Fanfiction Diablo II

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Le réveil des Horadrims

Par Yenish
Les autres histoires de l'auteur

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Epilogue

Les cadavres démembrés des démons vaincus pourrissaient déjà sur le sol maudit des enfers. L'homme avançait lentement, non pas qu'il craigne quoi que ce soit, mais parce qu'il était encore totalement désorienté. Il avait du mal à se situer, surpris d'être là, vivant. Il regarda ses mains, elles étaient comme autrefois, pâles et décharnées, presque cadavérique. Mais sans aucune cicatrice. Pourtant... Et progressivement la mémoire lui revint, le voile qui obscurcissait son esprit s'écarta et il se souvint. Il trembla tout d'abord, une angoisse sourde l'enserrant et lui asséchant la gorge, l'empêchant de déglutir. Il était mort, décapité d'un coup d'épée après un combat qu'il pensait facile. Le passage dans l'autre monde n'avait pas été douloureux. Non, au contraire, il avait tout d'abord apprécié l'instant, cette délivrance de la chair qui l'emprisonnait, cette sensation d'accomplissement. Puis très vite, ils étaient arrivés, sur les ordres de son seigneur. Son âme détruite avait longtemps hurlé dans les abysses des enfers. Il n'avait pas été torturé très longtemps, mais chaque jour, chaque heure, chaque seconde lui avait paru une éternité.

Il avait pourtant servi son maître avec diligence et abnégation, mais la défaite n'est pas une chose pardonnable, même contre un guerrier si puissant. La punition était juste, se dit-il. Il avait accepté sa sentence, n'ayant de toute façon pas d'autres choix. Quand il était vivant il avait fait tout son possible pour gagner les faveurs de son maître et c'était sûrement pour cela qu'il avait une deuxième chance. Son maître l'avait rappelé, choisissant son âme parmi les millions qui brûlaient en enfer. Avait-il senti que le combat ne lui serait pas favorable et qu'il devait faire revenir son plus fidèle serviteur du royaume des morts ? Qu'importe. Ce n'était pas important, ses consignes étaient gravées dans son esprit, claires et nettes, comme inscrites au fer rouge. Quelques secondes après avoir été appelé, il se rappela du déchirement que son âme avait ressentie, lorsque son maître s'était effondré en rugissant, finalement terrassé. L'homme avait maintenant une tâche et il l'accomplirait sans s'en écarter. Après il chercherait quoi faire pour son seigneur.

Ayant finalement entièrement repris ses esprits il se détailla, et un sourire fier et haineux traversa son vieux visage : son nouveau corps était semblable à l'ancien, si similaire qu'il avait l'air de n'être jamais mort.

- Je ferai comme vous me l'avez demandé maître, pensa-t-il. Je ne faillirai pas cette fois. Les humains ne seront plus qu'une espèce rampante quand vous reviendrez sur Sanctuary et personne ne pourra résister à votre puissance.

Il respira lentement et se concentra sur les flux de magie noire qui balayaient incessamment les plaines infernales. 'Tant de puissance à ma portée !' Un rictus démoniaque défigura son visage quand il se mit à rire. Puis il reprit son calme et débuta son travail, commençant à modeler consciencieusement la magie. Il lui faudrait longtemps, très longtemps pour élaborer le sort qui le ferait revenir sur terre, mais cela ne pressait pas, il était patient.

Ils vous ont combattu, ils me serviront. Les Horadrims seront à vos pieds, seigneur de la Terreur, je vous le jure. Et moi Lazarus, je me tiendrai à votre droite !
Iranya ramassa la choppe à moitié pleine sur la table et alla la jeter dehors. L'homme, ivre comme une barrique et ronflant comme un loir suivi bientôt le même chemin sans pouvoir protester, et il s'affala dans la rue poussiéreuse. C'était le dernier client, la soirée de travail était enfin terminée. La jeune fille soupira et sourit, il était encore tôt et elle n'était pas fatiguée. Anelle, l'autre serveuse s'approcha d'elle.

- Si tu veux, je peux finir de ranger, tu peux y aller, lui dit-elle en lui faisant un clin d'oeil.

- Vrai ? Oh, je te remercie vraiment ! Je t'adore et je te revaudrai ça, promis.

Elle embrassa chaleureusement son amie et sortie en courant.

A 17 ans, Iranya était devenue une grande jeune fille à la beauté particulière. Ses longs cheveux noirs descendaient jusqu'au milieu de son dos, deux simples épingles les empêchant de retomber devant son visage. Sa peau était mate, brunie par le soleil de plomb du désert, mais on pouvait deviner à sa taille que certains de ses ancêtres venaient du nord. Ses lèvres étaient minces et très pales et ses yeux verts pétillaient de vie. Son nez court avait toujours donné un air espiègle à sa petite frimousse d'enfant, mais son fin visage était devenu celui d'une jeune femme déterminée. Elle travaillait depuis deux saisons à l'auberge d'Atma comme serveuse et bonne de chambre, ceci pour un salaire modique mais qui lui permettait de vivre. Auparavant elle avait voyagé quelques années, découvrant le monde en compagnie de sa tutrice, Célaine.

L'adolescente accéléra le pas. Si jamais Célaine rentrait avant elle, elle était bonne pour une nuit d'entraînement et Iranya n'avait pas du tout la tête à cela. Car même si elle travaillait à l'auberge, tout son temps libre était consacré à l'apprentissage des techniques de combat Viz Jaq'taar, sous la houlette de l'ancienne assassin. Sept années de pratique avaient fortifié la jeune fille, tant sur le plan physique que mental. Elle avait prouvé qu'elle possédait un potentiel hors du commun, une aptitude innée à manier les ombres et un sens aigue du combat aux griffes. Mais bien qu'elle respectait sa tutrice et voulait devenir une puissante assassin, certaines fois elle désirait échapper à ces contraintes. Et ce soir plus que jamais.

Entrant dans sa chambre, elle vit avec soulagement que Célaine n'y était pas. Elle alluma une bougie elle se déshabilla rapidement, jetant ses modestes habits de travail sur le parquet. Ouvrant le petit coffre qui contenait toutes ses affaires elle se mit à hésiter. Devait-elle mettre ses habits de cuir qui lui servaient à s'entraîner ou bien sa tenue légère ? Elle était partagée entre l'envie d'être invisible dans un vêtement qu'elle aimait et celle d'être féminine dans une tenue qui la mettait mal à l'aise. 'Imbécile, réfléchit de quoi tu auras l'air !' se dit-elle soudain, et elle enfila rapidement sa robe mauve et noua la fine ceinture. Celle-ci était un peu trop courte mais Iranya n'avait pas de quoi en acheter une autre. Ses longs cheveux noirs cachaient le col abîmé sur la nuque. S'inspectant comme elle le pouvait, elle se dit finalement qu'elle ne pouvait pas faire mieux.

Une faible courant d'air passa sous la porte et vint caresser les chevilles de la jeune fille, la porte d'entrée s'était ouverte.

'Célaine !' réalisa-t-elle avec horreur. Sans attendre plus elle souffla la bougie, ouvrit la fenêtre et sauta dehors, atterrissant sans difficulté un étage plus bas. Elle maudit sa lenteur, jamais elle n'aurait dû rester si longtemps à ce décider sur sa tenue. En plus, elle n'était pas habillée pour fuir dans la nuit, une chance encore que la robe soit fendue. Prenant ses sandales à la main elle courut dans la rue vers le premier croisement.

La nuit était calme, aussi Iranya entendit-elle nettement le bruit de Célaine se réceptionnant dans la rue derrière elle.

'Zut, elle va me suivre. C'est pas vrai' maudit-elle. La jeune fille avait espéré que la femme serait fatiguée, ou en tout cas pas d'humeur à la poursuivre.

'Et bien finalement on va le faire cet entraînement, et tu ne m'attraperas pas.' murmura-t-elle. Et c'est sur cette résolution que commença la chasse entre le maître et l'élève.
Iranya possédait cinq secondes d'avance et l'initiative, il lui fallait à tout prix les garder. De plus, elle était plus jeune et vive, et connaissait par coeur les moindres recoins de la ville. Célaine allait déjà mettre quelques instants à trouver la bonne direction, elle devait faire en sorte que cela arrive le plus souvent possible. Essayer de se cacher serait de la folie car elle ne maîtrisait pas les ombres aussi bien que l'expérimentée assassin. 'Toujours courir, changer de direction, la distancer et la semer, voilà ma seule chance'. La jeune fille venait de se fixer cette stratégie alors qu'elle grimpait sur le toit d'une maison. A partir de cet instant, chacune de ses pensées se focalisa sur ses mouvements, la perception des obstacles et le choix de la direction. Sa concentration devint totale.

Elle faisait attention à ne jamais rester longtemps sur les toits où elle s'exposait sous la lumière des étoiles, et ne les franchissait que pour changer de ruelle. Sa profonde connaissance de la ville lui procurait alors un grand avantage, car elle ne pouvait pas rester bloquée et connaissait les moindres passages. Elle courait depuis quelques minutes, multipliant les fausses pistes, obliquant sans arrêt, traversant silencieusement les maisons aux fenêtres ouvertes. La fatigue commençait à la gagner. Elle ne ressentait pas la présence de Célaine à ses trousses et c'était heureux, sinon elle n'aurait plus eu aucune chance.

S'arrêtant à la porte qu'elle recherchait, elle en crocheta rapidement la serrure avec une épingle, pénétra comme un ombre à l'intérieur et la referma en silence.

Elle avait réussit ! Sûre d'elle-même, elle savait qu'elle avait semé Célaine. La jeune fille jubilait, trépignant presque.

- Quelqu'un est là ? demanda une voix d'homme derrière elle. Et une seconde après un jeune homme d'une vingtaine d'années entra dans la cuisine en tenant une chandelle. 'Oh, c'est toi Iranya !' dit-il en souriant. ' Je ne pensais pas que tu viendrais ici, et si tard ! Mais j'en suis vraiment heureux.'

Il s'approcha vers la jeune fille immobile, pétrifiée. Toute la journée Iranya avait imaginé des prétextes pour venir ici, expliquer à Amaned pourquoi elle frappait à sa porte. Elle avait inventé tous les dialogues possibles, mémorisé ce qu'elle trouvait être les meilleures réponses, mais maintenant qu'elle se trouvait face à lui elle restait sans voix. Avec la précipitation, elle se trouvait prise totalement au dépourvu. Elle venait de fuir sa tutrice, de grimper sur des toits et de sauter dans le vide, mais ce n'était rien. Elle n'avait pas eu peur du tout, or à présent une boule lui nouait le ventre et l'empêchait de réfléchir. Mais a-t-on besoin de réfléchir et de parler pour embrasser quelqu'un ? Iranya apprit bien vite que non.

Leur baiser fut long et passionné comme ils le sont toujours lors des premiers rendez-vous. Enlaçant toujours Iranya, Amaned prit enfin la parole.

- Je ne pensais pas que tu savais où j'habitais ! Et comment as-tu fait pour entrer ?

