certains parlaient même de grognements. Il était encore temps de faire demi-tour mais tout ce chemin aura était en vain, si nous ne parvenions pas à retrouver Albrecht. Le paysan posa la question à ma place :

« Nous devrions peut-être faire demi-tour, non ?
- Nous sommes plus très loin, reprit Lazarius.
- Plus très loin de quoi ? demanda Kandorma.
- On continu, intervins-je. Mais nous devons faire vite. Notre lumière baisse à vu d'oeil. »


Nous nous relevâmes et reprîmes notre marche silencieuse. A nouveau, nous nous enfoncions dans un couloir obscur et étroit. Des murmures prononçaient quelques prières ; d'autres avaient un son inhumains, presqu'imperceptibles. Malgré le froid, nous commençâmes à transpirer, tous sujet à la terreur qu'inspirait ce lieu lugubre. Puis nous sortîmes du couloir pour arriver dans un endroit un peu plus ouvert, un peu comme un grand hall qui donnait sur plusieurs salles.

C'est alors que doucement, la torche de Kandorma commença à s'éteindre. Il essaya de souffler dessus pour maintenir la flamme quelques secondes de plus en vie, tandis que tout le monde le regardait, anxieux, se demandant s'ils parviendraient à sortir de ces souterrains maudits. Le feu disparu, devant nos yeux comme dans nos coeurs. A peine la lumière s'était éteinte que des cries de bêtes se firent entendre et le silence fut déchiré par le hurlement d'un paysan, accompagné du sinistre bruit de griffes creusant la chair. Tout de suite, je m'emparais de ma lame et d'un coup aveugle, je déchirais le petit démon qui périt en poussant un faible gémissement. Lazarius se rapprocha pour éclairer le cadavre du monstre. Il y avait là un être défiguré, son petit corps noir baigné dans une flaque de sang écarlate, tandis que dans une de ses mains il tenait fermement un... un organe.

« Quelle horreur, murmura Kandorma.
- Il ne nous reste plus qu'une torche, expliquais-je. Nous devons donc tous rester regroupés car si jamais vous vous perdez dans l'obscurité... vous savez ce qui vous attend.
- Nous sommes maudits, sanglota le paysan. Il faut garder le peu de lumière qui nous reste pour remonter à la surface.
- Non, pas encore ! reprit Lazarius. Nous ne sommes pas ici pour explorer les lieux. Nous sommes ici pour nous battre contre ces démons et pour retrouver Albrecht.
- Et comment allons-nous faire pour les vaincre ? reprit Kandorma énervé.
- Tu oses défiais l'archevêque ?
- Il a raison, intervint le paysan. Nous n'avons presque plus de feu. Il serait plus sage de revenir sur nos pas tant que nos torches brûlent encore.
- Vous voulez du feu ? Je vous en donnerais du feu ! »

Se disant, Lazarius s'empara du manche de son bâton et frappant le sol avec force, il fit apparaître une sphère de flamme au bout de son sceptre. Soudain les murs noirs prirent un teint rougeâtre et l'on pouvait à présent distinguer le sol couvert d'ossements et de briques brisées. Le heaume de Patrius réagit violemment avec ce sortilège comme pour me mettre en garde d'un danger. Des murmures commencèrent à s'élever dans tous les couloirs ; les démons semblaient presque attirés par ce feu démoniaque. Kandorma s'empara de mon épée et se jeta sur l'archevêque en poussant un cri de fureur :

« Traitre ! Tu nous as attirés dans un guet-apens ! Je m'en vais te pourfendre ! »

Mais d'un geste rapide de la main, l'archevêque projeta son adversaire contre le mur avec puissance. Puis tandis qu'il s'empara de son bâton pour lancer un nouveau sortilège, je m'interposais pour encaisser l'étrange projectile de feu qui en jaillissais. Je fus touché au ventre. Pourtant je tenais toujours debout, intacte, comme si l'on ne m'avait jamais frappé. Une étrange force m'avait protégé... peut-être était-ce le heaume de Patrius ? Mais mes jambes commencèrent alors à faiblir et, impuissant, je tombais lentement à terre, maudissant une dernière fois Lazarius avant de perdre conscience.

_______________


La scène du combat contre l'archevêque se déroula plusieurs fois dans mon rêve. Je revoyais sans cesse le mage maléfique faire jaillir de son sceptre la malédiction qui me frappa. C'était une sorte de lumière magenta qui avait l'aspect du feu mais dont les flammes se mouvaient avec une étrange lenteur. Au fur et à mesure que le rêve se répétait, je commençais à percevoir de plus en plus de détail, notamment le heaume de Patrius qui s'illuminait rapidement dans un flash blanc, une fraction de seconde avant l'impacte du projectile. Puis, après m'avoir fait compris cela, le songe se dissipa et tout redevint ténèbres.

Le prochain rêve me révéla ce qu'il advint de Lazarius et des paysans qui le suivirent. La troupe s'enfonça encore dans les entrailles du souterrain. Puis ce fut une vision d'horreur. Un horrible démon, glouton et blanc, armé de deux haches se précipita sur le groupe et le massacra tandis que l'archevêque maléfique contemplait le spectacle tout en poussant un rire de satisfaction sadique. Ce songe était plus pénible que le premier. Mais il n'apparu qu'une seule fois.

Le troisième songe était le plus étrange. J'avais un peu de mal au début à comprendre pourquoi il m'était destiné. Je voyais la superbe vision de sept archanges franchissant une vaste porte d'argent. Puis il en suivit une incroyable bataille de lumière et de feu, entres hommes et démons. Puis soudain, je voyais le fantastique combat d'un archange contre un démon. L'un était vêtu d'une armure étincelante et blanche ; l'autre portait les couleurs sombres des abymes et du vide chaotique. La lutte dura des heures, des jours peut-être. Mais ce fut finalement l'infernal qui l'emporta. Puis tandis que l'armure de l'Archange se brisait, une lumière bleuâtre, ressemblant à un mélange d'eau et de feu, jailli de la carcasse de l'être divin. Le démon enferma alors l'esprit dans un cube noir, dont l'arrête devait être d'un mètre et sur lequel se dessinait d'étrange motif. Cette étrange prison domina longtemps mon regard puis après quelques secondes de silence, le cube s'enflamma en un océan de lumière et lorsque mes yeux furent noyés dedans, le songe prit fin.

J'entendis alors une voix vaste, tel un écho :

« BERTOGALE ! TROUVE-MOI ! »
A nouveau les ténèbres noyaient mes yeux. Tout était noir, sans qu'aucune lumière ne vienne percer l'obscurité. Ma tête reposait sur un sol froid et sec, contre quelques briques brisées et ossements anciens. Je ressentais une sorte de vertige et de ce fait, se relever fut un effort pénible. Mais par chance, j'avais réussi à retrouver le mur et pouvais donc m'en servir comme appuie. Puis, cela fait, je posai lourdement mon dos contre la paroi, la jambe et les doigts tremblants.

Mon esprit était complètement sonné, mes pensées déstructurés et chaotiques. Les images de mes trois rêves se bataillaient dans ma tête pour attirer mon attention tandis qu'au loin derrière, résonnait une vaste et majestueuse voix appelant mon nom : « Bertogale, trouve-moi ! » Quelle était donc cette étrange entité qui appelait mon nom ? Mais bientôt une autre pensée me préoccupa : comment sortir d'ici ? L'obscurité totale me donnait un pénible vertige et chaque pas exigeait de moi quelques secondes de concentration après hésitation. De plus, l'horrible idée de me retrouver assaillit par des démons me désespérait au point que, quelques minutes durant, je restais agrippé à un os du mur, sans oser bouger.

Il est difficile de traduire ce sentiment de terreur au moyen de mots. Le plus agaçant était l'aura maléfique que dégageait l'endroit par lui-même. Il y avait cette pénible sensation d'être observé, ainsi que les angoissants craquements qui accompagnaient chaque pas. Et enfin, l'horrible souvenir du démon qui avait littéralement arraché le coeur de sa victime...

Pourtant il fallait avancer. Longer le mur jusqu'à trouver un escalier semblait être une bonne solution. Chaque pas demandait un effort croissant, et après en avoir essayé quelques uns, je préférais m'arrêter. Je me demandais soudainement où avait bien pu passer Kandorma... S'il n'a pas bougé, il devrait être dans le coin. J'ouvris mon gosier pour appeler son nom mais me retint de peur d'être entendu par des démons.

« Bertogale ! »

Une vif frayeur me parcouru mais je reconnu très vite la voix familière de mon ami.

« Bertogale, c'est toi ? »

C'était bien lui, pas de doute. Sa voix était faible : son état devait être déplorable. Alors que je m'attardais sur ces sinistres pensés, il me revint à l'esprit que Kandorma attendait désespérément une réponse.

« Oui, c'est moi.
- Dieu soit loué, reprit-il. Comment vas-tu ?
- Je ne sais pas. J'ai une terrible migraine. J'ai du me prendre un coup dans la tête.
- Pourtant tu portais un heaume, non ? »

Le heaume ! Le heaume de Patrius ! Je ne le portais plus ! Ma seule protection contre la magie noire... Peut-être qu'un démon s'en était emparé ? Le plus énervant dans cette perte était que sans se heaume, le pèlerinage vers Kurast n'avait plus que peu de sens. Quant à rester à Tristram, déjà que j'avais tant de mal à en sortir... Mais qu'importent le pèlerinage, la ville et le royaume : le plus important était de sortir de ces catacombes maudites.
« J'ai perdu le heaume, Kandorma, repris-je.
- Bon... ça ne veut pas dire qu'on ne va pas s'en sortir... De toute façon avec tous les étranges malheurs qui se déroulent sous cette cathédrale, il fallait bien que quelque chose de ce genre arrive... je ne suis pas très surpris. »

Kandorma pensait sans doute que vu l'importance et la puissance de la relique, il était normal que les démons s'en soient emparé. Peut-être était-ce même Lazarius, lui-même, qui l'avait en ce moment.

« Quoi qu'il en soit, reprit mon ami, j'ai toujours ton épée. »

Se disant, il me la tendit.

« Merci. »

_______________


Nous longeâmes, silencieux, le mur, avançant d'un pas hésitant et respirant lourdement. Au début cela avait un aspect terrifiant de longer ce mur de terre froide, d'ossements et même de cadavres. Mais nous nous y habituions rapidement. Au bout de quelques heures de marche, il y eut quelque chose d'autre de bien plus terrifiant.

