Fanfiction Diablo II

Retour à la liste des Fanfiction

Un paladin en enfer

Par [Chaos]Doohan
Les autres histoires de l'auteur

Chapitre 1

Chapitre 1 : Les terres du nord - Mael

Chapitre 2 : La forêt de Pandyle

Chapitre 3 : Le temple d'Izergh

Chapitre 4 : Alzagure

Il marchait seul. Depuis combien de temps déjà, avait-il quitté la forteresse de Pandémonium ? Une nuit ? deux ou trois ? Il ne se souvenait plus. Les repères, ici, étaient inexistants. Les ténèbres enveloppaient chacun de ses pas comme autant de fantômes et le sol gris, jonché d'ossements, était terne et monotone. Quelques flammes d'âmes damnée brûlaient ça et là, dans lesquelles se trouvait peut-être celle de... Il écarta vivement cette pensée, bien trop douloureuse pour lui.

Le guerrier saint se reposait quand il sentait une trop grande fatigue le gagner, quel que soit le moment dans cette nuit sans fin, et il ne se relevait que quand il était prêt à combattre.

Ses blessures d'avant - peut-être était-ce seulement la veille - le faisaient encore atrocement souffrir. Les griffes aiguisées des engendreurs de démons s'étaient avérées puissantes et acérées.

Il avait cru que l'armure trouvée dans le temple du Zakarum, après la défaite de Méphisto, l'aurait protégé. C'était sans compter sur l'intelligence froide des démons. Ils avaient trouvé les failles à force de frapper et avaient lacéré ses chairs avec toute la violence et la haine qui les habitaient.

Le pire, ça n'était pas ses blessures physiques. Le pire arrivait par vagues dans son âme malade. Le pire était plus ancien. Le pire, il ne pourrait l'oublier.

C'était arrivé dans les plaines de la désolation. Il avait alors un compagnon. Un barbare venu de la lointaine Harrogath pour mettre fin au chaos. La force de l'homme du nord combinée à son pouvoir de concentration leur avait permis de venir à bout de bien des dangers. Lorsqu'il ne se battaient pas, ils discutaient. Seholas riait souvent, se moquant du paladin qu'il disait « chargé comme une bête de somme » par un équipement inutile. Au début de leur rencontre, le paladin supportait mal d'être ainsi ridiculisé. Et puis, le temps aidant, la chaleur de coeur de Seholas et les combats qu'ils avaient menés ensemble les avaient rapprochés. Si le barbare continuait ses railleries, ils en riaient ensemble.

Tout se passait toujours de la même façon. Il rencontrait un aventurier qui, comme lui, voulait voir la lumière triompher. Il se liait d'amitié avec l'homme, la femme malgré les nombreuses différences qui les séparaient. Et tout à coup, un évènement tragique venait les séparer.

Lorsqu'il était encore un jeune apprenti, il ne jurait que par les armes, malgré les reproches réitérés de ses pères spirituels. Il avait finalement suivi la voie de la lumière, développant de puissantes auras, trouvant dans un fanatisme exacerbé la force et la rapidité pour terrasser ses adversaires. Quant aux pouvoirs divins qui auraient pu le défendre... Il n'en avait que faire. Il avait appris à manier le bouclier comme personne, s'en servant comme une deuxième arme, se protégeant des assauts de ses ennemis avec une habileté extrême lorsqu'il avait aidé les armées du fier Leoric.

Son bouclier lui suffisant, Zoguart le paladin n'avait développé que des pouvoirs offensifs, des pouvoirs de destruction.

Après le combat contre les cracheurs de corps, dans la plaine, il s'était assis au pied d'une colonne de pierre grise, avait enlevé son équipement et avait frotté son armure avait frénésie, tentant d'en faire disparaître l'insupportable odeur. Puis il l'avait jetée à terre et abandonnée, se contentant d'une armure moins protectrice.

Le regard vide d'expression, Zoguart avait fixé la cire qui se consumait sur de grands candélabres tordus. Les coulures qui paraient les rebords des bougeoirs étaient les larmes qu'il ne versait pas pour Seholas. Il aurait voulu laisser l'eau salée inonder ses joues, il aurait voulu craquer, se laisser aller à la tristesse, mais il lui semblait qu'il ne pouvait pas, qu'une surprenante sécheresse le condamnait à garder son chagrin avec lui. Il refreinait inconsciemment l'émoi qui ébranlait son âme.

Il n'aurait pu reprendre sa route tout de suite. Parfois, il était des émotions que toute la force de la volonté ne pouvait vaincre. Elles vous mordaient le coeur et ne le lâchaient qu'à force de temps. Que parce que la mémoire s'étiole et se perd - Et la mémoire ne s'efface jamais complètement -. Aucune concentration, aucune réflexion, n'y pourrait jamais rien changer. La raison pouvait tout juste accélérer légèrement le processus d'une guérison toujours imparfaite et longue. Elle n'était qu'un facteur dans le temps, et un facteur au coefficient ridiculement faible.

Avant qu'il ne se lève pour continuer à s'enfoncer dans les entrailles du royaume de Diablo, les épisodes du combat étaient repassé une dernière fois dans la tête du paladin :

Un silence étrange entourait leur progression. Seul l'écho lointain d'une brise parvenait jusqu'à eux, chantant un espoir fragile. La lumière diffuse et irréelle des enfers ne les éclairait presque pas. Les deux hommes étaient sur leurs gardes. Ils regardaient de tous les côtés à chacun de leurs pas, s'attendant à voir surgir un monstre derrière l'une des nombreuses colonnes qui paraient la plaine.

Leur attente fut de courte durée. Alors qu'ils posaient le pied sur un escalier irrégulier et branlant, un groupe de corpulents les attaqua à une vitesse fulgurante. Instinctivement, Zoguart fit appel à la lumière pour faire de son bouclier un rempart infranchissable. Une lumière vive inonda le pavois. Ses contours se firent brillant, son centre translucide, presque transparent. Il eut juste le temps de se protéger derrière quand le premier démon le frappa avec violence. Le paladin perdit l'équilibre et tomba au sol. Un deuxième monstre tenta de le dévorer, le prenant certainement pour un corps inerte. L'épée de guerre, bien que déjà très abîmée, se ficha profondément dans le cou de la bête. Dans un grognement puissant et terrible, le mangeur de corps s'affala au sol, son corps boursouflé perdant instantanément toute consistance. Zoguart se releva alors qu'un troisième corpulent mangeait les restes nauséabonds de son congénère.

Le paladin n'avait pas entendu son compagnon lancer ses cris de guerre, qui d'habitude leur donnaient vitalité et courage. Inquiet, il jeta un rapide coup d'oeil autour de lui, afin de repérer Seholas. Et il le vit. Bien trop tard. Quatre créatures infernales l'encerclaient. Il était à terre. L'un des corpulents couvrait le visage du barbare de ses petites tentacules, les autres donnaient d'inlassables coups de dents à une cadence démente. Les mains vides de Seholas s'agitaient dans l'air en une supplique silencieuse.

Soudain, toute la ferveur de Zoguart s'évanouit. Il resta là, interdit, incapable de réagir. Il n'avait perdu que trop de compagnons et il comprenait seulement maintenant l'intérêt de développer ses défenses : Si elles ne lui servaient pas ou peu, au moins pouvaient-elles protéger ses compagnons.

Alors que Zoguart, atterré, regardait les mains de son amis ralentir leur mouvements fous dans le vide, Une boule immonde faite de restes de corpulent explosa dans son dos. Il chancela à nouveau mais réussit à se rattraper. Il se retourna et, la rage au ventre, le coeur pris dans un étau de douleur, il fonça tête baissée sur le monstre qui l'avait pris pour cible. La ferveur s'empara de lui, son fanatisme exacerbé pour le Zakarum refit surface. Il frappa avec toute la rage dont il était capable.

Zoguart se tournait, se baissait, reculait, tendait son pavois, parant le coup puissant d'un corpulent, frappait, frappait et frappait encore... Bientôt, il ne resta plus qu'un corpulent. Animé par une haine tenace, le paladin marcha vers la bête avec détermination quand le choc terrible arriva.

La créature ouvrit la gueule en grand, faisant passer ses tentacule derrière sa tête en une abominable contorsion, et projeta de toutes ses forces les restes déjà décomposés de Seholas. Zoguart n'eut pas le temps de se protéger derrière l'Héraut de Zakarum et une boue infecte, mélange entre os et chairs putrides, tissu et métal grisâtre le frappa en pleine poitrine, coupant presque sa respiration. Il tomba en arrière.

Horrifié par le mélange visqueux qui s'écoulait sur son armure gothique et qu'il savait être les restes de son compagnon, Zoguart cria toute sa haine, tout son désarroi. Il hurla de terreur.

Malgré la douleur qui lui perçait les poumons, malgré l'odeur nauséabonde qui l'enveloppait, malgré sa peur, Zoguart se releva et terrassa la bête avant de s'écrouler, esseulé, blessé dans sa chair et dans son âme. Le bouclier sacré perdit son pouvoir, la ferveur l'abandonna et l'obscurité, comme le silence, l'enveloppa à nouveau.

Maintenant il marchait en direction du sanctuaire et diablo, il se le promit, ne pourrait rien pour arrêter son bras vengeur.
Des cheminées s'élevaient d'épaisses volutes de fumée. La mer blanche avait couvert le paysage. La nuit était profonde, et la lumière de la lune, voilée par d'épais nuages, n'éclairait pas les monts des terres du nord.

De l'intérieur de la plus grande des huttes, au centre du camp ; le nombre des cris, des rires et des chants déclarait que le banquet organisé avait réuni tous les barbares. De longues tables en chêne supportaient les tonneaux d'hydromel -le nectar des dieux- qui n'avait pas épargné quelques hommes profondément endormis. Au milieu de l'unique salle, un feu gigantesque léchait des pièces de viande supportées par des piques. Debout prêt de l âtre, Vahol, le chef des guerriers du Nord, narrait les exploits de ses hommes lors des dernières batailles. Il justifiait ainsi le choix qu'il avait fait.

L'hiver avait été bien plus rigoureux que tous ceux dont se rappelaient les anciens. Dans les bois, les plantes qui d'habitude résistaient aux intempéries et aux gelées les plus dures de la saison avaient, pour la plupart, noirci. Une odeur étrange entourait tout le village et les vents, bien plus violent que les autres hivers, ne faisaient pas se dissiper le phénomène. Les barbares ne s'aventuraient plus que rarement hors du bourg. Ils vivaient sur les réserves de viande salée faites dans l'année depuis que cinq d'entre eux avaient disparu lors d'une journée étonnement calme et ensoleillée. Les loups étaient devenus plus féroces et n'hésitaient pas, malgré les feux de camps allumés autour du village, à fondre sur les veilleurs. Certains avaient succombés aux attaques, victimes de graves morsures dont la taille n'avait rien de celles laissées par des bêtes ordinaires. D'autres, ayant survécus, dépeignaient des animaux bien plus grands et bien plus puissants que les loups communs.

L'un d'entre eux se rappelait parfaitement de l'assaut auquel il avait failli succomber : Il était de faction au sud du village, scrutant les bois, la lance a hauteur d'épaule, prêt à combattre... Il avait senti, bien avant que l animal ne se manifeste, une odeur de putréfaction. Les effluves étaient ténus mais bien présents. Au fond d'un massif d'arbustes, la sentinelle avait entendu craquer du bois. Tout, ensuite, avait été très vite. Il se souvenait avoir vu les yeux jaunes d'une créature massive. La seconde d'après, elle avait sauté hors du bosquet. La course de l'animal avait été rapide. Le barbare n'avait pas eu le temps d'agir qu'il avait senti des crocs acérés plantés dans ses reins. Ses cris l'avaient sauvé. Les autres gardes avaient accouru et s'étaient, au prix d'une bataille qui avait duré le reste de la nuit, débarrassés de la bête. Ils ne l avaient pas tué, mais le loup avait fui à l'aube. Le lendemain, le récit des veilleurs avait tourmenté la plupart des hommes de la tribu : Un sentiment général de mal-être s'était abattu sur les guerriers pourtant fiers qui peuplaient la montagne du dragon.

Il fallait savoir ce qui arrivait. Un guerrier partirait, et essayerait de comprendre ce qui, dans la forêt de Pandyle, menaçait les terres du nord.

Vahol n'avait pas eut de mal à designer un homme pour cette mission. Celui qui avait été choisi était, au même titre que les autres barbares, courageux, voir téméraire. Mais, et c'était ce qui avait orienté le choix de Vahol, celui-là était plus posé, plus calme et réfléchi que ses amis. Grâce à lui, les hommes du nord avaient inventé de nouvelles techniques de chasses qui se révélèrent bien plus efficaces que les traditionnelles battues auxquelles ils se livraient. Le forgeron du village, sur ses conseils, avait réalisé des outils perfectionnés et résistants. Les questions auxquelles le guerrier soumettait les vieux sages étaient pertinentes et, bien des fois, ils ne purent lui apporter que de vagues réponses. Il cherchait alors lui-même les solutions aux problèmes, pendant plusieurs mois parfois.

L'homme qui partirait ne devrait pas seulement combattre des adversaires féroces comme les loups, il devrait aussi chercher la source du mal, découvrir son origine. Il devrait probablement apprendre beaucoup au cours de son périple. Vahol en était persuadé : Le mal qui les frappait était profond et bien plus inquiétant que les attaques de loup.

Loin du tumulte de la hutte, dans le silence de la nuit, assis sur un rocher, un homme regardait l'étendue noire qui se dessinait devant lui.

Il était grand, comme la plupart de ses compagnons. De longs cheveux bruns entouraient un visage carré mais doux sur lequel une barbe naissante dessinait une ombre légère. Le soleil des monts du nord avait doré sa peau. Un nez droit qu'encadraient des yeux noirs descendait sur des lèvres fines. De larges épaules enveloppaient un corps robuste couvert par un vêtement de cuir tanné.

Demain, il emprunterait le chemin du sud. Cette idée ne l'enchantait guère. Le courage ne lui manquait pourtant pas : Il savait lutter contre ses peurs et avait toujours réussi à y faire face. La mort elle-même ne l'avait jamais fait frémir. Mais il quittait les siens, ceux auprès de qui il avait vu vingt-sept hivers, auprès de qui il avait tout appris, ceux avec qui il avait tant partagé. Sa seule consolation, ce qui le motiverai sûrement, était de partir pour les sauver. Pour ça, il ferait don de son âme.

Il se rappelait son enfance sur les terres du nord. Il n'avait pas dix ans que son père, Renort, avait disparu lors d'une violente tempête.

Par un matin calme, Il était parti avec deux compagnons à la recherche d'un gisement de fer : ceux qu'ils exploitaient déjà n'aurait plus fourni longtemps le métal indispensable. Le blizzard les avait surpris au milieu de la journée. Les deux compagnons de Renort étaient rentrés à la nuit tombée et avait annoncé la disparition du chef.

L'un d'entre eux, le père de Vahol, après qu'un hommage posthume eut été rendu, prit le commandement de la tribu, prétextant que le jeune fils de Renort n'était pas en âge de prendre la tête des guerriers du nord.

Bien plus tard, alors qu'il avait juste seize ans, l'enfant de chef avait réclamé son dû. Il faillit mourir dans les jours qui suivirent sa requête.

Alors que par un soir de printemps, il rentrait dans sa hutte, un homme l'avait attaqué. Ce n'était pas un barbare du village : il les connaissait tous. L'individu avait semblé déterminé à le tuer. En futur chef de tribu, le fils de Renort avait reçu une formation de combat. Il avait réussi à maîtriser l'inconnu après un âpre combat mais n'était pas parvenu pas à lui faire avouer les raisons de son acte.

Cet événement lui avait rappelé la mort de son père. Il s'était demandé comment sur trois hommes partis dans les bois, seul le plus vaillant et le plus habile avait disparu, comment son père qui connaissait mieux que personne la montagne du dragon avait pu s'y perdre et y mourir. Bien qu'il ne réussisse jamais à le prouver, le jeune homme fut persuadé que Renort avait été victime d'un meurtre.

Craignant pour sa vie et pour celle de ses amis proches, il avait annoncé dans les jours qui suivirent l'incident qu'il cédait sa place à Tryfort, le père de Vahol. Il avait néanmoins gardé une haine tenace envers le chef. Cette haine, doublée de la frustration de n'avoir jamais pu démontrer ce qui s'était passé cette nuit là, quand son père avait disparu, l'entraîna à apprendre toujours d'avantage sur les effets et les causes des événements, sur les sciences et sur les hommes. Elle l'avait également poussé à parfaire ses aptitudes au combat à l'épée.

Convaincu que Vahol, encore très jeune lors de la disparition de son père, ne pouvait être aussi mauvais que Tryfort, il ne lui tint jamais rigueur de ce qui était arrivé et le considéra toujours comme le futur chef légitime des guerriers du nord. Il fut soulagé lorsque celui-ci, à ses vingt ans, prit le commandement à son tour.

Dans le dos de l'homme, une voix puissante se fit entendre :

- Mael ! Que fais-tu ? Nous t'attendons ! C'est pour toi que nous sommes réunis ce soir !

- J'arrive Urlaf, je disais au revoir à notre terre. Elle va me manquer...

- Tu nous manques déjà, alors ne gâches pas nos derniers moments ensemble ! Viens boire avec nous, viens t'amuser ! Trankar m'a dit qu'il voulait te parler, suis-moi !

Les deux hommes rejoignirent ensemble le reste du groupe et, se mêlant aux siens, Mael oublia le temps d'une soirée la quête qu'il devait mener.

La fête touchait à sa fin et seul les barbares qui dormaient n'avaient pas regagné leur hutte.

Dans un coin de la demeure de Vahol, Trankar, le forgeron, s'était assoupi sur un banc. Son casque à cornes orné masquait son visage. Une épaisse barbe rousse tressée dépassait du métal. Ses bras puissants se croisaient sur sa poitrine. Mael le réveilla d'une tape amicale sur l'épaule.

- Tu voulais me voir ?

- Ah, Mael ! Oui... Trankar se redressa difficilement. Il ne fallait surtout pas que tu partes avant que je ne te parle.

- Je t'écoute...

- Ton périple risque d'être dangereux et long, tu le sais. L'Est de la forêt de Pandyle est infesté d'Orcs, et à l'Ouest, les elfes la protègent contre toute intrusion... De plus, le mal qui nous frappe vient sûrement de plus loin encore, peut-être de la plaine de Zogart, du plateau d'Erigoth, peut-être même du sud de notre terre, qu'en sais-je ? J'ai donc travaillé pour toi pendant plusieurs jours afin de te fabriquer ce dont tu auras le plus besoin. Viens chez moi, que je te donne un équipement digne d'un combattant.

Les deux hommes traversèrent le camp endormi ensemble, ils saluèrent les deux veilleurs qui avaient renoncé à la fête pour protéger les leurs. Ceux-ci, éprouvés par une nuit de veille, leur répondirent mollement. Le forgeron et Mael arrivèrent et entrèrent dans la bâtisse. L'habitat de Trankar était en fait un immense atelier. Seul le lit et la table sur laquelle étaient éparpillées quelques victuailles signifiaient que l'endroit était habité. Le reste de l'espace était jonché de morceaux de fer, d'épées sans pommeau, de manches en bois, d'outils, de dessins d'armes, de boucliers, de casques et d'armures. Dans un coin, un immense four finissait de consumer quelques braises.

- Je vois que tu as organisé ton atelier ! Ironisa Mael

- Ha ha ! Oui, je trouve tous mes outils en moins de temps que le soleil n'en met pour traverser notre ciel ! Attends, je vais chercher ce que je t'ai réservé.

- Veux tu que je repasse tout à l'heure.

- Ah non, ça, c'est rangé.

Trankar ouvrit un coffre en bois cerclé de métal et en sortit une épée à deux mains, un heaume intégral, une armure en cuir clouté et une ceinture de fer.

- Tiens, voici l'équipement d'un aventurier, Mael

- C'est splendide...

Le jeune homme avait les yeux écarquillés et contemplait avec admiration le travail du forgeron. L'épée semblait briller dans l'ombre de la hutte, le pommeau était large et solide et la garde faisait presque office de gant. Il s'en saisit et l'agita dans l'air, la faisant tournoyer au dessus de sa tête, puis, il l'abattit avec fracas sur le sol.

- C'est extraordinaire, elle à l'air solide comme une hache et elle a la légèreté d'une flèche...

- vingt ans d'expérience et trois jours de travail acharné pour ce résultat... Essaye le reste.

Trankar tendit à Mael l'équipement. Celui-ci l'enfila. Il se porta à hauteur d'un bouclier poli pour s'y regarder. Puis il se tourna vers le forgeron dont les yeux brillaient de satisfaction.

- Tu dois pouvoir traverser vingt fois notre pays avec ça sur le dos, même les ogres du plateau d'Erigoth ne sauraient t'arrêter.

- Je crois que rien ne peut m'arrêter quand il s'agit de sauver les miens de toute façon. Mais avec cet équipement en plus, je me sens... Puissant. Soit mille fois remercié Trankar.

- Reviens-nous vite, ça sera le plus beau des remerciements vieux frère.

- J'y compte bien. Je vais aller me reposer un peu, je n'ai que quelques heures devant moi, je pars au crépuscule, pour arriver le matin à l'entrée de la forêt.

- Très bien, je serais là pour te souhaiter bonne chance, vas-y maintenant.

Les deux hommes se serrèrent et Mael prit congé. Dehors, le soleil dardait déjà ses premiers rayons sur le camp. La tête vide, le jeune barbare regagna sa hutte, s'affala sur son lit de paille et s'y endormi presque aussitôt.

La nuit descendait doucement sur les monts enneigés et au loin, la forêt, immense mer agitée par les vents d'ouest, s'était teintée de orange. Le petit sentier abrupt qui y conduisait serpentait entre les masses sombres, rochers incertains traçant pour Mael la route des pays du sud. A la lueur des torches, les amis du barbare le saluaient une dernière fois de leurs chants, brandissant leurs haches à l'attention des dieux, afin qu'ils protègent l'aventurier. Sur le chemin, l'homme avançait d'un pas décidé, évitant de se retourner, le coeur déjà trop serré mais animé par la promesse d'une réussite.
Le barbare marchait à vive allure, comme si il voulait être rentré avant le matin avec la solution au problème de son peuple. Pourtant, tout était clair dans son esprit : jamais peut-être, il ne foulerait à nouveau ce sentier. Il ne pourrait revenir sans avoir percé le mystère de l'avenir sombre et terrifiant qui planait sur son pays. Perdu dans ses pensées, Mael fit une grande part du chemin qui le séparait de l'étendue boisée de Pandyle sans encombre. Il dû bien, de temps a autre, contourner un sapin déraciné par les vents violents qui s'étaient abattus dans la région depuis le début de l'hiver et escalader par deux fois de grands rochers, mais sa progression fut rapide. Arrivé au sommet de l'un d'eux, il vit enfin l'orée de la forêt, frontière entre le pays du nord et les terres hostiles dans lesquelles peu de barbares s'aventuraient. A sa droite, Il remarqua un terrain plat parsemé d'herbes sauvages. Il y planta un bivouac de fortune et y passa le reste de la nuit. Les quelques heures de repos dont il profita avant le levé du soleil lui furent profitables.

Le lendemain, après deux heures de marche, Mael arriva devant les premiers arbres. La lumière intense de la matinée filtrait à travers les branchages nus, dessinant sur le sol terreux d'étranges formes. L'homme, seul au milieu du sentier, empoigna le pommeau de sa claymore et la brandit devant lui. Le silence qui accompagnait sa marche, les ombres qui se dessinaient au grès des mouvements des chênes balancés par le vent, l'approche du royaume des orcs : tout inspirait au barbare la prudence.

Il arriva à une intersection. A la gauche du chemin, il remarqua un pieu surmonté d'un crâne humain. Dessous, deux épées croisées étaient dessinées à même le sol. Il avait déjà vu ce signe. La seule fois ou il avait pénétré la forêt à la poursuite d'un daim, il avait rencontré deux orcs. Les deux êtres verts s'étaient regardés et avaient poussé un cri de guerre. Ils l'avaient attaqué presque immédiatement. Il avait riposté et s'était battu avec courage. Le combat avait été rude, les ennemis étaient forts. Grâce à ses connaissances en matière d'esquive, Mael réussi à en venir à bout, mais ses blessures avaient mis longtemps à guérir. Il portait encore les stigmates de son combat sur le corps : Une longue cicatrice balafrait sa cuisse gauche, une autre traversait son torse et une troisième couvrait son épaule. Sur le cadavre étendu de l'un des combattants, il avait trouvé une amulette gravée. La gravure représentait deux armes croisées surmontées d'un crâne. Le guerrier ne voulait pas passer par le pays de ces démons verts : La première fois, il n'avait eut que deux créatures à combattre, mais il n'aurait sûrement aucune chance de traverser leur royaume : les orcs seraient beaucoup trop nombreux. Aussi, l'épée toujours pointée vers l'avant, l'homme s'engagea sur la droite.

Au fur et à mesure de son avancée, le chemin se rétrécissait. Il devenait de moins en moins apparent, laissant place ça et la à de l'herbe sauvage, à des arbustes vigoureux. De temps à autre il disparaissait même totalement, comme effacé par la volonté de la nature. Les arbres étaient plus grands, plus denses. Certains, malgré la saison, avaient conservé leurs feuilles et la lumière n'arrivait que difficilement jusqu'au sol, elle semblait moins vive. Les bruits déjà presque inexistants tout à l'heure avaient totalement disparu ici. Mael avait l'impression de s'enfoncer au plus profond et au plus sombre de la forêt.