La jeune fille ne répondit pas de suite. Ils s'étaient rencontrés à l'auberge où elle travaillait et elle avait été immédiatement séduite par la gentillesse du jeune garde. Loin de participer aux beuveries de ses camarades, il discutait simplement et faisait preuve de calme et d'intelligence. Ils s'étaient retrouvés seuls une fois, à l'étage dans le couloir une semaine auparavant et elle ne l'avait pas repoussé, lui rendant avec plaisir son baiser. Il était revenu deux fois depuis, mais la jeune fille était trop occupée pour lui accorder plus d'un instant, sachant qu'Atma remarquerait rapidement son absence. L'autre serveuse, Anelle, les avait surpris lors de la seconde entrevue mais elle avait gardé le secret pour elle-même.

Quand son travail était fini, l'entraînement occupait tout le temps de l'adolescente et l'empêchait de venir le voir. Mais de cela elle ne pouvait parler, ni du fait qu'elle avait dû apprendre où chacun habitait et qu'aucune serrure ne lui résistait.

Iranya ne chercha pas longtemps comment éluder la question et n'eut qu'à joindre ses lèvres aux siennes pour faire oublier au jeune homme toutes ses interrogations. Ses mains la caressant comme jamais elle ne l'avait été donnaient à l'adolescente des frissons de plaisir. Elle se sentait horriblement gênée et infiniment heureuse à la fois. Ce sentiment d'impuissance, cette impression de ne plus rien maîtriser la remplissait une douce et excitante terreur. Elle n'avait pas prévu que les choses se passeraient comme cela, elle n'était pas prête et elle devait lui faire comprendre. Iranya abandonna néanmoins toute retenue dans son baiser alors qu'Amaned la portait dans ses bras vers sa chambre. Il l'allongea doucement sur le lit, l'embrassant dans le cou, ses mains défaisant maladroitement le noeud de sa ceinture. Une panique sourde s'empara à nouveau progressivement de l'adolescente : bien qu'elle soit très fortement attirée par le jeune homme, elle ne voulait pas que les chose aillent si vite. Elle tenta de le repousser doucement mais il ne comprit pas, et au contraire il se serra plus fort contre son corps. Comment lui expliquer ? Elle ne pouvait pas le rejeter brutalement, elle ne voulait pas le perdre. Jamais elle n'aurait du venir comme cela en pleine nuit. Iranya luttait intérieurement, ne sachant que faire.

- J'en étais certaine, dit une voix dure près d'eux.

Les deux jeunes amants s'interrompirent instantanément et fixèrent l'embrasure de la porte dans laquelle se tenait une silhouette noire.

'Célaine' murmura Iranya, estomaquée.

- Qui êtes vous ? Et que faites-vous chez moi ? dit Amaned en se levant.

- Toi, couché !

Le garde ne pu même pas esquisser un mouvement de défense contre l'assassin qui l'assomma d'une manchette rapide comme l'éclair. Il s'affala inconscient sur le sol.

- Maître, non ! s'écria Iranya, Il n'a rien fait, enfin, ce n'est pas de sa faute...

- Ca, je le sais, mais avant qu'on ne s'explique, je vais t'apprendre ce qu'il en coûte de vouloir rouler ton maître. Défend-toi si tu peux !

D'un réflexe naquit de son entraînement, Iranya contracta ses abdominaux quand le marteau psychique percuta son ventre, la repoussant en arrière sur le lit. Elle n'eut pas le souffle entièrement coupé et en se relevant elle pu parer le coup de coude qui suivit.

'Tu as fuis ton entraînement intentionnellement !' Un petit cri de douleur sortit de la gorge de l'adolescente quand le coup de genou la toucha à la hanche.

'Tu ne dois pas avoir de secrets pour moi' Célaine esquiva sans difficulté le direct de son élève et l'envoya balader dans la cuisine.

'Et surtout tu as commis une grave erreur ce soir, indigne de tout ce que je t'ai appris' Bloquant les deux bras d'Iranya elle crocheta sa jambe et la fit tomber sur le ventre, l'immobilisant immédiatement d'une prise experte.

- Quelle erreur, maître ? parvint à demander la jeune fille à bout de souffle. Je vous ai semée, j'en suis sure...

- Tu ne m'as pas semée, je ne t'ai même pas suivie. Je savais où tu allais. Crois-tu donc que je n'étais pas au courant ? Un véritable assassin sait bien mieux cacher ses intentions que toi. Un véritable assassin aurait vérifié les alentours avant de pénétrer dans cette maison. Un véritable Viz Jaq'taar ne court pas comme un lièvre mais se déplace comme une panthère en chasse. Tu m'as déçue, Iranya. Maintenant, lève-toi et rentre dormir, nous en reparlerons demain. Réfléchis bien à tout ce qui s'est passé.

- Bien maître. Penaude, les yeux baissés et fuyant, la jeune fille se leva lentement et reprit sa respiration. Elle jeta un regard à Amaned, mais la présence de sa tutrice la dissuada de s'approcher, puis elle se dirigea vers la porte, massant son coté douloureux.

- Oh, et en ce qui concerne les garçons, il faudra aussi que je mette les choses au clair là-dessus. Nous ne devons pas mener une vie d'abstinence mais il y a des règles à respecter. Va-t-en maintenant.

'Elle a encore beaucoup à apprendre, pensa Célaine en voyant son élève partir dans la nuit. Elle est déjà très douée, mais je me devais d'être dure avec elle, elle comprendra.' La femme referma la porte et s'en alla à son tour, pensive. 'Au moins, elle n'a pas trop mauvais goût en ce qui concerne les hommes...'
Un des principaux aspects de l'enseignement de Célaine était l'analyse des combats, la critique des différents éléments techniques et tactiques. 'Comprendre ses erreurs est le seul moyen de ne pas les refaire', disait-elle. Et afin d'éviter tout jugements hâtifs et incomplets, ceci avait toujours lieu le lendemain, la nuit portant conseil. Pour Iranya, cette nuit avait été bien longue. Elle n'avait pas dormi, mais avait passé son temps à ruminer, à contenir avec peine sa rage, et sa haine, mais aussi sa honte et son désespoir. Elle en voulait à Célaine d'être intervenue de la sorte, de l'avoir ridiculisée. Sa désillusion avait été subite, tant était grande sa certitude qu'elle avait vaincue sa tutrice dans cette poursuite. Mais pire que tout cela, les mots de Célaine avaient résonné dans sa tête jusqu'à la rendre presque folle.'Tu m'as déçue Iranya'. Elle qui avait toujours cherché à rendre Célaine fière d'elle, c'était le pire désaveu qu'elle ait jamais reçu. Ce n'est qu'en serrant les poings et en repensant à ses parents, à la promesse qu'elle s'était faite après leur mort de devenir forte pour ne plus jamais fuir, qu'elle avait surmonté sa honte et était venue ce matin faire face à sa tutrice.

Admettre ses erreurs n'est jamais chose facile, et malgré le nombre de fois qu'elle avait du pratiquer cet exercice, Iranya ressentait toujours la même rage. C'était une colère vicieuse, une de celle qui fait le plus mal, car on ne peut la combattre ni l'apaiser : elle s'en voulait à elle-même, au point de se détester. Elle haïssait la fille qui, la veille, avait tout fait de travers pour finalement se ridiculiser. Cette gourde qui n'avait pas utilisé la moindre de ses compétences, qui n'avait pas réfléchi une seule seconde et avait couru tête baissée vers un piège qu'elle avait elle-même tissé. Célaine était sévère et n'hésitait pas à enfoncer le clou, à ajouter des remarques amplifiant la stupidité avec laquelle son élève s'était comportée.

Debout face à sa tutrice dans un bureau du palais, la jeune fille écoutait sans broncher les derniers reproches sur son attitude de la veille quand quelqu'un frappa à la porte.

- Entrez, dit Célaine.

- Un émissaire amazone de l'île de Lycander souhaiterait vous parler, annonça un serviteur en entrant.

- Faites venir, répondit-elle.

Après avoir tant voyagé dans sa vie, Célaine était devenue la conseillère en relations diplomatiques de Jehrin. Sa connaissance des coutumes et des traditions était un avantage certain, ainsi que sa maîtrise des trois langues principales de Sanctuary. Et surtout ses liens secrets avec sa confrérie répartie dans le monde lui étaient d'une grande utilité, un atout que personne d'autre ne pouvait posséder. Cependant, personne à Lut Gholein ne savait cela hormis Iranya et Jehrin.

- Iranya, retourne travailler. Nous en avons fini avec ce qui s'est passé hier, mais n'en oublie pas les enseignements.

- Bien maître. Et... Elle hésita un instant, indécise. Merci d'être arrivée hier, je ne voulais pas... j'avais...perdue le contrôle de la situation.

- L'as-tu seulement jamais eu ? Réfléchi toujours aux conséquences de tes actes et ne te laisse jamais emporter. La vie est une rivière où l'on a pas toujours pied, regarde mieux où tu mets les tiens.

En sortant dans le couloir la jeune fille vit deux femmes blondes approcher. La plus âgée des deux, une trentaine d'années, s'arrêta et posa son arc et son carquois contre un mur.

- Je ne vais pas entrer armée. Reste ici et surveille le, Léanor.

L'autre amazone acquiesça, visiblement déçue de devoir rester à la porte.

Iranya s'écarta pour laisser passer la femme qui pénétra d'un pas assuré dans le bureau de Célaine. L'apprentie assassin contempla un instant le grand arc près d'elle. Il émanait de lui à la fois une force incroyable et une grande sérénité. Il semblait presque vivant et Iranya admira ses parfaites proportions, sa fine élégance associée à une douce mais terrible puissance. Elle n'avait jamais vu d'arc comme celui-là, c'était une arme comme seules les amazones peuvent en manier, et encore, probablement les plus expérimentées d'entre-elles.

- Qu'est-ce que tu regardes ? lui demanda froidement l'autre fille, comme pour la forcer à partir.

Iranya était fatiguée et encore énervée de l'humiliation qu'elle venait de subir, aussi n'était-elle pas du tout d'humeur à se laisser interpeller ainsi. Elle toisa la jeune amazone. Celle-ci était de son âge, légèrement plus petite et plus menue, bien que ses muscles trahissent son statut de combattante habituée à courir et tirer à l'arc. Outre la longue chevelure bonde, elle avait aussi la peau rosée caractéristique de ce peuple de guerrières. Son nez rouge montrait qu'elle avait attrapé un coup de soleil sur le bateau en venant, et cela lui donnait l'air d'une gamine malgré son sérieux.

- Je regarde cet arc-là. J'ai du mal à voir le tien. Tu l'as fait toi-même avec un bout de roseau nain ?

Le visage de Léanor vira immédiatement au cramoisi. Son arc était sa plus grande fierté. Il était certes deux fois moins grand que celui de son aînée, mais elle l'avait reçu des mains de la grande prêtresse après avoir gagné le tournoi des novices. Personne ne s'en était jamais moqué, et jamais elle ne laisserait personne le faire !

- Je t'interdis de dire ça, espèce de...de...

- Remarque, il doit au moins pouvoir servir à éloigner les oiseaux. Il parait qu'il y en a beaucoup par chez vous.