« Bertogale ! lança Kandorma. Cela fait des heures que nous marchons, que nous suivons ce couloir infini, sans pour autant en trouver l'issu ! Notre descente avait duré à peine une heure, tandis, il nous faut des heures pour... pour... aller nulle part !
- Je sais, repris-je d'un ton fatigué.
- Peut-être que nous allons crever ici finalement.
- Ne dis pas ça ! Sommes-nous morts après avoir traversé les vastes landes de Khanduras ? Suis-je mort après avoir défié avec cents hommes seulement, toute l'armée de Westmarch ?
- Non, tu as raison.
- Tout ce dont nous avons besoin, c'est d'un peu de chance... et on a bien mérité un peu de chance après toutes nos péripéties, non ?
- Tu as raison, Bertogale... sortons d'ici. »

Et nous reprîmes. Nous arrivâmes à un croisement de deux couloirs et décidâmes de continuer tout droit. Mais au bout de quelques minutes, notre chemin s'arrêtait : cul de sac. A nouveau la terreur empli nos coeurs. L'effrayante pensée que rien ne pouvait nous sortir d'ici me nargua alors continuellement. J'aurais même préféré être confronté à une armée de démons plutôt que de me retrouver face à ce mur, impuissant et incapable d'agir. Dans un élan de rage, je le frappais d'un coup puissant d'épée. Un bruit métallique lourd raisonna à travers tout le corridor. D'autres bruits métalliques se firent entendre au loin, comme en réponse à mon appel. D'autres hommes peut-être ?

« D'autres hommes ! s'écria Kandorma. Nous sommes sauvés ! »

Se disant, il fonça à travers les ténèbres appelant ces hommes à son secours. Bien qu'hésitant, je me résous finalement à le suivre. Mais dans un élan incontrôlé, je trébuchais sur un os qui dépassait du sol. Je m'étais blessé au genou et parvenait difficilement à me relever. Mais l'espoir d'enfin sortir d'ici me raviva, et m'agrippant à nouveau contre le mur, je poursuivais ma course, essayant de rattraper mon fidèle ami :

« Kandorma, attends-moi ! »

Et hurlant ces mots, en mon coeur raisonnait la douce pensée que l'aventure était enfin finie et qu'après toutes ces péripéties, j'aurais la modestie d'accepter une vie simple et paysanne... Soudain, un cri effroyable déchira les ténèbres. C'était celle de Kandorma. Des rires sadiques et des grognements rapides accompagnèrent le cri agonisant de mon ami. C'en était fait de lui... Ce n'était pas des hommes : mais des démons.

Les cris continuèrent encore longtemps... ils le torturaient. Ah, les enfoirés. Les enfoirés ! Des larmes de rages coulèrent sur mes joues, tandis que tout mon visage se contractait et saisissant mon arme aussi fermement que possible, je reprenais ma course, atteignant enfin le croisement. C'est alors qu'une flèche me heurta une côte. Elle venait d'à droite. Une autre vint d'à gauche. Et devant, les cris incessants de mon ami torturé. Mais je devais reculer pour ne pas me retrouver encerclé, à mon tour.

« Montrez-vous bandes d'enfoirés ! hurlais-je. »

Mais alors que je poussais ce cri, une terrible douleur m'assailli les côtes. C'était la flèche : même parler devenait un effort trop pénible. Les cris de mon compagnon se turent. Il était mort. Mort. Pour je ne sais quelle raison, les démons ne me suivirent pas. Peut-être estimaient-ils que ma mort serait plus lente et douloureuse s'ils me laissaient mourir de peur ou de faim. Ou de regret : le regret de ne pas avoir sauvé mon ami. C'est moi qui avait une arme, c'est moi qui aurait dû y aller en premier, c'est moi qui aurait dû mourir. Mais à nouveau tout n'était plus qu'un silence éternel que seuls mes sanglots venaient briser. Je ne pouvais plus me retenir. Des larmes de désespoirs noyaient mon visage, tandis que souvent, je murmurais le nom de mon compagnon tombé.

Pendant des heures, un jour entier peut-être, je suis resté dans mon petit coin de ténèbres, sans trop penser, juste attendant que ça se passe, que je meurs enfin, et qu'enfin je quitte ce monde infernal. Mais en mêmes temps, il y avait une parti de moi qui voulait vraiment vivre, sortir d'ici, et revenir mieux armé pour venger mon compagnon, venger Léoric, venger les paysans en terrassant tout les créatures maléfiques qui hantaient ces catacombes. Mais pour le moment, j'avais besoin de repos. Ne pas mourir, juste dormir. Oui, dormir.

_______________


La défaite en elle-même n'est pas très pénible ; ce qui est vraiment douloureux est le regret de la victoire. Pendant des heures, le seul rêve qui me hantait était l'inachevable victoire de mon ami et moi. Nous étions sortis de la cathédrales, tout deux encore vivants... La stupidité de sa mort était elle aussi rageante. Je me rappelais qu'une demi-journée auparavant, je l'avais sauvé de la pendaison avec l'aide de Lachdanan... L'infaillible Lachdanan, le Juste, le Bon, le Sage... Nous voulions sauver Tristram du terrible tyran : Léoric. L'immonde Léoric, le Corrompu, le Mauvais, le Fou... Puis pour je ne sais quelles étranges raisons, nous entreprîmes d'explorer les profondeurs des catacombes avec pour guide l'archevêque Lazarius, éternel serviteur de la lumière.

Tous des traitres. Le seul homme digne de confiance était Kandorma. Mais il est mort. A quoi bon la foi, quand elle ne sert plus de cause ? A quoi bon la victoire, quand elle offre une nouvelle défaite ? A quoi bon la vie, quand elle n'aboutit qu'à la mort ?

Je sombrais ainsi pendant une journée entière. Les mêmes questions défilaient dans mon esprit, les mêmes images, les mêmes rêves. Parfois, il m'arrivait d'ouvrir les yeux et de contempler le vide silencieusement, sans plus penser. Je sentais qu'une espèce de folie tentait alors de s'emparer de mon esprit... ah, les salops ! C'est pour cela qu'ils m'ont laissé en vie... Moi-même, le bourreau et la victime, l'assassin et l'assassiné.

Et bien soit, je me tuerais ! Et ce disant, je me levais, mais une douleur me retint. Elle venait des côtes : il s'agissait de la flèche que l'on m'avait tirée dessus. Je la retirais fermement, serrant mes dents pour calmer mes souffrances. Mais alors que le morceau de bois touchait le sol, il fit un demi-tour sur lui-même, s'illumina et devint de flamme. Puis la voix raisonna :

« BERTOGALE ! TROUVE-MOI ! »

Un peu incrédule, je suivais la direction que pointait la flèche.

'Ca y est : je suis fou,' pensais-je.

Il était difficile de s'attendre à un piège ; cela aurait été tout simplement stupide de me tendre piège. Alors que je m'enfonçais à nouveau dans l'obscurité, j'aperçu à l'ange du prochain tournent une lumière jaunâtre, faible et pourtant presqu'aveuglante tant mes yeux étaient déshabitués à voir de la lumière. Alors que je m'en approchais, je me rendis compte qu'il s'agissait d'une torche. Il me fallu un temps de réaction avant de pousser un cri de soulagement :

« De la lumière ! »

Oui, de la lumière ! Oh, comme j'étais heureux de voir cette torche : c'était là tout mon salut, mon billet pour sortir de cette endroit maudit, le remède à tous mes maux ! Quelqu'un ou quelque chose avait entendu ma prière et m'avait répondu. Alors que je saisissais le bâton de feu, en une fraction de seconde, le rêve de l'archange affrontant le démon se rejoua dans ma tête. En vérité, cette torche n'était pas une réponse mais un appel. Quelque chose m'appelait depuis que j'avais perdu conscience contre Lazarius et cette entité semblait me donner les outils nécessaires pour accomplir la quête qu'elle m'avait donnée.

'Je te trouverai.'
La torche angélique perçait l'obscurité d'un vif éclat. Les ténèbres qui ornaient les murs se dissipèrent pour laisser place à des briques jaunâtres, serties de crânes et tâchées de sang. Je suivis un couloir que des voutes disséquaient à intervalle régulier. Malgré l'aspect plutôt pitoyable des murs, il semblait que ces arches parvenaient, grâce à l'architecture ingénieuse qui les avait conçues, à supporter tout le poids de la terre. Des gravures, précises et détaillées, ornaient chacune de ces voutes, retraçant des runes dont l'étrange aspect était aussi mystérieux que fascinant. Cet endroit, si terrifiant, prenait à présent un aspect plus rassurant, presqu'émerveillant. Je ressentis comme une satisfaction archéologique à découvrir l'étendu de la science horadrique.

Ces infinis couloirs, ces catacombes sans fin, ces tunnels éternels n'étaient-ils pas finalement une incroyable réussite architecturale ? Mais ce qui m'échappait quelque peu était pourquoi avaient-ils été conçus, pourquoi furent-ils abandonnés et surtout pourquoi ces souterrains étaient à présent parsemés d'immondes bestioles et d'entités démoniaques ? De rapides images d'horreurs défilèrent dans ma tête et mon admiration fut nuancée par un léger sentiment de terreur. Puis me ressaisissant, je serrai la torche de flamme et posé une main assurée sur le pommeau de mon épée.

A nouveau, je consacrai toute mon attention à ma mystérieuse quête. Avec un effort de concentration, je pus me remémorer tous les événements depuis le sortilège de Lazarius. Trois songes m'étaient apparus. Le premier visait à me faire comprendre par quel miracle, j'avais survécu à la malédiction de Lazarius. Le deuxième me dévoilait ce qu'il advenait des paysans- le moins plaisant de tous. Le troisième enfin, mettait en scène une bataille symbolique entre le Bien et le Mal, couronné par la défaite d'un archange et son emprisonnement dans un cube... sans doute magique. L'archange...

Au prochain virage je vis alors une lumière faible briller. Quelque chose approchai, lentement et avec hésitation peut-être. Prudent, je dégainai mon épée, pointant mes deux armes vers la chose. Soudain, une femme sauta et dans un geste acrobatique super me lança une boule de flamme bleuâtre. Tendant alors la torche en avant, je me protégeai du projectile que les flammes sacrées mêlèrent à leur feu divin. M'attendant à un deuxième sortilège, je gardai la torche devant moi. Mais il n'en fut rien. Mon adversaire était complètement épuisée.

C'était une femme. Une vraie femme. Pas une mort-vivante, pas un succube ou n'importe quelle femelle d'origine infernale. Une femme humaine. Elle était affaissée contre un mur, le visage dur et fatigué sous ses longs cheveux noirs, le corps criblé d'écorchures, sa belle et sombre robe usée et quelque peu déchirée. Dans sa main droite brillait encore un sort de luminosité. Rengainant mon épée, je m'approchai de la sorcière, essayant de prendre la démarche la plus apaisante qui soit. Alors que je le fis, elle poussa un gémissement d'impuissance avant de fermer ses yeux.