A l'ombre d'un immense chêne, il cru déceler une présence. Il ne voyait pas clairement, mais des vibrations lui parcouraient le corps. Il s'arrêta, scrutant les alentours de l'arbre centenaire. Ne distinguant rien d'inquiétant, il reprit prudemment sa marche. Le silence fit soudain place à un bruit sourd et étrange. Il emplissait l'espace, comme émanant de toute la végétation. Le barbare n'était pas rassuré, mais il ne reculerait pas : il n'avait pas le choix du chemin à suivre et il n'était pas homme à faire demi-tour. Le bruit se transformait, il devenait plus audible et Mael y distinguait des nuances. La lumière se fit moins intense encore. Le guerrier sentit tout à coup une grande fatigue l'envahir. Son pas se fit hésitant, sa poigne autour du pommeau de son arme moins sûre. Il chancela, se reprit, fit trois pas et tomba. Son esprit était confus, sa vue se brouillait. Dans un effort, il se remit debout, fit encore quelques mètres péniblement puis s'écroula à nouveau, incapable de bouger. Les derniers rayons lumineux disparurent. L'obscurité le gagna.

Quant il revint à lui, Mael n'en cru pas ses yeux. Partout autour de lui, une lumière bleue intense éclairait le royaume des elfes. Des habitations faîtes de bois et de pierre finement taillée étaient accrochées aux arbres immenses qui l'entouraient. Des créatures, mi-papillons mi-vers luisants volaient ça et là, à la recherche de quelque fleur ouverte. Des oiseaux au ramage multicolore, comme autant de musiciens, donnaient un concert improvisé. Des centaines d'elfes animaient ce décor féerique. Ils étaient grands et fiers. Beaucoup portaient un arc à double courbure sur le dos. Au centre du lieu, sur ce qui faisait office d'agora, quelques-uns d'entre eux débattaient passionnément, ne prêtant pas une seconde d'attention au barbare. Devant lui, se dressaient des barreaux en bois solide. Mael se risqua à attirer l'attention :

- Oh ! Pourquoi suis-je enfermé ici ! Répondez !

Au loin, un elfe se retourna :

- Ah, mais on dirait que notre ami est réveillé. Viens Shani, allons voir le captif !

L'individu qui avait prononcé ces paroles semblait fort, on eut dit un jeune chef. L'elfe qui le suivait paraissait dotée d'un charisme hors du commun. Quand les deux êtres s'approchèrent, le barbare fut frappé par le charme qui se dégageait de Shani. Elle était petite. Sa robe verte avait pris la forme de ses courbes harmonieuses. Deux petits seins pointaient discrètement sous le vêtement. Son visage était envoûtant : un petit nez droit surmontait une bouche suave et sensuelle. L'on pouvait se perdre au fond de son regard vert clair. Mael n'en était pas sûr, mais par deux fois, il avait cru apercevoir un reflet argenté passer dans les yeux de Shani. Des cheveux bruns longs descendaient dans son cou et se perdaient dans le tissu de ses habits. Ils étaient retenus à hauteur du front par un ruban sur lequel une émeraude brillait. Jamais il n'avait été donné à Mael de contempler aussi belle créature.

- Bonjour jeune barbare ! Je suis Ypartas, celui qui veille sur la communauté. L'elfe, arrivé à hauteur de la cage avait parlé fort, comme pour que Mael détourne son regard de Shani. Celui-ci lui fit face :

- Pourquoi m'avez-vous enfermé ? Savez-vous seulement quel temps précieux je perds ici ! ?

- Du calme barbare ! Tu as emprunté le chemin de notre royaume et personne ne peut traverser notre forêt impunément.

- Votre forêt ? Votre... Mais la forêt n'appartient à personne ! Vous y vivez si vous voulez, mais en quel honneur je n'aurais pas le droit de la franchir ? Les tribus de la montagne du dragon n'ont elles pas l'autorisation de se rendre dans le sud ?

- Cette partie de Pandyle nous appartient, quoi que tu en penses. Et nous n'aimons pas beaucoup votre peuple... Depuis des centaines d'années nous le voyons progresser sur les arbres, les abattant pour en faire des huttes, des armes et des outils. Vous détruisez tout et les esprits se plaignent à nous.

- Mais il faut bien que l'on vive ! Comment cultiver la terre sans outil ? Comment nous défendre contre les loups sans arme ? Comment faites-vous vos arcs ?

- C'est la forêt qui nous donne le bois nécessaire. Nous n'avons pas à abattre les arbres, il suffit de savoir lui parler.

- Nous ne savons pas. Ecoutez, aujourd'hui l'heure est grave pour mon peuple. Je ne suis pas venu dans le but de détruire la forêt, je veux juste continuer mon chemin.

- Les barbares sont en danger... mmh... Ce n'est peut-être pas un mal après tout...

Mael ne réussit pas à refreiner la colère qui grondait en lui, il se lança sur les barreaux de sa prison et les agita frénétiquement.

- Ne te fatigue pas, le bois qui sert à faire les cages est plus solide que le métal de vos haches et quand bien même tu réussirais à le briser, tu n'irais pas loin. Ypartas se retourna vers l'elfe délicieuse qui l'avait accompagné : Il est à toi, Shani.

La jeune elfe qui avait écouté avec attention le dialogue entre les deux individus s'approcha de Mael. Elle le regarda avec intensité. Le barbare ne pouvait détourner son regard des yeux verts aux reflets argentés. Une agréable torpeur l'envahie. Shani entra dans la cage. Sa main fine vint caresser la joue du barbare. Ses lèvres s'entrouvrir et une voix douce enveloppa Mael :

- Tu es beau jeune guerrier et ton discours semble emprunt de générosité. Tu ne ressembles pas aux hommes du nord. J'espère que les réponses que tu apporteras sous l'effet de mes sorts n'iront pas à l'encontre de ce que tu as dit tout à l'heure. . L'elfe posa deux doigts sur le front de Mael et proféra des incantations dans une langue que le barbare ne connaissait pas. Le décor qui l'entourait se dissipa, laissant place à un paysage encore plus surprenant. Le guerrier flottait dans l'air. Il était entouré de silhouettes mal définies dont les couleurs vives contrastaient avec le gris du ciel. Il reconnu, au milieu des formes, celle si particulière de Shani.

- Tu te trouves dans le monde de nos esprits, n'aies pas peur, nous ne voulons de toi que la vérité. Qui es-tu ?

- Je suis Mael, guerrier du nord, descendant de Renort, celui qui, jadis, entreprit de fonder un royaume sur les flancs de la montagne du dragon.

- Que cherches-tu dans la forêt de Pandyle ?

- Je cherche la source du mal qui a frappé les miens depuis le début du grand hiver.

- Quel est ce mal ?

- Des loups étranges nous attaquent presque toutes les nuits.

- Existe-t-il une autre raison à ton périple ?

- Non.

- Pourquoi avoir emprunté le chemin qui conduit jusqu'à nous ?

- Parce que je ne connais que deux chemins et que le deuxième est infesté d'orcs.

- Tu sais que le mal qui vous menace est important ? Bien plus que les quelques démons loups qui vous harcèlent.

- Je le ressens.

Quand il prononça ces derniers mots, Mael se trouva aspiré vers le bas. Les formes se dissipèrent à nouveau et le royaume des elfes se concrétisa autour de lui. Shani était là, assise à ses côtés, la tête dans les mains. Ypartas se tenait debout dans la cage dont la porte était entrouverte. Le barbare le fixa du regard :

- Qu'avez vous fait de moi ?

- Rien, tu as juste répondu à nos questions avec ton coeur.

- Et elle, pourquoi semble elle si loin de nous et si fatiguée ? Mael désignait Shani de la tête.

- Faire appel aux esprits pour tester les sentiments des hommes réclame beaucoup d'énergie, elle est encore parmi eux. Elle reviendra à nous plus tard. En attendant, je crois que nous en savons assez sur toi. Tu n'es pas un homme ordinaire, Mael. Il faut être courageux ou fou pour tenter ce que tu as entrepris. Les elfes de la forêt t'aideront. Nous t'apprendrons à communiquer avec les anciens et à utiliser notre magie.

- Mais je n'ai pas de temps à perdre !

- Le choix t'appartient désormais. Tu peux décider de partir tout de suite et de mourir sous les coups des puissances ténébreuses ou bien de t'aguerrir ici pour avoir une chance de sauver les tiens.

Mael réfléchit. Certes, l'aide des elfes de la forêt pouvait se révéler précieuse. N'avait-il pas, sans pouvoir lutter, sans même les voir, succombé à leur sort ? De plus, il n'avait aucune idée de la nature du danger qui menaçait sa tribu. Ypartas, lui, semblait savoir de quoi il retournait. Mais ses compagnons étaient en péril et chaque nuit qu'il laisserait passer serait un coup de plus assené à leurs défenses précaires. Le choix n'était pas facile mais la voix sourde de sa conscience décida Mael : Je ne les servirais pas mieux si je me hâte de mourir. Il annonça :

- Je resterais quelques temps avec vous, Ypartas. Merci de votre aide.

- Oh, je n'y suis pour rien. Il faudra remercier Shani, c'est elle qui révèle le coeur des personnes.

Mael resta plusieurs jours parmi les elfes. Ceux-ci l'aidèrent. Ils lui apprirent à communiquer avec les esprits de la forêt, ils lui apprirent l'agilité et la clairvoyance.

Il prit plaisir à découvrir leurs coutumes millénaires. Il apprit beaucoup au contact des plus vieux - bien que l'âge n'était pas un facteur important de leur vie-. Ils avaient une science de la nature bien plus développée que celle des hommes de son village. Mael les écoutait sans jamais les interrompre, essayant d'emmagasiner le plus de connaissances possibles.

Ce furent ces individus plusieurs fois millénaires qui lui apprirent la magie elfique. Ypartas en faisait partie. Il répéta souvent à Mael combien il était impressionné par sa capacité à se concentrer et à apprendre.

Au contact des défenseurs du royaume, il apprit à reconnaître les arbres les plus souples, à demander avec l'humilité nécessaire aux esprits de la forêt le bois dont il pouvait avoir besoin. Les elfes lui enseignèrent comment en faire des arcs. Ses premiers essaies furent soldés par des échecs : Les armes qu'il avait faites avaient une portée ridiculement faible, à peine de quoi envoyer une flèche à quarante pas. Mais, à force de patience, à force, aussi, d'une écoute attentive, il finit par réaliser des arcs à poulies aussi redoutables que ceux des elfes. Il s'exerça au tir sur des cibles de paille tressée. Ses aptitudes naturelles lui permirent de devenir rapidement un très bon archer.

Entre ces séances d'apprentissage, Mael partageait la vie ordinaire des elfes. Il les aidait à la construction de maisons dont les matériaux principaux étaient le bois et la pierre blanche d'une grande carrière, à la construction d'édifices dédiés aux esprits de la forêt. Il prenait plaisir à raconter les histoires qu'on lui avait narré, à écouter chanter des choristes aux voix profondes et chaudes, à se promener seul entre les arbres immenses, à s'asseoir sur un banc pour simplement profiter de la douceur de vivre.

Un après midi, alors que, avec une dizaine d'elfes, Mael avait entreprit d'achever la pose d'une statue de pierre en l'honneur d'Ypartas au centre du royaume, il avait entendu l'un d'entre eux dire qu'il faisait partie de leur grande famille et que les portes du royaume lui seraient toujours ouvertes. Touché, Mael n'avait su que répondre. Il s'était imaginé vivant dans la forêt, partageant les joies et les peines d'individus qu'il commençait à bien connaître, qu'il appréciait particulièrement. Bien sûr, il ne resterait pas dans la forêt, il ne pensait que trop souvent à son clan... Et à la menace qui planait sur les terres du nord.

Souvent, le soir, après avoir copieusement dîner (Il ne se rappelait pas avoir aussi bien manger dans la montagne du dragon), Mael retrouvait Shani. Ils discutaient parfois des heures, passionnés par leurs débats aux sujets variés. Il arrivait régulièrement au barbare de désirer Shani plus qu'il n'aurait bien voulu l'admettre, mais, et peut-être était-ce les différences qui se révélaient lors de leurs discussions qui le retenait, il gardait pour lui les sentiments qui l'animaient. De son côté, Shani, bien que proche de lui, semblait freinée par quelque obscure raison.

Puis, un soir, alors qu'elle savait son départ proche, elle l'appela. Ils s'éloignèrent ensemble du royaume, Mael suivant l'elfe dans un dédale végétal qu'elle semblait connaître parfaitement. Au milieu des lianes et des branchages, Shani se déplaçait avec vivacité, ne s'arrêtant que pour attendre son compagnon. Au bout d'une heure de marche au travers d'étroits sentiers, ils arrivèrent à l'orée d'une vaste clairière. Au centre de la prairie coulait un ruisseau qui s'élargissait en un étang. Les vestiges d'un temple couvert de plantes grimpantes entouraient l'eau. Au fond de l'endroit, éclairée par la lune brillante de ce soir d'hiver, une statue se dressait, majestueuse. Elle représentait une reine habillée d'une longue toge et coiffée d'une couronne. Shani se retourna vers le barbare :

- Je te présente Helena, Mael. Celle qui se sacrifia pour libérer les peuples du monde.

- Quelle splendeur ! Cet endroit est magique.

- Tu ne crois si bien dire. C'est ici que nous finissons d'apprendre la magie elfique.

- Raconte-moi l'histoire de cette femme, Shani.

- C'était il y a fort longtemps, bien avant que ton peuple ne s'installe dans les montagnes. J'étais toute jeune. Blackmort, l'empereur des mondes du dessous, décida d'investir les pays de la surface. Pour ce faire, il corrompit trois des plus puissants mages du temple d'Izergh : Ozahir, Frahir et Astragore. Ceux-ci apprirent les magies noires et pendant plus de cent ans, ils restèrent enfermés dans le royaume inférieur. Une fois leur formation de nécromanciens achevée, Ils réveillèrent trois puissants guerriers. Le premier à se lever des abysses fut Zoguart, chevalier des ténèbres, bras droit de l'empereur. Le deuxième fut Plaguenir, cavalier qui commande aux hordes noires. Enfin, ils créèrent Orgaril, gardien des trois sceaux. Blackmort fit ensuite capturer Zadarkane, le plus puissant des dragons noirs, qui connaît les langages du monde. La magie des nécromanciens vint à bout de la volonté du dragon. Il devint l'un des sept serviteurs du seigneur noir. Mené par Zoguart, le groupe ainsi composé investit notre monde par le sud-est. Il fit tomber, l'une après l'autre, les villes et les citadelles humaines qui peuplaient la plaine d'Izergh ne laissant sur leur passage que ruines et désolation. Ils remontèrent ensuite vers la forêt de Pandyle. Les elfes se battirent vaillamment, mais les vassaux du seigneur noir étaient bien trop forts et beaucoup d'entre nous périrent. Alors que nous croyions tout espoir perdu, une femme venue du temple d'Izergh, qui se présenta sous le nom d'Helena nous révéla qu'elle pouvait détruire les démons. Elle voulait venger les trois mages dont les âmes avaient été volées par Blackmort. Elle demanda aux elfes encore en vie de se fondre dans la forêt et d'éviter le combat afin que les sept arrivent jusqu'aux monts du nord. Nous l'écoutâmes et nous nous cachâmes en cet endroit. Quand les créatures des abysses arrivèrent aux frontières des monts, une boule d'énergie immense inonda les cieux et une onde de choc terrible traversa toute la forêt. Helena, la plus grande des sorcières de ce monde, dans un sacrifice ultime, avait utilisé un sort connu d'elle seule, détruisant tous les serviteurs de Blackmort dans un souffle de feu. Nous érigeâmes ce sanctuaire en son honneur. A l'intérieur de celui-ci, nous enfermâmes les seuls vestiges trouvés sur les lieux de l'affrontement : L'armure de Zoguart, le pavois de Plaguenir, l'amulette d'Astragore et la couronne d'Helena. Les hommes réinvestirent le milieu du pays et rebaptisèrent cette partie du monde la plaine de Zoguart pour ne jamais oublier. Les elfes reconstruirent leur royaume au plus profond de la forêt.

- Et les orcs ? D'où viennent-ils ?

- Les orcs ont été créés par Blackmort. Dans sa folie de destruction, il tenta un nouvel assaut en envoyant ces créatures sur le pays encore convalescent. Avec l'aide des hommes du sud, nous les repoussâmes facilement. Certains d'entre eux fuirent à l'ouest de la forêt. Ils l'habitent toujours.

- Pourquoi m'as-tu fait venir ici Shani ?

- Pour plusieurs raisons. D'abord, je voulais que tu connaisses cette histoire. Ensuite, je sais que ta quête sera un échec si tu ne te bats pas avec les mêmes armes que tes adversaires. Je suis la gardienne de ce temple, et, en cette qualité, je vais te faire pénétrer la crypte pour te donner les vestiges des sombres guerriers. Enfin, il faut que je t'avoue une chose Mael. Ypartas a soigneusement évité de te le dire, il avait peur de te décourager. Le mal qui a frappé ton peuple ressemble à celui qui ravagea notre monde il y a si longtemps, en beaucoup plus inquiétant. Blackmort a réveillé ses sept anciens compagnons, mais d'autres créatures sont venues grossir les rangs de son armée. Il y a maintenant quatre dragons noirs menés par Zadarkane et je présage que ce n'est pas le seul nouvel atout du maître des mondes du dessous. Avec les années, il a su devenir patient et s'il attaque aujourd'hui, c'est que ses guerriers sont devenus bien plus puissants que lors de sa défaite. Des elfes sont partis prêter main forte aux soldats de la citadelle de Bonhort, mais leurs chances de repousser les hordes noires sont minces. Mael, ce n'est pas les hommes du pays du nord que tu dois sauver, c'est notre terre.

- Je ne connais pas la peur. Je trouverais le seigneur noir, dusse-je parcourir tout l'empire du dessous. Je le tuerais.

- Tu n'as pas beaucoup de chances de réussir, c'est même une mission folle que la tienne, mais nous ferons tout pour que ta quête soit un succès, tu ne seras jamais seul... Mael ?

- Oui, Shani ?

- Il y a une autre raison.

- Comment ?

- Je t'ai amené ici pour que nous soyons seuls. Je ne me l'explique pas, mais tu me troubles. J'ai compris une chose, elle ne m'est apparue qu'hier...

L'elfe n'acheva pas sa phrase : Il y avait bien plus parlant pour expliquer ce qu'elle avait compris. Un bref instant, le barbare entrevit dans le regard de Shani une lueur argentée. Celle-ci s'approcha doucement. Elle posa ses mains sur la taille de Mael, le vert de ses yeux se changea à nouveau en argent, elle lui offrit ses lèvres. Mael l'enveloppa de ses bras. Sous la robe de l'elfe, il découvrit une peau dont la douceur lui était encore inconnue. De ses mains il parcourut les courbes harmonieuses de son corps, s'attardant en certains endroits quand il sentait la respiration de Shani s'accentuer. Ses lèvres déposèrent dans le cou de l'elfe les plus subtils baisers. Il sentait les doigts experts de l'elfe répondre à ses caresses, s'aventurant en mille endroits délicieux. Les vêtements des deux être glissèrent sur l'herbe verte et fraîche. La bouche et la langue de l'elfe se frayaient des chemins osés sur le corps de Mael. Chacune de ces explorations le rendait plus fougueux. Dans la tiédeur humide de la clairière, les corps s'enlacèrent et les deux êtres s'abandonnèrent l'un à l'autre jusqu'au matin.

Munis d'une torche, Shani et Mael s'engouffrèrent dans le couloir obscur qui menait au tombeau. Leurs pas résonnaient contre les parois en pierres lisses du lieu. Ils arrivèrent devant une porte cerclée de symboles elfiques sculptés. L'elfe prononça quelques mots et dans un grondement, la porte s'effaça, laissant place à une pièce gigantesque. Les murs étaient ornés d'inscriptions et de sculptures représentant le combat entre Helena et les forces ténébreuses. Sur un autel dressé au milieu de la salle, reposaient les reliques, vestiges d'une guerre sans nom. Shani présenta les objets de la main :

- Ils sont à toi désormais. Equipe-t'en.

- Qui a pu forgé de telles pièces d'armure ?

- On dit qu'elles ont été forgées par Orgaril le gardien, dans les feux crachés par Zadarkane en un lieu baigné de magie. Mais...

Les yeux de Shani s'agrandirent et ses sourcils se froncèrent. Son regard exprima soudain la plus vive anxiété. Elle couru jusqu'à l'autel et tourna frénétiquement autour du bloc de pierre massif. Mael, décontenancé par un tel changement d'humeur, resta silencieux. Quand l'elfe arrêta de tourner, son visage s'assombrit d'avantage encore. Elle parla doucement, d'une voix atone :

- L'amulette des morts n'est plus là...

- Quoi ? l'amulette du nécromancien ?

- Oui... Elle a disparu. Cet endroit est pourtant tenu secret, il est inviolable.

- Si le sanctuaire n'a pas été forcé...

- ... Alors quelqu'un qui connais notre magie s'est introduit ici.

- N'y a t'il pas un autre moyen d'ouvrir le tombeau ?

- Non, pas que je sache.

Alors que Mael et Shani se perdaient en théories pour expliquer la disparition du talisman, des flammes jaillirent du sol et s'éteignirent aussitôt. A l'endroit où le feu s'était déclaré, une inscription en lettres noires apparue : La magie des forêts n'a pas de secret, Astragore. L'elfe, l'air absent, annonça :

- Astragore... Le premier des mages à avoir sombrer. Il est venu jusqu'ici et je ne l'ai pas ressenti. Il est devenu puissant avec le temps.

- Ne t'inquiète pas Shani, c'est un grand mage mais j'en viendrais à bout.

- Pour en venir à bout, Mael, pour détruire n'importe lequel des guerriers de Blackmort, il faut posséder une arme des abysses. Les autres moyens ne sont pas complètement inefficaces, mais tes chances de tuer l'un des sept avec ton épée sont minimes.

- Ai-je le choix ?

- Oui. Dans le temple des mages d'Izergh, vit l'un des anciens qui a vécu la première invasion. J'ai entendu parlé d'une légende. D'une épée des abysses perdue par Zoguart. Il sait où elle se trouve.

- Alors je dois partir le plus tôt possible pour le trouver, le temps nous est compté.

- Tu as raison, Mael. Equipe-toi des reliques, tu partiras demain.

Lorsqu'elle dit ces mots, la voix de Shani faiblit. Son regard brilla à la lueur de la torche. Puis, en elfe courageuse, elle refreina ses sentiments, les enfouissant au plus profond de son âme. Mael enfila l'armure ancienne et constata qu'elle était bien trop grande et bien trop lourde pour lui :

- Le guerrier qui l'a porté est géant !

- Zoguart ? Oui, ce n'est pas un guerrier ordinaire, c'est un démon des abysses : un chevalier revenu d'entre les morts.

- Je ne peux porter cette armure...

Alors que le barbare avait déjà entreprit de retirer les gantelets noirs qui couvraient ses mains, l'armure émit un rayonnement violet. Les rayons, comme vivants, couraient le long du métal et à mesure qu'ils progressaient, Mael sentait le fer froid se serrer sur son corps. Le phénomène dura jusqu'à ce que l'étrange équipement s'ajuste parfaitement sur le guerrier. Enfin, sur le plastron, apparu en lettres de feu le nom de l'homme du nord. Mael, les yeux écarquillés, demanda :

- Quel est ce sortilège ?

- Je ne sais pas... Je ne connais pas tous les pouvoirs du monde du dessous. C'est extraordinaire. On dirait que l'armure t'a... adopté.

- Il n'y a pas que la taille et ces lettres qui brillent de mille feux, Shani. J'ai l'impression d'être bien plus fort qu'avant.

Le barbare sentait une force qui lui était encore inconnue investir ses muscles. Les pièces métalliques qu'il avait du mal à porter l'instant d'avant ne semblèrent pas, tout à coup, peser plus lourd que son habit de cuir. Il entreprit, pour vérifier, de déplacer l'autel qui se dressait au centre de la pièce. Arrivé à sa hauteur, il l'entoura de ses bras, se concentra et poussa la pierre. Il réunit toute sa volonté et réussit, dans un effort surhumain, à ébranler le roc puis à le déplacer. Il s'adressa à l'elfe :

- Si tous les équipements des seigneurs noirs ont ce genre de pouvoir, je comprends qu'ils puissent venir à bout de peuplades entières. Mais que ce métal est froid. Je suis glacé.

- C'est étrange. Je ressens aussi le froid qui se dégage de l'armure. Elle semble traversée par une sorte de... Flux. Prend le pavois et partons d'ici.

- Oui, allons-y. L'heure n'est pas aux questions.

Mael prit le pavois. Celui-ci émit la même lumière que l'armure. Les sangles de cuir du bouclier se serrèrent sur son bras. Le barbare et l'elfe quittèrent le temple. Dans la clairière régnait la quiétude. Shani prit la tête de l'équipée et s'enfonça entre les arbres de la forêt.

Alors qu'ils progressaient rapidement sur le chemin, l'obscurité gagna à nouveau les deux êtres. Soudain, Shani sauta hors du sentier. D'un geste de la main, elle invita Mael à en faire autant. Celui-ci, bien que surpris, la rejoignit. L'elfe, remarquant l'air décontenancé du barbare, lui adressa un regard sévère et chuchota à son oreille :

- Je croyais que tu avais appris la clairvoyance, Mael.

- On me l'a enseignée oui...

- Et tu ne ressens rien ?

- Si, j'ai sentit des vibrations, mais... ont-elles une signification ?

- Je crois que tu vas rester encore un peu de temps chez nous. Ca n'est pas pour me déplaire. Shani lui adressa un sourire charmeur. Les vibrations que tu ressens ont toutes une signification. Chaque sensation que tu éprouves à un sens. Celle que je ressens là est étrange.

- Je n'ai pas encore les mêmes facultés que toi Shani.

- Mmh... Ca viendra. Des orcs approchent. Ils sont quatre et ils marchent vite.

- Mais je croyais que le royaume des orcs s'étendait à l'est de la forêt...