Elle laissa l'amazone sur place et se dirigea vers le bout du long couloir pour sortir. L'adolescente sourit, cela lui avait fait du bien d'évacuer un peu de sa rage. De plus elle n'aimait pas l'autre fille. Elle l'avait tout de suite classée dans la catégorie pinbèche arrogante, avec ses grands airs et son allure si sûre d'elle. La remettre à sa place ne pouvait que lui rendre service.

Iranya entendit nettement le bruit d'un arc qui se tendait derrière elle. Tant mieux, elle allait en plus pouvoir la ridiculiser. La jeune fille se retournait lorsque la flèche se ficha dans le mur derrière elle, à droite de sa tête. Dès le départ l'apprentie Viz Jaq'taar avait su qu'elle n'était pas sur la trajectoire, ses facultés de perception étaient bien trop développées pour... Son esprit s'arrêta quand une deuxième flèche se planta à deux centimètre à gauche de son cou. Puis trois autres se fichèrent près de son ventre sans qu'elle n'ait pu bouger un seul doigt. Elle n'avait rien sentit, rien entendu et avait entièrement été prise au dépourvu. Comment était-il possible de décocher des flèches à un tel rythme ? Iranya était abasourdie, la bouche grande ouverte elle fixait l'amazone à quinze mètres de là.

Léanor baissa son arme, un sourire au coin des lèvres.

- Ne te moque jamais plus de mon Skystrike !

- Et toi ne me vise jamais plus ! répliqua Iranya. Elle concentra son énergie, puis la libéra soudain en un choc mental qui fit pousser un cri de douleur à l'amazone. Désorientée et étourdie, celle-ci entendit à peine la porte claquer quand l'autre sortit. Elle remua la tête un instant pour reprendre ses esprits.

- Prie pour qu'on ne se recroise jamais, car je ne viserai pas à coté la prochaine fois, grogna-t-elle entre ses dents.
- Bonjour Célaine. Je me nomme Sylna, première fille de Sylva et Foncial. Je vous apporte les meilleures grâces du conseil de Lycander.

- Enchantée Sylna, moi Célaine, conseiller de Lut Gholein, les accepte avec plaisir et vous souhaite la bienvenue.

Les deux femmes se tenaient face à face et s'inclinèrent l'une après l'autre. Ce cours rituel de présentation effectué, elles s'assirent dans de confortables coussins pour discuter.

- C'est toujours un honneur que d'accueillir une guerrière du sud chez nous, commença Célaine.

- Excusez-moi de rompre le protocole et la bienséance, mais je souhaiterais aller directement au point qui m'amène. Je ne suis pas une diplomate, et je serai franche. Je ne suis pas venue voir la conseillère, mais la Viz Jaq'taar.

A ces mots l'assassin se raidit imperceptiblement. Sans changer sa posture pour ne pas trahir ses intentions, elle se prépara à réagir rapidement, tous ses sens en éveil et le corps prêt au combat. Leur identité est un secret très bien gardé et les Viz Jaq'taar n'aiment pas être découverts.

- Comment le savez-vous ? Le ton était froid et sec.

- Ne vous alarmez pas, répondit tranquillement l'amazone en arborant un sourire chaleureux. Nous avons des amis communs. Olof, Fiseult et Cain. Je les ai rejoint à Kurast peu après votre départ. Nous avons défait ensemble les trois frères, et ils m'ont un peu parlé de vous.

Célaine se détendit et regarda son invité sous un nouveau jour. Elle semblait si gentille et aimable. Son visage était calme et seules quelques rides discrètes indiquaient qu'elle venait de dépasser la trentaine. Sa tunique rouge, dans le plus pur style amazone, avait une coupe droite, simple et sans fioriture, mais qui lui donnait une grande élégance. Elle n'était pas habillée pour le combat mais pour voyager. L'assassin n'aurait jamais pensé se trouver face à l'un des guerriers les plus puissants de Sanctuary, mais elle avait apprit à ne jamais se fier aux apparences. Les amazones les plus dangereuses ont toujours l'air d'anges...

Peu après la chute de Baal des rumeurs avaient circulé sur le groupe d'aventuriers qui venaient de réaliser cet exploit, et Célaine se souvint que l'on faisait souvent référence à une belle amazone. Elle se demanda un instant comment elle devait réagir à présent. Son instinct avait toujours été juste et l'assassin sentit qu'elle pouvait faire confiance à la blonde guerrière.

- Très bien, je vous écoute.

Elle se réinstalla confortablement, mais immédiatement après se releva d'un bond, imitée par Sylna. Toutes deux avaient entendu un bruit qu'elles connaissaient bien. Elles se regardèrent un court instant puis se dirigèrent ensemble vers la porte.

En l'ouvrant elles découvrirent Léanor qui, un genou au sol, se frottait la tête avec une main. Un coup d'oeil leur permit de voir les flèches fichées dans le mur au bout du couloir.

- Que s'est-il passé Léanor ? demanda Sylna, surprise.

- C'est cette fille qui a... Non, rien, rien du tout.

Admettre que quelqu'un avait dénigré son arc déplaisait tant à la jeune amazone qu'elle se refusa à l'avouer. Elle se redressa et se tourna vers les deux femmes, les lèvres pincées et le poing serré sur son arme. Sylna la connaissait très bien et préféra remettre les explications à plus tard, sachant qu'elle n'obtiendrait rien tant qu'elle ferait cette tête. Autant essayer de faire parler un muet.

- Je règlerai cela après, si vous le voulez bien Célaine.

- Très bien, 'J'aurai moi aussi des explications à recevoir plus tard', pensa-t-elle, l'esprit tourné vers Iranya. Retournons nous asseoir et expliquez-moi donc la raison de votre venue.

- Je vous suis. Léanor, fini les bêtises, reste calme et ne bouge pas de là, dit l'amazone d'un ton rude. Son regard dur obligea la jeune fille à baisser les yeux.

Sans attendre une réponse qui ne vint pas, elles rentrèrent et se réinstallèrent, quelque peu déstabilisées par cette interruption. Puis Sylna reprit le cours de la conversation.

- Un événement grave est arrivé il y a une semaine mais mes soeurs refusent d'impliquer des personnes étrangères à notre peuple. Ce que je vais vous dire doit rester entre nous.

- Vous pouvez comptez sur moi, répondit Célaine.

- Voilà, notre matriarche a été assassinée et nous ne réussissons pas à capturer le meurtrier.

L'acte était d'une gravité sans précédent et la Viz Jaq'taar ne put qu'en entrevoir les conséquences et la signification. La matriarche était l'âme même des amazones, la personne la plus respectée de leur civilisation. Le conseil de Lycander réglait certes toutes les affaires politiques, mais l'élue possédait un pouvoir tout autre, une importance spirituelle et humaine sans commune mesure.

- Une telle nouvelle me consterne. Je vous présente toutes mes condoléances. En quoi puis-je vous être utile ? Pensez-vous que ce soit quelqu'un de mon ordre qui soit à l'origine de cela ?

- Non, bien au contraire. Les, comment dire, traces, montrent sans équivoque qu'il s'agit d'une magie puissante et destructrice. Sylna était visiblement peinée de confier ses souvenirs. 'La seule garde ayant survécu a parlé d'un vieux mage avant de mourir dans mes bras. C'est pour cela que je suis venue à vous, je pense qu'il s'agissait d'un vizjerei.'

Cet ordre avait presque disparut voila quelques années lors de la première confrontation avec Diablo. Le Viz Jaq'taar, l'ordre des tueurs de mages avait été créé pour surveiller les clans de magiciens et éviter que ne se reproduisent les erreurs d'Horazon et de son frère, Bartuc. Célaine ne pouvait à présent plus ignorer la requête de son invité, il était de son devoir de l'aider.

- Pourquoi a-t-il tué la matriarche, qui gagnait-il ? demanda-t-elle.

- Ce n'est qu'une hypothèse, mais je pense qu'il voulait voler l'anneau de vie, car elle ne l'avait plus à son doigt quand je l'ai retrouvée. Cette bague est très puissante, bien qu'elle soit pour nous plus un symbole qu'autre chose. Je comptais aller en parler à Cain après vous avoir vu. Cain doit se trouver à Kingsport et j'espérais repartir dans la journée. Accepteriez-vous de nous suivre ? Votre expérience de ce genre de situation est inestimable.

- Bien entendu, cette affaire est très grave, un mage noir est en liberté, je me dois de le pourchasser, et de le tuer...

L'amazone frissonna en voyant la conviction qui animait Célaine. Il y avait bien plus que le devoir de son ordre dans sa réponse. Une soif de sang, une envie de vengeance, avaient un court instant transparu sur le visage de la Viz Jaq'taar, mais il redevint aussitôt impassible.

- Je vais prévenir Jehrin de mon départ immédiatement et je vais envoyer quérir mon élève. Cela lui sera sûrement instructif.

- Est-ce la jeune fille qui sortait du bureau quand je suis arrivée ? C'est parfait ! s'exclama Sylna. Je ne sais pas encore ce qu'il y a eu entre elle et ma soeur, Léanor, mais elles auront sûrement beaucoup à apprendre l'une de l'autre. Bien, retrouvons nous sur les quais dans une heure, si cela vous convient.

L'amazone s'apprêtait à sortir quand Célaine lui posa une dernière question.

- Tout à l'heure, vous avez mentionné Olof et Fiseult, mais pas Montor, pourquoi ?

Le regard triste que la femme lui retourna ne nécessita pas plus d'explications, et elles se séparèrent pour préparer le départ.
Iranya traversa le marché d'un pas rapide, consciente d'être déjà en retard. La foule était dense en ce milieu de matinée, chacun profitant des derniers instants avant que la chaleur assommante n'envahisse la ville. Fara la forgeronne martelait incessamment sur son enclume, tandis qu'Anor surveillait son étal de fruits contre les chappardeurs, tout en servant les nombreuses clientes. La jeune fille avait sommairement préparé un paquetage avec ses maigres affaires, et elle avait voulu voir Amaned avant de partir, mais celui-ci était sorti en patrouille. Curieusement, elle était contente et soulagée de quitter la ville ainsi. Tout était bien trop compliqué, cela lui ferait du bien de changer d'air.

Elle arriva enfin sur les quais et se dirigea vers le Vent d'Aurore, comme on le lui avait demandé. Cette goélette marchande était un joli navire. A l'origine vaisseau de guerre, il avait été transformé pour pouvoir faire toutes sortes de traversées, emmenant aussi bien des marchandises que des passagers. Ce n'était certes pas le plus rapide des bateaux à quai, mais c'était le seul à appareiller pour Kingsport dans la journée. Iranya monta à bord. Le trajet durerait dix jours environ, elle le savait pour avoir souvent écouté les conversations des marins à l'auberge. Un très jeune mousse l'amena à la cabine où se trouvait Célaine, et la jeune élève y pénétra en souriant.

Ah, te voilà enfin ! dit Célaine quand elle entra. Iranya, salue Sylna, la guerrière amazone qui a participé à la chute des trois. Et voici Léanor, sa jeune soeur et son élève. Tu partageras ta cabine avec elle. Nous savons ce qui s'est passé au palais tout à l'heure, et nous ne tolérerons pas que cela se reproduise. C'est bien clair ? Le ton de Célaine dissuada l'adolescente de répondre. Vous apprendrez à vous connaître et j'espère que vous finirez par vous entendre. Prenez toutes les deux cela comme une leçon, pas une punition.