« Non, ne meurs pas, implorai-je ! »

La peur de me retrouver à nouveau seul me terrorisa et j'aurais préféré continuer mon aventure avec n'importe quel homme, pourvu que je ne sois plus condamné à errer dans la solitude. M'abaissant près de la jeune femme, je posai sa main sur la mienne, espérant lui arracher un mot ou même de la sauver d'une mort certaine. Bien que pris d'une grande crainte, je ne pus m'empêcher de contempler son beau visage, pétrit de haine et de tourments mais pourtant si doux. Hélas, ce si doux visage palissait à vue d'oeil. C'était la mort et toute la peur qu'elle inspirait qui se traçaient sur ses lignes. Je reconnus en elle Kandorma et repensai à tous mes amis tombés ces derniers mois. Puis contemplant ma main avec une certaine fascination, je me demandais comment avais-je pu échapper à la mort alors qu'elle me talonnait incessamment depuis cinq mois.

J'entendus un éternuement. C'était la sorcière. Doucement elle relevait son corps pour mieux respirer. Elle toussa encore quelques fois.

« Vous êtes vivante ! lançai-je fou de joie.
- Vous n'êtes pas un démon ? reprit-elle, me contemplant avec une certaine incrédulité.
- Non, je suis un homme. Je m'appelle Bertogale. Un temps. Et vous, qui êtes-vous ?
- Je suis Syvante du proche orient. »

Sa voix était fatiguée mais à chaque mot, sa force vitale semblait s'accroitre. Le sortilège qu'elle m'avait lancé l'avait sans doute épuisée. Ses blessures physiques ne devaient pas être très profondes. Une soudaine pensée me traversa l'esprit ; que faisait-elle ici ? Après avoir pausé la question, elle reprit, avec encore plus d'énergie que précédemment.

« Je suis venu explorer les légendaires souterrains de la cathédrale de Tristram, dit-elle en poussant un sourire moqueur et ironique. Ah, les aventuriers sont bien bavards !
- Il y a d'autres hommes ici ?
- Non, je ne crois pas : ils ont eu leur compte. En tout cas, je m'en souviendrais des chasseurs de trésors !
- 'Chasseurs de trésor' ? C'est une blague ? Vous venez ici, vous vous amusez de notre misère et vous pénétrez dans notre monument le plus sacré comme si c'était un jeu ? Vous croyez que l'aventure est une partie de plaisir ? Je ne sais pas ce qui me retient de vous achever pour votre bêtise !
- Ils ont eu leur compte, j'ai dit ! Oui, j'ai été stupide et vous avez raison sur toute la ligne... mais maintenant tout ce que je veux, c'est sortir d'ici... »

Ah, la sotte ! Venir en ce lieu maudit pour une partie de plaisir, à la recherche d'absurdes trésors enfouis sous terre depuis des lustres. L'aventure n'est rien qu'une chimère, un piège du destin, un complice de la mort, dans lequel les fous se jettent sans hésiter dans l'espoir d'échapper à la monotonie de leur existence. Pourtant, le brave paysan qui parvient à vivre de ses récoltes est bien heureux ; il ne se soucie pas du vide de sa vie, il se contente de vivre. J'aurais voulu être ce brave paysan, assis paisiblement contre un arbre, surveillant son troupeau et se laissant bercer par le doux vent.

La sorcière se releva. Puis regardant mon visage colérique, elle me tendit la main. Hésitant quelque peu, je me résous à la lui prendre :

« Sortons. »

_______________


Nous suivîmes les arches ornés de runes. Syvante ne posa pas de questions concernant la direction que j'empruntai, étant peut-être était-elle trop épuisée pour le faire. Au bout d'un temps incertains nous arrivâmes devant un tome épais posé sur un pied de stalle, ouvert, tandis que derrière, l'issu était condamné par un mur. Quand au manuscrit les inscriptions runiques y figurant restaient indéchiffrables. Cela ressemblait à une nouvelle fin du voyage. Attiré cependant par une curiosité presque instinctive, je posai mes mains sur les pages du volume et en caressai la poussière, avant de m'éloigner, pensif.

« Qu'est-ce livre ? demanda Syvante.
- Je ne sais pas.
- Allez, il faut faire demi-tour et trouver un autre chemin.
- Quel autre chemin ? répondis-je en poussant un rire aussi moqueur que désespéré. Vous ne comprenez donc pas que c'est un labyrinthe conçu pour que l'on ne puisse pas en sortir ? Tous nos efforts sont futiles !
- Ne perdez pas espoir si rapidement.
- Si rapidement ? Si rapidement ! Cela fait depuis combien de temps que vous êtes ici ? Un ou deux jours ?
- Un.
- Je dois être là depuis au moins trois jours ! Peut-être même une semaine. Et à votre avis qu'est-ce j'ai fait tout ce temps là ? J'ai sans cesse cherché à sortir. Maintenant, et je ne sais vraiment pas pourquoi, s'il y a une issue, je sais que c'est par là !
- Mais c'est un cul de sac.
- Passez-moi le livre. Toutes les pages ne sont peut-être pas écrites en rune. »

Elle le fit. C'est alors qu'un mécanisme se déclencha : le pied de stalle sous le livre se mit à osciller légèrement tout en se mouvant sur le côté. En dessous était une faille qui donnait sur un escalier.

« Je le savais ! poussais-je prit d'une soudaine joie. »

Une vive onde d'espoir me parcourut : les songes n'étaient point complètement absurdes et moi pas fou ! La torche de flamme était bien un cadeau de l'archange ! Le monde était encore cohérent ! Cependant comment savoir ce qui se cachait derrière cet escalier ? Peut-être était-ce un autre piège des démons ? Et ce livre : quelle était son rôle ? De deux choses l'une : soit les démons voulaient m'empêcher de libérer l'archange ; soit l'archange avait truffé le parcours d'indices pour nous aider à le trouver.

« Bon, on descend ? intervint Syvante.
- Il serait tout de même utile de déchiffrer le livre.
- Vous aimez tellement cet endroit ou quoi ? Quand je propose de faire demi-tour, vous ne voulez pas bouger et quand je propose d'avancer, vous ne voulez pas bouger, non plus !
- Ce livre n'a pas été placé ici par hasard !
- Oui ! C'était peut-être une couverture pour mieux cacher la trappe, répondit-elle avec sarcasme.
- Peut-être... »

Folle de rage, elle s'empara de la torche angélique et dans un geste de fureur, mit le feu au livre.

« Non, pas ça ! Idiote ! »

Je dégainai alors mon épée mais elle me devança et d'un geste rapide de la main, me projeta contre lu mur. Je hais la magie.

« Je n'ai pas besoin de vous, me lança-t-elle, si vous voulez mourir, faîtes le seul ! »

Des morceaux de briques s'écroulèrent derrière moi et tendant discrètement la main j'en attrapai un morceau épais. Puis rapide comme l'éclair, je le lançai sur la tête de mon adversaire qui chavira avant de trébucher en arrière, complètement déstabilisée. Puis ressaisissant mon épée, je me précipitai vers elle, la pointe de ma lame prenant appui sur sa gorge.

« Si j'étais réellement suicidaire, croyez-moi, avec toutes les occasions qui se sont présentées, je serais déjà mort.
- Bertogale ! Regardez le livre !
- Le livre ? »

Le livre brûlait toujours, sans pour autant se consumer. Des lettres brillantes se traçaient à présent sur les pages du manuscrit.

« Mais oui, c'est cela ! m'exclamai-je. Ce livre est un cadeau de l'archange que seule sa flamme divine peut déchiffrer.
- Mais de quoi parlez-vous ? me demanda la sorcière.
- C'est un peu compliqué... Ecoutez, si je suis toujours en vie c'est grâce à l'intervention d'une entité supérieure, une sorte d'être divin. Je suis entré en contact avec lui grâce à un heaume magique que j'ai malheureusement égaré... Il a cependant laissé des indices pour que je le retrouve et le libère. Parmi eux étaient la torche et de toute évidence ce livre. »

Posant mon épée, je me précipitai vers le volume et m'en emparai, sans pour autant me brûler. Dessus était écrit les instructions suivantes : 'Seul un homme, sage et puissant, peut défier les trois épreuves et me libérer de mon éternel prison. Nul démon, nul ange, nul être d'essence divine ou démoniaque ne peut réussir. Seul un homme le peut.

« Seul un homme ? Et pourquoi pas une femme ?
-En tout cas, nous savons ce qu'il nous reste à faire. Trois épreuves. Je suppose que cela commence en bas. »

Ramassant la torche, je jetai un nouveau coup d'oeil à l'escalier, taillé dans le granite. Devinant que ma compagne n'insisterait pas pour passer en première, je descendis en premier. Bientôt l'escalier prit une forme circulaire. Avec la profondeur, les ténèbres semblaient grandir et la lumière de la torche devint de moins en moins radieuse. Nous distinguions à peine les marches qui s'offraient à nos pas et notre marche en fut considérablement ralentie. Lorsque je fus habitué à la difficulté de celle-ci, mes pensées retournèrent au manuscrit abandonné en haut et aux mots de flamme inscrits dessus. Seul un homme le peut. Je veux bien comprendre que l'archange eut voulu protéger sa prison des démons mais pourquoi la protéger de ses paires ? Au moins cela était une bonne nouvelle de savoir que ceux-ci existaient. Syvante trébucha quelque peu avant de se rétablir de justesse.

« Faîtes attention, la prévins-je. Vous feriez mieux de rester près de moi. »

Je sentis alors sa main froide attraper la mienne. Au début cela me mis quelque peu mal à l'aise ; car cette fille n'avait-elle pas déjà essayé de me tuer deux fois aujourd'hui ? Pourtant, après quelques secondes, cela devint d'un immense réconfort. Après de longues minutes, l'escalier s'arrêtait enfin. Il y avait sur les côtés deux récipients taillés dans la pierre. D'un geste presqu'instinctif, j'y mis le feu. Cela déclencha une impressionnante réaction en chaîne : deux lignes de flammes symétriques fusèrent le long d'un chemin sombre, illuminant un vaste pont de pierre avant d'aboutir à un mur en formant un demi-cercle autour de ce dernier.