- C'est bien pour cela que je trouve étrange de ressentir leur présence. Taisons-nous, ils arrivent.

Les créatures apparurent au bout du sentier quand Shani acheva de parler. Ils étaient armés de haches. Lorsqu'ils arrivèrent à hauteur des deux compagnons, ils ralentirent leur allure jusqu'à stopper leur course. Ils humèrent l'air, se rapprochant des deux êtres cachés. Mael, sentant monter en lui une colère incompréhensible et irrépressible, sortit de sa cache. Il brandit sa claymore et fondit sur les créatures. Les orcs eurent peur un instant, puis, leur esprit combattant reprenant le dessus, ils ripostèrent. L'elfe fit appel aux esprits de la forêt. Du sol poussiéreux du chemin, surgirent des racines qui vinrent s'enrouler autour de la jambe d'un orc. Elles l'enfoncèrent doucement dans le sol malgré ses efforts pour se dégager de l'étreinte. Les autres abattirent leurs armes sur l'homme en armure noire. Il esquiva une partie des coups et frappa les guerriers de son épée. Le premier coup qu'il assena traversa l'armure en cuir tanné de l'une des créatures et pénétra profondément dans la chair. Les efforts des orcs redoublèrent quand ils virent leur compagnon tomber, mais les coups qui pleuvaient sur le barbare ne semblaient pas l'atteindre. L'une des haches toucha le pavois, elle se désagrégea et tomba en cendres volatiles. En peu de temps, trois guerriers girent à terre, affreusement mutilés. A la place où se tenait le quatrième, un trou béant et noir comme le ciel une nuit sans lune s'enfonçait dans la terre. Shani sortit des buisons et cria à l'adresse de Mael :

- Mais tu es fou ! Qu'as-tu fait ?

- Ils nous avaient repéré, il fallait les combattre !

- Qui te dit qu'ils allaient nous attaquer ? Ils avaient l'air terrorisé.

- J'ai déjà croisé ce genre créature, elles m'ont attaqué immédiatement. Les orcs sont mauvais !

- Pas forcement ! pas tous ! Que t'es t'il arrivé Mael...

- Je ne sais pas. Ma première expérience face à eux s'est très mal passée, j'en porte encore les traces. J'ai sentit une colère sourde m'envahir, je n'ai pas résisté.

- Cela ne fait rien, essaye de refreiner tes pulsions guerrières la prochaine fois. Tu es blessé ?

- Non. Je n'ai même pas senti leur arme, c'était comme si chacun de leur coup était dévié avant même de toucher l'armure. Quant au bouclier... Il a le pouvoir de détruire les armes de mes adversaires.

- C'est extraordinaire. La magie des mondes du dessous est réellement terrible.

- Allons-y, nous n'avons pas de temps à perdre.

Ils repartirent sans parler et arrivèrent bientôt chez les elfes. Ypartas les accueilli chaleureusement. Il contempla un instant Mael dans son nouvel équipement, puis, il s'adressa à Shani :

- Un messager est venu pendant votre absence. Il venait de la citadelle de Bonhort.

- La bataille est engagée ? demanda Shani avec anxiété.

- Pas encore, non. La plaine de Zoguart à l'air paisible.

- Mais les esprits nous ont prévenu de l'arrivée imminente du danger. Comment se fait-il que rien ne se passe ?

- C'est troublant, en effet. Mais qu'y pouvons nous ? Nous nous tiendrons sur nos gardes, voilà tout. Ypartas se tourna vers le Barbare en armure :

- Mael, nous avons discuté à ton sujet et nous avons pris une décision : Nos défenses ici sont très réduites depuis que nous avons envoyé un groupe d'archers aider les humains de Bonhort. Malgré tout, nous nous devons de t'aider du mieux que nous pouvons : tu es peut-être celui qui sauvera ton peuple. Ainsi, le conseil du royaume a décidé qu'une licorne t'accompagnerai.

- Une licorne ? Je croyais que cet animal était un mythe, une sorte de légende qui avait survécue aux âges.

- Nous savons conserver les secrets les plus précieux. Voici ta monture, Mael.

Du chemin qui menait aux premiers habitats du royaume surgit la licorne. La créature était plus grande que les chevaux montés habituellement par le barbare. Sur son cou descendait une crinière longue et épaisse. Son front fièrement dressé supportait le poids d'une longue corne en forme de spirale. Sa robe blanche immaculée contrastait merveilleusement avec le noir profond et brillant de ses yeux. Elle se déplaçait avec une élégance irréelle. Quand elle arriva à hauteur du barbare, elle baissa sa tête vers lui comme pour signifier qu'elle savait avec qui elle allait voyager dorénavant. Le barbare remercia une nouvelle fois Ypartas.

- C'est la moindre des choses, Mael. Je vois tout ce qui se passe dans notre forêt et je sais que Shani t'a parlé de la menace qui nous guète tous. Je ne sais si elle a bien fait, mais autant tout faire pour t'aider. L'elfe, après avoir salué l'homme, dit à Shani : Au fait, Esperial va bien. Il t'a adressé un message écrit. Tu le trouveras chez toi. Il s'éloigna.

- Qui est Esperial ? demanda Mael.

La jeune elfe, le regard posé sur la licorne, répondit à demi-mot :

- Un archer de notre communauté.

- Et... C'est tout ? pourquoi tu n'as pas reçu autant de messages qu'il y a d'elfes sur les remparts de la citadelle du sud ?

- Je le connais bien. Mais je t'en prie Mael, ne parlons pas de ça. Je vais voir ce message, rejoins-moi chez moi.

- Où est-ce ?

- Tes sens, Mael, tes sens... Fais appel à la forêt ! Retrouve-moi si tu y arrives.

Shani quitta le barbare, la tristesse peinte sur son visage désolé. Il sentit un profond désarroi le gagner. De la petite elfe qui avait parue si radieuse et si proche de lui dans la clairière, il ne voyait plus qu'un morne reflet. Il ne comprenait pas comment, en si peu de temps, Shani avait pu changer autant d'attitude. Où plutôt, il s'interdisait de comprendre le sens véritable de ce changement d'humeur. Voyons, Mael, ne soit pas aussi naïf, tu sais ce que représente Esperial, ne refuse pas l'évidence lui dictait sa raison. Une autre voix, plus profonde, moins insistante prit la parole dans son esprit : Et si c'était son frère ? Un parent ? Un ami... Juste un ami. Il oublia vite cette deuxième voix : pour la première fois, il fit appel à ses sens et écouta la forêt. Elle lui dit tout ce qu'il voulait savoir, tout ce qu'il redoutait d'apprendre. Je te retrouverais chez toi Shani et alors peut-être m'expliqueras-tu. Le barbare donna une tape amicale sur l'encolure de la licorne et la mena sur l'agora. Il demanda à l'un des elfes qui l'avaient formé de veiller sur l'animal. Il appela de nouveau la forêt à son secours et, lumineux comme le matin sur la clairière, en une myriade d'étoiles scintillantes, le chemin qui menait à la demeure de Shani apparu sur l'herbe humide. Alors que le barbare s'engageait sur un escalier de bois qui contournait un chêne immense, une voix se fit entendre dans son dos. Ypartas, au bas des marches, demanda à Mael de venir auprès de lui. Le guerrier en armure descendit. Le chef des elfes lui dit qu'il savait ce qui c'était passé dans la clairière entre lui et Shani. Il lui révéla ce que Mael savait déjà : le lien qui existait entre Esperial et l'elfe au regard baigné d'une lumière argenté. Le barbare répondit :

- Je sais cela Ypartas, vos esprit m'ont ouvert leur porte.

- Content que la clairvoyance fasse à présent partie de tes dons, Mael. Désolé que les esprits t'aient appris ça.

- Non, ypartas, c'est moi qui suis désolé. Profondément désolé... Je vais rejoindre Shani, je veux l'entendre de sa bouche.

- Attends. Quand elle verra que tu sais, jamais elle n'osera te demander ça. Moi je le fais pour ma communauté : Retrouve Esperial sur les remparts de Bonhort et dis lui que c'est ici que nous avons besoin de lui, qu'il doit rentrer.

- Que je lui dise...Mael avait l'impression qu'il n'avait pas pu entendre une requête aussi directe sur un tel sujet. Te rends-tu compte de ce que tu me demandes Ypartas ? Sais-tu au moins ce que j'éprouve ? Et même si je le voulais, comment trouverais-je Esperial ?

- Oh ça, ça n'est pas difficile ; Esperial porte un anneau gravé du nom de son aimée. Je sais que c'est dur, Mael, crois-moi. Mais tu oublieras vite Shani, tu la connais depuis si peu de temps... Et puis, je connais la bonté qui t'habite. Fais-le, je t'en prie.

Mael, abattu par la confirmation de ce qu'il éprouvait ne pu répondre à Ypartas. Il se contenta d'accéder à la requête du jeune chef par un signe de tête rapide. Il se retourna et gravit les marches qui le séparaient de la demeure de Shani, plus abattu que quand il avait dû se résoudre à quitter ses compagnons. Devant la porte en bois, Mael hésita un instant. Il ne savait pas s'il devait entrer. Le doute l'avait submergé tel les vagues de haute mer déferlant sur un frêle esquif. A quoi lui servirait-il d'entendre à nouveau que le coeur de l'elfe était déjà prit sinon à souffrir d'avantage. Le barbare sorti un poignard de sa ceinture et grava sur le palier de bois : J'ai trouvé, le chemin et le reste. Puis, alors qu'il faisait demi-tour, la porte s'ouvrit sur Shani. Elle lui demanda d'entrer chez elle. A contrecoeur, Mael franchit le seuil de la demeure.

C'était une habitation chaude et ouverte. Comme dans tout le royaume, le bois était omniprésent. Il était couvert par endroit de tissus finement décorés. De grandes fenêtres circulaires donnaient sur de magnifiques vues : ici, un arbre probablement centenaire derrière lequel les rayons du soleil couchant venaient mourir chaque soir, là, l'agora sur laquelle les elfes se rencontraient pour discuter, là encore, la fontaine aux reflets indigo dans laquelle coulait l'eau de la nuit des temps, source intarissable et réparatrice, remède de bien des maux. La maison semblait ouverte sur le monde, comme Shani l'avait été pour Mael. L'elfe s'était confortablement assise dans un canapé, au milieu de coussins décorés avec goût. Elle semblait éviter sciemment le regard du barbare et faisait jouer nerveusement ses doigts fins, incapable de se contenir. Dans ses yeux verts, brillaient les reflets argentés si chers à Mael. Celui-ci prit la parole :

- Shani ? Je t'écoute.

- Je n'ai pas grand-chose à dire. Tu sais déjà tout.

- Que suis-je censé savoir ?

- Tu sais que je ne suis pas libre de mes sentiments, Mael. Qu'Esperial m'est promis. Je ne sais pas ce qui m'a prit dans la forêt. Mes sentiments pour toi sont forts, mais il faut se rendre à l'évidence, nous ne sommes pas fait l'un pour l'autre. Une larme coula sur la joue douce de Shani. Elle refreinait avec peine des sanglots pressants dans sa gorge.

- Pas fait l'un pour l'autre ? Mais tu me connais à peine ! Comment peux-tu être sûr de ça ?

- Justement. Je te connais mal. Je suis une elfe, Mael, toi un barbare. Nous ne vivons pas dans le même monde. Je connais Esperial depuis longtemps, je sais à quoi m'attendre avec lui, je sais que je suis en sécurité, qu'il m'aime.

- Mais tu ne peux pas me dire ça, Shani. Pas maintenant.

- Quoi ? Tu préfères que j'attende ton retour ? Oh, Mael, je t'en prie, essaie de comprendre.

- De comprendre que tu ne veux plus de moi parce que tu ne sais pas de quoi notre avenir sera fait ?

- Arrête ! Arrête ! L'elfe avait crié, en partie pour que la colère remplaçât la tristesse, pour rendre moins difficile l'aveu et l'abandon. Vas-t-en ! Si tu ne peux pas comprendre, je ne peux rien pour toi. Esperial est mon avenir et... et...

Finalement, Shani craqua et les larmes inondèrent son visage. L'homme du nord s'approcha d'elle. Elle se leva et parti vers la fenêtre qui donnait sur l'arbre immense. Sans se retourner, elle demanda à nouveau à Mael de la laisser. Le coeur brisé, le barbare s'exécuta. C'était vrai, il ne connaissait l'elfe que depuis quelques jours, depuis qu'il s'était réveillé, la tête lourde dans la prison qui avait été la sienne, mais une folle passion s'était alors emparée de tout son être. Il ne pourrait s'en défaire d'un revers de la main.

Alors qu'il descendait l'escalier de bois brut, Mael regarda vers la fontaine. L'eau des âges sembla un instant briller de reflets argentés. Un détail, rien de certain, mais ce signe, si petit soit-il, fit l'effet d'un pieux planté dans son coeur.

Le lendemain matin, quand l'homme en armure noir quitta le royaume des elfes, il ne vit pas Shani dans le groupe d'individu massé pour lui dire au revoir. Quand il eut parcouru une bonne distance et que la lumière bleue du royaume disparaissait, laissant place à l'obscurité de la forêt, il remarqua au loin l'elfe aux yeux si particuliers. Elle était assise sur le tronc d'un chêne déraciné et le regardait avec intensité. Régulièrement, une lueur argentée floue se dessinait dans ses yeux. Mael la fixa un instant, sans arrêter la marche de la licorne, puis il détourna son regard d'elle, ne prêtant attention qu'au chemin qui le mènerait sur le plateau d'Erigoth ou il trouverait les moines d'Izergh. Pas un mot ne fut échangé, ils s'étaient déjà tout dit.
Pendant cinq jours, Mael chevaucha dans le nord de la plaine de Zoguart. La licorne galopait avec une aisance et une rapidit� extraordinaires, avalant chemins et �tendues d�sertes sans jamais fatiguer. Seul les limites physiques du guerrier qui la montait lui imposaient des haltes nocturnes. Mael, dans la solitude de la lande, n�avait de pens�es que pour Shani. M�me la qu�te pour laquelle il traverserait le monde ne se rappelait � lui que lorsqu�il posait ou enfilait son armure. Une col�re sourde semblable � celle qui s��tait empar�e de lui face aux orcs l�envahissait parfois. Il mettait alors pied � terre, d�gainait son �p�e g�ante et l�abattait avec fracas sur un arbre solitaire jusqu�� l��puisement : un moyen comme un autre pour �vacuer les sentiments qui le tenaillaient (tiraillait ?). Puis, il se remettait en selle et reprenait la route du temple d�Izergh.

Enfin, � la faible lueur d�un soir commun, alors que le soleil �ventr� par quelques longs nuages rougissait � l�horizon, le barbare vit les premiers rochers du plateau d�Erigoth. La pierre avait une teinte orang�e, t�che �trange sur le vert de la plaine. Il d�cida de faire un dernier arr�t sur l�herbe fra�che avant de franchir le plateau. Il s�allongea � m�me le sol, laissant sa monture brouter au gr� de ses d�sirs. La nuit s��coula lentement. Mael se r�veillait fr�quemment en proie � d��tranges pens�es. Finalement, ce fut quand la lune avait d�j� presque termin� sa course dans le ciel �toil� que le barbare sombra enfin dans un sommeil r�parateur. Il se leva encore fatigu� et reprit sa route alors que le soleil �tait d�j� haut dans le ciel.

Devant lui se dressaient deux falaises orange dans lesquelles s�enfon�ait le ravin qu�une rivi�re avait creus�. Il s�engagea dans ce qui avait �t� le lit d�un cours d�eau tumultueux. L�ombre des rochers du plateau d�Erigoth rafra�chissait l�air. Mael, en proie � un froid qui ne le quittait plus depuis qu�il avait rev�tu l�armure de Zoguart, sentit quand il p�n�tra le lieu une vague glac�e l�envahir, comme s�il plongeait torse nu dans les neiges �ternelles qui couvraient la montagne du dragon. Mais le froid qui l�habitait depuis son retour du tombeau d�Helena ne le faisait pas souffrir. Il avait l�impression qu�il faisait partie de lui, qu�il �tait un �l�ment de sa nature profonde.

Alors qu�il progressait plus avant dans l��troit passage creus� dans la roche, il entendit au loin l��cho d�un cri long et rauque : R�le s��levant sur les hauteurs des falaises. Il se rappela soudain de Trankar. Il avait parl� d�Erigoth et... des ogres qui l�habitaient. Mael ne voulait pas se battre, son temps �tait compt� et il voulait arriver au plus t�t chez les mages. Il chercha du regard un chemin qui l�aurait men� en haut du plateau, hors de port�e des cr�atures qui peuplaient le ravin. Il n�en trouva pas et d� se r�soudre � continuer sa course entre les falaises.

A mesure qu�il avan�ait, les hurlements se firent plus r�guliers, plus proches. A flan de pierre, au d�tour d�un surplomb rocheux, Mael aper�ut deux grottes, deux trous noirs : bouches b�antes de monstres imaginaires. Les r�les qu�il avait entendus tout � l�heure se firent � nouveau entendre. Pour Mael le doute n��tait pas permis, les cris venaient des excavations. Il remarqua que le passage qu�il devait emprunter pour continuer sa route �tait �troit � l�endroit ou naissaient les grottes. Si les cr�atures l�attaquaient, il ne pourrait fuir.

Au moment o� le guerrier passa devant le premier trou, il vit appara�tre dans l�ombre de l�ouverture b�ante une silhouette. La seconde d�apr�s, alors qu�il avait eu tout juste le temps de porter la main au pommeau de sa claymore, Mael vit surgir deux ogres. Les cr�atures �taient g�antes, elles d�passaient de loin tout ce que le barbare avait d�j� vu en hauteur. Leur peau semblait dure comme le roc. Des muscles puissants saillaient autour d�une charpente non moins impressionnante. Deux paires d�yeux mouill�es de cruaut� fixaient le barbare et deux terribles massues parsem�es de pointes s��levaient au dessus de t�tes chauves.

Les ogres se jet�rent sur Mael. Malgr� son armure, il sentit l�une des masses en bois le toucher. Le barbare chancela et fut d�sar�onn�. Il tomba lourdement sur le sol en pierre. L�instant d�apr�s, alors que le guerrier du nord tentait de se relever, un deuxi�me coup violent s�abattit sur son torse, coupant sa respiration. Sous la violence de la frappe, Mael l�cha son arme. L�une des cr�atures leva son arme en direction de la licorne. L�animal rua et chargea le g�ant. Au moment o� celui-ci portait un coup sur le dos de la monture du barbare, la longue corne en spirale traversa le bas de son ventre. L�ogre poussa un cri puissant ou se m�lait surprise et douleur. Il jeta sa massue au dessus de la licorne et serra son abdomen � deux mains. Un flot rouge s��chappa entre ses doigts. La cr�ature, dans un d�cha�nement de fureur, couru en tous sens. Elle finit par tomber. Elle �mit quelques souffles roques avant de l�cher un dernier r�le et de mourir.

L�autre ogre �tait assis sur Mael. Il avait l�ch� son arme et tenait de ses deux mains le cou du barbare, tentant de l��touffer. Celui-ci, malgr� ses efforts pour se d�gager de l��treinte monstrueuse de l�ogre, sentait ses forces le quitter peu � peu. Petit � petit, la lumi�re disparaissait et laissait place au n�ant. Alors qu�un voile sombre brouillait sa vue et qu�il pensait sa fin proche, un reflet argent� passa devant ses yeux. Dans son esprit se dessina le souvenir de Shani, de ses �bats avec elle, de son abandon. Bient�t, tel le reflux de la vague sur une plage, Mael sentit une �nergie myst�rieuse le regagner. Une force nouvelle coula dans ses veines, m�lange entre les pouvoirs des reliques qu�il portait et la col�re qu�il �prouvait si souvent. Ses mains agripp�rent un poignet de la b�te colossale et le firent plier. Le barbare r�ussit � s�extraire de la pression de l�ogre et � attraper son arme. La cr�ature d�contenanc�e marqua un temps d�arr�t. Elle fondit de nouveau sur lui. Mael brandit l��p�e sur laquelle l�ogre vint s�empaler. Il cria et agita fr�n�tiquement les bras. Puis, � l�image de l�adversaire terrass� par la licorne, il ch�t. Le sol trembla lorsqu�il tomba. La cr�ature rendit son dernier souffle.

Le barbare en armure, en proie � des vertiges, se releva difficilement et avan�a jusqu�� la licorne. Il s�aper�u avec soulagement que la massue n�avait qu�effleur� l�animal. Il inspecta ensuite son armure. Malgr� la puissance des ogres, il constata qu�elle �tait intacte, comme si les coups qui avaient �t� port�s ne l�avaient pas touch�e. Il sentait pourtant que son torse �tait douloureux.

Mael ne prit pas de repos. M�me si sa poitrine le faisait souffrir, m�me s�il avait l�impression � chaque pas que le sol se d�robait sous ses jambes, il avan�a vers la caverne. Il n�avait plus entendu de bruit et si d�autres ogres avaient habit� le lieu, ils auraient s�rement pr�t� main forte � leurs compagnons.

Il s�engouffra dans la grotte sombre et humide. L�armure de Zoguart �mit une faible lueur violette dans la p�nombre. Le ph�nom�ne s�amplifia jusqu�� ce que la caverne r�v�le ses moindres recoins. Mael se rappela alors que l�armure n�avait pas brill� dans le temple consacr� � Helena et que, la seule raison cr�dible � ce nouveau pouvoir �tait qu�il avait r�clam� la lumi�re ici. Il se dit tout � coup que l��quipement autrefois port� par le bras droit de Blackmort ob�issait � son porteur. Que les pouvoirs de l�armure �taient nombreux et qu�il suffisait de les r�clamer pour qu�ils se manifestent. D�ailleurs, n��tait-ce pas quand la col�re avait grond� en lui et qu�il s��tait rappel� de l�elfe que la myst�rieuse force l�avait envahi ? N��tait-ce pas au moment ou il avait d�cid� de se d�barrasser des orcs de la for�t qu�il avait sentit ce m�me afflux de puissance monter en lui ? N��tait-ce pas alors qu�il s�attendait � recevoir des coups que l�armure l�avait le mieux prot�g� ?

Il en �tait s�r, Ce m�tal froid qui le couvrait devenait le plus puissant des b�tons de sorcier quand la volont� du porteur le demandait. La seule inconnue pour Mael �tait la limite des pouvoirs de l�armure. Mais que lui importait ces fronti�res ? Le tout �tait, pour lui, de ne jamais �tre surpris par une attaque, l�armure vaudrait alors en protection les plus solides remparts.

Le barbare, � la lumi�re nouvelle de son �quipement, fouilla la caverne. Il n�y d�couvrit que des ossements, des casques et des �p�es ab�m�s ou fendus. De nombreux aventuriers avaient eu le malheur de croiser sur leur route l�une ou l�autre des cr�atures que Mael avait vaincu. Ils avaient succomb� aux coups puissants des ogres. Les restes de feux sous les os laissaient comprendre ce qu�il advenait des malheureux. La faune s�rement rare en cette r�gion du monde ne suffisait pas toujours � satisfaire les estomacs insatiables des ogres. Le barbare sortit de la grotte. Pr�sageant que la deuxi�me caverne ne renfermerait rien de mieux, il monta la licorne et s�en fut vers le sud, en direction du temple d�Izergh.

Sur les rochers chauff�s par le soleil � l�aplomb du ravin, des vautours avaient d�j� entam� le festin inesp�r� que le guerrier laissait derri�re lui.

Mael passa le reste de la journ�e � chevaucher. Il trouva une pente douce qui montait hors du ravin et s�y engagea. Arriv� en haut, il constata qu�au fond, � quelques dizaines de m�tres de l�endroit ou il avait d�cid� de monter, se tenait un groupe important d�ogres. Une dizaine d�individus �taient mass�s autour d�un feu. La chance avait souri au barbare cette fois. Il n�aurait sans doute pas pu affronter toutes ces cr�atures en m�me temps malgr� les pouvoirs de l�armure. Mael leva les yeux vers l��tendue plane qui constituait le plateau d�Erigoth. Au loin, � flan de falaise, il aper�ut le but de son voyage.

Dans la lumi�re diffuse du soir, une tour se dressait vers les cieux. A mesure que le guerrier progressait, le reste de la cit� des mages d�Izergh se d�voila � lui : Un d�me immense couvrait un grand b�timent circulaire dont les murs lisses et satin�s refl�taient la lumi�re. Derri�re, surplombant l��difice cylindrique, � peine masqu� tant il �tait grand, un temple �rig� par les mages faisait face � la plaine de Zoguart. Le mur sud s�arr�tait net au bord de la falaise, g�ant de pierre faisant face au vide. Les b�timents �taient cercl�s d�une muraille de pierres lisses comme le marbre. L�ensemble semblait plong� dans une lueur artificielle : les rayons orang�s du soleil couchant, filtr�s par une bulle invisible qui couvrait le temple, prenaient une l�g�re teinte rouge.

Le barbare passa sous une porte vo�t�e d�mesur�e sculpt�e de symboles et d��crits Izerghytes ind�chiffrables pour lui. Deux serpents de pierre jetaient sur les arrivants un regard glacial, dardant vers eux, gueules grand ouvert, de longs crochets.

Un vieil homme habill� d�un long manteau vint � sa rencontre. Il salua Mael d�une main ouverte tendue vers le haut et se pr�senta sous le nom de Tylian. Le guerrier �ta son heaume.

- Bonjour, je suis Mael, je viens de la montagne du dragon.

- Que viens-tu faire ici ? Tu es loin de chez toi, jeune guerrier.

- J�ai travers� une grande partie de notre terre, en effet. Je suis � la recherche d�un mage qui habite ce temple.

- Quel est son nom ?

- Je ne sais pas. On m�a dit qu�il avait v�cu l�invasion des hordes noires il y a longtemps et qu�il connaissait une l�gende.