Un masque tomba sur le visage d'Iranya. 'Ce voyage promet d'être très long', pensa-t-elle, beaucoup moins enthousiaste qu'auparavant.

Iranya resta silencieuse quand Célaine et Sylna expliquèrent la raison et le but de leur voyage, puis elle quitta la pièce en compagnie de Léanor pour s'installer dans leur cabine voisine. Elle était minuscule, trois mètres sur deux, et contenait uniquement deux lits superposés cloués au mur.

- Voilà, c'est ici, dit sèchement la jeune amazone. J'ai pris le lit du haut. Tu touches à mes affaires, je te tue.

Sans répondre, Iranya posa son sac sur le lit, puis fit face à Léanor. Elle rendit son regard à sa compagne de chambrée, n'ayant nul besoin de se forcer pour le faire aussi mauvais que le sien. Les deux filles avaient les poings serrés, le visage impassible et elle se fixèrent ainsi pendant quelques longues secondes. Enfin l'amazone se décala pour permettre à Iranya de sortir. Celle-ci fit quelques pas et s'arrêta dans le couloir. Elle ne se retourna pas avant de prendre la parole.

- Evitons de nous créer des ennuis, d'accord ? Vu la réaction de nos maîtres, on devrait essayer de s'ignorer.

- Ca me va. Léanor accepta comme à regret, consciente elle aussi que Sylna et Célaine les auraient à l'oeil.

La jeune assassin n'avait rien à ajouter, aussi remonta-t-elle sur le pont regarder Lut Gholein en attendant le départ. La ville était toujours aussi belle et animée, Iranya savait qu'elle lui manquerait bien vite. Elle contempla le port, le dôme doré du palais, la grande rue menant des quais au marché... La vie rayonnait de chacun de ces endroits, ce qui l'emplissait d'une puissante impression de sécurité. Cependant un sentiment trouble la gagna progressivement, assombrissant ses pensées. Elle quittait ce havre de paix qui l'avait vu grandir. Certes le voyage ne devrait pas être long, et elle avait déjà parcouru le monde avec Célaine. Mais cette fois Iranya sentait confusément que quelque chose était différent, elle avait maintenant envie de rester.

'Tu te fais des idées', essaya-t-elle de se convaincre. 'Ce n'est de toute façon pas ici que l'on aura besoin de nous.'

Près d'elle, trois marins commencèrent à tirer l'ancre hors de l'eau. Le Vent d'Aurore quittait Lut Gholein.

Le voyage fut morne et sans imprévus. Les deux filles s'évitaient et ne s'adressaient la parole que lorsqu'elles y étaient vraiment contraintes. L'ennui gagna très rapidement Iranya car elle ne pouvait pas s'entraîner au combat à la vue des matelots. Et avec les allées et venues incessantes, il lui était impossible de trouver un endroit où s'isoler. Suivant les directives de sa tutrice, elle mit tout ce temps libre à profit pour méditer et augmenter ses capacités de concentration. C'est l'un des aspects de son apprentissage que l'adolescente maîtrisait le moins, et elle eut ainsi l'occasion de l'améliorer. Contrôler ses émotions, son corps, être en osmose avec l'environnement et percevoir les plus infimes mouvements sont parmi les qualités qui font les meilleures Viz Jaq'taar, bien plus que l'agilité et la vitesse de frappe.

Quand enfin ils accostèrent à Kingsport, Iranya se sentait calme et reposée, emplie d'une sérénité qui lui était inhabituelle, mais qu'elle appréciait grandement. Posant le pied sur le quai, elle contempla un instant le soleil rougeoyant qui plongeait dans l'océan. Puis elle se tourna vers la ville et renifla de dégoût. Elle avait séjourné un an à Duncraig, la capitale du jeune royaume, et le port était encore plus sale que la ville située en amont sur le fleuve. Des détritus jetés par les fenêtres jonchaient les pavés des rues, et les chiens errants se disputaient avec les porcs pour y trouver leur pitance. Les habitants avaient pour la plupart une allure triste, et leurs vêtements sombres et ternes contrastaient avec ceux de la foule vive et colorée qui envahissait chaque jour le joyeux marché de Lut Gholein. La jeune fille espéra vivement qu'ils n'auraient pas longtemps à rester ici.

Il était difficile de se repérer dans les ruelles étroites et sinueuses, aussi les quatre jeunes femmes mirent-elles du temps à trouver la maison où résidait Deckard Cain. La nuit était tombée depuis une bonne heure quand enfin elles s'engagèrent dans la rue y menant. De sombres nuages cachaient la lune et une fine bruine régulière commençait à tremper leurs vêtements. Malgré tout, Iranya vit deux ombres entrer dans une maison non loin.

Des chats sabres ! s'écria Célaine en s'élançant. Iranya, suis-moi vite !

Lâchant son sac, elle se mit à courir à la suite de son maître. Elle ne s'était pas préparée à combattre mais prit dans ses mains les deux poignards qu'elle avait cachés sous ses vêtements. L'excitation la gagna, elle se trouvait face à un danger réel pour la première fois depuis si longtemps. Et contrairement à sa rencontre avec le rôdeur, elle se sentait prête maintenant. L'adolescente n'avait pas reconnu les chats sabres, mais faisait confiance aux perceptions de sa tutrice. Dans sa main droite, le couteau de Geglash semblait luire, réclamant un combat si longtemps attendu.
Elle entra dans la maison à la suite de Célaine et se baissa comme elle pour éviter le javelot qui s'écrasa contre un mur. Son maître se précipita immédiatement sur le démon et l'attaqua au corps à corps. Célaine n'avait jamais pu remettre de ses blessures aux mains, aussi ses deux premiers coups, bien que rapides et précis, n'étaient pas puissants du tout. Cependant son coup de pied final, libérant toute sa rage, projeta le démon félin avec une force telle qu'Iranya entendit nettement le bruit de craquement de sa cage thoracique. Sans attendre l'issue du combat, l'adolescente commença à grimper l'escalier quatre à quatre. Elle vit une porte grande ouverte et entra dans la pièce, attentive à ne pas se faire surprendre. A quelques mètres d'elle se tenait le deuxième chat sabre. Elle s'arrêta net en voyant que celui-ci appuyait la pointe de son javelot sur la gorge d'un vieil homme apeuré. Dans un feulement rauque et aigu, le démon montra les dents, visiblement gêné par l'arrivée de la jeune fille.

Iranya sentit son maître arriver derrière elle. Elles ne pouvaient rien faire pour le vieillard, un seul geste suffisait au chat pour le tuer, il était trop tard. Cependant le monstre semblait indécis, troublé. Un grognement retentit soudain quand il attaqua. Délaissant sa proie, il arma son bras pour frapper les assassins. Les deux poignards d'Iranya, plantés dans son coeur et son cou, l'empêchèrent de finir son mouvement et il s'écroula sans bruit aux pieds de la jeune fille.

L'attaque de l'adolescente avait été si fulgurante qu'elle s'était elle-même surprise. Jamais elle n'avait réussit un assaut aussi rapide et puissant, jamais elle n'avait donné tant de force dans un double coup de ce type. Iranya regarda ses mains, perplexe. Comment avait-elle fait ?

- Je crois que nous arrivons à point, Cain, dit Célaine en s'approchant du vieil homme. Ca fait longtemps qu'on ne s'était pas vu.

- En effet Célaine, très longtemps. Et je suis content que vous ayez choisi ce moment pour me rendre visite ! Visiblement soulagé, il s'assit sur le lit pour reprendre ses esprits.

Les deux amazones arrivèrent peu après, Sylna ayant préféré laisser les assassins agir sur leur terrain. Elle entra dans la chambre et ne montra pas la moindre surprise en voyant le cadavre du chat démon. Léanor arborait par contre une mine boudeuse qui exprimait sans ambiguïté aucune qu'elle aurait voulue prendre part au combat.

- Bonsoir Cain, vous n'avez vraiment pas changé, à croire que le temps n'a pas prise sur vous, dit Sylna en saluant l'Horadrim.

- Décidément, j'ai beaucoup de visites cette nuit. Cain s'était déjà remis de ses émotions et semblait calme. Je n'ai pas l'habitude d'être dérangé si tard, mais vous êtes les bienvenues. D'autant que vous êtes bien plus amicales que mes précédents 'invités'.

- Il semblerait en effet, dit Célaine. Savez-vous ce qu'ils voulaient ? Est-ce la première fois que vous êtes attaqué ici ?

- Oui, c'est la première fois que l'on veut me tuer depuis Tristram. J'avais oublié ce que cela faisait. Non que cela m'ait manqué, vous vous en doutez... Quant à ce qu'ils voulaient, j'aurais dit qu'il s'agissait de me tuer, mais... Cain hésita un instant. En fait il devait s'agir autre chose, car il aurait pu m'égorger s'il l'avait voulu.

- Peut-être vous voler quelque chose, comme pour la matriarche, suggéra Léanor.

- Oh, je vous présente Léanor, ma petite soeur et mon élève, dit Sylna en réalisant que les présentations n'avaient pas été faites.

- Et voici Iranya, ajouta simplement Célaine.

- Bonsoir mesdemoiselles, répondit Cain. Me voler ? Peut-être. Mais quoi ? Je ne possède rien d'utile ni de précieux, et d'habitude tuer est leur unique objectif.

- C'était sans doute lié à notre venue, réfléchit Sylna, la coïncidence est trop grande. Mais personne n'aurait du être au courant de notre visite ici cependant...

Elle expliqua alors à l'Horadrim la raison de leur voyage, la mort de la matriarche et le vol de l'anneau de vie.

- Cela me dit quelque chose, murmura Cain après un instant. Il se concentra, cherchant dans ses souvenirs. 'Je ne pourrais pas dire avec précision, mais cela concerne les Horadrims. Cette bague, si ma mémoire est bonne, est sertie de la même pierre que celle qui se trouvait sur l'amulette vipère. Un rubis magnifique qui avait été séparé en deux gemmes identiques. Ensuite, les premiers Horadrims avaient conféré leurs pouvoirs aux deux objets, mais je n'en sais pas plus. Nous avons créé tant d'objets au cours des temps...'

- En retrouvant l'amulette, enfin le bâton dont elle fait partie maintenant, peut-être aurons-nous un début d'explication, suggéra Célaine.

- Oui, c'est une piste, la meilleure que nous ayons, en fait, ajouta Sylna. Apparemment cette affaire est bien plus grave que l'on pouvait le penser. Comme je le craignais, ce n'est pas qu'un meurtre, mais quelque chose de bien plus complexe. Pour l'instant il faut que nous retournions à Lut Gholein.

- Je viens avec vous, dit Cain. Quitter cette ville ne me fera pas de mal, et de plus, comme vous vous en doutez, je ne m'y sens plus trop en sécurité.

- J'allais vous le proposer, répondit Célaine.