Nous franchîmes le pont qui semblait quelque peu fragile et sous lequel une étrange brune bleuâtre s'étalait. Après avoir traversé le précipice, nous arrivâmes devant le haut mur, illuminé par les flammes agitées. Deux silhouettes se dessinèrent sur la façade jaunâtre du mur : c'était les nôtres. Un peu surpris par le phénomène au départ, je me rendis rapidement compte qu'il s'agissait d'un miroir. Mon visage était criblé d'égratignures, parsemé de cicatrices, noirci par la poussière et taché de sang. Je me revis pour la première fois depuis longtemps et, bien malgré moi, constatai mon existence. Je me rappelai alors que mon nom était Bertogale. Bertogale, le corbeau. Syvante me tira hors de mon fascinant vertige:

« Qu'est-ce que cela signifie ?
- C'est un miroir, répondis-je, presque confus.
- Mais non, imbécile ! Cette chose dégagé une énergie magique.
- Je hais la magie... »

Une pensée me foudroya l'esprit : c'était là, la première épreuve, première des trois, qui, si traversées, nous ouvrirait la voix vers l'archange. Comment concevoir une autre explication ? Il rester cependant un problème : le silence. Aucun phénomène surnaturel n'intervint. Nul flèche de flamme, torche angélique, livre de runes. Seul demeurait le miroir, éternellement profond, plus ténébreux encore que ce qu'il reflétait, s'enfonçant infiniment dans le mur derrière son cadre d'argent. De plus, il faut l'avouer, cette image de moi-même me causait un certain sentiment de dégout.

C'était l'homme dans toute sa faiblesse, vêtu du désespoir et orné du regret, révélant dans sa sinistre posture les lignes de la terreur : une transition entre le vivant et le mort.
« Réveillez-vous, Bertogale. C'est la deuxième fois que vous vous faîtes piéger par ce miroir. »

Confus, je regardai ma locutrice, frappé par ces mots comme par une gifle. Il les fallut pour me faire comprendre l'aspect machiavélique de l'objet que je contemplai. C'était donc cela : un glace hypnotique dont le but était d'enfermer celui qui se voyait en lui-même, non pas par admiration mais par dégout. Même après avoir compris le mécanisme vicieux de ce piège, je ne pouvais m'empêcher de m'horrifier à mon image, de ressentir une peur absolue et de sombrer dans le désespoir le plus total. Je me voyais, tel un homme qui avait tout perdu, qui avait renié ses qualités pour embrasser ses défauts, qui avait abandonné sa maison pour aller livrer bataille ailleurs et qui était revenu beaucoup trop tard. Il me semblait évident que ce miroir était un piège des démons, bien plus vicieux que la hache et l'épée, dont le succès reposait sur l'unité du bourreau et de la victime. Mon reflet me torturait et je lui rendais peut-être la pareille.

Avec vivacité, Syvante m'agrippa la tête et plongea mes yeux dans les siens.

« Restez concentré ! m'implora-t-elle. Comment pouvons-nous vaincre ce miroir ?
- Le vaincre ?
- Oui, le vaincre : cela devrait être faisable.
- Je ne comprends pas.
- Vous êtes un homme. Or seul un homme peut réussir. Alors ressaisissez-vous et prouvez que vous en êtes un !
- J'ai perdu mon humanité depuis longtemps...
- Taisez-vous ! Vous avez l'orgueil de vous croire unique, supérieur ou inférieur ? Je connais de tas de personnes comme vous, qui ont souffert, désespéré puis abandonné. Mais j'en ai aussi connu, certes, ils étaient moins nombreux, qui se sont relevés après avoir supporté les fardeaux les plus lourds et endurer les misères les plus voraces ! C'est normal d'avoir peur : c'est humain. Et si ce stupide livre disait vrai, alors cette peur devrait tourner à notre avantage. »

Mon coeur était frappé par la lucidité dont faisait preuve cette femme. En quelques heures, elle m'avait inspiré exaspération puis admiration. Comment la peur pouvait-elle tourné à notre avantage ? Quel paradoxe absurde pouvait défaire le jeu vicieux mise en place par ce miroir... Ah, Kandorma aurait su. Il était toujours prompt à avoir des plans, à prendre des initiatives, à pondre quelques idées géniales pour nous tirer d'affaires. Je me souvenais de notre traversé des landes de Khanduras et des morceaux de bois que nous plantions tous les dix mètres pour ne point nous égarer. Comme j'étais heureux d'être à ces côtés. Ni le soleil ardent, ni la désolation sans fin, ne pouvait me priver du plaisir d'avoir un compagnon à mes côtés.

« Mais bien-sûre, hurlai-je. La lumière brille toujours d'un plus grand éclat dans les ténèbres ! dis-je, en citant les paroles prononcées par mon ami, le jour où il m'avait trouvé après la bataille de Westmarch. Ce qui compte, ce n'est point la peur que nous ressentons, mais comment nous luttons contre cette peur ! C'est cela le défi.
- Alors, comment... ? »
Je l'interrompis en posant mes lèvres sur les siennes. L'amour ! Ce que j'avais ressenti lorsqu'elle me prit la main : cet incroyable réconfort, cette satisfaction du coeur que, ni démons, ni anges, ne peuvent ressentir et qui, dans toute sa faiblesse mais aussi dans sa force, appartient entièrement à l'homme ! Pourtant, alors que j'exécutai le baiser, une terrible faiblesse me fit trembler. Des rides se dessinèrent sur le doux visage de Syvante, ses cheveux devinrent blancs. Horrifié, je la repoussai avant de me rendre compte que le même phénomène s'appliquait à moi-même. Mes mains se crispaient, mes genoux me lâchaient, mes yeux s'éteignaient. Pris d'un reflexe, je me retournai vers le miroir maudit et pensai apercevoir la mort. Dans un élan de rage, je me précipitai dans la glace qui se brisa en mille morceaux dans un bruit fracassant de tonnerre.

Puis le monde m'entourant se dissipa.

_______________


Je ne sais combien de temps je restais inconscient mais cela importait peu car, la notion du temps, je l'avais déjà perdu depuis longtemps. Lorsque mes yeux s'ouvrirent, je gisais au milieu des éclats du miroir sur une plateforme circulaire en pierre, autour de laquelle s'étendait infiniment un océan de ténèbres. La seule lumière qui éclairait la scène était la torche angélique qui brillait encore. A coté se trouvait l'épée, couverte d'égratignures et noircie par la poussière. Ma peau était redevenu lisse, mes genoux forts et mes yeux clairvoyants. 'Ce n'était qu'un cauchemar', pensais-je.

Après avoir raccroché l'épée à ma ceinture, je m'emparai de la torche pour explorer l'étrange plateforme sur laquelle je me trouvai et contemplai, non pas sans une certaine incrédulité, le vide absolu qui s'étendait sous mes pieds. Chacun de mes pas résonnaient avec force. Voulant faire usage de l'écho, je poussai un cri puissant qui s'étala dans l'air avant de disparaître dans les abymes :

« Syvante ! »

Rien. Me retournant brusquement, je vis le cadre du miroir lévitant sur le sol. Le mur qui le tenait n'était plus. Tout d'ailleurs avait disparu. Il m'était impossible de savoir où j'avais été téléporté, ni comment revenir à mon lieu de départ. Naïvement, je passai ma main à travers le cadre espérant que quelque phénomène magique se produise. Rien, non plus. Il fallait donc continuer. Je fis demi-tour et m'avançai vers ce qui ressemblait à un trône de pierre. Derrière, la plateforme s'arrêtait. Plutôt ravi d'avoir cette opportunité de m'asseoir, je pris place sur le fauteuil. Pourtant, au moment où j'y posais mon postérieure, des runes bleuâtres s'élevèrent du sol et commencèrent à scintiller. Bientôt, le lieu fut rempli de runes et l'abyme ressembla à un ciel étoilé.

Au bout d'un certains temps, tout s'immobilisa. L'instrument magique s'était arrêté et plus rien ne se produisit. Je restai des heures durant à contempler cet étrange ciel, essayant de distinguer la forme des runes les plus lointaines. Une amusante pensée me traversa l'esprit : tenter de déchiffrer ces étoiles. Nul homme ne pouvait faire cela. Il faudrait avoir des ailes d'anges et des connaissances divines pour réussir à comprendre cette encyclopédie céleste. Il y avait une certaine excitation à s'imaginer que toutes les connaissances de l'univers, immortelles, mortelles et infernales étaient peut-être réunies ici.

Ah, si je pouvais lire, je saurais ce qu'il est advenu de Lazarius, d'Albrecht, de mes parents, de Syvante... Je saurais qui est l'archange qui me guide à travers ces épreuves et qui est le démon qui le vainquit... Je saurais l'origine de ces démons... Je saurais le secret du heaume de Patrius et la destinée de celui qui le porte... Je saurai si Kandorma est toujours vivant.

Il y avait quelque chose d'absolument délicieux à déguster des yeux cette nuit blanchie d'étoiles. Je repensais à mon rêve d'être un brave fermier surveillant son troupeau, affaissé contre un arbre. Ha ! Ce pauvre paysan ne rêve même pas de ce que je suis en train de voir. J'avais l'impression que je devais être là. Pour la première fois, cette aventure me semblait une bénédiction. Pour la première fois, toutes ces péripéties en avaient valu la peine.

M'agrippant contre les poses-coude du trône, je posai ma tête en arrière. Mes yeux se fermèrent doucement, mes mains se relâchèrent et mon esprit était, pour la première fois depuis cinq mois, apaisé. Le sommeil me libéra de toutes mes pensées, tandis que mon âme s'offrait harmonieusement au vide qui m'entourait.

Ainsi, s'achevais la deuxième épreuve. Il n'en restait plus qu'une, dernière et finale.

_______________


Lorsque je me réveillais, le siège que j'occupais ne donnait plus sur le vide. A la place, se trouvait une salle rectangulaire, illuminée par de nombreuses torches et au milieu, encadré par quatre fins piliers noirs, le cube noir ; dessus, placé parfaitement au centre, le heaume de Patrius, brillant d'un éclat argenté semblable à celui de la Lune et son regard pausé sur moi. Cette salle avait un air de famille : je l'avais vue dans ma vision. Lorsque je me levai, mon fauteuil s'envola en poussière et la brillance de la relique redoubla. Une seule pensée me traversa alors l'esprit : c'était la fin. J'avais réussi, j'avais trouvai la prison de l'archange !

Quelque chose m'échappait cependant : où était la troisième épreuve ? Jusqu'à là, le livre n'avait pas menti. Il y avait autre chose de gênant : où était le démon qui avait vaincu l'archange ? Peut-être que je ne me faisais que de fausses inquiétudes. Après tout, les deux premières épreuves avaient étés relativement simple : pourquoi la troisième ne le saurait pas ? Mais que faisait donc le heaume de Patrius ici ? Etait-ce là la destiné de celui qui le portait ? Le destin... à portée de main ! Il me semblait qu'en prenant ce heaume, je mettrais fin à mes souffrances et sauverais Tristram de sa chute. La relique semblait me regardé droit dans les yeux, me lançait un appel silencieux, presque irrésistible. Tendant la main vers l'artefact, je m'apprêtai à poser ma main dessus quand soudain, troublé par l'hésitation, elle tomba sur une des faces du cube dans un bruit de claquement violent.