- Mmmh... Je ne connais qu�un sage qui ait travers� les �ges de d�solation du monde. Un seul qui n�a pas �t� corrompu par le seigneur noir. Il s�appelle Uriguane. Pourquoi veux-tu le rencontrer ?

- Je suis venu dans le but de sauver le monde de la menace qui s��tend, il me faut trouver une arme des abysses pour mener � bien cette mission.

- Le mage ouvrit les yeux en grand. Sauver le monde ? Rien que �a ? Ses l�vres s�entrouvrirent en un sourire amus�. Tu m�as l�air bien pr�tentieux ! Le sourire du vieux mage s�estompa et fit place � une moue triste. Sais-tu quel sacrifice il a fallu pour repousser sept guerriers des t�n�bres ? Sais-tu combien d�hommes et d�elfes ont p�ri ? Sais-tu quelle ultime solution a �t� choisie par la plus sage d�entre nous ?

- Je connais l�histoire d�Helena, oui. Laissez-moi voir Uriguane. Il le faut.

- Je ne pense pas qu�il acceptera de te recevoir. Mais, � tout hasard, je vais lui demander.

Le vieil homme pronon�a quelques mots et disparut sous le regard �bahi du barbare, le laissant seul aux portes du temple. Une l�g�re brise caressa le visage de Mael. Il enfila son heaume. Le vent du soir, souvent violent sur le plateau d�nud� d�Erigoth, se levait � l�Ouest. Quelques vautours profit�rent des courants d�air pour d�coller vers des lieux inconnus. Une lueur violette commen�a � envahir le ciel alors que le soleil disparaissait � l�horizon.

Au bout d�un moment, le mage se mat�rialisa devant le barbare. Mael s�t avant qu�il ne prononce un mot qu�Uriguane n�avait pas jug� n�cessaire de le recevoir.

- D�sol�, mon gar�on. Le mage Uriguane n�a pas de temps � te consacrer. Il a r�uni le grand conseil des sorciers et ils d�battent d�j� sur le sujet qui te pr�occupe.

- Alors laissez-moi assister au d�bat, j�attendrais qu�ils en terminent.

- N�insiste pas, barbare ! Fais demi-tour et retourne aupr�s des tiens. Puisse la montagne du dragon veiller sur vous. Le mage faisait d�j� demi-tour.

- Je ne suis pas homme � abandonner aussi facilement ! J�ai fait une promesse et avec ou sans votre aide, je la tiendrais.

Mael fit mine de repartir. Profitant de ce que le mage se soit retourn�, il fit volte face et partit au galop vers le temple monumental. Il r�ussit � atteindre les premi�res marches en marbre blanc qui menaient � l��difice. Il mit pied � terre et commen�a � gravir l�escalier. Alors qu�il allait p�n�trer l�enceinte du temple, il sentit ses muscles se raidir, comme si des crampes s�emparaient de tout son corps. Il n��prouvait cependant aucune douleur. Tylian r�apparut devant lui.

- Crois-tu r�ellement que l�on puisse franchir les portes de ce temple sans en avoir la permission ?

- Je ne crois rien, je veux voir le mage qui a surv�cu aux �ges, c�est tout.

Tout � coup, le mage se d�tourna de Mael. Celui-ci n�apercevait que le profil de son visage, mais il voyait ses l�vres remuer. Tylian se retourna vers le barbare.

- Tr�s bien. Vas-y, entre dans le sanctuaire. Mais ne t�attends pas � y �tre bien re�u.

Les muscles de Mael se rel�ch�rent et une sensation de bien-�tre le submergea. Il progressait vite dans sa qu�te. Puis, il pensa � Shani. Son visage s�assombrit. Il p�n�tra dans le temple.

La pi�ce principale de l��difice �tait baign�e dans une lumi�re artificielle. Le sol �tait pav� de blocs de marbre imposants, lisses et froids. Sur huit grands tr�nes sculpt�s �taient assis les mages d�Izergh. Tylian entra dans le temple et s�assit sur un neuvi�me fauteuil. Mael s�t imm�diatement qui �tait Uriguane. L�un des mages portait sur le visage le poids d�innombrables ann�es. Ses yeux d�un bleu d�lav� allait d�un mage � l�autre. il tr�nait au centre de l�assembl�e. Celui-ci interrompit la discussion anim�e qui occupait les membres d�Izergh. Il fixa Mael, le visage grave, les traits tendus.

- Ainsi, tu as quand m�me d�cid� de venir.

- Oui, je combats pour le bien et je demande votre aide.

- Tu es pr�somptueux, Mael. Mais ton courage te vaut un minimum d��gards. Je t��coute, qu�es-tu venu chercher ici ?

Le guerrier fit le tour de l�assembl�e de la t�te, h�sitant � r�v�ler l�objet de sa qu�te devant tous les membres du conseil.

- Messieurs, laissez-nous un instant, il se peut que Mael soit celui que j�attends.

Les mages se lev�rent un � un, salu�rent Uriguane et sortirent.

- Voil�, parle-moi.

- Pourquoi vous le dire, vous semblez omniscient, vous savez certainement ce que je veux savoir.

- Le mage �mit un petit rire. Oui, en effet, je sais ce que tu veux apprendre. Mais un probl�me se pose. L�arme que tu cherches n�est pas ordinaire...

- Oui, je sais, elle est bien plus destructrice et...

- Il ne s�agit pas de cela. Cette arme a �t� forg�e par Orgaril, le gardien. Blackmort a ensuite li� son �me � l��p�e. Cette arme a le pouvoir de corrompre les esprits. Il faut �tre vaillant et lutter de tout son �tre pour la ma�triser sans sombrer.

- Ainsi, celui qui la porte peut devenir un serviteur de Blackmort ?

- Non. Mais les risques de perdre son �me sont grands. Sans �me, le porteur de l��p�e errerait dans le monde sans but. Vid� de tous ses sentiments, de ses envies, de ses projets, il ne survivrait pas longtemps et abandonnerait l�arme au premier qui lui demanderait. Il ne faut pas que ta qu�te soit motiv�e par des ambitions personnelles.

- Je n�ai certainement pas un coeur pur, Uriguane, mais vous savez que ma qu�te n�est pas motiv�e par des desseins personnels, vous savez que je veux sauver les miens.

- Bien s�r... C�est pour �a que je t�ai finalement autoris� � p�n�trer le sanctuaire par la voix de Tylian.

- O� est-elle ? O� est l��p�e des abysses ?

- Patience, jeune barbare. Je te r�v�lerait l�endroit o� est Alzagure, l��p�e de Zoguart, mais avant, tu dois te cultiver.

- Me cultiver ?

- Oui. Je suis ton parcours depuis que tu as franchi les portes du plateau d�Erigoth. Tu as choisi la voie des armes et tu excelles en la mati�re : tu as r�ussi � terrasser un ogre, peu de gens en sont capables. Mais ta seule force physique ne te suffira pas face � la puissance de Blackmort. Tu dois emprunter la voie de l�esprit pour avoir une chance de triompher. Ainsi, les portes de la biblioth�que te sont grandes ouvertes. Je viendrais � toi lorsque j�estimerais que tu seras pr�t.

- J�ai d�j� beaucoup appris dans la for�t de Pandyle. Je suis clairvoyant et je...

- Mael ! il faut que tu connaisses plusieurs magies ! Certains serviteurs noirs sont insensibles aux sorts des elfes, d�autres � nos pouvoirs, d�autres encore, � la force physique. Tu devras �tre un guerrier complet pour r�ussir.

- Tr�s bien, si les manuscrits que renferme le temple peuvent �tre utiles � mon dessein, j�apprendrais.

- Je n�en attendais pas moins de toi, Mael. Vas maintenant.

Uriguane frappa trois fois dans ses mains et les huit membres qui avaient quitt� l�assembl�e reprirent place autour du mage. Quand les magiciens d�Izergh furent tous assis et que Mael eut quitt� le temple, le plus proche d�Uriguane prit la parole : (description ?)

- Ma�tre, allez-vous r�ellement r�v�ler l�endroit o� se trouve l��p�e m�phistoph�lique � ce jeune aventurier ?

- Oui, Julian, je pense que oui. Ce n�est pas un homme ordinaire, je crois qu�il est promis � de grands desseins.

- Je le sens aussi, mais il est anim� par la col�re. R�ussira-t-il � r�sister � l�appel de l��p�e ? Alzagure est puissante. Je ne pense pas qu�il arrivera � la ma�triser. Un troisi�me mage r�torqua :

- Vous savez bien, Julian, que les hordes noires sont bien plus dangereuses aujourd�hui que quand Helena les a repouss�. Nous ne r�ussirons pas � les contenir ! nous n�avons pas le choix, il faut lui faire confiance. Un homme en toge se leva du fond de la salle :

- Et s�il �choue ? Ou s�il sombre, qu�il tue Blackmort et qu�il prend sa place sur le tr�ne maudit ? les choses seront pires qu�avant.

- Si, si... Mais arr�tez avec �a ! Un vieil homme vo�t� par� d�un ample v�tement rouge et gris s��tait lev� � son tour et avait prit la parole d�autorit�. Effectivement, il y a un risque ! mais si vous voulez attendre patiemment les hordes du seigneur noir pour vous mesurer � elles, je vous souhaite bien du courage. Uriguane r�pondit :

- Nous pouvons les vaincre, Helena a r�ussi seule. L�homme en costume bordeaux reprit :

- Oui, c�est vrai, elle a r�ussi. Au prix de sa vie. Qui voudra mourir pour la terre ? Et quand bien m�me nous le ferions, elle seule connaissait le secret du sort de lib�ration. Un magicien jeune et barbu prit part au d�bat :

- Je crois, en plus, que m�me ce sort serait inefficace face � Astragore. N�est-ce pas lui qui a li� son �me aux flammes depuis sa r�surrection ?

Alors que l�agitation gagnait l�assembl�e, que les mages, sans r�ellement �couter leurs voisins discouraient sur le bien fond� de la qu�te de Mael, Uriguane prit son b�ton de c�dre et frappa le sol. Le bruit r�sonna dans la salle et les bouches se turent. Il se leva et s�adressa � tous :

- C�est vrai, je vous ai dit que nous avons une chance de vaincre les vassaux de Blackmort, mais elle est minime. Seul un guerrier qui excelle dans la magie et dans le combat peut venir � bout des seigneurs noirs. Zoguart, le chevalier des ab�mes, est insensible aux sorts, aujourd�hui. Astragore ne craint pas le feu. Et m�me si nous connaissons la voie des armes, nous ne sommes peut-�tre pas tout � fait pr�ts. Qui sait ce que les autres membres des hordes ont appris depuis notre victoire ? Mael n�est certes pas un mage, pas encore du moins, mais je pense qu�il doit trouver Alzagure. Il sera peut-�tre la force d�cisive qui fera pencher la balance du destin en notre faveur. Cependant, en lui indiquant l�endroit, je ferais courir un risque immense � notre terre comme l�a soulign� Dicogane. C�est pourquoi l�un d�entre nous devra l�accompagner jusqu�� Alzagure et s�assurer durant le p�riple que Mael est digne de confiance. Julian prit la parole :

- Laissez-moi le guider. Je ne suis pas s�r qu�il faille lui donner l��p�e, mais je partirais avec lui si vous m�y autorisez.

Justement parce que Julian n��tait pas s�r que le barbare f�t digne de confiance, Uriguane Accepta qu�il l�accompagne.

La biblioth�que �tait une salle circulaire immense. La coupole qui couvrait toute la pi�ce �tait maintenue par de grandes colonnes riches en sculptures. L�int�gralit� des murs �tait couverte d��tag�res en vieux bois, dont certaines pliaient sous le poids des milliers d�ouvrages accumul�s. A m�me le sol, en face des meubles, des �crits peints en lettres dor�es indiquaient les domaines et les p�riodes auxquels les livres se r�f�raient. Plus de mille ans d�histoire, de magie, de culture, de sciences et de litt�rature reposaient dans la salle. Certains livres �taient si vieux qu�un souffle les e�t fait tomber en poussi�re. En face de la porte d�entr�e, entre deux colonnes, �taient align�s une vingtaine de bureaux et de chaises. Chacun d�entre eux disposait d�un bougeoir, d�un encrier et d�une plume. Un homme en costume gris se tenait pench� sur un ouvrage, son visage s�rieux absorb� par la lecture. Mael s�approcha de l�individu et le salua poliment. L�homme r�pondit par un grognement et leva la t�te.

- Ahem... Bonjour. Que puis-je pour toi ? Sa voix r�sonna dans la biblioth�que.

- Et bien, Uriguane m�a demand� de venir �tudier ici et � vrai dire, je ne sais par quoi commencer.

- Que dois-tu �tudier ?

- Tout, je suppose.

- Tout ? Mais ta vie ne suffirait pas � tout apprendre ! L�homme ferma le livre en prenant soin de marquer sa page.

- En fait, je suis venu �tudier la magie. C�est, je pense, ce dont j�aurais le plus besoin.

- Mais m�me la magie est un vaste sujet, jeune homme. S�rement le plus vaste. Combien de temps resteras-tu parmi nous ?

- Je ne sais pas. C�est Uriguane qui doit d�cider du moment ou je serais pr�t.

- Pr�t ? L�homme fron�a les sourcils. Pr�t � quoi ?

- A continuer ma qu�te.

- J�ai du temps, beaucoup de temps. Veux-tu que je t�aide ?

- Oui, bien s�r ! Votre aide me serait s�rement pr�cieuse.

- Comment t�appelles-tu ?

- Mael.

- Alors suis-moi, Mael. Je suis Guilarche, le scribe du temple.

Mael suivit Guilarche entre les colonnes de la biblioth�que jusqu�� l�endroit r�serv� � la magie. Le vieux scribe tendit un index inquisiteur vers des �tag�res croulantes. � Voyons, voyons, par quoi puis-je te faire commencer ? Il doit bien y avoir dans ces ouvrages de quoi d�buter en douceur un apprentissage difficile �. Le bras du mage se tendit et il attrapa un livre �pais dont la couverture par�e d�enluminures dor�es titrait : � Elementys et magita �. Mael demanda :

- Que veut dire ce titre ?

- Tu ne connais pas l�Izerghyte ?

- Non.

- C�est ennuyeux, �a. Je traduirais pour toi. Le titre est simple : c�est � l��l�ment et la magie �. Retournons nous asseoir devant un bureau, nous commencerons par les bases th�oriques, les principes fondamentaux de la magie.

Arriv�s devant la table, les deux hommes s�assirent. Guilarche approcha un bougeoir en �tain. Il pla�a la m�che de la bougie entre son index et son pouce. Une petite boule rouge apparut entre ses doigts et une �tincelle naquit, qui se transforma bient�t en une flamme vive. � Voici, nous avons de la lumi�re, commen�ons. �

Mael ne fut pas surpris. Il avait d�j� entendu parl� des pouvoirs de ma�trise du feu. Quand il �tait encore enfant et qu�il discutait avec les anciens de son village, posant des questions toujours plus perspicaces, ils lui avaient r�v�l� bien des secrets de mages. Il se rappelait que le doyen de son village avait m�me assur� une fois � Mael que les dragons cracheurs de feu existaient et que, chez ces cr�atures g�antes, le pouvoir �tait inn�. Le vieil homme s��tait �teint l�ann�e suivante, laissant au jeune barbare un h�ritage riche mais incomplet. Le jour de son enterrement, Mael avait pleur� � chaudes larmes. Une voix insistante s��tait alors faite entendre dans son esprit, une voix d�outre-tombe : Je suis avec toi, Mael. Tu es promis � un avenir peu ordinaire et je te guiderais. La voix s��tait tue jusqu�� ses dix-huit ans. Elle avait alors refait surface, grave et monocorde : Profite des ann�es qu�il te reste pour apprendre le combat, Mael. Tu partiras dans neuf hivers. Le barbare, en ce soir glac�, avait cru que son esprit �tait malade, qu�il sombrait dans la folie. Finalement, il oublia la voix. Aujourd�hui, dans la biblioth�que du temple d�Izergh, elle se rappelait � lui, plus pressante que jamais. Le vieux Guilarche d�t appeler trois fois le jeune guerrier pour le faire sortir de ses pens�es.

- Mael... Mael ! MAEL !

- Quoi ? ha oui... Excusez-moi Guilarche, je pensais � un parent.

- Sois � ce que tu fais Mael, sinon je ne pourrais rien t�apprendre. Nous allons commencer par la magie du feu. C�est la plus facile � assimiler. C�est aussi l�une des plus puissantes.

- Tr�s bien.

- Il faut d�abord que tu saches que la concentration est m�re de toutes les magies. Plus tu r�ussiras � te focaliser sur l��l�ment que tu invoques, plus tes sorts seront puissants. Guilarche feuilleta rapidement les premi�res pages de l�ouvrage � la recherche d�un paragraphe particulier. Il s�arr�ta sur une page illustr�e, lut un passage et se tourna vers le barbare : As-tu d�j� fait appel � des esprits, Mael ?

- Oui. J�ai pass� quelques temps dans la for�t de Pandyle. J�ai appris � communiquer avec la for�t chez eux.

Shani envahie les pens�es du barbare, tel la licorne chargeant sur l�ogre, son souvenir refit surface avec violence. Le jeune guerrier vit soudain passer une lueur argent�e dans un coin sombre de la biblioth�que. Vas-t-en ! Si tu ne peux pas comprendre, je ne peux rien pour toi. Esperial est mon avenir. Mael sentit une tristesse sourde et profonde le submerger.

- Je t�en prie Mael, tu dois te concentrer sur ce que je vais t�apprendre. Ne te laisse pas guider par tes sentiments ! ils ne pourront que t��tre nuisibles. Mael se baissa et tenta de faire le vide dans sa t�te.

- J�y ferais attention, Guilarche. Poursuivez s�il vous plait.

- Bon... En combien de temps � tu commenc� � entendre les esprits ?

- Je ne sais plus, peut-�tre dix ou douze jours. C�est difficile � dire, ils ne sont pas venus � moi tout de suite.

- Environ dix jours dis-tu ?

- Oui, c�est �a.

- Nous allons tenter quelque chose, Mael. Tu vas prendre les bougeoirs des autres bureaux. Tu vas les disposer sur cette table et tu vas tenter d�invoquer l�esprit du feu. place la m�che de la bougie entre tes doigts comme tu m�as vu le faire et Concentre-toi sur ce seul mot : Scintilla. Ne pense � rien d�autre. Exerce-toi, je reviens.

Guilarche se leva et sortit de la biblioth�que. Il traversa la cour �clair�e par une puissante magie et se rendit dans le temple. Il se dirigea � vive allure vers une porte portant l�inscription : � Uriguane �. Il frappa et entra. Pench� sur une pierre noire et mate, le mage l�observait � la loupe. Il redressa la t�te et pria le scribe de s�asseoir.

- Tu es venu me parler de Mael ?

- Oui, Uriguane.

- Parle, je t��coute.

- Je pense que ce jeune homme n�est pas un barbare. Je veux dire, pas au sens strict du terme.

- Explique-toi.

- Il est des leurs, �a ne fait pas de doute : il est grand, fort et instinctif, comme ceux de son peuple. Mais je ressens autre chose chez lui : Une intuition qui le guide. Il a appris � communiquer avec les esprits de la for�t de Pandyle en quelques jours seulement, m�me les elfes mettent plus de temps � apprivoiser leur environnement.

- C�est assez extraordinaire, effectivement. As-tu commenc� sa formation ?

- Oui, il essaie de faire appel au feu dans la biblioth�que. Je pense qu�il arrivera bien vite � ma�triser les magies �l�mentaires.

- Il se peut que Mael soit l�homme qui nous sauvera, Guilarche. Malgr� �a, je suis inquiet � son sujet.

- Moi aussi. Il pourrait vite devenir un mage puissant, peut-�tre plus puissant que certains qui sont ici depuis cinquante ans d�j�. Mais il n�est pas stable. De sombres pens�es l�envahissent lorsqu�il plonge dans ses souvenirs.

- Je sais. Cependant, je ne vois pas de solution pour repousser Blackmort. J�essaie de donner espoir aux mages du temple, mais le monde est promis � la destruction. Un nuage sombre et inqui�tant passa dans le regard d�Uriguane. Nous devrons nous appuyer sur Mael. Je compte sur toi. Quand il ma�trisera les sorts �l�mentaires, apprends-lui la magie d�Izergh.

- Toute notre magie ?

- Non, pas tout. Seulement les deux sorts les plus puissants. Apprends lui l�oeil et la main d�Izergh. Etant donn� son aptitude � l�apprentissage, il ne fait pas de doute qu�il pourra bient�t nous quitter et partir en qu�te d�Alzagure.

- Alors vous avez d�cid� de lui faire porter le fardeau de l��p�e M�phistoph�lique ?

- Non. Julian l�accompagnera. C�est lui qui, pendant leur voyage, d�cidera si oui ou non Mael est digne de la poss�der. Nous prenons un risque immense en laissant Mael continuer sa course, mais le danger serait plus mena�ant encore si nous ne l�aidions pas. Retourne aupr�s de lui.

- Bien, Uriguane.

Mael �tait baign� dans un flot lumineux intense. De la vingtaine de bougies pos�es devant lui, plus de la moiti� �taient allum�es. Ses premi�res tentatives s��taient sold�es par des �checs. D�abord, rien ne s��tait pass�. Ensuite, une petite lueur rouge �tait n�e de ses doigts et avait disparu aussit�t. Puis une petite �tincelle �tait pass�e entre son index et son pouce. Enfin, apr�s quelques essais, quand il r�ussit � faire abstraction de ses pens�es pour Shani, la chaleur du feu consuma la premi�re m�che. Au fur et � mesure, les feux qui allum�rent les bougies se firent de plus en plus intense jusqu�� ce que la douzi�me bougie f�t allum�e, plus vive que celle que Guilarche avait fait br�ler.

Celui-ci, silencieux dans l�entreb�illement de la porte, avait observ� les derniers essais de Mael. Il �tait impressionn� par les talents du jeune homme. Il ne faisait pas de doute que le barbare deviendrait tr�s vite un mage aguerrit. Il le rejoignit. Ils travaill�rent ensemble jusqu�� une heure tardive. La cire des bougies allum�es commen�ait � d�border des bougeoirs en �tain, deux d�entre elles s��taient d�j� enti�rement consum�es.

Guilarche d�clara enfin : � C�est suffisant pour aujourd�hui, Mael. Demain, je t�apprendrais un autre sort de feu bien plus puissant et plus difficile � mettre en oeuvre que celui-ci. Tu as besoin de repos. Vide ton esprit de toute question concernant la magie. � D�un claquement de mains, Guilarche �teignit les flammes dansantes au dessus de la cire chaude. Les deux hommes regagn�rent le dortoir du temple dans l�obscurit� quasi-compl�te de la nuit. Mael s�endormit vite : la concentration dont il avait fait preuve l�avait �puis�.

Le lendemain, le ma�tre et l�apprenti se rejoignirent dans la salle circulaire. Guilarche chercha � nouveau sur les �tag�res empoussi�r�es. Il prit un ouvrage et, comme la veille, Mael et lui se pench�rent dessus � la lueur d�une bougie. Mael demanda :

- Pourquoi n�y a t�il pas de fen�tre aux murs de la biblioth�que, et pourquoi le verre de la coupole est-il si sombre ?

- Pour �viter aux mages qui �tudient de se d�concentrer. Guilarche avait dit �a comme si la r�ponse �tait l��vidence m�me. Ah, voil� Mael ! j�ai enfin le paragraphe consacr� � � incandescynt stelles �.

- A quoi ?

- Au sort de feu que je vais t�apprendre aujourd�hui. Le vieux biblioth�caire se pencha plus avant sur le livre, comme si les caract�res �taient trop petits pour ses yeux fatigu�s. Puis il redressa tout � coup la t�te : Suis-moi jeune guerrier, nous allons faire un tour hors du temple.

Le barbare et le scribe quitt�rent ensemble le temple, marchant vers le nord sur le plateau d�Erigoth. Comme c��tait souvent le cas sur cette �tendue aride, quelques oiseaux charognards suivaient les deux hommes, profitant des courants d�air montant du ravin pour planer � bonne altitude. Quelques-uns des oiseaux poussaient parfois un cri per�ant qui d�chirait la qui�tude silencieuse des marcheurs. Quand Mael et Guilarche furent loin du temple, le scribe intima au barbare l�ordre de s�arr�ter. Autour d�eux, un terrain parsem� de trous circulaires s��tendait sur des kilom�tres.

- C�est ici que nous allons tenter de faire appel � l�esprit du feu.

Guilarche brandit un b�ton de c�dre et ferma les yeux. Mael attendait patiemment de voir ce nouveau sort, tentant d�j� d�enregistrer la mani�re dont le mage proc�dait. Les l�vres du sorcier s�entrouvraient et se fermaient sans qu�aucun son n�en sorte, ses bras commen�aient � s�agiter dans l�air frais. Soudain, Un amas de nuages rouge vif se forma au dessus des deux hommes dans le ciel azur de cette journ�e d�hiver. Une pellicule �lectrique bleue entra en rotation autour des nuages. Guilarche ouvrit les paupi�res, laissant appara�tre ses iris t�n�breux. Tout � coup, dans un bruit de tonnerre, la pellicule se d�chira et les nuages, se pressant en une boule incandescente, fondirent sur le sol. Quand la sph�re entra en contacte avec la terre, une formidable explosion se fit entendre. Mael et Guilarche durent lutter contre le souffle pour �viter d��tre renvers�s. A l�endroit o� s��tait produit l�impact, se dessinait un trou b�ant et fumant semblable aux trous d�j� visible quand ils �taient arriv�s. Le barbare resta un instant bouche b�e.

Les anciens de son village lui avaient bien parl� de cette magie, mais la voir � l�oeuvre, sentir le souffle de l�explosion traverser son corps... C��tait aussi diff�rent que d�entendre parler d�un coucher de soleil sur la montagne du dragon et de le voir de ses propres yeux.