Pour ne pas attirer l'attention, ce qui les aurait retardé, ils cachèrent les deux cadavres des chats sabres au rez-de-chaussée. Puis ils passèrent la nuit ensemble en instaurant des tours de gardes au cas où une autre attaque surviendrait, mais il ne se passa rien. Le lendemain, dès le lever du soleil, ils se rendirent sur les quais pour embarquer dès que possible. Cependant, Célaine expliqua qu'elle devait s'absenter un instant.

- Cette histoire pourrait devenir très dangereuse, surtout que nous allons devoir revisiter ces maudits tombeaux. Je vais faire porter un message à Olof et Fiseult pour qu'ils nous rejoignent. Quelque chose me dit que leur aide pourrait nous être très utile.

- Certes, mais ils ne seront pas là à temps, s'étonna Sylna. Harogath est fort loin d'ici, ils ne partiront pas avant trois semaines, sans compter le temps qu'ils fassent la route ! Nous ne devrions pas tarder tant !

- Ne vous inquiétez pas pour ça, nous ne les attendrons qu'un jour ou deux.

- Comment est-ce possible ? interrogea Léanor, perplexe.

L'assassin s'approcha de la jeune amazone et elle lui murmura à l'oreille :

- Ma petite, ne cherche jamais à découvrir les secrets des Viz Jaq'taar, tu n'y gagnerais qu'une lame de métal plantée dans ton dos.

Elle avait dit cet avertissement avec le sourire, mais un frisson parcourut l'échine de Léanor. Malgré son courage et sa fierté, elle battit en retraite et se tut, impressionnée par le ton sérieux de la menace. Elle ne comprenait pas ce qui faisait la force des deux femmes, et même si elle ne voulait l'accepter, elle les craignait un peu.

Célaine s'éloigna et disparut au coin d'une rue. Dix minutes plus tard, elle revint, visiblement satisfaite, et ils purent tous monter à bord. Le capitaine avait pour ordre de se tenir à disposition de la conseillère de Jehrin, il se montra néanmoins surpris quand il apprit qu'ils devaient repartir immédiatement. Il avait commencé à faire charger le navire, mais cela prendrait encore toute la journée, ce que Célaine ne pouvait accepter. La négociation fut serrée, et le navire quitta le port alors que le soleil était au Zénith, une fois les vivres et l'eau chargés, ainsi que les marchandises les plus précieuses.
Les vents étaient très faibles, et le navire fendait lentement une mer de diamants et d'émeraudes luisant sous le doux soleil matinal. Iranya s'était levée de bonne heure, car elle n'arrivait pas à s'habituer au roulis régulier du bateau. Celui-ci la berçait doucement le soir, l'emmenant paisiblement au pays des songes, mais dès qu'elle était suffisamment reposée elle se réveillait en sursaut, ayant l'impression que tout s'effondrait autour d'elle. Les craquements incessants, témoins sonores de la vie du navire la maintenaient ensuite éveillée. La jeune fille était montée sur le pont pour prendre l'air et fuir la minuscule cabine où elle dormait en compagnie de Léanor. Elle contemplait au loin la côte qui défilait à une vitesse à peine perceptible, et les frais embruns salés de l'océan sur son visage finissaient de la réveiller.

Elle se sentait sereine, heureuse de rentrer dans sa ville natale. Mais il y avait bien plus que cela : un sentiment de fierté et de plénitude emplissait son corps et son âme, une impression de vie et de puissance, d'accomplissement total. 'Je suis vraiment devenue une Viz Jaq'taar' pensa-t-elle. Deux nuits auparavant, elle avait combattu et tué pour la première fois. La jeune fille commençait tout juste à le réaliser. Toutes ces dernières années elle avait vécue, elle s'était entraînée pour devenir plus forte et pouvoir se défendre, pour savoir se battre et empêcher que les malheurs de son passé ne se reproduisent. Ces jours maudits où Diablo était arrivé à Lut Gholein, répandant une effroyable terreur qui avait englouti ses parents et son enfance, ne lui laissant que sa rage et une détermination de fer. 'Maintenant je suis capable de lutter' murmura l'apprentie assassin au vent. 'Je ne suis pas encore assez forte, mais je le deviendrai'.

Iranya regarda ses mains, repensant au combat contre le démon. Encore une fois elle se demanda comment elle avait réussi une telle attaque. Jamais auparavant elle n'avait été si puissante et si rapide. Elle n'avait pas eu besoin de réfléchir, l'assaut était parti tout seul, de manière si naturelle...comme si elle avait toujours su le faire.

- Les griffes du dragon. Célaine s'appuya sur le bastingage à coté d'elle. Iranya ne l'avait pas entendue approcher. 'C'est le nom de la technique que tu as utilisée. Tu n'avais que de simples poignards, mais tu l'as réussie, sans même l'avoir vu auparavant.

- Comment est-ce possible maître ? demanda la jeune fille.

- Tu as un don, aussi bien pour la maîtrise des ombres que pour le combat, et cette technique, les griffes du dragon, c'est ton attaque.

- Qu'est ce que cela signifie ? Pourquoi mon attaque ? Les autres assassins doivent bien la connaître aussi...

- Chaque Viz Jaq'taar possède des prédispositions pour telle ou telle technique, pour une ou deux compétences martiales. Quand j'avais encore tous mes moyens, je n'utilisais que l'attaque du tigre, mais elle m'est maintenant presque inutile. Jamais je n'ai pu faire une attaque avec les griffes dragon aussi efficace que celle que tu as faite. Utilise cette technique autant que possible, améliore-la, perfectionne-toi, elle sera ta force.

Iranya ressentit un choc à ces mots, elle n'aurait jamais imaginé être supérieure à son maître dans un domaine et cela la laissa sans voix. Puis un large sourire s'épanouit sur son visage quand elle réalisa quel grand compliment sa tutrice venait de lui faire !

- Tu es indisciplinée, mauvaise tête, inattentive et trop sûre de toi, mais tu es certainement l'élève la plus douée que je pouvais trouver sur cette Terre, déclama alors Célaine, comme pour calmer immédiatement son élève.

La jeune fille ne savait pas vraiment comment elle devait prendre cette remarque.

- Tu as encore beaucoup à apprendre et un long chemin à parcourir, mais j'ai foi en toi. Viens, suis moi dans ma cabine, je vais t'enseigner une nouvelle technique. Nous avons tout notre temps, je vais te présenter quelqu'un.

- Qui donc maître ? Nous connaissons tout le monde sur le bateau ! s'étonna Iranya. Est-ce une autre Viz Jaq'taar qui se serait cachée et que je n'aurais pas vu ?

- Oh, mais tu connais très bien cette personne, elle t'accompagne depuis ta plus tendre enfance !


Les yeux incrédules de son élève étaient fixés sur une Célaine au sourire narquois.

- Viens, je pense que tu es assez douée pour donner naissance à ton ombre.

Sur ces paroles énigmatiques, elle tourna les talons et invita son élève à rentrer dans le ventre du navire.
Le voyage du retour avait été bien plus long qu'à l'aller, les vents étant inhabituellement faibles pour la saison. Trois jours d'affiler le bateau était resté presque immobile sur une mer d'huile, au grand désespoir de l'équipage impuissant. Les quatre femmes avaient mis ce temps à profit, les deux maîtres en profitant pour parfaire l'enseignement de leurs élèves. Les matelots avaient pu juger de la dextérité des amazones, une cible ayant été installée sur le pont avant. Léanor appréciait manifestement d'être le centre d'intérêt et tirait de longues volées de flèches avec un plaisir non dissimulé.

Un sentiment de malaise commençait à gagner Sylna sans qu'elle puisse se l'expliquer entièrement. Un danger rodait, l'attaque chez Cain avait définitivement prouvé ce que la combattante redoutait : ils étaient face à des ennemis ayant un but bien précis qu'elle ignorait malheureusement. Ils n'avaient qu'une maigre piste, sans doute erronée. Le bâton horadrim était resté sept longues années caché dans un tombeau perdu au milieu d'un désert plus qu'hostile, il n'allait pas s'évanouir. Elle se languissait pourtant d'arriver à bon port.

Le Vent d'Aurore longeait la côte proche de Lut Gholein depuis deux jours. Lentement il franchit un cap où par le passé un petit phare avait été installé, mais qui ne servait plus maintenant que de terrain de jeu pour les enfants aventureux. Au loin devant eux, la riche cité marchande apparût progressivement, ils étaient enfin arrivés. L'amazone ne connaissait pas bien la ville, mais il ne lui fallut qu'un instant pour s'apercevoir que quelque chose n'allait pas. Avec la distance, elle ne pouvait discerner les détails, cependant un élément sautait aux yeux : il n'y avait aucun bateau au port et les quais étaient presque vides, seules quelques silhouettes s'y déplaçaient.

Sans attendre que le navire s'approche davantage, Sylna quitta son poste d'observation et monta sur le pont principal pour parler au capitaine. Elle le trouva en grande conversation avec son second, car ils s'étaient bien entendu eux aussi aperçus de l'étrangeté de la situation.

- ...surtout s'il s'agit d'une quarantaine.

- Messieurs, si je puis me permettre, interrompit Sylna.

- Oui Madame ?

- Pourriez vous me dire ce que la vigile a vu, nous sommes encore trop loin pour moi.

- Mmm, je suppose que je peux vous le dire, vous le saurez de toute façon bientôt. Comme vous avez pu le remarquer, il n'y a plus un bateau au port. Des gardes patrouillent mais à part eux, personne n'est visible. Nous pensons à une épidémie mais le pavillon noir ne flotte pas sur le palais, aussi allons nous envoyer une chaloupe aux nouvelles.

- Je vous remercie, répondit Sylna, satisfaite.

Elle laissa les deux hommes et entra dans les coursives pour prévenir ses compagnes de voyage. Après avoir frappé, elle pénétra dans la cabine de Célaine où celle-ci se trouvait avec son élève, Iranya.

- Nous arrivons, mais il y a un problème.

Elle leur expliqua rapidement la situation et alla chercher sa jeune soeur. Bien que ce ne soit pas vraiment recommandé sur un navire, car il est toujours à craindre de tomber à l'eau, elle se débarrassa ensuite de ses légers habits de voyage, et enfila sa lourde tenue de combat. Elle craignait d'en avoir besoin bientôt et préférait anticiper d'éventuels ennuis.

Quand Sylna arriva sur le pont, la barque était déjà partie. Deux marins s'étaient portés volontaires et ils ramaient fermement, s'approchant rapidement des quais. Le Vent d'Aurore avait mouillé l'ancre et tout le monde, équipage comme passager, regardait la chaloupe avancer. Elle était à mi-chemin lorsqu'un des deux hommes arrêta de souquer et lâcha sa rame. L'amazone plissa les yeux mais le soleil la gênait trop pour qu'elle saisisse ce qui se passait. Tout s'enchaîna ensuite très vite : le deuxième homme se leva précipitamment au risque de faire chavirer la petite embarcation, tandis que le premier sortait une courte lame de sa ceinture. Dans un grand éclaboussement, une forme blanche à peine plus petite qu'un homme bondit soudain hors de l'eau et atterrit en partie sur la barque, ce qui la renversa presque. Le marin qui était debout battit frénétiquement des bras pour rétablir son équilibre, mais sans y réussir, et il tomba à l'eau. La créature qui était apparu replongea rapidement avant de recevoir un coup de lame.