« Bertogale ! Tu m'as trouvé ! Prend le heaume : prend le, et tout seras fini !»

Cette voix, identique à celle de ma vision, déchira ma lucidité, remettant en cause le doute que j'avais émis et m'incitant- que dis-je ?- me forçant à prendre le heaume. De plus, il y avait cette étrange aura, cette volonté du heaume à être possédé, à être utilisé ! C'est bien lui qui m'a parlé, c'est bien lui qui m'a guidé ; c'est pour lui que je me suis enfoncé plus profond que jamais dans les entrailles des catacombes ; pour lui que j'ai franchi ces deux épreuves ; et pourtant tout cela semblait trop facile.

« Où est la troisième épreuve ? demandai-je, m'adressant littéralement au mur.
- Tu es sage, Bertogale, le corbeau, répondit la voix. Il te suffit de prendre le heaume de Patrius et tu auras vaincu la troisième épreuve.
- Non... C'est trop facile...
- Trop facile ? Les deux premières épreuves n'étaient pourtant pas bien difficiles. Faire preuve d'amour, dormir. Et tu as la prétention de croire que ces épreuves étaient difficiles, impertinent mortel ?
- J'ai dû mal à comprendre comment je l'ai remportée sur ces épreuves, pour être honnête. Que s'est-il passé ? »

Il y eut un silence. Mon interlocuteur ne semblait pas connaître la réponse : ce n'était pas l'archange.

« Que s'est-il passé ? »

Nouveau silence. Ni lui, ni moi, ne comprenions en quoi s'aimer et dormir justifiait l'accès à cette ultime dernière salle, là où tout devait se finir. Peut-être ce doute était-il le défi ? Où peut-être fallait-il faire preuve de foie ? Puis brisant le silence, je repris, m'adressant à la mystérieuse entité avec laquelle je communiquai.

« Vous m'avez inspiré ce songe pour me guider jusqu'à la première épreuve et après, vous êtes resté silencieux. Pourquoi ? »

La créature poussa un grognement.

« Et le livre runique ? Que disait-il ? »

Nouveau silence.

« Je vais vous poser une dernière question, et vous serez heureux de savoir que vous pourrez y répondre. Qui êtes-vous ? »

Le silence fut déchiré par un terrifiant rire, tandis que, des pénombres, surgissait une silhouette, grande et démoniaque. La créature était vêtue d'une gigantesque armure noire, parsemé de pique et d'irrégularités tranchantes, tandis que sur sa tête, un heaume moulait sa figure semblable à une tête de mort défigurée. Ses mains nues, pâles et répugnantes, tenaient entre leurs doigts crochus et leurs ongles acérés, une énorme masse, taillée dans un métal infernal et dont le poids semblait égaler celui de son maître. C'était le démon de mon songe, celui qui avait vaincu l'archange et l'avait emprisonné dans ce cube.

« Alors, petit homme, que penses-tu de mon identité ?
- C'est vous la troisième épreuve. Je dois vous tuer...
- Me tuer ? Ne sois pas si naïf ! Tu crois vraiment qu'un simple bout de chair comme toi peut me vaincre ? J'aurai tôt fait de t'exterminer. Ta seule chance de salut et de prendre le heaume, de libérer l'archange pour qu'il te confit ses pouvoirs.
- Pourquoi me dîtes-vous cela ? Vous ne croyez tout même pas que je vais vous obéir ? (Un temps.) Vous aussi vous êtes enfermé ici ! Et tant que l'archange ne sera pas libéré vous serez condamné a resté son gardien... »

Je rigolai, amusé par l'ironie des évènements : ce si puissant et invincible démon, gardien de sa victime, finalement son dernier serviteur !

« Tu pense que cela est drôle ? Moi, je vais te raconter quelque chose de vraiment drôle. Toi aussi, tu es prisonnier de cet endroit et, contrairement à moi, tu finiras par mourir de faim et de soif, ce qui, si mes observations sont justes, est une mort assez atroce... Ou alors, tu peux libérer l'archange, embrassé le destin, tenter le tout pour le tout, et peut-être sortir vainqueur-
- Ou perdant-
- Je hais les humains et les archanges pour leur prudence ! Vous préférez rendre une bataille statique et éternelle, plutôt que de risquer de la perdre ou de la gagner ! Bientôt l'humanité paiera le prix de cette bêtise ! Bientôt, les forces célestes regretteront de ne pas avoir détruit la forge de l'enfer lorsqu'ils en avaient la possibilité ! Ton monde paiera le prix de leur incompétence, votre destruction sera l'écho leur échec et par leur peur, vous serez tous tués, ressuscités et corrompus pour nous servir dans l'éternité des temps !
- Vous voulez vous battre ? Et bien, battons-nous ! dis-je en saisissant mon épée et la torche angélique.
- Tu ne vas même pas te servir du heaume ?
- Allons, idiot ! Seul un homme peut réussir ces trois épreuves ! L'amour, car ni anges ou démons ne peuvent en faire preuve. Le sommeil, seul un homme pouvait le faire, car n'importe quel être d'essence divine aurait tenté de déchiffrer le ciel runique ; et enfin si tu es la troisième épreuve, alors je devrais pouvoir te battre.
- Il n'y a pas de troisième épreuve ! Il te suffit de prendre le heaume de Patrius !
- Silence ! Je sais très bien que vous n'avez plus vos pouvoirs, sinon, vous en aurez usé pour me corrompre et me manipuler afin que j'exécute vos ordres.
- Vas-tu prendre ce heaume ?
- Non. Maintenant, battez-vous. »

Le démon poussa un cri de rage et levant sa terrible arme, frappa le sol avec rage mais avec une certaine lenteur qui me permit d'esquiver. Puis il enchaîna sur coup qui fendit l'air avant de briser un des piliers de pierres. Le troisième assaut ne se fit pas attendre, et avec une force impitoyable, je fus touché au ventre, perdant mes deux armes. La créature infernale s'approcha de moi, se déplaçant lentement et effectuant des pas lourds et lents. Les ténèbres envahissaient mes yeux et je pouvais à peine distinguait le sourire maléfique que ses lèvres traçaient.

Tout d'un coup, ma douleur au ventre devint insupportable. Des centaines d'égratignures et de coupures se disputaient mon ventre et chacune me brûlait l'estomac quand soudain, dans élan incontrôlé, je crachai une vague de sang. 'Merde : hémorragie interne...' Le démon s'approcha de moi et levant, haut et clair sa massue, s'apprêta à me frapper.

« Je vais encore te laisser une dernière chance de récupérer le heaume, Bertogale. C'est ta seule chance de me vaincre.
- Va crever immonde bête : on se retrouvera en enfer. »

Soudain, le démon abaissa son arme mais d'un geste rapide, je me roulai sur le côté tandis que le sol où je gisais vola en éclat. Le démon poussa un cri de rage. Jetant un dernier regard désespéré sur la scène j'aperçus la torche angélique, brûlant avec plus de vivacité que jamais. 'Je dois la récupérer'. Et, dans un ultime effort physique et de concentration, je me levai, posant une main sur mon ventre et d'un mouvement fluide, récupérai l'objet sacré, tandis que le démon me poursuivait déjà, décuplant la puissance de son cri. Et l'imitant, je répondai à mon tour:

« Pour Tristram ! »

'Pour Tristram'... Les mêmes paroles que sur les landes de Khanduras. La même volonté, le même espoir... Mon âme était apaisée, mes douleurs clamés et je ressentais l'incroyable sentiment que je pouvais vaincre, sortir vainqueur de cette lutte sans fin contre les démons et enfin sortir de cette cathédrale maudite. Mais il fallait encore se battre : une dernière fois, pensais-je.

Puis ce fut le choc. Il y eut un bruit de fer lourd et mon élan coupé court, je fus projeté en avant, avant de m'écrasé sur le sol de pierre froide. J'avais perdu mon arme mais mon corps semblait intact. Il y eut un silence puis soudain, un cri atroce de douleur emplit la petite salle. La force de ce cri était telle, que je dû poser mes mains sur mes oreilles pour m'en protéger.

« Mon oeil ! hurlai le démon. Mon oeil. Mon... Ahhhh ! Je brûle ! Je brûle ! Cette lumière... Ahhhh ! »

Puis l'énorme carcasse du monstre tomba au sol dans un bruit sourd. La torche lui avait transpercé l'oeil avant de lui incinérer la cervelle et de le tuer pour de bon. Un sentiment immense de joie emplit mon coeur. Des larmes tombèrent de mes yeux, tandis que je tombai sur mes genoux, croyant à peine à mes victoires. Serait-ce la fin ? Puis je vis le heaume de Patrius, posé sur le cube noir de l'archange. Me levant avec une détermination nouvelle, je m'emparai de l'objet et le posai enfin sur ma tête.

« Qu'on en finisse ! »

Le cube brilla d'un éclat si puissant que la salle s'éteignit, engloutie dans un océan de lumière blanche tandis qu'à nouveau le monde se dissipait. Puis lorsque que mes yeux se rouvrirent, il me semblait rêver à nouveau. J'étais dans la chambre de la deuxième épreuve, au milieu des runes et devant moi, se tenait l'archange, vêtu d'une armure bleuâtre et d'un capuchon qui masqué son visage, porté par ses ailes de feu, semblables à de la poussière d'étoiles. Moi-même était en lévitation porté par je ne sais quelle force et ne pouvait m'empêchait d'être amusé par ce fabuleux sentiment de liberté.