Un sourire naquit sur les l�vres du vieux Guilarche lorsqu�il vit l�effet que le sort avait produit sur Mael.

- Content que le spectacle t�ait plu. Veux-tu essayer d�en faire autant ?

- Oui, bien s�r, que dois-je faire ? Ai-je besoin d�un b�ton comme le v�tre ?

- D�abord, tu vas commencer par me tutoyer ! Le b�ton n�est pas n�cessaire, tout se passe dans la communication avec l��l�ment feu. Le bout de bois sert juste � impressionner l�adversaire. Quelques-uns permettent d�amplifier et d�acc�l�rer certains sorts ou de conduire une charge de la main du sorcier vers son ennemi. Mais ils doivent pour �a �tre sertis d�un onyx et c�est la seule utilit� que je leur connaisse. Tu vas reprendre le m�me principe que dans la biblioth�que hier soir. Tu vas te concentrer sur deux mots : incandescynt et stelles. Pour rester concentr�, je te conseille vivement de fermer les yeux. Le passage d�un vautour chauve comme celui-l� suffirait � te distraire. Guilarche d�signa de son b�ton un grand volatile brun au long cou et au bec courb�. L�oiseau, comme s�il avait entendu la conversation, fit un grand d�tour vers eux. Lorsque tu entendras un bourdonnement sourd r�sonner dans ton cr�ne, alors le nuage de feu sera pr�t. Il te faut ouvrir les yeux sur la cible que tu d�sires occire. La sph�re br�lante la frappera avec la puissance de mille fl�ches enflamm�es. Il y a, normalement, des cycles de lune entiers de m�ditation dans des endroits tenus secrets par les mages pour arriver � produire de tels sorts. Mais je doute que tu en aies besoin. Essaie.

- Mais comment je saurais si j�ouvre les yeux sur mon ennemi ou sur une toute autre cible ?

- Tu le sentiras. Une fois la boule de feu active, tu verras appara�tre un grand flou lumineux dans lequel les ombres des principales formes se mouvront, elles seront faciles � reconna�tre, tu verras.

Mael abaissa les paupi�res et se concentra sur les deux mots. Quelques minutes s��coul�rent sans que rien ne se passe. Puis il sentit vibrer sa t�te. La sensation �tait �trangement douloureuse. Elle lui rappelait ces journ�es pass�es avec Trankar pr�t de sa hutte. Le forgeron frappait pendant des heures le m�tal rougit pour lui donner la forme voulue. Quand Mael le quittait le soir, le moindre bruit r�sonnait dans son cr�ne. Ce qu�il ressentait l� �tait sensiblement identique mais bien plus intense. Il ouvrit les yeux. Le ciel �tait bleu au dessus de lui et aucune sph�re ne vint frapper le sol.

- Concentre-toi Mael ! Ne pense qu�� ce que tu fais ! Si tu n�avais pas associ� tes sensations � ce que tu as d�j� v�cu par le pass�, tu aurais r�ussi ! Recommence.

Le regard du mage �tait s�v�re, sa voix autoritaire. Il voulait donner au barbare le sentiment de culpabilit� n�cessaire pour qu�il n��choue pas une deuxi�me fois. Il savait que Mael devait partir au plus t�t et qu�il n�aurait pas le temps de m�diter, assis � la fronti�re entre les deux mondes, comme l�avait fait chacun des magiciens d�Izergh.

Quand Guilarche �tait arriv� au temple, il y avait si longtemps d�j�, Uriguane l�avait averti tout de suite que l�apprentissage serait long. Il avait pr�venu le jeune mage qu�il fallait une sant� mentale de fer pour ne pas craquer durant les longues heures de vide c�r�bral que constituait la m�ditation. Guilarche avait une volont� � toute �preuve et il avait r�ussi � devenir un mage respect�. Mais l�apprentissage avait �t� long et douloureux pour lui. Il lui avait fallut trois ann�es compl�tes pour ma�triser le feu, autant pour contr�ler la glace. Il lui avait encore fallu cinquante ann�es pour �tre reconnu comme d�tenteur des secrets d�Izergh. Il regarda Mael. Il ne comprenait pas cette capacit� qu�il avait � communiquer avec les �l�ments.

Le guerrier du nord se concentra � nouveau. Rien ne perturba, cette fois-ci, l�arriv�e du nuage rouge au dessus de lui. Mael commen�a � discerner une lumi�re blanche. Celle-ci fut vite couverte par des ombres plus ou moins marqu�es. Dans les formes, il reconnu la silhouette de Guilarche, celle du vautour, plus haute et moins distincte. Il vit l�ombre plus floue d�un rocher ovale. Il ouvrit les yeux sur la masse rocheuse. Le nuage concentr� en une boule incandescente s�abattit sur la pierre. Elle vola en �clat, des d�bris fusants dans toutes les directions. Certains d�entre eux, encore fumants, tomb�rent aux pieds des deux hommes. De la roche, il ne restait plus que de petits cailloux noirs et gris amass�s dans une cavit�. Mael se tourna vers Guilarche. Celui-ci semblait �tonn�. Il resta silencieux un moment, encore �bahi par ce que venait de r�aliser le barbare. Il avait fallu � Guilarche deux saisons enti�res pour ma�triser ce seul sort. Devant lui, le barbare s��tait essay� deux fois seulement � l�appel de � incandescynt stelles � et le ciel s��tait embras�.

- Et bien Mael... Si tu apprends tout aussi vite tu partiras tr�s bient�t du temple. D�j�, je ne pense pas que tu aies besoin d�en savoir plus concernant l�esprit des flammes. Les deux sorts que tu as appris te suffiront probablement. Nous allons tenter ensemble de d�velopper chez toi des aptitudes bien plus utiles. Tu vas apprendre les sorts de glace. Rentrons.

Les deux hommes partaient en direction du temple d�Izergh. Un vent chaud s��tait lev� et soufflant du sud, il d�pla�ait poussi�re et feuilles. Le barbare et le mage se prot�geaient les yeux de la main. D��pais cumulo-nimbus annonciateurs d�orages se formaient au dessus du plateau d�Erigoth. Alors que le mage et le barbare avan�aient toujours vers le temple, la lumi�re faiblissait vite.

Le vent se fit d�un coup plus violent, charriant des nuages immenses de poussi�re. Les deux compagnons durent lutter pour progresser. Au fur et � mesure de leur marche, le temps changea encore : Le vent devint plus rapide, plus puissant. La progression des deux hommes f�t bient�t tr�s difficile. Au loin, les premiers �clairs d�chir�rent le ciel. Guilarche se rapprocha de Mael :

- C�est r�gulier en cette saison, mais je ne pensais pas qu�une temp�te se d�clarerait aujourd�hui. Il vaut mieux que nous nous tenions et que nous trouvions un abri, il est facile de se perdre quand les vents deviennent trop violents. Attrape ce bout de ceinture. Mael sentit un morceau d��toffe lui fr�ler la main. Il l�agrippa.

- Tr�s bien, je l�ai.

Il se rendit compte qu�il �tait oblig� de crier et que, m�me en haussant la voix, il avait du mal � entendre ses propres paroles. Marchant au hasard, toujours plus secou�s par le vent, Mael et Guilarche finirent par trouver un abri de fortune dans une cavit� rocheuse. Le paysage qui se dressait devant eux semblait irr�el, on eut dit les pr�mices de l�apocalypse : La vue ne portait pas � plus d�un m�tre. Des nuages de sable orange passaient devant les visages des deux hommes � des vitesses effrayantes. Le son du vent s�engouffrant entre les rochers se m�lait � celui, plus lointain, du tonnerre. Les premi�res gouttes d�eau charg�es de sable ocre tombaient sur le plateau d�Erigoth. De temps � autre, au travers des nuages de sable opaques, l�on pouvait distinguer un �clair blanc traverser le ciel. Mael s�adressa � Guilarche :

- Ce genre de temp�te dure longtemps ?

- Normalement non. En g�n�ral leur dur�e est inversement proportionnelle � leur puissance.

- Comment ?

- Plus elles sont violentes, moins elles durent longtemps.

Le barbare se souvenait des temp�tes qu�il avait d� affronter dans les monts du nord. Elles �taient au moins aussi puissantes que celle qu�il traversait l�. Celles de la montagne du dragon �taient aussi beaucoup plus froides et les barbares ne s�arr�taient pas pour ce genre d�intemp�rie.

- Pourquoi ne continue-t-on pas ?

- Les vents sont trop violents, l�orage arrive vite, une sortie serait dangereuse.

- Tu sais, dans mon pays, ce genre de d�sagr�ment n�est pas synonyme d�arr�t des troupes.

- Peut-�tre, mais ici on est � l�endroit le plus �lev� du plateau et d�immenses falaises le bordent. Si nous avan�ons, �tant donn� la visibilit� que nous avons, nous risquons fort de faire une chute mortelle.

- D�accord Guilarche, attendons une accalmie. Profitons-en pour parler de ce que tu comptes m�enseigner demain.

- Si le temps le permet, demain, tu apprendras les sorts de glace ghelares et gelis et armat. L�un permet de geler tout ce que tu touches du doigt pourvu que tu aies le temps de le mettre en oeuvre. Le deuxi�me permet d�envo�ter ton arme ; Celle-ci acquiert alors des caract�ristiques plus qu�int�ressantes : Elle ne peut �tre d�truite par le feu, elle te prot�ge de la chaleur et des flammes comme le ferait un mur de glace. Chaque coup inflig� � un ennemi est accompagn� d�une vague de froid qui le blesse d�avantage et va, dans certains cas, jusqu�� le tuer. C�est l�un de mes sorts pr�f�r�s. Il a cependant une face cach�e dangereuse : A l�origine, Cet envo�tement est utilis� par les n�cromanciens : Il est � la limite entre les magies occultes des mondes du dessous et les magies b�n�fiques de notre terre. Tu ne devras l�utiliser qu�en cas de force majeur et le moins de temps possible. Il pourrait �tre fatal � ton �quilibre mental.

- C�est d�j� vrai pour l��p�e m�phistoph�lique... Y a t�il beaucoup de magies, d�armes ou d�objets dont les pouvoirs sont si tendancieux ?

- Le monde en est parsem�, Mael. Quand tu deviens un guerrier ou un mage puissant, tu es constamment confront� � la tentation de te servir de ta force pour dominer et d�truire. La plus grande des r�ussites est de r�sister � ces appels des t�n�bres.

A l�ext�rieur de la cavit�, le vent s��tait calm�. Quelques gouttes tombaient sur le sol fra�chement mouill�. Les nuages gris couvraient encore une grande partie du ciel mais l�on pouvait distinguer le front orageux plus au nord. Le plus dur de la temp�te �tait pass�. Mael et Guilarche reprirent le chemin du temple en continuant leur discussion.

- Qu�est-ce qui a corrompu Astragore ?

- Astragore ? mmmh... Je n�aime pas beaucoup parler de lui. C��tait un ami d�Uriguane, l�un des rares amis, croyait-il, sur lesquels on puisse vraiment se reposer. Blackmort est venu. Il a pr�sent� l�un des pires talismans de corruption au mage : L�amulette des morts. Uriguane a vu passer l�amulette des mains de Blackmort � celles d�Astragore. Il nous a dit � tous que la seule vue de l�empereur aurait pu le faire basculer, lui aussi, du c�t� des t�n�bres. Astragore �tait l�un des plus int�gres mages d�Izergh. Il a sombr� et il est devenu l�un des fid�les de Blackmort. Chaque �l�ment de l�empire du dessous apport� � la surface est un danger potentiel. Ils sont porteurs de ce que nous appelons animae nigra res : La chose noire de l��me.

- La chose noire de l��me ?

- Oui. Une sorte de flux ou d��nergie. Nous avons du mal � bien le d�finir, c�est pourquoi nous utilisons ce mot � chose �. Nous savons que c�est comme une sensation �trange de froid qui nous envahie. Mais ne parlons plus de �a. Je pense qu�Uriguane t�en dira plus que moi.

Guilarche posa un regard interrogateur sur le barbare, comme s�il voulait qu�il lui r�v�le un secret. Mael se tut. Bien qu�inquiet, il ne parla pas de la sensation glaciale qui s�emparait de lui � chaque fois qu�il enfilait l�armure de Zoguart. Il ne parla pas non plus au mage de ces acc�s de col�re qui parfois l�envahissaient. Il avait, d�apr�s lui, r�ussi � r�sister � l�appel d�animae nigra res : Son but �tait toujours de d�truire Blackmort pour sauver les siens.

Une fois dans l�enceinte du temple, les deux compagnons regagn�rent la biblioth�que et lurent en silence.

Le barbare d�vora la copie d�un texte qui relatait la premi�re invasion des troupes du seigneur noir. Le livre original �tait tomb� en poussi�res quelques ann�es apr�s que copie en eut �t� faite. Mael apprit dans les pages de l�ouvrage que le dragon noir Zadarkane n�avait pas �t� corrompu directement par les mages, mais que l�amulette d�tenue par Astragore �tait la prison de son �me. Il se dit donc que s�il avait � combattre, il devait trouver Astragore avant les cinq dragons afin d�avoir une chance de briser l�envo�tement dont �taient victimes les cr�atures et ainsi d��viter un combat dont la victoire serait improbable.

Il red�couvrit dans les pages d�j� jaunies de la copie la l�gende d�Helena, du sort connu d�elle seule qui avait extermin� sept guerriers surpuissants. Il apprit beaucoup sur les magies des mondes du dessous, sur Blackmort, sur l��le de Septif�re ou se dressait la forteresse du m�me nom. Dans les pages du livre, il d�couvrit aussi la raison pour laquelle la mer Pourpre, qui s��tendait � l�est des terres du monde, �tait r�ellement de couleur rouge.

Lorsque les trois n�cromanciens accompagn�s par des l�gions enti�res de squelettes et d�elfes noirs trouv�rent et tent�rent de corrompre Zadarkane, ses appels r�veill�rent tous les dragons du monde du dessus. Une formidable guerre opposant archers des t�n�bres, n�cromanciens et dragons eut lieu. Elle dura trois ans. Trois ann�es pendant lesquelles des milliers de cr�atures p�rirent sur l��le maudite, bastion sur la terre des hommes de Blackmort. Des fleuves de sang de dragon s��coul�rent dans les eaux encore bleues de la mer et l�impr�gn�rent � jamais d�un rouge profond. Mael continua sa lecture jusque tard dans la nuit. Quand il d�cida qu�il �tait temps de regagner le dortoir, l�aube se levait d�j� sur le plateau orange.

Guilarche laissa Mael dormir jusqu�� ce que le soleil f�t au z�nith. Il le r�veilla. Les deux hommes d�jeun�rent et partirent ensemble vers l�endroit o� la temp�te s��tait d�clar�e la veille : le ciel presque pur laissait pr�sager une journ�e moins chaotique. Les rares nuages vagabonds �taient blancs comme la neige.

Le mage enseigna � Mael comment geler les objets. Avec sa rapidit� coutumi�re, le barbare ma�trisa le sort ghelares parfaitement. Il r�ussit en quelques heures � faire dispara�tre sous la glace des rochers imposants et quelques arbres d�j� morts. Apr�s avoir �t� gel�s, leurs troncs noircissaient et contrastaient radicalement avec le orange de la pierre.

- Bien, Mael... Excellent m�me ! Guilarche congratulait le barbare qui avait r�ussi, � distance respectable, � faire imploser une grande masse rocheuse sous la glace. Celle-ci avait vol� en milliers d��clats scintillants. Tu vas essayer gelis et armat maintenant. Je vais m�absenter quelques minutes.

- Comment dois-je appeler gelis et armat ?

- Prend ton �p�e. Regarde fixement la base de l�arme. Concentre-toi sur les neiges �ternelles de la montagne qui t�a vu na�tre. Ta vue, au bout de quelques instants, se couvrira de bleu. A ce moment-l�, fais simplement passer ta main sur l�arme et r�p�te gelis et armat jusqu�� ce que tes doigts d�passent le bout de ton �p�e. Elle aura les m�mes reflets que la glace et, selon la puissance de ton sort, une aura blanch�tre couvrira plus ou moins la lame. Pense � arr�ter l�envo�tement le plus t�t possible, n�oublie pas les pouvoirs mal�fiques qui l�accompagnent. Pour ce faire, r�p�te non gelis. Surtout, ne t�arr�te pas tant que la lame de l��p�e n�a pas retrouv� sa couleur originelle. Ne fais qu�un seul essaie, Mael. Si tu �choues, tu recommenceras beaucoup plus tard. Il est bien trop dangereux de tenter cet appel deux fois dans la m�me journ�e.

- O� allez-vous, Guilarche ?

- Oh... Je vais cueillir deux ou trois herbes qui ne poussent que sur le plateau d�Erigoth et dont, tu verras, les effets sont surprenants.

Le mage, b�ton de c�dre � la main, disparut derri�re un rocher. Mael resta seul face � la claymore. Il s�assit avant d�entreprendre l�essaie de gelis et armat. Les siens lui manquaient. Il n�y avait pourtant pas longtemps qu�il �tait parti. Mais il avait d�j� d�couvert tant de choses � partager, il se sentait d�j� si diff�rent. Il pensait � Vahol, chef des barbares, qui lui avait accord� sa confiance. Il se rappelait Trankar et les parties de chasse indispensables � la survie du clan. Ils avaient suivi un jeune �lan une fois. Trankar avait fait craquer du bois au moment o� les deux hommes allaient attaquer la b�te. L��lan avait r�ussi � fuir dans la for�t de Pandyle. Mael en avait �t� heureux. Il devait tuer pour vivre, mais chacune de ses sorties lui �tait douloureuse.

Le barbare se perdit dans ses pens�es. Il se rappela la soir�e organis�e la veille de son d�part : L��tendue blanche et fra�che, le message qu�il avait adress� � la montagne, assis seul dans la nuit. Puis, dans la hutte de Vahol, il se rappela la joie, les chants et les rires, les viandes succulentes dont il s��tait r�gal�, l��quipement que Trankar lui avait offert. Le chemin dans la for�t de Pandyle et le royaume des elfes se rappel�rent � son souvenir. Puis il y eut Shani... ses souvenirs se fig�rent sur l�elfe aux yeux baign�s de reflets argent�s. La vague de tristesse qui l�avait d�j� submerg� l�inonda � nouveau. Il regarda la lame de son �p�e et songea � sa qu�te. Elle lui paraissait � nouveau lointaine. Qu�avait-il � gagner � sauver les siens si lui ne vivait pas heureux ? Passerait-il, pour s��tre abandonn� une fois � l�elfe, � peine quelques heures, le reste de son existence � souffrir de son refus ? Mael serra le pommeau de son arme et la lan�a aussi loin qu�il p�t. L��p�e rebondit une fois et se ficha dans le tronc mort d�un ch�taignier. Le barbare s�assit, la t�te dans les mains, les coudes sur les genoux, et attendit.

Derri�re la masse rocheuse dont la teinte avait vir� du orang� au marron depuis qu�il avait plu, Guilarche s��tait lui aussi mit sur son s�ant. Dans une concentration proche de la m�ditation, il appelait Uriguane.

Une enveloppe ressemblant � la mue d�un insecte g�ant se mat�rialisa devant lui. Elle prit forme petit � petit jusqu�� ce que l�image du vieux mage apparaisse, floue et travers�e de vaguelettes. Lorsque le spectre d�Uriguane fut tout � fait net, Guilarche s�adressa � lui :

- Bonjour Uriguane. Si je t�ai appel�, c�est pour Mael... Il me fait peur. Il est le plus puissant des hommes que j�ai form�s, il n�y a pas de doute possible et sa concentration est ph�nom�nale. Mais...

- Je sais Guilarche. Tu as senti comme moi animat nogri rehas couler en ses veines.

- Oui. J�ai essay� de lui en parler. Il a pr�f�r� se taire.

- Seulement, que faire ? Je sens que c�est lui qui nous sauvera. Connais-tu guerrier plus puissant ? Connais-tu mage plus proche des esprits ?

- Non. Mais si animat nogri rehas prend possession de son �tre... Nous sommes perdus.

- Continue � le former. J�aurais un entretien avec ce jeune homme avant son d�part. Nous en avons d�j� parl� tous les deux. Mael doit au moins continuer sa formation. Evite seulement de le faire trop r�p�ter les sorts de fronti�re.

- Il en essaie un en ce moment m�me. L�un des plus proches de la magie sombre... gel et arme, gelis et armat.

- Un seul essaie pour aujourd�hui alors...

- Oui, une seule tentative courte.

- Bien...

Le spectre d�Uriguane se dissipa et Guilarche se mit en qu�te de plantes m�dicinales justifiant sa courte absence. Il trouva deux herbes dont les mages se servaient r�guli�rement : L�iguanodule : Une petite fleur blanche dont les p�tales l�gers �voquaient autant de flocons de neige et la fraidale, sorte de grande herbe sauvage dont les propri�t�s m�dicinales ne se manifestaient que lorsqu�elle jaunissait. Le mage, apr�s avoir fait bonne provision des deux herbes, rejoignit Mael. Le barbare �tait toujours assis, le regard semblant se perdre loin au del� de la terre. L�air absent du barbare indiqua � Guilarche son �tat de doute. Le mage vit l��p�e que Mael avait jet�. Il la r�cup�ra et avan�a jusqu�au guerrier. D�un oeil curieux, comme un acheteur qui �tudie un article avant de l�acheter, il observa la claymore, puis il la tendit � Mael. Celui-ci la prit sans grande conviction et la laissa pos�e contre sa cuisse. Guilarche dit :

- Tu ne devrais pas laisser tra�ner ce genre d�arme, Mael. C�est une �p�e forg�e par des mains expertes.

- Je sais... Ne pourrions-nous pas rentrer au temple ? Je ne me sens pas bien aujourd�hui.

- Tu ne te sens pas bien ? Tu diras �a lorsqu�un chevalier des t�n�bres te chargera ? Est-ce que tu proposeras � Blackmort de remettre � plus tard votre combat si, lorsque tu le rencontres, tu as un petit acc�s d�humeur ? Je suis d�sol� Mael, mais lorsqu�on d�cide de sauver les siens, on n�a pas le droit de se sentir mal. Chaque jour est une bataille primordiale pour avancer vers la victoire.

- Bien s�r. Mais ce n�est pas un acc�s d�humeur ! C�est bien plus profond et incroyablement plus sombre.

- Mael, je t�en prie. Il faut absolument te d�barrasser des sentiments qui te rongent. Au moins, essaie d�en faire abstraction ! Tente le sort gelis et armat s�il te pla�t. Fais-le pour tous ceux qui croient en toi. Prouve que tu es digne de porter Alzagure, l��p�e m�phistoph�lique.

- Tr�s bien, je vais le tenter.

Mael, dans un �norme effort, r�ussit � refreiner la vue qui lui brouillait l�esprit. Il enfouit autant qu�il le p�t le souvenir de Shani. Lorsqu�il estima que le vide s��tait fait dans son esprit, selon les instructions de Guilarche, il fit appel � l�esprit de la glace. Sa claymore se couvrit de bleu. Elle semblait se noyer sous une �paisse couche de glace. Peu � peu, une brume se forma autour de la lame. Son intensit� grandit jusqu�� ce que le halo blanc fasse presque compl�tement dispara�tre l�arme.

Guilarche, sans attendre et sans pr�venir Mael, lan�a le sort incandescynt stelles sur l��p�e. Mael, surpris, fit un bond sur le c�t� quand il vit la boule enflamm�e fondre sur lui. La trajectoire d�incandescynt stelles se modifia. Dans un r�flexe, le barbare pr�senta l��p�e devant la boule de feu. Celle-ci vint s��cras� sur la lame gel�e. Tel un bouclier glac�, la claymore arr�ta net la sph�re incandescente dans sa course. Celle-ci explosa en une myriade de petits gla�ons. Mael resta pantois devant la puissance du sort d�envo�tement de glace. Il n�avait m�me pas ressenti la chaleur du feu qui avait br�l� � quelques centim�tres de son visage.

- Voil� Mael. Tu connais le sort gelis et armat et tu connais son efficacit� redoutable face aux sorts de feu. Arr�te-le maintenant.

Le barbare, encore impressionn� par ce qu�il venait de faire, se contenta de r�pondre vaguement. Il pronon�a la phrase d�arr�t d�envo�tement. Il fallut une minute pour que son �p�e reprenne sa couleur originelle. La brume qui l�entourait se dissipa. Les regards des deux hommes se crois�rent et sans qu�un mot ne f�t �chang�, ils se comprirent.

Ils prirent ensemble le chemin large et droit qui menait au temple sous le soleil � peine chaleureux de cet apr�s-midi d�hiver. Une fois de plus, la tentative de Mael avait �t� une r�ussite. Sa progression dans l�apprentissage des voies de la magie �tait telle qu�il pourrait bient�t reprendre sa route et partir avec Julian sur le chemin qui le m�nerait � l��p�e m�phistoph�lique.

Dans son bureau tapiss� de livres et de parchemins, Uriguane tentait de percer le fond de l��me de Mael. Il avait bien une vague vision de ses pens�es, mais il restait � la surface de l�esprit du barbare. Il n�arrivait pas � plonger dans la mer agit�e qui habitait Mael. C��tait la premi�re fois que le mage ne r�ussissait pas � tout d�couvrir d�un homme. Cependant, ce dont il �tait s�r, c�est qu� animae nigra res n�avait pas encore compl�tement envahi Mael, qu�il pouvait encore r�sister � l�appel des t�n�bres. Il d�cida que Julian l�accompagnerait mais que, finalement, son jugement n��tait pas n�cessaire. Il aurait juste � conduire le barbare jusqu�� l�autel des fronti�res, aux limites entre le monde du dessous et celui de la surface. L�autel sur lequel reposait Alzagure, l��p�e des ab�mes.