Sylna ne pu voir ce qui arriva à l'homme qui était à la mer, mais elle l'imagina sans peine en entendant les cris horrifiés du marin resté sur la barque. Enfin, celui-ci détourna les yeux et regarda autour de lui, comme désorienté. Puis il empoigna les deux rames, apparemment décidé à s'enfuir aussi vite que possible. La côte était encore assez loin et il n'arrivait pas à les manier correctement, la panique lui ayant fait perdre toute sa lucidité. Reprenant ses esprits, il commença à souquer de manière synchronisée en direction du port. Il se rapprochait inexorablement des quais quand la créature bondit à nouveau hors de l'eau, emportant l'homme avec elle dans son élan, et elle finit son saut de l'autre côté de l'embarcation.
Sur le vent d'Aurore tout le monde s'était tu, glacé par l'horreur de cette vision. Un silence pesant régnait. Un marin finit par crier en reculant du bord.

- Faut foutre le camp d'ici !

Son exclamation attira immédiatement à lui l'approbation d'autres matelots. La panique devint vite générale, et le capitaine ne cherchait même pas à la contenir. Il avait encore les yeux fixés sur la barque vide. Déjà deux hommes se dirigeaient vers l'arrière pour remonter l'ancre.

Cain se pencha vers Sylna pour lui parler.

- Je dois leur dire quelque chose, mais ils ne m'écouteront pas. Arrête ces deux-là s'il te plait, et fais en sorte que tout le monde soit attentif.

Sans discuter, l'amazone prit une flèche dans son carquois et murmura une faible incantation. De petites étincelles naquirent à sa pointe, et d'un geste fluide elle tira vers les hommes. Le projectile frôla leurs têtes et se planta dans une porte qu'elle fit exploser en mille morceaux dans un grand vacarme.

- Vous deux, revenez immédiatement ! Et tous les autres taisez-vous et écoutez ! cria Sylna.

La surprise se lisait sur tous les visages, et le ton de l'amazone avait une telle détermination que les marins s'étaient immédiatement tu et la regardaient, bouche bée. Sa démonstration avait été plus que convaincante : fière et assurée, armée d'un grand arc et habillée d'une magnifique côte de maille étincelante, elle dissuadait quiconque de lui tenir tête. Cain fit un pas en avant.

- Ecoutez, il est impossible de fuir ses créatures, s'en aller en pleine mer serait du suicide. J'ai lu d'anciens récits sur le démon que nous venons de voir, il nous faut accoster au plus vite.

- Qu'il grimpe sur le bateau, on saura le recevoir ! répondit un marin aux épaules carrées et aux nombreuses cicatrices.

- Oh, d'une part ils sont sûrement tout un groupe, et d'autre part ce ne sont pas eux qui viendront à nous, mais nous qui irons à eux. Ils possèdent seulement deux dents, mais ils s'en servent pour arracher les planches des coques. Dans une demi-heure, nous coulerons. Et une fois dans l'eau... Cain n'en dit pas plus.

Tous les marins avaient blêmi, la terreur qui les gagnait était visible et certains commençaient à trembler.

- Capitaine ? demanda Cain.

Celui-ci sembla émerger d'un long rêve et reprit conscience de la réalité et de son rôle.

- Vous deux, remontez l'ancre en vitesse ! Tous les voltigeurs dans les toiles, je veux le maximum de voilure ! Vous trois là ...

D'abord immobiles, les marins bougèrent avec peine, mais une fois le premier pas effectué, ils se mirent à courir et à remplir leurs tâches au plus vite, conscient qu'ils jouaient leur vie.

Le Vent d'Aurore mit un quart d'heure pour arriver à quai, en ce qui fût sans nul doute le plus violent accostage de son existence. Une foule s'était rassemblée, constituée de gardes, mais aussi de nombreux civils qui avaient accouru et qui aidèrent les passagers à débarquer. Les matelots essayèrent de décharger les quelques marchandises que le bateau contenait, mais cinq minutes plus tard le navire commença à s'enfoncer. Bien vite tous les derniers marins sautèrent à quai, certains in extremis. En quelques instants le Vent d'Aurore fut englouti et il descendit lentement au fond des eaux claires du port, à seulement quinze mètres de profondeur. Tous purent voir des ombres blanches tourner autour du navire et pénétrer dans ses entrailles.

Iranya se tenait un peu à l'écart et observait la foule qui continuait à s'amasser sur les quais. De douloureux souvenirs lui revinrent à la mémoire, images tristes des événements qui avaient frappé Lut Gholein sept ans auparavant. Les habitants avaient vieilli, mais les visages restaient identiques, et la même peur qu'autrefois pouvait se lire dans leurs yeux. Les hommes avaient à nouveau décroché des murs ou ressortit des coffres leurs vieilles armes, et ils les portaient toujours aussi maladroitement, trouvant surtout du courage à leur contact. Les femmes arrivaient après par petits groupes, accompagnées des enfants. 'Tout est comme avant' pensa la jeune fille. 'Oh non, se reprit-elle, quelque chose a changé'. Dans son sac se trouvaient deux griffes, ses griffes. ' Et je m'en servirai s'il le faut, rien ne me fera fuir cette fois'.

- Comme je suis content de te revoir Ira ! s'exclama un garçon, alors qu'Iranya s'en allait des quais.

- Bonjour Junrod répondit-elle en le reconnaissant. Veux-tu faire quelque pas avec moi ? Tu pourras m'expliquer ce qui se passe, en profita-t-elle pour lui demander.

- Bien sur, je t'accompagne.

Junrod était le meilleur ami d'enfance de la jeune fille et ils avaient continué à se voir régulièrement, bien que tout deux fussent occupés de leur coté. Le garçon était depuis un an l'apprenti de Fara, sa physionomie le destinant naturellement au métier de forgeron. Petit et trapu, ses larges épaules et sa musculature étaient déjà imposantes pour un adolescent de quinze ans. Sa poigne était bien puissante, et dans ses larges mains il tenait fermement une grande barre de fer, sans doute un de ses outils.

- Qu'est-il arrivé depuis que nous sommes parti ? Pourquoi tout le monde est-il armé ?

- C'est comme il y a sept ans. Des monstres sont apparus dans le désert et ont encerclé la ville. Il y a aussi ceux-là. D'un geste vague il désigna l'océan. Et cette fois, ils ont attaqué la ville en plus.

- Comment ? Iranya était surprise au plus haut point.

- Quelques-uns ont pénétré de nuit par surprise et ont fait des massacres, ils ont attaqué des maisons sans protection. Les gardes ont fini par les tuer, mais c'était trop tard... On ne pouvait rien faire, rien du tout, c'était la panique totale. Maintenant, tout le monde a peur.

Junrod serrait les dents et ses mains étaient devenues blanches. Iranya connaissait ce sentiment de frustration et comprenait la rage de son ami.

- Ils ont tué Trev, ajouta-t-il enfin dans un soupir.

- Non ! Ce n'est pas possible... La phrase mourut sur les lèvres de l'adolescente. Elle ne savait que dire, tant le choc était grand. Le garçon sensible qu'était le jeune Trev signifiait beaucoup pour elle, il était comme son petit frère. Ils avaient tellement joué ensemble, il la considérait toujours avec respect et admiration. Elle l'aimait vraiment en retour, il était l'image même de l'innocence et de l'enfance, candide, vulnérable. Maintenant qu'il était mort, plus rien ne raccrochait Iranya à sa jeunesse, un grand vide se fit dans son coeur.

La peine qui l'accablait était immense, mais la jeune Viz Jaq'taar se sentait étrangement calme et lucide. Elle n'avait pas envie de pleurer ni de hurler, elle était devenue comme étrangère à la scène, spectatrice au premier rang d'une pièce de théâtre tragique. La foule qui s'agitait sur les quais lui paraissait tout à coup bien lointaine, et même Junrod lui semblait sans réelle existence. Au loin, elle vit Célaine et les deux amazones qui se dirigeaient vers le palais en compagnie du vieil Horadrim. L'adolescente laissa derrière elle son ami sans lui dire un mot de plus, l'ayant déjà oublié. Elle marcha pour les rejoindre. Son pas était décidé, son visage grave et ses poings fermés. Un nouvel acte était sur le point commencer, et elle allait y prendre part.
Jehrin semblait avoir vieilli de dix ans en trois semaines. Il mâchait nerveusement son éventail replié tout en faisant les cent pas dans son grand et somptueux bureau.

- J'avais peur que vous ne reveniez jamais ! s'exclama-t-il quand Célaine entra dans la pièce, suivie de ses compagnons de voyage. Cain ? C'est une surprise de vous voir ici. Enfin non, vous autres Horadrims êtes toujours attirés par les démons...

- Vous semblez bien agité mon ami, répondit le vieillard, ignorant la sarcastique remarque.

- Comment pourrais-je ne pas l'être ? Nous sommes assiégés par des monstres dont certains réussissent à pénétrer au coeur même de la ville. Mais le pire, c'est que la cité va mourir : sans navire Lut Gholein ne peut pas survivre. Même si, grâce à je ne sais quel miracle, nous réussissons à tenir et éliminer les démons autour de la ville, nous ne pouvons rien contre ceux qui détruisent les bateaux.

- Calmez-vous donc, cela ne vous ressemble pas de céder ainsi au désespoir. Cain était peiné de voir Jehrin dans cet état d'abattement. Laissez-moi tout d'abord vous rassurer. Concernant les Rinarqs blancs, ces abominations marines, n'ayez pas trop de craintes, elles ne survivront pas longtemps. En effet elles attirent d'autres créatures, bien naturelles celles-là, qui les chassent jusqu'aux dernières. Ce n'est qu'une question de temps.

- Et bien, c'est la première bonne nouvelle de la semaine ! Le petit homme s'assit sur une chaise et serra ses mains entre ses genoux.

Malgré le ton de soulagement de sa phrase, le chef de la ville restait grave, le regard pensif, presque absent. Autour de Jehrin un silence pesant s'installa, que Célaine rompit finalement.

- Nous devrions aller voir comment est organisée la défense de la ville, Sylna et moi avons une bonne connaissance de ses créatures.

- Les gardes aussi, croyez-moi. Ils n'ont pas oublié ce qui s'est passé dans les caves du palais il y a sept ans. Et ce sont eux qui ont éliminé les derniers monstres après que vous soyez partis à Kurast. Les remparts sont occupés en permanence et les soldats au repos dorment au plus près. Toutes les maisons qui en sont proches ont été évacuées, et les habitants logent tous dans le palais, sous bonne garde. Comme vous le voyez, nous sommes près.

- Très bien. Il reste juste une seule chose à faire alors : il faut que les rues soient éclairées cette nuit comme en plein jour. Des torches doivent être installées tous les quinze mètres partout dans la ville.

- Pourquoi donc ? Jehrin regarda Célaine d'un air surpris.

- Les portes ne tiendront peut-être pas, et alors les combats auront lieu dans l'enceinte même de Lut Gholein.