« Bertogale, commença l'archange, je suis Gormondriel, second des sept, ange de la sagesse. Ce que tu as fait aujourd'hui est remarquable et par cet exploit, tu viens de rendre à la lumière un de ses plus grands combattants. Hélas, ma défaite et les pouvoirs utilisés pour concevoir tout se parcours et te permettre de me trouver m'ont couté mon enveloppe physique. Je ne suis plus qu'esprit et énergie pure. Cependant, je ne peux abandonner ma mission en ce monde qui est de vaincre les démons. Jusqu'à lors, je me suis dissipé dans tes veines, et mon sang nage dans le tiens.
- Hélas, Gormondriel, je comprends l'importance de ta tache, mais ne me suis-je pas assez battu ? Tout ce que je veux à présent, c'est retourner à la surface et retrouver mes parents.
- Le fardeau que je t'impose n'est en effet pas mérité. Hélas, comme tu dis, il n'y a pas d'issu. En pénétrant dans la cathédrale avec ce heaume, tu as scellé ton destin. A présent, il nous faut sortir et partir pour Kurast afin de prévenir les paladins de Kurast de la menace démoniaque qui plane sur Sanctuary.
- Non, attends ! Je n'étais pas seul lorsque je suis descendu dans les catacombes de Tristram. Il y avait à mes côtés un homme de grande vertu : Kandorma. Je veux... je dois savoir : est-il vivant ? »

L'archange hésita, comme s'il réfléchissait à la réponse qu'il me donnerait. Puis tout d'un coup, il reprit, d'un ton pressé :

« Cela n'a aucune importance. Il nous faut sortir et commencer notre voyage aussi vite que possible pour-
- EST-IL VIVANT ?
- Oui, je le crains.
- Vous le craignez ?
- Il est sous la possession des démons-
- Et bien, il faut le chercher avant de sortir d'ici.
- Pauvre fou, que comptes-tu faire ? Tu sais très bien qu'il veule se servir de lui comme appât : ils savent Bertogale ! Ils savent que tu as tué l'un de leur seigneur démon et que je suis à présent en toi. Tu ne feras que tomber dans un piège en allant chercher ton ami.
- M'aiderez-vous ? M'aiderez-vous comme je vous ai aidé ?
- Non.
- Alors... alors, je n'ai plus besoin de vous. »

L'archange hurla mon nom, tandis que la salle s'effondrait sur elle-même, telle une cascade d'eau, étincelante d'une lumière avant de disparaître dans une fantastique explosion de bleu et de violet pour enfin s'éteindre et ne devenir qu'un éternel néant.

_______________


Lorsque je me réveillais, je me trouvais dans un couloir sombre au bout duquel une salle semblait être illuminée par des rayons du... soleil ! Devant moi étaient posés mon épée et à côté, le heaume de Patrius, que j'avais dû retirer pour empêcher l'archange de pénétrer mon esprit. Ne sachant que faire de la relique, je creusai un trou pour l'enterrer, redoutant plus que jamais l'être divin qui partageait mon corps et la sainte croisade qu'il voulait m'imposer. Puis me rappelant que mon compagnon était toujours en vie, je saisis cette fameuse épée qu'Iljuîtes m'avait lancée lors de la bataille de Westmarch et me dirigeai vers la lumière au bout du couloir.
Ils savent. Ces mots raisonnaient dans ma tête de façon infernale. Un horrible sentiment d'impuissance me fit trembler. Un piège. Pourquoi m'en tendre un ? Voulait-il venger la mort du démon ? Non. Tout cela était la faute de Gormondriel. C'était lui qu'il voulait à tout prix. Ce prisonnier si précieux. Maintenant que le sortilège de protection (les trois épreuves) était levé, ils savaient qu'ils pouvaient l'abattre une bonne fois pour toute.

Les rayons du soleil pénétraient par une petite brèche dans le plafond, à peine assez grande pour que je puisse y glisser mon corps. A la surface, il devait faire jour et en plus, il ne pleuvait plus. Le sol était cependant toujours humide : la pluie avait dû cesser depuis peu. Cette issue, inespérée, aboutissait à un vaste champ de gazon et, à un ou deux kilomètres, j'aperçus la cathédrale et derrière la ville de Tristram qui semblait toujours écrasé par un nuage de ténèbres. Une étrange sensation me fit frissonner. Il me fallut quelques secondes avant de me rendre compte qu'il s'agissait du vent. Ce doux mouvement d'air m'était presque inconnu, après tout le temps que j'avais passé dans les souterrains. Je ne pus résister à l'envie de m'allonger sur le gazon mouillé.

La satisfaction d'être sorti m'enivra pendant de longues minutes ; pourtant après une heure d'apaisement, de nouvelles questions me vinrent à l'esprit ; j'essayais de les repousser, envieux de ne plus penser, de juste savourer ce repos, tant mérité. Mais je savais très bien que je devais retourner dans les catacombes pour trouver Kandorma. Pourtant, il aurait été tellement plus facile de rester allongé des heures puis de partir dans quelque contrée lointaine dans l'espoir de ne plus jamais revoir ces démons. Je connaissais un village en Khanduras à une centaine de Kilomètre de là où j'aurais aisément trouvé du travaille dans une auberge pour gagner quelques sous avant d'acheter quelques terres et d'y planter du blé. Maintenant que ce plan s'était formé, retourner dans les catacombes paraissait être une idée absolument absurde.

Je fus soudain pris d'une envie de rire. C'était ce maudit archange qui m'avait téléporté jusqu'à cette issue après m'avoir imploré de sortir d'ici. Je lui avais tenu tête mais à présent ma paresse semblait tourner à son avantage. A quoi bon retourner dans les abymes pour tomber dans un piège et espérer peut-être sauver un ami alors que je m'étais depuis longtemps fait à l'idée qu'il était mort ? Il était tellement facile de s'en aller. Plus facile, plus sage même.

Mais n'étais-je pas Bertogale, le corbeau, au fond ? J'étais parti à la guerre pour retrouver Kandorma, avais abandonné Lachdanan pour le suivre, l'ai porté sur mon dos pour le ramener à Tristram, avais brisé la corde qui resserré son cou et tout cela pour finalement le laisser pourrir six pieds sous terre ? Il m'était à présent évident que le remord aurait tôt fait de me terrasser si je partais maintenant... Kandorma, tu fais chier ! Et à peine cette pensée m'avait-elle effleuré l'esprit que je replongeai dans l'obscurité des catacombes.

A nouveau, je me retrouvais dans un couloir dont les extrémités semblaient inexistantes. De plus je n'avais plus la torche angélique et donc plus de lumière. En tâtant le sol, j'aurais sans doute pu retrouver le heaume de Patrius mais l'archange avait clairement dit qu'il ne m'aiderait pas. 'L'imbécile risque aussi sa vie en faisant le malin !' Je me rappelai alors que les démons voulaient me tendre un piège tandis que moi, voulais tomber dedans. Il ne devait y avoir rien de plus facile alors de le faire, puisque nos intérêts convergeaient.

« Démons, dis-je d'une voix calme et déterminé. Menez-moi à Kandorma et je vous suivrais. »

Une demi-seconde après que ces paroles eurent été prononcées, une étrange lueur rougeâtre pris forme - ou du moins apparu- devant moi. Celle-ci ressemblait à une trainée fantomatique qui tourbillonnait lentement sur elle-même. L'esprit s'envola derrière moi avec vitesse et je fus presque sûre de l'entendre murmurer 'Suis moi !'.

Il me fallu courir pour ne pas perdre le petit démon - ou peu importe ce que c'était -. Je me rendis bientôt compte que le long couloir était traversé de plein d'autres corridors, invisibles cependant à cause de l'obscurité qui les dissimulait. Au fur et à mesure que nous progressions dans les catacombes, la quantité de virages se multiplia et il m'arrivait de plus en plus fréquemment de perde l'étrange esprit de vue. Heureusement celui-ci émettait un léger sifflement en avançant, tel un courant d'air qui se mouvait à travers les ténèbres, et tout en m'assurant de ne pas perdre le rythme, je pris soin d'observer l'allure des chambres que je traversai afin de pouvoir revenir sur mes pas - si retour il y avait.

Au bout de quelques minutes, l'esprit s'immobilisa et explosa dans un bruit semblable à un éternuement. Les parcelles de flammes qui en jaillirent s'envolèrent vers une vingtaine de bougies qui ornaient les murs de la salle (que je devinai à présent circulaire) et l'illuminèrent d'une lueur rouge et faible. Derrière moi, j'aperçu la forme rectangulaire par laquelle j'avais dû rentrer et, par son obscurité on-ne-peut-plus totale, je compris qu'il me serait impossible de retourner sans guide. Devant, se dressaient deux tables de marbre sur lesquelles étaient allongés tête à tête deux corps, l'un vêtu d'un habille de voyage, l'autre d'un manteau plus noble, inconscients, peut-être morts. Enfin derrière, se tenait une silhouette rouge dont la main droite se tendait de façon rigide vers la gauche et tenait fermement le manche d'un sceptre about duquel se tallait une croix religieuse.

Une fois que mes yeux s'étaient habitué à l'étrange lumière qui éclairait cette salle, je reconnu Kandorma, allongé sur un des lits de pierre et le sourire péniblement familier de Lazarius, l'archevêque. Je ne parvenais cependant à identifier le troisième corps ; il s'agissait d'un homme qui devait avoisiner mon âge, bien plus beau je dois avouer, le visage propre et les cheveux blonds, longs, lisses et d'un naturel plaisant. Mais ma contemplation de ce nouveau personnage ne pouvait égaler mon dégout pour-

« Lazarius !
- Bertogale, le corbeau ! Celui qui triompha d'Edan.
- Que leur avez-vous fait ordure ? »

Mais ignorant ma réplique, l'archevêque continua son discours tout en se rapprochant dangereusement, pour lui, de moi.

« Celui qui confia les plans de Kentaur à Westmarch, celui qui assassina son Roi, celui qui entraina une dizaine de paysan dans la mort... Il posa, comme pour annoncer son bouquet finale et faisant une imitation assez médiocre d'un air surpris, conclus avec un : oh ! Et j'oublis le détail le plus croustillant - à présent ses lèvres semblaient dessiner le contour de ses joues tant elles s'étaient élargies - celui qui abandonna son fidèle ami aux mains des démons ; où étais-tu, Bertogale ? Que faisais-tu ? »
La mémoration de cet insupportable souvenir fit exploser la rage en moi au point que je crus que toutes mes veines éclatèrent en même temps. Vif comme l'éclair, je dégainai mon épée et étendit le mouvement pour partager net le corps de mon ennemi en deux. Pourtant, au lieu de tombait raide, celui prit une teinte noire avant de devenir poussière et de s'effondre sur lui-même. Puis, un vent puissant me frappa les oreilles, tandis que derrière moi, dans un écran de fumée blanche, Lazarius réapparu en un morceau. Puis il approcha ses hideuses lèvres de mes oreilles et murmura :

« Tu avais pourtant entendu ses cries, non ? »

A nouveau, je fus pris d'une pulsion de rage qui fit trembler tout mon corps. Je me retournai et décapitai l'archevêque ; sans effort, celui-ci se dématérialisa à nouveau avant de réapparaître devant moi. Mais déjà, je lui enfonçai mon arme dans la poitrine et déjà, il disparu à nouveau pour réapparaître dans mon dos. Faisant à nouveau demi-tour, j'assaillis à mon adversaire un nouveau coup, sachant pertinemment que cela était inutile mais la rage rendait mes membres incontrôlables.