Quelque que soit ce que pensait Julian de Mael, l�heure �tait devenue bien trop grave pour laisser place � l�h�sitation. Le nuage obscur qui envahissait le futur des mondes du dessus gagnait chaque jour du terrain. Les villes tenues par les hommes d��glise ne r�sisteraient pas longtemps aux assauts des puissants chevaliers noirs. Et si rien n��tait fait, cet hiver serait le dernier que les peuples de la terre verraient libres. Uriguane ferma le livre pos� sur son bureau en prenant soin de marquer le chapitre sur lequel il s��tait arr�t� � animae nigra res : Les dangers du pouvoir enfoui. � L�ouvrage �tait de lui. Il relatait la fa�on dont Astragore avait c�d� � l�appel de Blackmort. Il racontait la terrible lutte entre son esprit et la fascination qu�avait exerc� l�amulette des morts. Mael n��tait pas aussi avide de pouvoirs que l�ancien mage d�Izergh. Il ne menait pas une conqu�te, il �tait venu pour sauver les peuples des mondes du dessus et bien qu�un �l�ment personnel venait perturber sa qu�te, il saurait probablement y faire face. Uriguane jeta un oeil sur la flamme de la bougie. Elle vacilla et s��teignit.

Les brumes matinales qui naissaient dans la plaine �taient remont�es et couvraient maintenant le plateau d�Erigoth. Une ros�e d�licate s��tait pos�e sur les quelques arbres effeuill�s de la r�gion et avait gel�. Les branchages �taient envahis par le givre qui fondrait avec l�avanc�e du soleil. Pour l�instant, seule la lune �clairait les rochers oranges du plateau. La faune pauvre des lieux �tait encore plong�e dans une profonde l�thargie. Guilarche, debout depuis longtemps d�j�, venait de r�veiller Mael. Celui-ci, apr�s quelques grognements de protestation avait fini par se lever et avait rejoint le mage en haut des marches du temple. Le mage murmura � l�oreille du barbare :

- Nous allons � la biblioth�que Mael. Soit discret, il n�est l�heure de se lever que pour nous, je connais quelques mages qui protesteraient s�ils n�avaient pas leur compte de sommeil.

- Je vois que ce n�est pas sp�cifique aux barbares... Mael avait parl� sans pr�ter attention � l�intensit� de sa voix.

- Pas si fort ! allons-y.

Les deux silhouettes travers�rent la cit� d�Izergh � pas de loup sous le bleu de la lumi�re lunaire. Mael, comme pour minimiser sa pr�sence, marchait courb�.

Quand ils furent dans la biblioth�que, ils allum�rent chacun une bougie et s�install�rent � un bureau. Guilarche expliqua alors la raison pour laquelle ils s��taient lev�s si t�t. Il apprendrait ce jour au barbare les sorts de l��cole des mages d�Izergh : Celui qui volait les �mes et celui qui volait les corps. Les deux sorts �taient longs � mettre en pratique et souvent, les magiciens se regroupaient pour y faire appel. Dans le silence feutr� de l��difice, sous la lumi�re instable de la bougie, Mael se pencha sur un ouvrage de bonne �paisseur que le scribe lui avait apport�. Il passa une bonne partie de la journ�e � apprendre les sorts. Il consacra le reste du temps � s�exercer. Il ne r�ussit pas, malgr� de nombreux essaies, � ma�triser la magie d�Izergh. Il fallait beaucoup de temps pour r�ussir � y faire appel, m�me � un �l�ve aussi dou� que Mael.

De temps � autres, il se cru proche du succ�s. Il avait m�me r�ussit � invoquer un �clair blanc, symbole de la manifestation de l�esprit voleur d��mes. Mais il n�avait pas ma�tris� le flux d��nergie qui s��tait d�gag� et le sort s��tait perdu dans le bleu du ciel.

Deux semaines dans le temple furent n�cessaires � Mael pour ma�triser les esprits voleurs d�Izergh. Il lui fallut encore une semaine pour perfectionner son apprentissage de la magie. Ce que Mael avait acquis, aucun mage avant lui n�avait r�ussi � l�apprendre en moins de cinquante ans. Helena elle-m�me avait beaucoup m�dit� avant de sentir les esprits. Il avait r�alis� l�impossible, comme si l�urgence de la situation avait fait de lui l�homme d�sign�.

Quand il f�t pr�t, Uriguane l�appela dans son bureau. C��tait un soir. Une brise l�g�re caressait la tour qui surplombait le temple. S�engouffrant au travers de petites ouvertures, elle chantait une complainte d�chirante. Les nuages qui s��taient form�s au dessus de la mer des Sargues arrivaient de l�ouest, charg�s d�eau et d��lectricit�. Un nouvel orage allait �clater dans la nuit.

A la lueur d�une torche, Mael et Uriguane se regardaient avec gravit�. Le barbare savait qu�il allait � nouveau quitter les gens avec qui il avait tiss� des liens. Des gens qui l�avaient aid� � progresser dans sa qu�te. L�imminence de son d�part rappela encore Shani au souvenir de Mael. Il la revoyait assise sur le tronc de l�arbre d�racin�, une lueur �trange emprunte de tristesse et d�inflexibilit� passant dans le vert de ses yeux. Il n�arrivait pas � comprendre pourquoi elle restait si pr�sente dans son esprit. Allons, Mael, reprends-toi ! Tu ne la connais presque pas ! Elle ne devrait plus exister pour toi, pas m�me dans tes songes ! Son esprit lui dictait d�oublier Shani, comme on tente d�oublier le plus marquant des �v�nements sous de futiles pr�textes. Et de la m�me fa�on, plus il tentait de faire abstraction de la nuit merveilleuse qu�il avait pass�e avec elle, plus son souvenir �tait insistant. Uriguane darda un regard inquiet en direction de Mael :

- Voil� la raison pour laquelle je me fais du souci � ton sujet, Mael.

- Vous vous inqui�tez ?

- Oui. Ton esprit ne doit pas se d�tourner de la qu�te pour laquelle tu as quitt� les tiens Mael. Et surtout pas pour s�abandonner � de sombres pens�es.

- Vous lisez dans mon...

- Non. Il est difficile d�acc�s, mais je devine les sentiments qui t�animent. Ne t�abandonne pas � animae nigra res, Mael. Sinon tu seras perdu et le monde du dessus avec toi.

- Je ne sais pas ce qu�est animae nigra res. Guilarche m�a donn� une vague explication, mais c�est flou pour moi.

- La chose noire de l��me pourrait �tre d�crite comme �a : C�est la somme des maux et des col�res de notre terre. Chaque �tre vivant poss�de un peu de ce flux. Plus ou moins.

- Et comment interagit-il avec nous ?

- Plus un �tre en est pourvu, plus il devient mauvais. Jusqu�au mal absolu, jusqu�� devenir aussi t�n�breux que Blackmort lui-m�me. Mais tout le monde peu contr�ler, faire diminuer ou augmenter animae nigra res. C�est difficile, il faut une volont� de fer. Dans ton cas, Mael, �tant donn� les aptitudes que tu as d�velopp�es, il est indispensable que tu r�gules ce flux.

- J�ai la volont� qu�il faut pour ne pas me laisser envahir, Urigu
Les deux hommes partirent t�t le matin sur le sentier qui descendait vers la plaine. Julian avait emport� le minimum sur lui. Une petite sacoche pendait � la ceinture de son v�tement. Le reste de ses effets personnels �taient port�s par un cheval aux pattes larges et muscl�es. La licorne de Mael supportait le poids des provisions offertes par les magiciens.

En haut du plateau d�Erigoth, Mael et le mage ne distinguait qu�une �tendue verte et uniforme. Le chemin qui devait les mener � la bande p�trifi�e, fronti�re entre le d�sert de Julazah et la plaine de Zoguart, �tait � plusieurs jours de marche du temple. De l�, ils devraient emprunter le passage vers les mondes du dessous creus� sous la colline des Ombres. Enfin, lorsqu�ils auraient atteint le grand portail, Mael devrait le franchir seul et r�cup�rer Alzagure.

A l�ouest du monde sup�rieur, sur la route qu�empruntaient les deux compagnons, La plaine de Zoguart �tait habit�e par de nombreux humains. Des peuples qui avaient v�cu la premi�re invasion des sept seigneurs noirs par l�est, beaucoup avaient fui vers les rivages de la mer des Sargues. Elle leur apportait la nourriture et le sel n�cessaire � la conservation de leurs aliments. Les collines de la Bande P�trifi�e, plus au sud, leur fournissaient le m�tal des outils et des armes qu�ils forgeaient. Le temps �tait cl�ment en cette partie du monde, et, depuis que le d�sert avait cess� sa progression au pied des collines, les hommes ne craignaient plus pour les p�turages verdoyants qui bordaient la c�te.

Quelques races pacifiques, tels les Elygotes, cohabitaient avec eux. Les Elygotes �taient de petites cr�atures aux longs bras et aux petits yeux rouges. Ils �taient arboricoles et ressemblaient, dans leur fa�on de se d�placer, aux singes. Toutefois, ils �taient compl�tement imberbes et dou�s d�une intelligence primitive. Ces cr�atures savaient confectionner des habits simples et se servir d�outils travaill�s pour cueillir les fruits abondants que produisaient les arbres de la r�gion. Elles avaient un langage riche et communiquaient autant par le geste que par la parole. Peu craintives, elles avaient accueilli les hommes sans curiosit� ni m�fiance. L�harmonie qui r�gnait au sein de leur soci�t� avait surpris les nouveaux arrivants et les sages avaient �crit beaucoup � leur sujet. De toutes les cr�atures connues dans le monde, les Elygotes �taient les seules � n��tre jamais entr� en contact avec animae nigra res.

Les mages essayaient de percer le secret de leur aptitude � refuser la violence et la col�re. Ils pensaient que s�ils d�couvraient la raison d�un tel pacifisme, s�ils comprenaient pourquoi l��trange flux n�habitait pas ces cr�atures, ils pourraient �radiquer le mal de la surface de la terre. Ils �taient m�me convaincus de pouvoir en d�barrasser les mondes du dessous. Les Elygotes se livraient r�guli�rement aux exp�riences des magiciens et avaient appris, de g�n�ration en g�n�ration, � parler le langage des hommes.

Le barbare et le mage firent une grande partie du trajet en silence. huit jours pass�rent. huit jours pendant lesquels ils ne parl�rent qu�� la veill�e, autour d�un feu, au cr�puscule.

Le huiti�me soir, ils arriv�rent dans un village de paysans. Il �tait compos� de maisons aux murs gris et aux toits de chaume. Il �tait travers� par de larges chemins de terre. Quelques granges servaient d�entrep�ts aux outils agricoles. Sur la place principale, Un grand b�timent de bois chaud et sec �tait la r�serve � grain commune. A l�est du village, sur le chemin de la citadelle de Bonhort, les ailes de tissu de deux grands moulins tournaient au gr�s des vents venant de la mer des Sargues. Dans les ventres des deux g�ants, des rouages complexes grin�aient, les meules grondaient et les meuniers s�affairaient � la transformation des pr�cieuses r�coltes en une farine blanche, fine et volatile.

Les gens du bourg accueillirent les deux voyageurs avec prudence. Les �chos des troubles qui agitaient le d�sert de Julazah �taient remont�s jusqu�� eux et, malgr� leur tradition hospitali�re, ils se m�fiaient de chaque nouvel arrivant. Mael et Julian durent les convaincre que leur parcours �tait pav� de bonnes intentions.

Finalement, apr�s avoir longuement discut� avec le chef du village, ils furent invit�s � passer la nuit dans une grange.

Dans la b�tisse en bois mal �clair�e qui jouxtait la maison la plus au sud du village, allong�s sur de la paille, Mael et Julian tentaient de trouver le sommeil. Ils n��taient plus qu�� deux jours de marche des premi�res collines qui s�paraient le d�sert de cette plaine accueillante.

Le barbare, c��tait devenu pour lui une habitude, pensait � Shani. Le souvenir de l�elfe ne se faisait pas moins pressant avec le temps, au contraire. Il avait l�impression de la conna�tre mieux chaque jour qui le s�parait de son passage dans la for�t. Comme si, du coeur du royaume des elfes, elle l�avait suivi. Bien s�r, elle n��tait pas � ses c�t�s, mais il avait l�impression qu�elle accompagnait chacun de ses pas dans la plaine, qu�elle ne l�avait pas quitt�. Julian, qui, au m�me titre que son ma�tre Uriguane, savait lire les sentiments des hommes, lui adressa un regard d�sol�. Le guerrier se leva et sortit de la grange. La nuit �tait calme et l�air, m�me en cette saison, n��tait pas froid.

Mael marcha jusqu�� la place du village. Le puits autour duquel travaillaient quelques hommes le soir de leur arriv�e �tait d�sert maintenant. Une seule fen�tre brillait encore dans le village. Sans doute la chambre d�un jeune enfant qui, parce que l�obscurit� est la m�re de toutes les craintes, ne s�endormait qu�� la lumi�re d�une bougie.

Le barbare marcha jusqu�au puits et s�appuya sur son rebord en pierre. Il pencha la t�te au dessus du trou circulaire et observa l�eau qui y stagnait. La lumi�re de la lune la faisait briller d�une lueur argent�e. Comme pour l�interroger, pour savoir si la lumi�re qui �clairait l�eau du puits �tait un message, l�homme se tourna vers la lune. Il aurait tant voulu que celle-ci lui parle, qu�elle lui adresse un signe, si l�ger fut-il. Il avait besoin de r�ponses � ses nombreuses questions ce soir. Le disque p�le et brillant ne lui adressa pas le signe qu�il esp�rait.

Mael fit quelques pas dans le village endormi. Il essayait de penser � la qu�te pour laquelle il �tait en chemin. Plus il avan�ait, plus il recevait d��chos de personnes pr�tes � l�aider et, paradoxalement, plus il se sentait seul.

En ce soir d�hiver, il aurait voulu ne jamais �tre parti de la montagne du dragon. Il aurait voulu ne pas �tre celui qui pouvait sauver les siens. Il aurait voulu ne jamais conna�tre les elfes, ne jamais rencontrer Shani : Nous ferons tout pour que ta qu�te soit un succ�s, tu ne seras jamais seul. Quelle ironie ! Elle avait prononc� ces quelques paroles peu de temps avant de le laisser. Il ne serait pas seul dans sa qu�te, il serait seul dans la vie : Incroyablement entour� mais seul. Son coeur se serra dans sa poitrine. Il sembla � Mael qu�il finirait par s�arr�ter de battre, oppress� par la douleur. Le barbare passa une bonne partie de la nuit assis � r�fl�chir.

Alors qu�il retournait vers la grange, traversant le village silencieux, Mael pensa au sage qui, le soir de son enterrement, avait communiqu� avec lui par del� le grand myst�re. Lui aussi avait dit au barbare qu�il le guiderait...Ca faisait maintenant neuf ans. Mais peut-�tre le seul fait d�y penser �tait le signe que le vieil homme ne l�avait pas tout � fait quitt�.

Il se rappelait ses longues heures de m�ditation aupr�s de la tombe du sage, ses tentatives vaines pour entrer en contact avec lui. Peut-�tre ces heures assis seul �taient-elles la raison pour laquelle il avait r�ussit si vite � ma�triser les magies que Guilarche lui avait enseign�.

Il allait passer sous la double porte de la grange quand son attention fut attir�e par un bruit t�nu. Une sorte de frottement s��tait fait entendre non loin de lui : SSHhhhh...SSSHHhhh. En fait, �a faisait plut�t penser � un chuintement, ou au bruit provoqu� par les feuilles mortes qui glissent les unes sur les autres quand le vent les soul�ve. Le bruit venait de la droite du baraquement. Shhhh...SSHHHHhhhh...Il se faisait plus intense maintenant. Mael, qui avait pos� son �quipement dans la grange, recula � pas feutr�s et attendit. Le bruit cessa aussi soudainement qu�il s��tait fait entendre. L�homme du nord ne per�ut plus que celui d�un rapace nocturne hululant au clair de lune. Le chuintement devait �tre celui d�un animal rampant, qui, ayant lui-m�me entendu l�homme, s��tait immobilis�. Rien qui puisse inqui�ter un barbare aguerrit.

Alors que, apr�s un court instant, Mael faisait ce raisonnement en marchant vers l�entr�e de la grange, le bruit se fit entendre de nouveau, plus proche de lui. Bien qu�il pensait qu�aucun danger ne le mena�ait, le barbare voulait savoir ce qui �tait la source du bruit. Comme pour accompagner le chuintement, le vent se leva et fit bruire les feuilles des arbres fruitiers du village.

Mael contourna doucement la grange � une distance respectable des murs. M�me si les serpents de cette r�gion ne repr�sentaient pas de r�el danger de mort pour les hommes adultes, leur morsure �tait douloureuse et le venin qu�ils injectaient � leur victime pouvait paralyser un membre pendant plusieurs heures.

Quand Mael put enfin voir le c�t� de la grange d�o� le bruit venait, il cru d�abord qu�il n�y avait rien. Le sol jonch� de paille et couvert de poussi�re semblait d�sert. Puis, le barbare observa avec attention la partie du sol cach�e de la lumi�re de la lune. Dans l�ombre, sous quelques outils pos�s contre le mur, il cru voir une forme, une esp�ce de serpent enroul� sur lui-m�me. Alors que les yeux de Mael s�accoutumaient � l�obscurit�, les contours de la forme se faisaient plus pr�cis. Le barbare commen�ait m�me � distinguer les �cailles grises de la b�te. Il ramassa une petite pierre et la lan�a sur l�animal. Celui-ci, dans un mouvement furtif, recula. Mael recommen�a. Ce coup-ci, l�animal se d�pla�a plus loin.

Quand il fut �clair� par la lumi�re bleut�e de la nuit, l�animal se tourna vers le guerrier et ouvrit sa gueule en grand. Il avait une m�choire d�mesur�e en comparaison de la taille de son corps. On eut dit la caricature d�un serpent qu�un artiste un peu fou aurait r�alis� en exacerbant le c�t� dangereux de la b�te. Deux longs crochets d�un blanc souill� de traces rouge sombre �taient fich�s dans le haut de sa gueule. L�animal n�avait pas d�yeux.

Il se mit en mouvement et rampa doucement en direction du barbare. Apr�s avoir tent� d�intimider son agresseur, Il sauta litt�ralement sur lui, se d�ployant de toute sa longueur pour tenter de le mordre. Mael fit un bond sur le c�t� et roula sur la terre meuble. Il se releva aussit�t, la t�te � quelques centim�tres des crochets ac�r�s. L�animal tenta une nouvelle attaque. Mael r�ussit � nouveau � l�esquiver. Le barbare se redressa et couru vers les outils pos�s contre la grange. Il attrapa au hasard un manche et se retourna. Il chercha l�animal d�un bref regard circulaire et l�aper�ut non loin d�un petit muret. Il attendit quelques minutes qui lui parurent durer des heures, la pioche qu�il avait saisie � la main.

Tout � coup, alors que rien ne le laissait supposer, le serpent fuit derri�re le petit mur de pierres. Mael couru vers l�endroit ou l�animal s��tait cach�. Quand il passa derri�re le muret, il constata que le serpent avait disparu. Il chercha attentivement o� avait fui la b�te et d�couvrit un trou assez grand pour qu�un homme de bonne corpulence y logea en entier. La bouche ouverte dans le sol semblait profonde. Autour, le sol d�sert s��tendait loin. Assez pour que le reptile n�ait pas pu se cacher autre part.

A l�horizon, comme pour signifier que tout �tait fini, le ciel s��claircissait. L�aube approchait. Jugeant que l�animal ne r�appara�trait pas, le barbare d�cida de regagner la grange dans laquelle Julian dormait. Quand il fit demi-tour, il vit un homme qui portait une lanterne � bout de bras d�une main et un outil de l�autre. Le paysan l�interpella :

- Qui �tes vous ? Que faites-vous ici ?

Mael se dirigea vers l�individu. Celui-ci tendit la fourche qu�il tenait.

- N�approchez pas ! R�pondez !

- Je prenais l�air. Je suis l�un des hommes � qui vous avez offert l�hospitalit� pour la nuit.

L�homme tendit d�avantage la lanterne.

- Vous preniez l�air ? Un soup�on se peignit sur son visage. A une heure pareil ?

- Je n�arrivais pas � trouver le sommeil.

Le paysan abaissa sa fourche, semblant accorder sa confiance � Mael. Il demanda :

- C�est vous qui avez fait ce bruit ?

- Ce bruit ? Quel bruit ?

- Une sorte de chuintement...

- Non. Il y avait un serpent pr�s de la grange. Mael d�signa le b�timent qui faisait office de chambre pour lui et son compagnon.

- Un serpent ? Dans le village ? Ca m��tonnerait ! Les serpents de la r�gion sont plut�t craintifs et ne s�approchent jamais du bourg !

- Je l�ai vu comme je vous vois. Il �tait gris, couvert de petites �cailles. Il avait une paire impressionnante de crochets et il m�a attaqu� ! J�ai d�j� rencontr� des animaux plus � craintifs �. Mael avait accentu� la prononciation du mot. Il a fil� dans ce trou, l�-bas. Il tendit un bras vers le petit muret de terre derri�re lequel avait fui l�animal.

- Mmmh...Allons voir �a.

Les deux hommes arriv�rent au bord du trou. Le paysan s�agenouilla et observa avec minutie l�orifice. Apr�s un rapide examen, il leva la t�te vers Mael.

- C�est surprenant. Aucun serpent connu n�a une telle circonf�rence...

- L�animal �tait beaucoup plus petit. C�est peut-�tre juste un trou qui existait d�j� et dont il se sert comme habitat.

- Peut-�tre, oui.

Le paysan �tait m�ditatif. L�explication que lui avait donn� le barbare ne semblait pas le satisfaire pleinement. Il avait tout l�air d�avoir mis cette proposition de c�t�, comme s�il ne se r�soudrait � l�admettre que si rien de mieux ne pouvait expliquer la taille du trou.

Mael �changea encore quelques paroles avec lui et regagna la grange. Il se coucha sur la paille. Beaucoup de questions le tenaillaient, mais il �tait �puis� et il sombra vite dans un sommeil que rien ne vint perturber.

S�engouffrant par la double porte entrouverte, Un rayon de soleil net et intense traversait la grange. Des poussi�res de paille dansaient dans la lumi�re chaude de ce matin. A l�ombre, pr�s d�une vieille poutre s�che, dans la fra�cheur relative qu�offrait le b�timent de bois, Julian rangeait l�un de ses sacs, tournant le dos � Mael. Le barbare, allong� sur la paille, les mains derri�re la t�te, finissait de se reposer dans un demi-sommeil. Il repensait au serpent qu�il avait vu la veille. Il se demandait s�il devait raconter l��v�nement apparemment assez insignifiant au mage. Ce qui le taraudait, c��tait ce qu�avait dit le paysan : Les serpents de la r�gion sont plut�t craintifs et ne s�approchent jamais du bourg. Pourquoi la b�te s��tait-elle retrouv�e si pr�s des maisons ? Si pr�s de la grange ? Pourquoi n�avait-elle pas fui d�s que la premi�re pierre l�avait atteinte ? Pourquoi l�avait-il attaqu�e ? Le serpent ne semblait pas s��tre �gar�. Il savait qu�il avait un lieu de retraite. Il savait qu�il y avait un trou pr�t du muret. Pourquoi sinon, se serait-il dirig� vers cet endroit ? Le barbare se r�solut � en parler :

- Julian ?

- Oui ?

- Hier soir, quand je suis sorti, il m�est arriv� quelque chose.

- Que t�est-il arriv� ?

- J��tais pr�s de la grange. Un bruit a attir� mon attention. J�ai voulu voir de quoi il retournait. J�ai trouv� un serpent �trange blottit contre le mur. J�ai tent� de l�en d�loger et il m�a saut� dessus.

- Un serpent ? Est-ce �tonnant ? Je crois savoir que les serpents sont nombreux dans cette partie du monde.

- Oui, je sais. Mais d�apr�s les gens d�ici, ils sont craintifs et ne s�approchent jamais des villages.

- Ne te pose pas trop de questions Mael, je suis s�r qu�on pourrait trouver beaucoup de raisons � la pr�sence de cet animal ici. Si tu cherches � tout interpr�ter, tu risques fort de perdre beaucoup de temps pour rien.

- Bon. N�en parlons plus.

Mael consid�ra, un peu contraint, que Julian devait avoir raison, qu�une explication simple pouvait justifier sa rencontre de la veille. Il n�avait, de toute fa�on, pas envie de s��terniser en explications : Sa nuit courte n�avait pas suffit � le reposer tout � fait et il sentait presque son cerveau noy� dans une brume �paisse.

Apr�s s��tre copieusement restaur�s et avoir chaleureusement remerci� les villageois, les deux hommes accompagn�s de leur monture reprirent leur marche vers la colline des Ombres. Ils travers�rent cinq villages pendant la journ�e. A chaque fois, ils durent convaincre les habitants du bien fond� de leur voyage. Ils faillirent m�me �tre oblig� de contourner le dernier bourg qu�ils travers�rent, les paysans s��taient montr�s particuli�rement agressifs et r�tifs � leur passage.

Alors qu�ils marchaient sur un chemin caillouteux, Mael se rem�mora la b�te grise du premier village qu�il avait travers�. Quelque chose dans l�attitude de l�animal avait un air de d�j� vu pour le barbare. Il savait qu�il pouvait associer son agressivit� � celle d�un autre animal. Les serpents de la r�gion sont plut�t craintifs et ne s�approchent jamais du bourg. Le paysan avait dit �a comme s�il s��tait agi d�une certitude. Comme un fait indiscutable. Mael avait beau essayer de savoir d�o� lui venait cette impression, il ne parvenait pas � trouver pourquoi le comportement de la b�te lui semblait si familier.