Jehrin s'apprêtait à répondre, mais Sylna le devança.

- Les démons se battent bien mieux que nous dans le noir, malgré quelques exceptions. Elle jeta un regard vers Célaine et Iranya. Pour donner de meilleures chances aux gardes, ainsi qu'à mon élève et moi-même, nous devons y voir aussi clairement que possible.

- Soit, soit. Mais pourquoi cette nuit ? Ils auraient pu attaquer depuis quelques jours déjà.

- Non. Nous ne savons pas ce qu'ils veulent, mais je suis certaine qu'ils nous attendaient. Célaine et Cain acquiescèrent à ces paroles de l'amazone. Préparons-nous vite, le soleil se couchera bientôt.

Jehrin se leva et se dirigea d'un pas rapide vers la porte. L'attente qui l'avait rongé et presque détruit semblait s'être évanouie. Malgré le désespoir de la situation, il était soulagé et avait reprit courage. Il était presque heureux que le dénouement arrive enfin.

- Je vais prévenir les gardes. Je... il s'arrêta et se retourna. Je suis content que vous soyez là. Nous avons sûrement encore une chance.

Sur ces mots, il les laissa, et tous purent l'entendre courir dans le couloir.

- Bien, à nous maintenant de nous organiser, déclara Célaine.

- Nous couvrirons la porte principale autant de temps que nous le pourrons, Léanor et moi. Sylna réfléchit un instant, puis ajouta : il faudra que nous placions des carquois de flèches aux endroits stratégiques pour ne pas en manquer. A qui pouvons-nous en demander ?

- La forge se trouve au milieu du marché, répondit Iranya. Demandez à Fara ou Junrod, ils en auront.

La jeune fille se tourna ensuite vers sa tutrice.

- Et nous, que ferons-nous ?

- Tu te placeras sur un toit assez près des murailles Ta tâche sera d'éviter que des démons pénètrent par surprise et prennent les gardes à revers. Et si jamais tu vois qu'une faille se crée dans la défense, va aider. Pour ma part, je resterai au palais.

- Maître ! Iranya ne pu cacher sa surprise à ces mots. Sa tutrice ressentait-elle de la peur ou de la résignation ? Non, impossible. Même diminuée comme elle l'était par ses anciennes blessures aux bras, Célaine restait pour l'adolescente la meilleure combattante qu'elle ait jamais vu.

- Je serai bien plus utile ici, ajouta la Viz Jaq'taar en voyant l'air désabusé de son élève. Je ne pourrai pas me battre très longtemps, mais surtout je pense que je dois rester avec Cain. C'est peut-être à lui que l'on en veut.

- Je suis d'accord, dit Sylna. Il faudra quelqu'un au palais pour protéger tout le monde. Il est fort probable que pendant la bataille quelques démons franchissent la muraille et attaquent le palais. Vous sachant ici, nous n'aurons pas à nous inquiéter de cela.

- Si tout a été dit, allons nous préparer, la nuit va bientôt tomber. Je ne pense pas que l'on se reverra avant le début du combat, Sylna. Bon courage, et bonne chance.

- A vous aussi Célaine. Léanor, allons-y.

- Cain, je suis gênée de vous mettre dans cette situation, mais pouvez-vous descendre dans le harem ? Je vous y retrouverai dès qu'Iranya et moi seront prêtes.

- Tout Lut Gholein ou presque dormant au palais, cela ne devrait pas poser de problèmes, répondit le vieil homme.

Sur ce, les deux amazones et l'Horadrim sortirent, laissant seules Célaine et son élève.
Iranya jeta un coup d'oeil par la fenêtre. Elle sentait la tension qui régnait dans la ville, et malgré la douce chaleur du début de soirée, de courts frissons la traversaient. Les rues n'étaient pas encore désertes, mais les rares passants se dépêchaient, longeant les murs en faisant le moins de bruit possible. Quelques gardes patrouillaient, attentifs et nerveux. La jeune fille repensa alors à Amaned. Elle avait quitté la cité à peine trois semaines, mais déjà le souvenir qu'elle avait de lui s'était estompé. Elle avait souvent pensé à leur entrevue lors du voyage vers Kingsport, mais depuis le combat avec les chats sabres, tout avait changé. Elle n'était plus la même, une force enfouie au plus profond de son être s'était réveillée. Toute sa vie elle était restée passive. Fragile enfant déboussolée par l'arrivée du mal personnifié tout d'abord, elle était ensuite devenue l'élève de Célaine. Mais elle n'avait jamais été maître de son destin, elle avait regardé, suivi, appris. Maintenant était venu l'heure de combattre, et jamais elle ne s'était sentie si forte et vivante. Les chaînes de son passé s'étaient brisées, elle était libérée. Amaned avait été comme un refuge sécurisant, réalisa-t-elle. Elle l'oublierait bien vite.

Les deux femmes sortirent du bureau par une autre porte, réservée au personnel. Elles traversèrent de longs couloirs, descendirent deux étages et se retrouvèrent après une bonne minute de marche dans les caves du palais. Iranya suivait son maître sans dire un mot. Elle connaissait parfaitement ce chemin, qu'elles prenaient régulièrement pour aller faire leurs entraînements. Petit à petit, les pièces qu'elles traversaient étaient moins éclairées, plus sales. Cette partie du palais était très peu fréquentée. Enfin elles arrivèrent devant une porte fermée à clé. Célaine avait usé de son influence pour se réserver une pièce, dont elle était la seule, avec son élève, à avoir accès. Les deux assassins s'en servaient pour s'entraîner à l'abri des regards et pour ranger leur équipement. Célaine ouvrit la porte et elles entrèrent. Iranya alluma aussitôt deux bougies, éclairant la vaste salle carrée. Elle était presque vide, seuls deux coffres, une table et deux chaises en occupaient un coin.

Iranya se demandait pourquoi son maître était venue ici, car elles avaient pris leur équipement avant de partir à Kingsport. Dans leurs sacs se trouvaient leur griffes, et elles portaient chacune leur tenue de combat. Celle de Célaine était une combinaison d'une seule pièce en cuir noir. Elle était mate, usée par le temps, et semblait avoir bien trop vécue. Sur un étal, elle n'aurait pas attiré un seul acheteur, mais au contraire les clients auraient jeté un regard navré sur le marchand osant vendre une telle camelotte. Comme les apparences sont trompeuses ! En s'approchant tout près, ils pourraient en effet distinguer par endroits de fins dessins incrustés, presque effacés. Un ancien érudit maîtrisant un art depuis longtemps oublié avait gravé dans le cuir des symboles magiques qui procuraient à la tenue des qualités défensives extraordinaires. Dans sa jeunesse et lors de la poursuite du rôdeur, Célaine avait plusieurs fois du la vie à sa tunique. Iranya possédait une tenue plus claire et luisante, visiblement plus récente. Elle était dépourvue d'attributs magiques, on pouvait néanmoins deviner par endroits la présence de métal renforçant la protection.

Célaine ouvrit son coffre. Elle en sortit les habits qu'elle avait mis dedans avant leur départ et les posa sur la table. Elle revint ensuite vers la malle vide, et utilisant avec précision une petite lame, elle en retira le fond et dévoila un compartiment secret. Iranya n'avait jamais vu cela depuis qu'elle connaissait la Viz Jaq'taar, elle contempla donc avec surprise l'intérieur. Trois sacs contenaient sans doute quelques richesses, pierres précieuses ou pièces d'or mises à l'abri au cas où la nécessité s'en ferait sentir. Divers bijoux étaient posés sur le fond, mais la jeune fille les remarqua à peine. Ses yeux étaient fixés sur deux griffes qui reflétaient les lentes ondulations de la bougie qu'elle tenait. Armes acérées fait d'éclats de lune et de soleil, l'une était d'argent et l'autre d'or. Comme deux soeurs jumelles si semblables mais tellement différentes, elles s'opposaient malgré leurs similitudes. Toutes deux étaient de lourdes serres runiques, possédant trois longues lames aux extrémités recourbées. La griffe d'argent était recouverte de motifs droits, formant un complexe maillage dont la jeune fille n'arrivait pas à saisir le sens. Etaient-ce des carrés, des triangles, ou d'autres formes ? Son esprit était perdu dans la complexité des simples dessins. L'adolescente commençait à se sentir mal, désorientée par ces gravures magiques. Elle détacha enfin son regard des lames et contempla l'autre arme dorée. Autant la première semblait froide et sans âme, autant l'autre rayonnait de vie. La chaleur s'en émanant avait comme donné naissance à des plantes gravées qui s'étalaient sur le poignet de la serre, dessinant de douces courbes qui remontaient le long des griffes. De nombreux boutons verts étaient près à éclore, petites émeraudes témoins de la vie de l'arme.

Iranya était perdu dans sa contemplation et sursauta quand Célaine remit le double fond et ferma le coffre, cachant les deux magnifiques griffes.

- Avant que la bataille ne commence, je devais te donner ceci.

L'assassin s'approcha de son élève et lui accrocha un fin collier d'or muni d'une petite amulette autour du cou. Elle lui prit ensuite les mains et lui passa une bague à l'annulaire de chacune.

- Ces trois bijoux sont dotés de pouvoirs qui t'aideront cette nuit. Mais si je te les donne maintenant, c'est surtout car ils signifient que tu as passé une nouvelle étape dans ta formation. Mon maître me les a donné quand j'ai accompli ma première mission, je te les transmets à mon tour après ce que tu as fait à Kingsport. Si un jour tu as une élève, tu lui donneras quand elle les méritera. Ils symbolisent ton appartenance à notre ordre, tu es une Viz Jaq'taar.

- Maître... Iranya ne savait pas quoi dire.

- Ce n'est qu'un nouveau palier que tu viens de franchir, tu restes mon élève et tu as encore beaucoup de choses à découvrir. Cette nuit, tu vas devoir mettre en pratique tout ce que je t'ai appris. Célaine posa ses mains sur les épaules de son élève et plongea son regard dans le sien. Ne te laisse pas emporter par ta fougue. Je connais la soif de combat que tu vas ressentir, la satisfaction de pouvoir enfin te battre et te venger. Maîtrise tes émotions, soit prudente et ne fonce pas tête baissée.

- Je combattrai les démons comme vous me l'avez enseigné. Je les tuerai sans qu'ils ne s'en rendent compte, et ils tomberont en se croyant encore vivants.

Iranya devina que sa réponse avait surpris son maître, même si elle ne le montrait pas. Mais elle n'avait fait que dire ce qu'elle ressentait : elle était prête à se battre.

- Très bien, il ne nous reste plus qu'à sortir nos griffes et à y aller.

Suivant un rituel de préparation propre aux Viz jaq'taar, elle se bandèrent les poignets et les mains, et attachèrent fermement leurs armes avec des lanières de cuir.

- Maître, pourquoi ne portez vous pas les serres qui sont dans votre coffre ? Qu'ont-elles de spécial ? demanda Iranya.

- C'étaient mes armes du temps où je pourchassais Diablo. Mais depuis mon combat avec Aminara, je suis incapable de les utiliser. Un jour, quand tu seras assez expérimentée pour maîtriser leur puissance, je te les donnerai. Mais ce ne sera sans doute pas avant longtemps. Et pour l'instant, nous avons une nuit difficile qui nous attend. Allons-y.