« Salopard ! »

C'est alors que la poussière en laquelle l'archevêque s'était métamorphosé, au lieu de disparaître, se précipita vers moi, m'emplissant narines, bouche et oreilles. Ma suffocation fut cependant de courte durée : au bout de quelques secondes, tout n'était plus que le silence angoissant des ténèbres. Je crus sentir alors une massue s'abattre sur mon crâne et sous le choc, je me jetai à terre. Pourtant le choc continua, comme si la massue pesait toujours sur ma tête et s'abattait continuellement dessus. Un cri de douleur s'échappa de mon gosier. Je compris alors que la douleur venait de l'intérieur, de ma tête. Je posai mes mains sur ma tête, tentant de l'arracher pour mettre fin à cet insupportable maléfice mais rien ne sembla pouvoir apaiser mes souffrances. Mes yeux virent de moins en moins claire quand soudain il y eut un flash brillant qui emplit la salle, m'aveuglant presque sur le coup, comme si un éclair venait d'éclater à quelques centimètres de moi ; il y eut un choc dans ma poitrine et l'instant d'après, Lazarius fut propulsé hors de mon corps et s'écrasa violemment contre le sol, sa forme physique regagnée.

Il me regarda d'un air terrifié comme si je venais de lui infliger une défaite cuisante, sans se douter que j'étais tout aussi surpris que lui. Mais actuellement, la seule chose qui me préoccupait était les morceaux de migraine qui se bataillaient dans ma tête, tel un écho de la douleur que j'avais ressenti il y a quelques secondes. Une petite voix en moi m'implora soudainement : 'Ressaisis-toi ! Vite, réveille ton compagnon et sors d'ici, avant qu'il ne soit trop tard !'

« Trop tard ? » demandai-je à voix haute.

J'entendis des murmures suivis de quelques bâillements. Derrière-moi, Kandorma ainsi que l'autre corps s'était réveillé simultanément, libéré de la torpeur dans laquelle Lazarius les avait enfermés. Tandis que mes maux de tête s'éclipsaient, mon regard croisa celui de mon compagnon. A ma vue, son visage s'était illuminé et une larme s'échappa de son oeil droit, comme s'il venait de voir la lumière pour la première fois. Je le comprenais : cela devait paraître tellement incroyable que j'étais revenu à son secoure... Il cligna une demi-dizaine de fois pour s'assurer qu'il ne rêvait pas, puis à peu près convaincu, il murmura :

« Bertogale ? »

Le troisième homme se leva de façon beaucoup plus tranquille, comme si la nuit s'achevait et qu'il ouvrait les yeux pour revoir, comme à son habitude, sa chambre à coucher. Sa réaction ne se pointa que lorsqu'il m'aperçu sur le sol, l'épée fermement dans la main, Lazarius s'appuyant sur son bâton, épuisé et l'air terrorisé, et Kandorma qui pleurait de joie.

« Qu'est-ce qui se passe ici ? demanda-t-il d'une voix déterminé et sévère comme pour punir quelque gaffeur de sa bêtise. Qui êtes-vous ?
- Qui êtes-vous ? repris-je tout aussi curieux.
- C'est Albrecht, expliqua Kandorma.
- Prince Albrecht, insista le jeune homme. Et vous ?
- Ah, oui, reprit Kandorma. Je me nomme Kandorma et voici Bertogale-
- Bertogale, le corbeau-
- Et lui... Il fronça les yeux puis après identifié la dernière personne, je pense qu'il s'agit de l'archevêque Lazarius, archevêque de Léoric, notre Roi-
- Ex-roi.
- Je sais très bien qui est Léoric ! » s'irrita Albrecht.

Une pensée soudaine me traversa l'esprit : j'avais devant moi le fils de Léoric - celui qu'ils avaient enlevé. Les rumeurs de son enlèvement remontaient à, à présent, six mois ; avait-il dormi pendant tout ce temps ? C'était à cause de sa disparition que le Roi avait sombré à la folie la plus sinistre ; plus il en suivit la désastreuse guerre contre Westmarch puis la chute de Tristram... et à présent les démons infestaient la région. Mon regard se posa lentement sur l'archevêque qui s'était redressé et dépoussiérait sa robe. Mais alors ils...

« En vérité, tout est de votre faute ! lui lançai-je. Tout depuis le début, tout, absolument tout. C'est vous qui avait enlevé Albrecht, qui avait conseillé au Roi de déclarer la guerre au royaume voisin, qui avait invoqué tous ces démons... pourquoi ?
- J'avais besoin de cette guerre pour détourner l'intention pendant que je complotais dans les ténèbres, répondit Lazarius avec une certaine fierté. Cela a plutôt bien marché, d'ailleurs-
- Non ! Ce n'est pas possible ! Vous... vous... VOUS ! Tous ses morts, toute cette ruine, tout cela est de votre faute ! Je vais vous tuer-
- Non, intervint Albrecht, à la surprise de tous. Ce n'était pas entièrement sa faute. Lazarius, montrez lui la pierre.
- La pierre ? »

Lazarius hésita et nous dévisagea un par un. Puis il plongea sa main dans sa robe au niveau de la poitrine et en sortit un étrange rubis, d'un rouge sombre et dont la taille ne devait dépasser celle d'un poing. D'étranges murmures semblaient en provenir et bien que ceux-ci fussent à peine audibles, la violence qu'ils dégageaient nous emplissait de terreur. Pendant quelques secondes nous restâmes silencieux à contempler l'étrange relique, fascinés, presque enivrés par une drogue. Un murmure plus très bref mais plus puissant, se fit alors entendre.

« Il veut un maître, dit Lazarius, d'une voix mystique et lointaine.
- C'est avec cette pierre que tout a commencé, expliqua Albrecht en se retournant vers moi.
- Cette pierre ? Mais comment ?
- Ce n'est pas une pierre normale... C'est une pierre d'âme. La pierre d'âme de Diablo, le Seigneur-
- de la terreur, termina Kandorma, comprenant à son tour l'origine du Mal du Tristram.
- Il n'y a plus de temps à perdre, reprit le prince d'un ton déterminé, il faut ramener la pierre à la surface pour la détruire. Lazarius ! Donne-moi la pierre.
- Non, répondit l'archevêque. Ce n'est plus vous qu'il veut... c'est Bertogale !
- Donne-moi la pierre. C'est ton prince qui te l'ordonne. »

Albrecht se leva difficilement, puis s'avança vers Lazarius, faisant un immense effort pour se déplacer ; on aurait dit qu'il n'avait pas bougé ses membres depuis des mois.

« Arrière !
- DONNE LA MOI ! »

Le prince se jeta sur Lazarius, lui agrippant les poignets pour le faire lâcher prise. Mais l'archevêque se défendit avec une férocité nouvelle et dans un élan incontrôlé enfonça la pierre d'âme dans le front du jeune prince. Celle-ci explosa de lumière et la salle fut submergée par un océan de rouge aveuglant pendant une fraction de secondes. Puis il en suivit un long cri de douleur et enfin, le prince s'écroula au sol, inconscient.

« Albrecht ! » s'écria Kandorma et sautant sur ses pieds, il se précipita vers le corps du prince quand soudain une main lui attrapa les mollets et arrêta sa course, net. Elle était squelettique, toujours couverte de quelques morceaux de chair. Une deuxième sortit à quelques centimètres et, prenant appuie sur le sol, déterra le reste de son corps. L'épée à la main, je me précipité sur la créature démoniaque et lui arrachai la tête. Mais tandis que le crâne du mort-vivant se fracassait dans un vaste bruit contre le sol, une trentaine de main sortirent simultanément du sol, nous encerclant et surtout, barrant la route vers le prince.

N'attendant point que ceux-ci se déterre complètement, je commençai déjà à en décapiter une demi-douzaine mais bientôt, ils se jetèrent sur moi, m'attrapant différent membres pour m'immobiliser. A ma droite, mon compagnon tentait de faire reculer ses adversaires au moyen de coups de pied et de poing acharnés mais en vain. De plus en plus de morts semblaient jaillirent du sol et au bout de quelques secondes, la salle en fut remplie. Il devait y en avoir une quarantaine. Redoublant mes efforts, je me dégageai de l'emprise des squelettes pour accourir au secours de Kandorma qui, submergé, était tombé à terre. Soudain un bras m'attrapa le cou et des mains jaillissantes du sol me firent tomber. Je perdis mon épée ; mais ma plus grande préoccupation était de me débarrasser de la créature qui m'étranglait.

Il y eut alors un flash de lumière suivit d'une puissante d'onde de choc et, du point où ce flash avait eut lieu, jaillit un énorme cerceau de glace qui s'étendit jusqu'au mur, pétrifiant tous les squelettes. Au milieu de cette lumière jaune et bleue, je reconnu notre sauveuse : c'était Syvante. Elle se précipita vers moi et dégagea les mort-vivants, prisonniers de la glace, qui s'entassaient sur mon corps. Puis nous nous précipitâmes vers Kandorma et l'aidâmes à se relever.

« Syvante-, commençai-je.
- Alors, tu m'embrasses et puis tu te casses ? me lança-t-elle d'une voix sévère et pourtant douce (bien malgré elle, à mon avis).
- Tu es revenu !
- Oui, et bien, ce n'est pas pour toi ! C'est bien parce que ton ami est mignon... »

A ces mots, Kandorma ne put s'empêcher d'émettre un sourire abruti. Puis lui donnant une tape sur le dos de la tête, je lui dis : « Restons concentrés ! ».

Lazarius se mit alors à rire.

« Il est trop tard pour sauver Albrecht ! Il sera à présent l'éternel serviteur du seigneur des ténèbres et vous ne pouvez plus rien faire pour l'en empêcher ! »

Et tandis qu'il prononçait ces paroles, d'un geste de la main, il fit disparaître Albrecht dans un nuage blanc avant de lui-même s'éteindre lentement. Vive comme l'éclair, Syvante se téléporta jusqu'à l'archevêque et, en apparaissant, le propulsa hors de son armure de fumée. Lazarius pointa son sceptre vers la sorcière et en fit jaillir une énorme boule de feu mais, d'un geste rapide de la main, Syvante invoqua un bouclier de glace pour se défendre.

Pendant que les deux mages commençaient leur duel, je me rendis compte que les squelettes recommençaient lentement à bouger. Récupérant mon épée, je les fracassai et sous l'impact, ceux-ci volèrent en éclat. Soudain mon coup fut paré par une autre épée et son possesseur repoussa mon arme avec une telle force que je dus reculer de quelques mètres. Mon redoutable adversaire se releva lentement et effectuant quelques mouvements brusques, brisa le cocon de glace qui l'emprisonnait. Ce mort-vivant n'avait rien d'ordinaire. Sa posture était plus adroite, ses mouvements plus fluides et même sa force semblait décuplée.