Soudain, il trouva pourquoi il �tait si troubl�. Il eut une vision. Rien de surnaturel. Mais aussi claire que l�eau des torrents serpentant dans les monts du nord, la solution vint � lui. Les animaux qui d�habitude ne s�approchaient jamais d�un feu de camp, qui fuyaient � la premi�re blessure et qui, cet hiver, s��taient montr�s f�roces et d�termin�s : C��tait les loups qui habitaient les bois de la montagne du dragon.

Les souvenirs refirent surface avec force. Mael revoyait l�homme bless� dans son lit, envelopp� dans une �paisse couverture, racontant l�attaque qui avait failli lui co�ter la vie. Le veilleur, entre deux quintes de toux, avait d�crit le loup comme un animal plus grand et plus puissant que ceux qu�il avait d�j� vu les hivers pr�c�dents. Il avait ajout� que la b�te avait fuit � l�aube : Le serpent en avait fait autant.

Le barbare regarda Julian, h�sitant. Le mage avait paru trouver son r�cit si anecdotique, si anodin...Finalement, supposant que Julian n�avait pas prit toute la mesure de la chose, il d�cida de revenir sur le sujet :

- Julian, il faut absolument que je te reparle du serpent...

- Encore ? Je t�ai dis ce que j�en pensais, il me semble.

- Oui, je sais. Mais j�y ai r�fl�chi depuis. Tu sais ce qui m�a fait quitter mon clan ?

- Oui, je suppose. Tu sais que Blackmort, apr�s avoir fait tomber les villes du sud et les royaumes de la for�t de Pandyle, s�attaquera aux habitants de la montagne. Tu es parti pour les d�fendre.

- Pas tout � fait. Les loups sont nombreux dans les bois qui bordent mon village. Cet hiver, ils ont chang� de comportement. Ils sont devenus dangereux pour nous. Mais il n�y a pas eu d��volution de leur comportement : le changement a �t� soudain, brutal. Comme si...Et bien, comme si les b�tes f�roces qui nous attaquent r�guli�rement depuis le d�but de la saison n��taient pas ceux que nous rencontrons d�habitude. Comme si d�autres animaux s��taient substitu�s aux loups des bois du nord.

- C�est ce qui t�a fait partir ?

- Oui. J�ai �t� choisi pour trouver ce qui nous menace. Nous nous doutions que les loups n��taient que la partie �merg�e du danger, mais nous n�avions aucune id�e de la source r�elle du mal qui nous frappe.

- Et quel est le rapport avec l�animal que tu as vu pr�s de la grange ?

- Le rapport ? Le serpent, comme les loups, m�a attaqu� au lieu de fuir comme l�aurait fait ceux que l�on rencontre dans cette partie du monde. De la m�me fa�on que les loups, il a fui avant l�aube, comme s�il ne pouvait rester apr�s le lev� du soleil. Et m�me si je ne connais pas bien ce genre de reptile, je sais au moins qu�ils sont...diff�rents.

- Diff�rents ? Qu�avait-il de particulier ?

- D�abord, le serpent n�avait pas d�yeux. Ensuite, ses �cailles...Elles �taient grises et elles refl�taient la lumi�re de la lune. On aurait dit qu�elles �taient faites de m�tal.

- Peut-�tre les as-tu vues grises : il faisait nuit. Comment peux-tu affirmer que la couleur que tu as vue est celle du serpent en pleine lumi�re ? Julian posait la question, mais il semblait moins s�r qu�il faille n�gliger l�incident. Sa question ressemblait d�avantage � une demande de pr�cision qu�� un refus en bloc de ce que disait Mael.

- La lune �tait pleine, Julian ! Le guerrier sentait le doute qui envahissait le mage, il allait enfin pouvoir avoir un avis �clair� sur le sujet. Je l�ai vu parfaitement, il �tait � quelques pouces de moi.

Julian s�arr�ta sur le chemin. Il resta silencieux un moment. L�herbe grasse de la plaine ondulait au gr� d�une brise l�g�re et rafra�chissante. Le cheval du mage fit quelques pas dans la prairie pour y brouter. Mael attendait, silencieux, lui aussi. Puis, Julian d�clara :

- C�est pr�occupant. Je ne sais ce que tu as vu, du moins, pas exactement, mais il est imp�ratif que j�en parle � Uriguane. Si la cr�ature qui t�a attaqu� n�est pas un serpent, si c�est l�une des nombreuses cr�atures des mondes du dessous, alors Blackmort avance sur nos terres plus vite que je ne l�aurais imagin�. Le regard de Julian semblait porter plus loin que le barbare. Comme si la r�flexion qu�il faisait l� n��tait destin�e qu�� lui-m�me. Continuons notre route. Ce soir, lorsque nous aurons �tabli notre camp, j�entrerais en communication avec mon ma�tre.

Le soir vint. La lumi�re vive, presque �blouissante de l�astre du jour fit place � celle, tamis�e et myst�rieuse de la lune. Sous un grand ch�ne auquel la licorne et le cheval �taient attach�s, Mael �tait assis aupr�s d�un feu de camp. Au dessus des flammes, grillaient deux morceaux de lapin au fumet app�tissant. Le mage, plus loin dans la prairie, assis en tailleur, �tablissait le contact avec Uriguane.

Le spectre flou du ma�tre du temple d�Izergh apparut devant Julian. Le barbare observait la sc�ne de loin. Il vit Uriguane se mat�rialiser � quelques pas de son compagnon de route. O� plut�t, il vit l�image du vieux magicien. Les deux hommes discut�rent longtemps.

Mael eut le temps de manger sa part du lapin et d�aller chercher quelques branchages morts pour alimenter le foyer dont les flammes jaunes avaient vacill� plus d�une fois avant que l�apparition ne se dissipe. Il avait vu Julian devenir tour � tour anxieux, soulag� et � nouveau inquiet pendant l��change de paroles.

Son compagnon revint s�asseoir pr�s du feu. Il entama son repas avant de rendre compte au barbare de ce qui s��tait dit. Puis, tendant un morceau de cuisse � peine entam� � Mael, il lui confia :

- D�apr�s Uriguane, la cr�ature que tu as vue n�est pas un serpent.

- Alors qu�est-ce ? Le guerrier n��tait pas surpris par l�annonce.

- Ca serait...Un Syraptis. Un onduleur des abysses.

- Un onduleur des... ?

- Une des nombreuses cr�ations de Blackmort. Un m�lange entre le serpent pour sa forme, l�homme pour son intelligence et animae nigra res pour sa f�rocit�.

- Et cet animal, cette cr�ature, Est-elle dangereuse ?

- Pas directement, mais en finalit�, elle est plus dangereuse que le plus venimeux des reptiles. Son venin n�est pas ordinaire. T�as t�elle ne serait-ce qu��gratign� ?

- Non, je ne crois pas. Mael tentait de se souvenir pr�cis�ment des deux assauts de la b�te. Il se rappelait bien avoir r�ussit � �viter une morsure franche, mais il n��tait pas certain que l�animal ne l�avait pas touch�. Mais dis-moi, son poison : qu�a-t-il de particulier ?

- C�est une sorte de concentr� de � chose noire de l��me �...Ce � serpent � ne peut pas tuer, mais il peut injecter � ses victimes de la col�re pure. Il peut les rendre fous de rage.

- Mais, en mordant, il se condamne, alors ?

- Oui. Mais il n�est pas ma�tre de ses actions. Il a �t� en quelques sortes � programm� �. Nous devons nous h�ter, Mael. Demain, nous partirons � l�aube.

- Je t�observais tout � l�heure, Julian. Tu m�as paru tout � coup soulag� et � nouveau, tu as sembl� troubl�.

- J�ai demand� � Uriguane des nouvelles du temple. Blackmort nous attaquera forcement � un moment ou � un autre. Ses arm�es n�ont pas encore tent� d�investir le temple. Par contre, des femmes et des enfants de la citadelle de Bonhort, qui se dresse � l�est de notre terre, sont en route pour les villages de l�ouest. Ils ont �t� envoy�s l�-bas parce que les hommes craignent une attaque imminente des forces t�n�breuses...C�est un bien mauvais pr�sage. Prenons du repos tout de suite : Demain, la journ�e sera longue.

D�j�, alors que les �toiles brillaient encore, les deux hommes �taient en route. Leur marche �tait lente. La nuit avait �t� courte pour eux.

Alors qu�ils empruntaient un chemin qui commen�ait � s��lever, annonciateur des premi�res collines de la bande P�trifi�e, un homme vint � leur rencontre. Il �tait grand et v�tu d�un large v�tement gris. Une longue barbe de la m�me couleur se perdait entre les pans de son costume.

Quand Mael et Julian arriv�rent assez pr�s pour deviner ses traits fins marqu�s par le poids des �ges, il tendit les bras vers eux. Le mage s�arr�ta, apparemment m�fiant. Puis, soudain, son visage s�illumina. Il tendit ses bras � son tour :

- Asterion ! Comment vas-tu mon ami ! Mael, qui avait d�j� sorti son arme, la rengaina aussit�t.

- Et toi ? Ca fait longtemps que je ne t�avais pas vu !

Les deux hommes se serr�rent avec une �motion presque fraternelle. Mael se pr�senta. Julian expliqua au barbare qu�Asterion �tait un mage d�Izergh. Il �tait l�un de ceux qui avaient d�cid� d��tudier les Elygotes. Il �tait parti du temple voil� dix ans et, pour la premi�re fois depuis, les deux mages se retrouvaient.

- Alors, O� en sont tes recherches ?

- Et bien...On peut dire que je suis au point de d�part...Les Elygotes sont pourtant coop�ratifs, ils essayent par tous les moyens de nous aider. Ils r�pondent avec franchise � nos questions, ils sont toujours disponibles. Ce sont d�adorables cr�atures. Mais il nous manque un �l�ment essentiel.

- C�est-�-dire ?

- Nous avons tout essay� pour savoir pourquoi ils �taient si pacifiques, mais nous ne nous sommes pas pench�s sur le vrai probl�me : Personne ne sait encore pr�cis�ment ce qu�est animae nigra res. Nous ne pourrons progresser qu�en connaissant la nature exacte du flux.

- Oui, effectivement...C�est comme de chercher � ma�triser un sort sans savoir ce que veut dire � m�ditation �.

- A peu de choses pr�s, oui. Mais nous avons bon espoir. Comment se passe la vie au temple ?

- Tu n�entres plus en communication avec Uriguane ?

- Non. Je lui envoie mes �crits par messager. Je vis avec les Elygotes et, m�me si ces petites b�tes ne sont pas craintives, j��vite de me servir de mes pouvoirs en leur pr�sence.

- Et bien, en ce moment, tu t�en doutes, nous sommes pr�occup�s par les �chos qui nous parviennent du d�sert et de l�est de notre monde.

- Oui, j�en ai entendu parler aussi. J�ai h�sit� � revenir pour d�fendre le temple. Mais les habitants de cette r�gion auront aussi besoin d��tre d�fendus. Les dragons noirs avancent vite. Ils seront bient�t l�.

- Sais-tu o� ils se trouvent actuellement ?

- Oui. Ils sont encore dans le d�sert, pr�s des collines de la bande P�trifi�e. Je crois que les peuples du sud n�ont pas r�ussi � les arr�ter.

- Tu veux dire...Qu�ils ont...

- Ils ont fait un massacre, Julian. Je ne sais pas si il y a des survivants parmi les peuples du d�sert. Ils sont courageux, mais que peuvent-ils faire sans magie face aux feux de Zadarkane ?

- C�est terrible. Asterion, nous allons devoir te laisser. Plus nous avan�ons, plus je me rends compte de la gravit� de la situation. Si nous ne partons pas maintenant...

Julian ne termina pas sa phrase. C��tait trop difficile � admettre. S�ils ne se d�p�chaient pas, Les chances d�j� maigres de repousser les hordes noires seraient r�duites � n�ant. Ce serait la fin de tout espoir.

Asterion proposa d�accompagner le mage et le guerrier jusqu�� la colline des ombres. Les deux compagnons accept�rent avec joie. Le voyage serait moins monotone.

Ils firent ensemble les derniers kilom�tres qui les s�paraient de l�entr�e du passage vers l�empire du dessous. Quand la colline fut en vue, le soleil disparaissait d�j�, englouti dans l�immensit� de la mer des Sargues. Asterion, avant de quitter les deux hommes, leur offrit l�objet de l�une de ses recherches. Il tendit � Julian un petit sachet en toile bleue ferm�e par un cordon dor�.

- Te rappelles-tu, Julian, qu�avant de descendre dans la r�gion, j�ai commenc� par s�journer chez les elfes ? Mael, qui ne pr�tait pas attention � ce qu�avaient dit les deux mages pendant leur voyage, tendit l�oreille.

- Oui, bien s�r.

- L�-bas, au coeur de la for�t de Pandyle, j�ai d�couvert l�eau de la nuit des temps.

Mael revit imm�diatement la fontaine dans laquelle coulait l�eau couleur indigo. Il l�avait vu de la demeure de Shani, � travers une fen�tre. Bien que surpris par l��trange liquide, par sa couleur particuli�re et par la lenteur avec laquelle il s��coulait dans le grand bassin, Mael n�en avait pas parl�, le moment aurait �t� mal choisi. Le changement d�aptitude de l�elfe � son �gard avait �t� tout ce qui importait.

- L�eau qui soigne les maux ?

- Oui. J�ai pu en emporter un peu. La poudre contenue dans ce sachet est l�essence m�me de l�eau. C�est la substance qui lui donne cette couleur particuli�re et qui lui donne son pouvoir. Faites en bon usage.

- Nous l�utiliserons avec parcimonie, merci Asterion.

Arriv�s au pied du petit mont arrondi par le vent du desert, Mael et Julian �tablirent un camp. Le barbare �tait surpris. Il pensait que la colline qui menait aux mondes du dessous aurait une particularit�, qu�elle se distinguerait des autres. Soit qu�elle serait naturellement plus haute que les autres, soit que des �difices auraient �t� �rig�s sur ses flan ou en son sommet. Or, l�, rien ne la distinguait vraiment des massifs qui l�entouraient : c��tait un mont verdoyant dont la position dans la bande p�trifi�e n��tait pas centrale. Une colline perdue au milieu de centaines d�autres : un rien dans le monde, insignifiante et pourtant si importante.

Du sud, le vent du Julazah s��tait lev�, charriant un sable presque gris. La poussi�re de roche se d�posait dans les herbes, � peine perceptible. Un oc�an d��toiles scintillantes couvrait le ciel, comme un astre immense. Comme une immense lueur argent�e, pensa Mael. Il se leva et ouvrit la sacoche de cuir brun qui pendait � droite de la monture de Julian. Constatant qu�elle �tait vide, il fit le tour de l�animal et ouvrit la seconde sacoche. Il en sorti le dernier repas : du jambon fum� et sal� dont l�odeur, forte et app�tissante, le faisait d�j� saliver. Il divisa le morceau en deux et tendit sa part au mage. Celui-ci go�ta la viande :

- Mmh...Succulent ! A croire que les paysans d�ici ont un secret pour fumer le jambon.

- C�est vrai, c�est d�licieux. J�avais faim, c�est un bonheur. Mael sourit, puis il se renfrogna. Son regard se fit grave, il d�voilait l�inqui�tude qui le rongeait. Julian, dis-moi, que vais-je trouver de l�autre c�t� ?

- Et bien...Le mage, qui allait mordre dans un morceau tendre du jambon, s�arr�ta net. Il le posa � m�me le sol. Nous ne savons pas r�ellement ce qu�il y a derri�re. Nous savons qu�Alzagure repose non loin de l�entr�e sur l�Autel des Fronti�res. Mais personne n�est jamais entr� sur les terres de Blackmort. Seul la lecture d�esprit nous a permis d�apprendre ce que nous savons. Nous ne savons m�me pas � quoi ressemble cet autel.

- Comment ? Tu veux dire que personne n�a jamais tent� de d�truire personnellement l�empereur ?

- Oh si...Il est d�j� venu dans notre monde. Mais inutile de te dire ce qu�il advint de ceux qui tent�rent de se dresser contre l�empereur des t�n�bres.

- Je vois...

Les deux hommes finirent en silence le repas qu�ils avaient entam�. Ils se couch�rent directement sur le sol, tentant de trouver le sommeil au milieu des bruits de la nuit.

Le vent continuait de faire bruire les feuilles. Quelques animaux nocturnes faisaient craquer des branches non loin du camp. Quelques oiseaux hululaient. De temps � autre, un fruit se d�tachait d�un arbre, tombant dans un bruit sourd. Un petit ruisseau coulait non loin d�eux dans un grondement monotone et ber�ant.

Soudain, un bruit sp�cial vint s�ajouter � ceux de la nuit. FFFrruuuhh...FFFrrruuuhh...Il �tait r�gulier et un �cho semblait lui r�pondre plusieurs fois. Mael se dressa dans l�herbe. Il avait l�habitude de dormir � la belle �toile.

Depuis son d�part, il avait pass� de nombreuses nuits dehors : Il se dit tout de suite que le bruit �tait �trange. Il ne ressemble pas aux bruits que j�ai d�j� entendus. Le guerrier cherchait � quoi il lui faisait penser. A un arbre encore feuillu qui s�abat sur le sol. A un vent violent qui vient frapper un mur de ch�teau, s�immis�ant entre des cr�neaux larges. Au bruit que font les vagues qui se d�chirent sur un r�cif. FFFrrrruuu...FFrrruu...Il avait une certitude : Ce ne pouvait �tre provoqu� que par quelque chose de massif. Mael se tourna vers julian. Celui-ci �tait debout. Son regard pointait dans la direction du bruit.

- Julian ?

- Chut !

Le mage, le visage vide d�expression, �coutait avec attention. FFrruuuhh...FFFFrrruuuhhh. Les collines ne permettaient pas aux deux compagnons de voir loin, mais, dans le bleu profond du ciel, � la cr�te d�un haut massif, le barbare crut apercevoir deux ombres noires passer et plonger imm�diatement hors de sa vue. Le bruit s�amplifiait. Chaque nouveau son leur parvenant semblait plus proche. Une nouvelle fois, des silhouettes noires d�chir�rent le bleu de la nuit. Ce coup-ci, Mael en distingua quatre. Il vit d�immenses ailes se lever et s�abattre dans l�air. D�o� il �tait, il les reconnu comme des membranes d�mesur�es de chauves-souris. Julian avait vu les formes aussi. Un murmure glissa entre ses l�vres, l�ger comme une brise de printemps : � Oh non... �. Il se retourna vers le barbare, les yeux agrandis par la surprise et la peur :

- Vite, Mael, il faut fuir !

- Fuir ? Mais o� ?

- Nous allons tenter de gagner le passage des mondes du dessous. Mon cheval est trop fatigu� pour galoper. Lib�re-le. Nous allons monter la licorne � deux. tu suivras mes indications.

Le barbare ne discuta pas, il ne tenta pas de savoir ce qui les mena�ait : L�expression du visage de Julian en disait assez. Le danger �tait terrible. Il d�barrassa la monture du mage de sa sangle de cuir et lui donna une tape sur la croupe pour la faire se sauver. Il d�tacha ensuite la licorne et sauta dessus. Le mage monta � l�arri�re et indiqua du doigt la direction qu�ils devaient suivre. Ils partirent au galop.

Lorsqu�ils eurent parcouru quelques centaines de m�tre, � l�endroit maintenant d�sert o� s��taient tenus les deux hommes, Cinq cr�atures gigantesques apparurent.

Mael ne comprenait que difficilement les paroles du mage : le bruit des sabots, celui du vent engendr� par la vitesse de sa monture et sa concentration pour �viter les pi�ges du chemin lui rendaient la t�che particuli�rement ardue. Malgr� tout, il r�ussit � suivre tant bien que mal les instructions que Julian lui donnait. � Le chemin de droite...L�, pren...�...roite de l�arbre...Passes derr...les rochers par la ...auche ...�.

Au bout de dix minutes d�une course folle et chaotique, ils arriv�rent devant une grotte dont l�entr�e, carr�e et haute, faisait penser � la porte d�un temple grossi�rement taill�e � m�me la roche. Le barbare y distinguait deux colonnes carr�es et un chapiteau triangulaire plus o� moins r�gulier. Sur le fronton du chapiteau, Quelques inscriptions grav�es presque illisibles n�avaient pas r�sist� � l��rosion. Mael fit entrer la licorne au pas.

Au fur et � mesure de sa progression, les parois du tunnel semblaient se resserrer. Le plafond descendait doucement vers le sol. Ils avaient franchi quelques m�tres et d�j�, Mael d�t s�arr�ter, la hauteur de la grotte �tait insuffisante pour q�ils continuent sur le dos de la licorne. Les hommes en descendirent. Mael, bien qu�essouffl�, questionna imm�diatement Julian :

- Qu�est-ce que c��tait ? On aurait dit d�immenses animaux volants.

- Ce sont des animaux volants, Mael. Et pas n�importe quels animaux. Tu as vu des dragons noirs...

- Des...Mais les dragons n�attaquent pas les hommes...

- Normalement, s�ils ne sont pas d�rang�s, non. Mais cinq de ces cr�atures extraordinaires servent Blackmort.

- Zadarkane...Le nom s��tait impos� � lui imm�diatement. Le barbare se rem�mora la l�gende d�Helena. Les dragons que nous avons vus sont ceux conduits par Zadarkane...

La phrase resta en suspens, comme si Mael allait y ajouter une conclusion. Le mage approuva d�un signe de t�te et ajouta :

- S�ils passent les collines, c�est que leur travail dans le d�sert du Julazah est termin�. Ils sont encore plus destructeurs que je ne l�aurais imagin�. Il faut esp�rer qu�ils ne nous ont pas vu.

Alors qu�ils allaient continuer leur marche plus en avant dans l��trange gouffre, Mael et Julian entendirent, proche d�eux, le bruit qui les avaient fait fuir. Le guerrier se souvint des paroles du vieux sage de son village : Les dragons existent, Mael, et chez eux, chez ces cr�atures, la ma�trise du feu est inn�e. Elle fait partie de leurs sens, au m�me titre que l�ou�e ou l�odorat chez l�homme. Le barbare d�gaina sa claymore et entreprit de faire appel � gelis et armat. Sur le passage de sa main, l��p�e bleuit. Un �pais nuage blanc et lumineux se forma autour de la lame.

- Je vois que tu as appris � ma�triser la glace, Mael, mais ne te sers pas de ce sort, pas maintenant.

- Pourquoi ? N�est-il pas efficace contre le feu ?

- Si, mais il est dangereux.

N�attendant pas la r�ponse de Mael, Julian se tourna vers l�entr�e de la grotte. Dardant son b�ton vers le plafond, il entra en une m�ditation inconnue de Mael. Celui-ci, accordant sa confiance au mage, arr�ta le sort d�envo�tement de glace.

Au moment ou l��p�e avait reprit sa couleur originelle, une t�te monstrueuse et d�mesur�e apparut dans l�encadrement du tunnel. Des yeux jaunes fous, plac�s de part et d�autre d�un long museau couvert d��cailles noires, se fix�rent sur les deux hommes en un regard d�ment. La cr�ature ouvrit la gueule, laissant appara�tre deux rang�es irr�guli�res de dents blanches, longues et aiguis�es comme autant d��p�es.

Du fond de la gorge du dragon, un immense brasier jaillit. Il s�engouffra � une vitesse fulgurante dans le tunnel dans un bruit d�avalanche. Mael, instinctivement, cacha son visage des flammes. Celles-ci moururent � quelques m�tres de lui. Un mur de glace, tellement lisse qu�il �tait pratiquement invisible, avait arr�t� le feu. Une voix grave et puissante s��leva entre les parois de la grotte, presque douloureuse aux oreilles des deux compagnons :

- Mis�rables humains ! Vous n�avez aucune chance !

Julian prit Mael par le bras et, suivis par la licorne, ils coururent ensemble vers le fond du tunnel. Derri�re eux, Zadarkane, agitant furieusement la t�te, tentait de se frayer un chemin dans la roche, arrachant de gros blocs de pierre � chacune de ses charges, crachant un feu destructeur continu.

Les deux hommes couraient dans la grotte. La paroi de glace �rig�e par Julian fondait rapidement, laissant se dessiner un trou b�ant en son centre.

Julian, alors qu�il ralentissait sa course, sentit la chaleur des feux de Zadarkane envahir le corridor. Il recommen�a � courir de plus belle malgr� la douleur qui tenaillait ses poumons fatigu�s.

De l�entr�e de la grotte, les deux hommes �taient maintenant invisibles. Constatant qu�il ne pourrait plus atteindre les deux fuyards, le dragon abandonna ses proies et reprit son envol vers le nord, accompagn� de ses quatre cong�n�res.

Mael et Julian ralentirent leur course. Le mage essouffl� s�arr�ta et s�adossa contre la paroi humide du tunnel.

- Ils nous ont vu. Ils savent que nous sommes ici. C�est terriblement inqui�tant.

- Blackmort risque d�en �tre inform� ?

- Oui. Et tr�s t�t. Il a des messagers partout dans le monde.

Le couloir qu�ils suivaient devenait obscur. La lumi�re d�j� faible qui leur parvenait de l�entr�e se faisait de moins en moins pr�sente � mesure qu�ils avan�aient. Mael avait l�impression d�avancer dans une deuxi�me for�t, plus sombre encore que la premi�re qu�il avait travers�. Inexplicablement, il avait l�id�e que tr�s bient�t ses forces allaient le quitter, qu�il allait tomber l�, dans la grotte, et que, quand il se r�veillerait, �a serait pour voir au travers de barreaux faits de bois solide les lumi�res �tranges du royaume des elfes.

Au bout de quelques instants, le barbare ne distinguait m�me plus les murs. L�armure n��mit pas la lumi�re violette qui l�avait guid� dans la grotte sur le plateau d�Erigoth. Elle ne semblait pas vouloir r�pondre � son d�sir d��tre �clair�. Les pi�ces de m�tal avaient l�air...Eteint. Son bouclier devenait inutile dans la nuit de la grotte. Aussi, il accrocha la sangle du pavois sur son dos, au dessus de son �p�e.

C�est alors que sa vue ne lui servait plus que Mael s�aper�ut qu�une odeur faible flottait dans l��troit corridor. Elle lui faisait penser � celle que d�gage un endroit dans lequel croupit une eau sale. Une odeur de mar�cages, se dit-il. Il imaginait le sol couvert d�une eau moisie dans laquelle s��tendait une mousse verte et dense. Les bruits de ses pas confirmaient d�ailleurs que des flaques jonchaient le sol.

Quand le plafond fut trop bas, le barbare se r�signa � laisser la licorne. Celle-ci, d�apr�s Julian, �tait fid�le � son cavalier. Elle attendrait son retour sans qu�il n�ait besoin de l�attacher.

Avan�ant sans lumi�re, le barbare suivait Julian dans une s�rie de passages plus �troits les uns que les autres. Ils durent marcher t�te baiss�e plusieurs fois pour pouvoir continuer � progresser. Le mage, semblant conna�tre le lieu, choisissait entre chacun des tunnels qui se pr�sentaient � eux, comme si le sens de la vue n��tait pas ce qui le guidait dans la grotte.

Alors qu�ils venaient de franchir un passage difficile, descendant plus profond dans les entrailles de la colline, les deux hommes entendirent une voix fluette. Dans les intonations, Mael d�celait de la terreur. La m�me que celle qu�il avait relev� dans les cris du veilleur de son camp attaqu� par le loup. De l�endroit o� il se trouvait, il n�arrivait pas � comprendre le sens des paroles.

Il butta sur Julian. Celui-ci s��tait arr�t�. Il murmura � l�adresse du barbare :

- Je connais ce langage...

- Qu�est-ce ? La voix se fit entendre, plus terrifi�e que jamais :

- IGUADOK ! IGUADOK ! IGU...IGuadok...

- C�est le langage des Elygotes. Ca veut dire...� dragon �.

- Dragon ?

- Oui. Essayons de le trouver. Les paroles de la cr�ature emplirent � nouveau le corridor :

- ALTERAE ! Alterae...

- Il nous appelle au secours, je crois. O� bien il nous met en garde...Je ne sais plus exactement.

Julian et Mael continu�rent leur progression. Les cris d�sesp�r�s de la cr�ature continuaient � r�sonner dans le tunnel, parfois puissants, parfois t�nus.

Depuis qu�ils �taient entr�s dans la grotte, leur avanc�e s��tait faite exclusivement vers le bas. A l�endroit o� ils se trouvaient, la pente devenait raide. � IGUADOK �. Ce coup-ci, l�appel ressemblait � un cri d�sesp�r� lanc� par un mourrant sur un champ de bataille. Comme une ultime tentative pour attirer l�attention.

Quand le mage et Mael eurent parcouru la moiti� de la distance du dernier corridor qu�ils avaient emprunt�, ils entendirent la respiration difficile de l�Elygote. Les hal�tements de la b�te �taient irr�guliers et entrecoup�s de p�riodes de silence complet. Comme si elle arr�tait parfois de respirer, comme si elle abandonnait le combat contre la mort. Le guerrier du nord tenta de s�approcher de la cr�ature, se guidant aux bruits saccad�s qu�elle faisait.

Il tendit le bras pour rep�rer plus pr�cis�ment l�Elygote dans l�obscurit�.

Brusquement, un violent coup de griffes s�abattit sur le dos de sa main. La douleur fut vive et Mael recula. Les pointes fines �taient pass�es dans les interstices du gant. Les cris de la b�te redoubl�rent :

- Sifren ! SIFREN ! SIFREN -hal�tements- SIFREN

- Tu lui fais peur, Mael. Julian s�adressa � la petite cr�ature terroris�e : Nous ne te voulons aucun mal...Nous allons t�aider. Laisse-nous t�emmener avec nous.

- Des hu...humains ? La voix aigu� semblait s��tre apais�e.

- Oui, nous sommes humains. N�aie pas peur. Mon ami va te prendre dans ses bras et nous allons t�emmener � la lumi�re. Nous pourrons te soigner. Mael, prends-le avec toi.

Le barbare, plus prudemment, tendit son bras dans le noir. Il s�attendait � ce qu�� tout moment, une s�rie de petites griffes lui entaille une nouvelle fois la main.

Rien de tel ne se produisit. Il attrapa d�abord une �paule fr�le et tremblante, puis, il passa sa main derri�re le corps ch�tif de l�Elygote. De son autre main, il enveloppa les pattes de la b�te. Sans effort, il la souleva.

Les deux hommes et la petite cr�ature continu�rent � s�enfoncer dans les profondeurs de la colline des Ombres.

Mael sentait un liquide poisseux et chaud couler doucement sur son avant bras. De temps en temps, le fluide s��coulait plus vite et, parall�lement, le corps de la petite cr�ature avait des soubresauts.

Alors qu�ils empruntaient un chemin dont Julian dit qu�il �tait le dernier, celui qui les am�nerait devant le portail, des gouttes du liquide visqueux commenc�rent m�me � tomber du bras de Mael. La petite cr�ature ne respirait plus que faiblement et il fallait que le barbare se penche sur sa bouche pour entendre son souffle irr�gulier et d�clinant. Ne pr�tant attention qu�� celle-ci, Mael ne se rendit pas compte tout de suite que la temp�rature du corridor qu�ils suivaient s��levait � chacun de leur pas.

Il ne s�en aper�ut que lorsque, se m�lant au liquide, la sueur commen�a � perler sur son corps. A cet instant, il remarqua que le noir dans lequel ils �taient plong�s avait chang�. Il n��tait plus absolu. Plus Mael avan�ait et plus les contours du tunnel se faisaient pr�cis. Au fond, � quelques centaines de pas des compagnons, une lumi�re rouge et vive indiquait que la sortie �tait proche.

Ils n��taient plus qu�� quelques m�tres de la lumi�re. Les parois rugueuses en pierre grise du tunnel �taient maintenant bien visibles. La chaleur, tout � l�heure supportable, devenait maintenant accablante et l�animal, inerte dans les bras de Mael, lui semblait bien plus lourd.

Abaissant son regard sur l�elygote, il ne put contenir un sentiment de d�go�t. La t�te de la b�te �tait br�l�e aux trois quarts. D�horribles excroissances noires la d�figuraient. Une partie de sa l�vre sup�rieure s��tait retrouss�e sous l�effet d�une chaleur intense, d�une chaleur de brasier. L�elygote avait l�air de sourire, d�un sourire morbide. Une plaie b�ante et nette, semblable � celle laiss�e par la hache d�un orc sur le torse de Mael, d�chirait le flan de la petite b�te. De la plaie, un sang rouge sombre et visqueux s��chappait et coulait jusqu�au bras du barbare. Il se demandait comment, avec de telles blessures, l�elygote avait pu s�enfoncer aussi loin dans la grotte et survivre.

Pour s�assurer qu�il n�avait pas encore succomb�, il tendit l�oreille � hauteur de la bouche -Sourire de mort- de la cr�ature. N�entendant pas le souffle, il s�approcha d�avantage encore. Puis, se redressant, il interpella le mage :

- Je crois que notre petit ami est mort, Julian. Celui-ci se retourna. Il examina le petit corps. Au bout d�un instant, il d�clara :

- J�ai bien peur que tu aies raison. Il a succomb� � ses blessures. D�pose-le l�, Mael. A notre retour, nous l�inhumerons sur la colline.

Le barbare d�posa d�licatement l�elygote. Il ne parvenait pas � s�expliquer la raison de ses sentiments, mais il se sentait triste. Aussi malheureux que si le corps sans vie qu�il abandonnait au couloir baign� de rouge et de gris �tait celui d�un vieil ami.

Il se souvint des avertissements r�p�t�s des mages et r�ussit, dans un effort, � ne pas se laisser envahir non seulement par cette tristesse sourde et oppressante qui l��treignait, mais aussi par la col�re qui s�y associait. La col�re de voir un �tre fragile d�figur� et bless� � mort par un monstre noir et cruel. La col�re de savoir que cette mort, ainsi que celles dont se faisaient l��cho les gens qu�il avait crois�, �taient li�es � la volont� unique d�un seigneur de l�ombre, d�un empereur sanguinaire. Toutes ces pens�es, qui avaient d�ferl� sur lui comme l�eau s�abat sur la terre lors d�un violent orage, Mael eut la force de les refreiner. Il se redressa, jeta un regard sur la petite b�te et reprit sa marche vers la lumi�re rouge.

Une vague de chaleur inonda les deux hommes lorsqu�ils se pr�sent�rent � la sortie du tunnel. Devant eux, un escalier de pierre royal se perdait dans une grotte aux dimensions impressionnantes. Elle s��levait plus haut que des fl�ches de cath�drale, et ne semblait pas poss�der de limite tant en largeur qu�en longueur. Des stalactites se contorsionnaient -danseurs fig�s dans une chor�graphie surr�aliste- et descendaient � hauteur des yeux de Mael. De cette for�t de pics, une eau sale plongeait dans un fleuve de magma dont l�agitation et les remous auraient pu �tre attribu�s � quelque monstre col�rique. A la surface de la lave, de grandes plaques noires se d�chiraient ou se recomposaient au gr� des courants violents, visages effrayants hurlant et se disloquant, criant une haine sans motif, une peur sans fondement.

Au centre de ce royaume infernal, un �lot de roches que les vagues rougeoyantes l�chaient se dressait fi�rement.

Mael n�en voyait qu�une image floue. Des vapeurs br�lantes montaient de l�immensit� magmatique, d�formant les images qui lui parvenaient, tels des serpents volants translucides se dirigeant vers quelque pays chim�rique.

Le barbare fit quelques pas en arri�re, retrouvant, sous l��paisse couche de m�tal que constituait l�armure de Zoguart, la fra�cheur toute relative de l��troit corridor qui les avait men� jusqu�ici. Julian en fit autant.

- Sommes-nous arriv�s dans les mondes du dessous, Julian ?

- Non, Mael. Nous sommes dans le monde fronti�re. Une barri�re �rig�e par les dragons apr�s que Zadarkane fut corrompu. C�est la seule protection de notre terre contre les arm�es des ombres. Elle ne prot�ge que ce passage entre les deux mondes, et comme tu as pu le constater, elle ne s�est pas r�v�l�e tr�s efficace.

- Mais comment peut-on atteindre les territoires de Blackmort ?

- Il est l�heure maintenant d�utiliser gelis et armat. Le sort te prot�gera de la chaleur insupportable qui r�gne ici. Une goutte de sueur perla entre les cheveux d�faits du vieux magicien, coula sur sa joue et vint mourir � la commissure de ses l�vres.

- Et ? Mael voyait mal comment, en �tant immunis� contre le feu, il pourrait franchir un tel fleuve.

- Tu vas descendre l�escalier jusqu�� la berge. Quand tu y seras, tu m�appelleras. Je cr�erai pour toi un pont de glace. Il faudra que tu sois rapide, Mael. Le pont ne r�sistera que quelques secondes aux vapeurs de chaleur qui se d�gagent du magma.

Le barbare ne r�pondit pas tout de suite. Pour la premi�re fois depuis qu�il �tait homme, il avait peur. Pour la premi�re fois, il se souciait directement de son sort, de ce qui pouvait lui arriver.

Il pointa un regard inquiet sur l�ouverture rouge derri�re laquelle l�escalier se dressait. Puis, il fixa le magicien, interrogateur. Est-ce bien la seule solution qui s�offre � moi ? Julian resta impassible mais, et peut-�tre n��tait-ce qu�un tour de son imagination, Mael crut apercevoir, l�espace d�un instant, au plus profond des pupilles serr�es qui le consid�raient avec gravit�, une lueur argent�. Un signe. Un rien. Un tout.

Shani.

Elle �tait l�. Elle le suivait dans sa qu�te. L�avait-elle abandonn� ? Mael n�en �tait plus s�r. De quoi pouvait-il �tre s�r ? Une seule certitude s�imposait � lui, aussi indiscutable que l�existence de Blackmort : Il devait trouver Alzagure, quoi qu�il en co�te.

Sa peur s�estompa.

- Tr�s bien, Julian. Je traverserai le fleuve de lave. Que dois-je faire ensuite ?

- Quand tu seras sur l��le de fronti�re, tu trouveras un sceaux scell� dans la roche. Une plaque de m�tal brillant. Tu devras juste te placer en son centre et regarder un � un les sept signes grav�s qui le bordent. Ensuite...Ensuite intervient l�inconnu.

- Et si je passe le fleuve et que je trouve l��p�e, comment puis-je revenir ?

- Dans les mondes du dessous, il existe un sceau presque identique...

- Comment sauras-tu que je suis revenu ? Il faut bien que tu recr�es un pont de glace lors de mon retour.

- Sois sans crainte. L�esprit auquel je fais appel est bon. Il fait partie des esprits des mondes du dessus. Il t�attendra et recr�era lui-m�me un pont de glace lors de ton retour.

- Tr�s bien.

Mael respira profond�ment. Une vague de chaleur p�n�tra ses poumons. Il d�gaina sa claymore et l�envo�ta. L��p�e fut envelopp�e dans une brume glac�e bien plus �paisse que la derni�re fois qu�il s��tait essay� � l�appel de gelis et armat. Il descendit dans le gouffre aux mille feux.

L�escalier semblait interminable. Comme si � chaque marche franchie, une nouvelle venait s�ajouter au bas de l��difice. Il arriva finalement au bout. Malgr� la chaleur qui se d�gageait de la fournaise, � quelques pas de lui, Mael se sentait glac�. Le sort �tait efficace. Le barbare se surprit m�me � frissonner malgr� l�habitude qu�il avait des climats froids. Le grondement sourd de la roche en fusion qui filait emplissait le bas de la caverne, puissant et grave.

Il se retourna vers l�entr�e du tunnel. Il ne distinguait plus de Julian qu�une petite silhouette mal d�finie. Il cria :

- Je suis en bas ! Julian !

Il ne m�entendra pas...Pas avec un tel vacarme pour couvrir ma voix. Alors que Mael estima que r�ellement, non, le mage ne pouvait distinguer sa voix dans le brouhaha assourdissant, des rayons violets et brillants apparurent en haut de l�escalier.

Brusquement, dans le bruit de centaines de verres de cristal bris�s sur du pav�, les contours d�un pont se dessin�rent au dessus du fleuve tumultueux. Ils s�emplirent de glace, comme si un g�ant faisait couler une eau invisible si froide qu�elle gelait imm�diatement dans un r�ceptacle en forme de passerelle. Le bruit se changea en celui, plus grave, que Mael avait d�j� entendu dans la montagne du dragon quand un glacier se d�tachait de son sommet et glissait doucement vers la mer des Sargues.

Devant lui, le pont en pente douce bord� de hautes rampes avait fini de se mat�rialiser. Mael l�emprunta imm�diatement, sans y r�fl�chir. S�il s��tait pos� des questions, peut-�tre n�aurait-il jamais pos� les pieds sur la glace �paisse.

Courant le plus vite qu�il p�t, glissant de temps � autres, manquant par deux fois de tomber, Mael traversa le fleuve dans lequel naissaient et disparaissaient les visages noirs effrayants.

Quand il fit le dernier pas sur la passerelle de glace, un craquement sinistre, proche de celui �mit par le vieux bois sous un brusque changement de temp�rature, r�sonna dans la grotte. Il s�amplifia et d�autres bruits s�y ajout�rent, certains plus aigus, d�autres plus graves : Un requiem sombre et inqui�tant.

Mael, atteignant la terre ferme (Il avait l�impression qu�il venait de descendre d�un bateau oscillant dangereusement au gr� de la houle), vit le pont s�effondrer brusquement. Des tonnes de glaces tomb�rent dans le fleuve magmatique, faisant s��lever d�immenses gerbes de lave fluide.

Tel un �trange v�hicule, les morceaux de glace suivirent le courant, laissant s��chapper des nuages de vapeur br�lante dans l�air surcharg� de la grotte. Ils s�enfonc�rent dans le fleuve, engloutis par la force tumultueuse et bouillonnante.

La roche sur laquelle Mael se tenait maintenant �tait noire. Des asp�rit�s d�passaient partout, des pics faisaient face aux stalactites accroch�es au plafond. Au centre de l��lot grand comme un village, le barbare distingua le sceau. Il brillait �trangement. Malgr� la lumi�re rouge qui emplissait la grotte, les reflets du cercle de m�tal �taient jaunes, presque blancs.

Mael s�y dirigea et se pla�a en son centre. Ses contours �taient d�coup�s en sept rectangles courb�s. A l�int�rieur de chacun d�eux �tait sculpt� un symbole.

Le guerrier du nord fixa son attention sur l�un d�entre eux. Il repr�sentait un soleil sombre qu�un halo de lumi�re entourait : un soleil noir mais brillant. Le regard du barbare se dirigea vers le second symbole : Un heaume impressionnant exprimant � la fois la tristesse - les fentes destin�es aux yeux se dirigeaient vers le bas -, l�inflexibilit� - des pointes droites et larges en leur base descendaient du haut du heaume jusqu�au nez -, la haine - sentiment ind�finissable, �manant de la forme g�n�rale du masque -, et la puissance -deux cornes d�mesur�es naissaient sur les c�t�s du heaume et pointaient vers le haut -. Mael tourna � nouveau son regard pour d�couvrir une amulette ronde. Un os barrait le centre du bijou sculpt� dans le m�tal. Un quatri�me symbole repr�sentait un cr�ne humain vu de trois quarts face. Mael ne parvenait pas � comprendre pourquoi, mais la figure mortuaire lui semblait �trange. Il savait que quelque chose n�allait pas. Qu�un rien n��tait pas � sa place, ou manquait...ou peut-�tre �tait en trop sur le visage de mort. Laissant de c�t� le symbole, le barbare passa � la gravure qui suivait. C��tait un f�tiche. Une pierre taill�e comme un diamant sertie dans une pi�ce de m�tal. Il d�tourna � nouveau son regard pour d�couvrir une lune dont le croissant �tait plus sombre que la partie normalement cach�e � la lumi�re du soleil. Enfin, le dernier symbole repr�sentait une deuxi�me amulette de forme circulaire. Juste un disque de m�tal sans dessin, sans gravure.

Mael attendit. Le temps s��coulait. Le fleuve de lave continuait � gronder autour de lui. L�escalier �tait toujours l�, imposant.

Je suis toujours au m�me endroit.

Les formes noires couraient toujours � la surface du magma.

Il manque quelque chose. Je devrais �tre dans les mondes du dessous.

Le corridor par lequel les deux hommes �taient arriv�s �tait toujours visible de l��lot.

Pourquoi rien ne se passe ?

Les stalactites grises semblaient toujours aussi mena�antes au dessus du barbare.

Comment vais-je retraverser ce fleuve de lave ?

Une erreur ? Laquelle ? Julian lui avait dit de se tenir au centre du sceau scell� et de regarder un � un les signes grav�s autour. C�est ce qu�il avait fait.

Y avait-il un sens de lecture des symboles ? Il ne lui en avait pas parl�. Le probl�me devait �tre ailleurs.

Le barbare tentait de comprendre ce qui n�allait pas, fixant son regard sur la lave. Elle avait quelque chose de particulier, mais, comme pour le cr�ne, Mael ne parvenait pas � comprendre ce qui le troublait. Etait-ce la couleur du magma ? Etait-ce la temp�rature qui s�en d�gageait ? Etait-ce...Soudain, il devina ce qui se passait.

L�, sous ses yeux, � quelques dizaines de m�tres, le fleuve avait ralenti. A peine. Le changement �tait presque imperceptible, mais la vitesse du courant avait chang�. Un autre signe se r�v�la � lui. Les visages sombres qui se formaient ou se disloquaient � la surface de la lave �taient plus nombreux, plus grands.

Petit � petit, la lumi�re rouge et intense de la grotte se transformait aussi. La lenteur du changement ne permettait pas d�en �tre tout � fait s�r, mais Mael distinguait des rayons gris et blafards dans les raies de lumi�re.

Le changement s�acc�l�ra. Les formes qui flottaient sur le fleuve tout � l�heure se rejoignaient et se figeaient en autant de grimaces noires. Le rouge de la lumi�re se changea en une lumi�re grise et p�le. Les quelques poches magmatiques qui coulaient encore se firent plus visqueuses, plus lente. Elles finirent par se solidifier. Le barbare les voyait comme d�immenses reptiles s�arr�tant dans l�attente d�une proie insouciante.

Quand le changement fut op�r�, Mael lan�a un regard circulaire dans la grotte. Sa forme g�n�rale n�avait pas �t� modifi�e. Les marches monumentales s��levaient toujours vers le trou o� aurait d� se trouver Julian. Les piques immenses pendaient du plafond et le fleuve, bien que fig�, �tait bien pr�sent.

Le changement le plus marquant pour Mael �tait la transformation de couleur de la lumi�re : Que la lave tout � l�heure tumultueuse �claira la grotte, c��tait �vident. Mais l�, aucune source n�apportait l��nergie n�cessaire � l��clairage du lieu. Et pourtant, Mael voyait aussi bien que lorsque le soleil filtrait � travers les brumes matinales. Sous ses pieds, le sceau �tait toujours scell� � la pierre. Le barbare stoppa gelis et armat, esp�rant ne pas s�en �tre servit trop longtemps.

Il fixa son attention sur le symbole repr�sentant le cr�ne. Le m�me sentiment qu�auparavant l�envahit : La t�te �tique �tait �trange, particuli�re. Pourtant, Mael y discernait bien l�os frontal, l�os occipital, les deux orbites oculaires, la fosse nasale, les m�choires qui accueillaient une s�rie de dents humaines. La repr�sentation �tait m�me pr�cise : La soudure qui relie l�os frontal et l�os occipital avait �t� dessin�e avec un soin extr�me.

Ce fut l�, dans ce raccord irr�gulier qui s�parait le front et la tempe que Mael trouva ce qui le taraudait. A la base du trait en zigzags, deux petites excroissances avaient �t� sculpt�es. Muni de ces deux petites gravures, la base de la soudure faisait indubitablement penser � une fl�che. Celle que le barbare, ne sachant o� orienter ses recherches, d�cida de suivre.

Il prit donc la direction qu�indiquait le symbole. Il avan�ait vers l�aval du fleuve, ses gr�ves foulant le sol p�trifi� dans un bruit de m�tal auquel les parois de la caverne faisaient �cho.

Plus il avan�ait plus l�armure de Zoguart brillait. Il n�avait rien voulu, ce n��tait pas son d�sir qui rendait le m�tal lumineux. Pourtant, les rayons violets s�accentuaient � chacun de ses pas. Comme si l�armure manifestait une sorte de satisfaction. Comme si elle s�adressait � Mael : Merci, guerrier, de m�avoir port�e jusque chez moi.

Une armure dou�e de conscience ? Le guerrier n�y croyait pas. Qu�elle fut envo�t�e, il n�avait pas eut le choix, il l�avait admis. Qu�elle puisse, au gr�s des desiderata de son porteur, s�adapter � certaines situations, il l�avait vu. Mais qu�un morceau de m�tal, si magique fut-il, puisse avoir des sentiments, une conscience et une pens�e, il ne pouvait s�en accommoder. Ces trois �l�ments �taient l�essence m�me des �tre vivants intelligents.

Progressivement, � mesure que Mael avan�ait dans la galerie, que l�armure brillait d�avantage, des murmures s��lev�rent entre les roches volcaniques froides. Ils �taient doux et chaleureux, presque chantants. C��tait des voix de femmes, suaves et mielleuses. Elles fondaient paisiblement dans le coeur de la caverne, invitations � l�apaisement et aux plaisirs des sens.

Mael ne comprenait pas les paroles. Elles �taient si t�nues qu�il se demandait m�me si elles ne naissaient pas de son imagination, mais un sentiment de bien-�tre le gagnait. Des frissons lui parcouraient le corps, doux comme ceux que Shani avait faits na�tre de ses mains.

Les murmures s�amplifi�rent. Assez pour que Mael p�t s�apercevoir que le langage utilis� n��tait pas le sien. Pourtant, il saisissait le sens des phrases. L�armure, pensa-t-il, L�armure me permet de comprendre ce langage.

Les voix invitaient Mael, manifestaient leur enchantement de le voir enfin...Le voir enfin ? Quelqu�un l�avait donc attendu ? Vo dionole reves kesal et sy dionalet binos talir�Mael. Vo tifoe sita sider reves herodek. Sider uny cristelys (Nous sommes si heureuses que tu sois enfin venu, Mael. Nous t�attendions depuis si longtemps. Depuis une �ternit�.)

Les voix �taient trop amicales, trop chaleureuses. Mael avait la sensation qu�un pi�ge se refermait sur lui. Un fruit gorg� de sucre, app�tissant et odorant, renfermant en sa chair un poison violent. Il articula haut et fort :

- Qui est l� ?

L��cho de sa voix lui parvint suivit des murmures : uny reves xol tifale�s. Binos vo dionole takalirekas. (Une si longue attente. Enfin nous sommes r�unis).

- Qui �tes-vous ? Montrez-vous, d�mons !

Le barbare d�crocha le pavois de son dos et s�en �quipa. Cach� derri�re le bouclier, en garde, il avan�a lentement, se retournant, scrutant entre les pics, cherchant d��ventuelles formes mouvantes dans ce paysage lunaire.

Une nouvelle voix, plus sensuelle et plus chaude que jamais, murmura � son oreille : Reves�reves maz amogys...Shitalir
Aucun commentaire - [Poster un commentaire]
Il n'y a pas de commentaire. Soyez le premier à commenter cette histoire !

Poster un commentaire

Vous devez vous identifier pour poster un commentaire.
Nombre de visites sur l'accueil depuis la création du site Diablo II : 42.984.308 visites.
© Copyright 1998-2024 JudgeHype SRL. Reproduction totale ou partielle interdite sans l'autorisation de l'auteur. Politique de confidentialité.