Lazarius para à son tour le projectile de feu que Syvante lui lançait en le dissipant d'un simple geste de la main. Puis il tendit ses mains vers le plafond (qu'on ne distinguait pas d'ailleurs) et murmura une incantation. Deux immenses jets de flammes s'élevèrent de ses mains et après avoir atteint une hauteur de dix mètres, fondirent sur Syvante. Dans un effort ultime, la sorcière s'entoura d'un immense cocon de glace- puis ce fut le choc ! Les deux hydres flammes s'écrasèrent dans un bruit de tonnerre contre la glace et un fantastique rideau de fumée noya la scène. Les deux hydres réapparurent, tournoyant toujours autour de la sorcière quand soudain, l'une d'entre elle attaqua sa soeur. Lazarius prit une expression terrifiée, comprenant que la magie de Syvante avait tourné l'une de ses hydres contre lui. Les deux monstres de flamme se bataillèrent dans les airs, guidés par Lazarius et Syvante qui faisait à présent des efforts colossaux pour ne pas perdre le duel magique.

Ressaisissant mon arme, je me jetai sur mon adversaire, décuplant mes efforts pour lui assaillir un coup ultime. Il se protégea cependant avec une facilité déconcertante et enchaînant avec rapidité me dépourvu d'arme avant de continuer avec un coup de pied qui me projeta au sol. Comment cette chose avait pu anticiper mon attaque avec tant de précision ? Je me rendis compte alors de l'identité de mon adversaire : Lachdanan, capitaine de Khanduras. Comment cela était-il possible ? Lui qui avait toujours reconnu la folie, toujours su faire preuve de logique, jamais succombé à la pression de ses paires... et à présent il avait été réduit à l'état de mort-vivant, serviteur du Seigneur des ténèbres. C'était donc cela la malédiction de Léoric : 'Mais par ma malédiction, vous serez tous guéris de votre sottise et vous connaîtrez enfin les tourments qui déchirent mon âme !' C'était donc cela les tourments qui déchirent l'âme : la possession. Lachdanan pointa sa lame vers ma gorge, sans me regarder. Les hydres de feu jaillirent alors derrière lui, s'enroulant l'une autour de l'autre dans leur infernal bataille. Saisissant l'occasion, je donnai un fantastique coup de pied dans le ventre de mon adversaire qui tomba dans le corps brûlant des deux créatures. Emporté par le courant de feu et de magie, il fut propulsé à une dizaine de mètres avant de s'écraser contre le mur, complètement incinéré.

De nombreux squelettes connurent le même sort que lui, emporté par la vague de feu qui résultait du duel entre les deux sorciers. Bientôt les flammes avaient empli la salle et la chaleur devint étouffante. Les deux créatures de magie continuaient leur duel, s'élevant toujours plus haut dans cette chambre sans plafond, tournoyant l'une autour de l'autre tel une tornade infernale. Lorsque celles-ci se télescopaient, il en résultait une explosion et des jets de flamme volaient dans toutes les directions. Une chose devint alors claire : je connaitrais le même sort que Lachdanan si je ce mythique affrontement ne prenait pas immédiatement fin. Mais comment aidé Syvante ?

« Bertogale !
- Attention, baisse-toi ! » hurlai-je.

Kandorma se baissa pour éviter de justesse une boule de flamme qui s'écrasa dans un bruit de tonnerre contre le sol. Puis relevant la tête, il reprit :

« Lance-moi ton épée ! »

Il s'était avancé non loin des deux sorciers qui semblaient être en transe, sourds à notre dialogue. Je compris alors l'intention de Kandorma. Tuer Lazarius pendant qu'il était complètement inconscient. Mais, l'épée ! Je ne l'avais plus ! Je l'avais perdu lors de mon combat contre Lachdanan ! Pourtant, elle ne devait pas être loin... Je scrutai à moitié pris de panique les environs mais tout été dissimulé par un rideau de flammes. Un projectile de feu me frôla le visage avant de s'écraser contre le mur dans un bruit lourd. Et je la vis: l'épée de Lachdanan ! Je bondis au-dessus des flammes pour l'attraper. Mais alors que je m'en emparai, une main chaude et puissante m'attrapa le poignet.

La carcasse fumante du capitaine se releva, tenant toujours fermement mon bras. Je dû lâcher mon arme. Puis Lachdanan me donna un coup de poing magistral, m'expédiant en arrière mais me tenant toujours le poignet fermement. Puis il recommença avec plus de force que la dernière fois. Cette fois-ci, je répondis d'un coup de genoux dans le ventre avant d'enchaîner sur un crocher du gauche qui le fit tressaillir quelque peu. Profitant de ce court délai, je m'emparai de l'arme et la lançai à Kandorma. Mais à peine l'avais-je fait qu'un énorme bras s'enfonça dans mon visage et m'expédia à une demi-dizaine de mètres. Lachdanan se jeta sur moi mais fut arrêté par un énorme projectile de feu qui s'écrasa droit sur sa poitrine. Bien qu'étourdi quelques secondes, il reprit sa marche vers moi, à présent vêtu de flamme.

« Syvante ! » hurlai-je.

La sorcière se retourna.

« Tu as perdu ta concentration petite ! ricana l'archevêque. Vous allez tous périr immo-»

L'archevêque ouvrit grand les yeux avant d'éternuer. De sa poitrine sortait une lame, couverte de sang. Les hydres de feu tombèrent des cieux avant de s'écraser dans un bruit massif contre le sol. Puis au bout de quelques secondes tout le feu se dissipa. Syvante fit un geste de la main et un vent glacial immobilisa Lachdanan. Puis Lazarius poussa un dernier soupir avant de s'effondrer sur lui-même et de disparaître dans un écran de fumée blanche. Les bougies rouges sur les murs se mirent à trembloter. Leurs lueurs se réunirent à nouveau au centre pour former l'étrange esprit. Soudain, la pourpre lumière se jeta vers moi mais Kandorma s'interposa avant de tomber raide.

« Kandorma ! »

Puis ce furent à nouveau les ténèbres.

D'un claquement de doigt, Syvante fit jaillir de sa main une flamme blanche qui éclaira la salle. Kandorma gisait contre le sol. A ses côtés était Lachdanan, ou du moins ce qu'il en restait, debout et immobilisé dans son mouvement. Lentement, je posai mes doigts sur le cou de mon compagnon pour sentir son pou.

« Il faut sortir d'ici, m'implora Syvante.
- Il est vivant... »

Bien que mon compagnon gisait inconscient, son coeur battait toujours et avec, l'espoir qu'un jour il se réveillera. Il y eut alors des craquements, comme si l'on brisait de la glace. C'était Lachdanan. Mais à peine s'était-il libéré, qu'il s'effondra sur le sol.

« Bertogale, respira-t-il. Pardonne-moi.
- Lachdanan ! Que s'est-il passé ?
- Nous- nous n'avons pas de temps à perdre. Il faut... sortir ! Aidez moi à me relever et je- je vous guiderez... »

Syvante empoigna son bras gauche tandis que je m'occupai du droit. Une fois debout, il semblait ne plus pouvoir tomber. La sorcière, contrairement à moi, n'était pas le moins du monde surprise.

« Régénération mort-vivante. » soupira-t-elle, comme récitant un cours.

Le capitaine s'empara de Kandorma et le porta sur son dos, puis avec une force croissante, commença sa marche. Au début surpris, je m'aperçus qu'effectivement, ses blessures se cicatrisaient à vue d'oeil. Le rythme de notre course devint même soutenu lorsque nous commencions à toucher au but. Après deux bonnes heures (qui aurait pu n'en être qu'une, si nous étions sortis par la faille où Gormondriel m'avait téléporté), nous arrivâmes devant les portes fermées de la cathédrale. Nous avions réussis.

Derrières ces lourdes portes de bois, se trouvait le monde de dehors : notre monde. Syvante se précipita pour les ouvrir. Ainsi, nous étions sortis, nous y étions parvenus ! Tout se terminait enfin. Notre retour à la surface fut salué par un vent puissant et le ciel lui-même se découvrit de quelques nuages pour nous éclairer de ses rayons. Des piliers de lumières semblaient se dresser sur les landes et la ville (plus qu'un village d'ailleurs) de Tristram regagnait pendant une fraction de seconde son allure paysanne, vive et chaleureuse. Rien n'aurait dû altérer ma joie et pourtant :

« C'est ici que nos routes se séparent, Bertogale, le corbeau. »

C'était Lachdanan.

« Mais pourquoi ?
- Et bien... je n'ai plus ma place dans votre monde. Regarde-moi. (Un temps) Aux funérailles de Léoric, le Roi s'est relevé et une étrange malédiction nous a frappés, mes chevaliers et moi. La folie s'est emparée de nous et nos âmes ont abandonné nos corps pour laisser place à une mascarade démoniaque de l'esprit. Tu ne peux savoir combien j'ai souffert de notre duel. Puis il m'est arrivé quelque chose... quelque chose de, je dois l'admettre, inexplicable. Mais je crains que cet étrange phénomène ne soit que de courte durée. Quoi qu'il en soit, je voulais te remercier pour... pour m'avoir permis de vivre... quelques minutes de plus ; et je suis infiniment soulagé, qu'elles vous aient été utiles. »

Puis il se retourna, marcha lentement jusqu'au fond de la cathédrale avant de disparaître dans les escaliers qui menaient aux catacombes. Il y avait eu beaucoup de déception dans sa voix - peut-être avait-il cru un instant qu'il pourrait sortir d'ici ? Mais la sagesse, ou peut-être la discipline l'avait emporté... Je ne pouvais m'empêcher de trembler à l'idée du funeste destin qui l'attendait ; mais un fragment de ma conscience espérait que quelqu'un viendrait le libérer de ses souffrances, fut-ce par la guérison ou la mort.

_______________


Après avoir été exposé quelques minutes à l'air, Kandorma s'était réveillé et faisait d'ailleurs preuve d'une bonne santé presque agaçante. Nous marchions à présent dans les plaines devancés par Syvante de quelques mètres.

« Alors, où allons-nous ? » demanda mon compagnon.

Effectivement, maintenant que nous avions quitté Tristram, la question se posait.

« A Kurast ? » proposa-t-il.

C'était en effet le plan initial ou du moins depuis que Linéus avait mis fin à la guerre. Partir à Kurast pour y amener le heaume de Patrius ; mais le heaume de Patrius, je ne l'avais plus.

« Non. »

Kandorma prit le temps de réfléchir quelques secondes quand soudain, un sourire malicieux se dessina sur son visage.

« Et si on suivait Syvante ? » murmura-t-il en me donnant un coup de coude.

Je rougis légèrement. Puis essayant de cacher la joie que me procurait cette proposition, j'hochai des épaules, tout en mimant une expression du visage signifiant :

'Pourquoi pas ?'
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