Elles ressortirent de la salle et remontèrent prendre leur place pour la bataille. Célaine laissa son élève et s'en alla vers le harem.

Quand elle sortit dans la rue, Iranya vit les derniers rayons du soleil disparaître à l'horizon. La nuit venait de tomber.
Les ténèbres étaient magnifiques, délicieusement inquiétantes. Une petite brise fraîche caressait les dunes, et emportait avec elle des grains de sables qui donnaient à la Lune une splendide couleur rouge sang. Quelques nuages passagers la cachaient par moment, plongeant le désert dans un noir presque total. Mais l'astre de la nuit finissait par réapparaître, tel un oeil malade s'ouvrant obstinément pour fixer la cité de Lut Gholein. La ville était devant eux, fière et imposante, les narguait derrière ses hautes murailles de pierre. D'ordinaire si joyeuse, elle transpirait tant de vie et de richesses qu'elle en était répugnante. Cette immense verrue ne serait bientôt plus qu'un champ de ruines. Les parasites la peuplant tomberaient cette nuit en pleurant pour un salut qu'ils n'obtiendraient jamais.

Lazarus savourait cet instant de calme, précurseur d'un chaos total. L'attente était merveilleuse, la peur qui émanait de la ville le remplissait d'une excitation qu'il n'avait jamais connue. Il entendait les gémissements des femmes, les pleurs des enfants. Il pouvait sentir leur terreur, et il salivait en imaginant la détresse qu'ils ressentiraient quand les démons les approcheraient, tueurs implacables de ces misérables proies sans défense. Ses mains s'ouvraient et se fermaient comme les serres d'un rapace en plein vol, impatient de fondre sur un lièvre aperçu. Il n'allait plus pouvoir se retenir très longtemps.

Quatre heures auparavant ses troupes s'étaient avancées, de manière à pouvoir être vues des murailles, tout en restant à bonne distance. Les cloches avaient sonné, les pathétiques insectes qui défendaient les murailles s'étaient agités, prêts à recevoir l'assaut. Quelques démons avaient chargé, passant outre les ordres, guidé uniquement par la vue de la chair fraîche et la soif de sang. Ils avaient péris sans faire le moindre mal. Peu importait. Son armée était toujours amplement suffisante, formée de milliers de créatures qu'il avait amenées avec lui et qui lui étaient dévouées. Pendant sept longues années, il avait travaillé sans relâche pour préparer sa venue sur Sanctuary. Puisant sa force de la magie diabolique des enfers, il avait réussit à créer un portail éphémère qui lui avait permit de revenir parmi les hommes avec ces quelques démons survivants. Ils ne pourraient rivaliser avec les armées des royaumes de l'ouest ou les tribus barbares du nord, mais ce n'était pas le but. Tout ce qu'ils devaient faire étaient d'écraser Lut Gholein, leur unique but était de lui permettre de s'emparer du dernier élément nécessaire au réveil des Horadrims. Ensuite, plus rien ne résisterait.

Un nouveau nuage cacha la Lune. L'heure était venue, il donna le signal de l'attaque. La charge fut désordonnée, les démons enfin libérés hurlant leur hargne et leur rage, fonçant aussi vite qu'ils le pouvaient vers la muraille dressée devant eux. Leur nombre suffirait à faire tomber la porte sans qu'il y ait besoin d'une quelconque stratégie, et il était de toute façon illusoire d'espérer les contrôler dans leur état sanguinaire. Lazarus observait le spectacle, les plus faibles et les plus rapides tombèrent les premiers sous les flèches pleuvant des remparts, victime de leur hâte aveugle. Enfin le gros de la troupe arriva au contact, piétinant sans y prêter attention les cadavres qui jonchaient déjà le sol. Quelques monstres agiles essayèrent de gravir les murs avec leurs griffes, mais ils étaient accueillis en haut par des piques meurtrières. Le carnage commençait, mais le mage corrompu était confiant. Il ne pouvait plus intervenir dans cette partie de la bataille, Lazarus se détourna donc et dirigea son esprit vers la troupe de chats sabres postée en retrait. Leurs semblables avaient échoués dans leur précédente mission, il espérait bien que ceux-là réussiraient.

Obéir maître. Avancer couché, ramper. Mur devant. Humains en haut. Attaquer ! Non. Pas être vu. Faire silence. Frères et soeurs suivent. Doucement. Bataille au loin, cris, hurlements de mort. Aller se battre avec, vouloir. Non, obéir maître. Lune cachée, avancer plus vite, sans bruit. Facile pas être senti, humains aveugles la nuit. Meute avance bien. Pied du mur. Soeur rousse, soeur blanche avec. Frère noir arrive. Frère marron dernier. Pas moquer, pas faire bruit, humains pas devoir entendre. Mur lisse, dur monter. Regarder. Là ! Trou, facile. Autres suivent, bien, obéissent. Moi chef, maître a confiance. Attacher lanière cuir autour corps. Mains libres, pied dans trou, sauter. Attraper bord. Facile avec griffes, pas comme humains. Frère noir vient. Glisse mais rattrape. Cri ! Humains arrivent. Soeur blanche là, combattre. Humain pas assez rapide. Lanière cuir claque. Humain hurle et tombe. Bâton pointu dans tête autre, mort. Sang, bonne odeur ! Approcher, manger. Nourriture blanche, bon !

**ARRETTE CA ! FAIS MISSION !**

Douleur. Tête hurle, maître pas content. Obéir, vite. Frères et soeurs là, humains arrivent. Chair fraîche, tuer !!

**FUYEZ**

Sauter sol, courir, grimper dans tanières humains. Courir encore. Humains loin. Frères et soeurs là, bien. Mission à faire. Grande tanière dorée, aller. Pas humains dans grand village. Petites tanières vides mais odeur viande. Humains être là avant. Avancer vite. Pas bruit. Sortir, aller en haut. Lune jolie, aime. Bataille là-bas, aller, sang !!

**MISSION**

Obéir maître, mission. Sauter sur autre tanière. Avancer, descendre. Soeur blanche arrive, frère marron, soeur rousse descend. Odeur humain tout près, fuir, mission. Sinon maître pas content. Remonter sur autre tanière. Tanière dorée tout près. Soeur rousse, frère marron avec. Odeur sang, pas de bruit. Danger, ennemi là, attaquer. Sauter. Par terre. Pas humain. Soeur blanche. Morte. Mauvais sang. Soeur rousse hurle, triste. Hurle avec ! Haine ! Qui faire ça, venir ! Moi Tuer !

Danger. En haut, remonter vite. Frère marron mort. Esprit tueur ? Peur ! Fuir ! Esprit tueur ici !!


**FAIS MISSION**

Non ! Peur. Mort venir. Fuir ! Sauter sur autre tanière. Aller vers bataille, sécurité. Soeur rousse derrière. Courir. Fuir. Petite soeur crie. Regarder. Humain noir sur corps soeur rousse. Elle morte. Haine. Juste humain. Attaquer, déchirer, tuer ! Lanière claque. Vide. Humain rapide. Lui près, moi sortir griffes, donner coup. Toucher. Sang. Odeur sang ! Goût sang, bon !

Douleur. Tomber, faible. Sang à moi.

Pas humain...esprit tueur...moi...mourir.!


Lazarus hurla de dépit. Le contact avait été rompu avec le dernier de ces stupides démons, mais l'identité du combattant ne faisait pas de doute. 'Maudits Viz Jaq'taar ! Je m'en doutais.' Les choses se présentaient un peu moins bien qu'il ne l'espérait, la présence de ces assassins n'était pas prévue dans son plan. La bataille faisait toujours rage au pied de la porte de la cité. Elle aurait du céder depuis quelques minutes, mais les défenseurs réussissaient à tenir de manière inexpliquée. Le mage noir ne chercha pas à connaître la cause de ce contretemps. Ce n'était pas le plus important. Les chats sabres avaient échoué, il devait s'occuper de cela lui-même. Lentement il descendit de son poste d'observation et se dirigea vers l'enceinte de la ville. Rien ni personne ne pourrait l'arrêter.
La gorge de la jeune amazone était sèche et ses jambes tremblaient. Comme la lune s'était cachée, il était très difficile de bien voir ce qui arrivait. La vision de l'armée d'ombres chargeant dans la nuit terrifiait Léanor. Autour d'elles les hommes avaient reculé d'un pas, écarquillant les yeux pour s'assurer que ce n'était pas une illusion, incrédules devant le nombre de démons qui attaquaient. Certains étaient des gardes bien entraînés, d'autres des civils ne s'étant jamais battus de leur vie. Mais tous étaient paralysés et envahis d'une terreur cauchemardesque. L'alerte avait immédiatement été donnée, et tous les combattants de réserve accoururent pour prêter main forte. Cependant les démons surpassaient largement les hommes en nombre et en puissance. Comment pouvaient-ils espérer tenir ?

Sur la muraille, à une quinzaine de mètres de Léanor, une voix s'éleva.

- Fiers habitants de Lut Gholein, cette nuit sera peut-être la dernière, mais nous devons combattre en braves ! Vos familles à tous sont dernières ses murs et comptent sur vous ! Faites leur honneur ! Même si la mort vous emmène dans cette bataille, tombez en protégeant votre ville, vos femmes et vos enfants. Repoussez ces démons pour sauver vos familles !

Sylna reprit son souffle et regarda autour d'elle. Tous les soldats la contemplaient, et réalisant la justesse de ses propos, ils reprirent courage.

- Lut Gholein ne tombera pas ! s'écria enfin la magnifique amazone.

- Lut Gholein ne tombera pas ! reprirent ensemble trois cent soldats, leur cri de combat s'élevant bien plus fort que les hurlements des démons qui chargeaient.

Léanor prit une flèche et arma son arc. 'Fldrn' souffla-t-elle. Le projectile s'embrassa d'un feu magique grâce au sortilège, et l'amazone décocha un tir qui se termina à vingt pieds des murailles. Elle répéta rapidement cette opération trois autres fois, délimitant une zone bien mieux éclairée où il lui serait beaucoup plus facile de viser. Aucun assaillant ne pourrait traverser cette ligne sans recevoir une flèche dans le corps. Elle regarda à nouveau la marée monstrueuse qui fondait sur la ville. La lune s'était dévoilée, et la jeune fille pouvait maintenant voir les démons se marcher les uns sur les autres, avançant sans protection et sans ordre. Ils beuglaient leur dialecte infâme et remuaient leurs armes, pour ceux qui en possédaient. 'Hum, finalement, je ne vais pas avoir besoin de lumière, ça va être comme à la fête.' Un petit démon aux longues jambes et au petit corps bondit soudain dans la lumière, premier assaillant arrivant près des murs. Léanor le tua d'un tir précis dans la tête. Sa peur avait disparu : elle tenait fermement son Skystrike et elle était prête, qu'ils viennent !

L'armée des enfers arriva enfin à portée de tir de la ville. Peu de soldats possédaient des arcs car ce n'était pas une arme usuelle dans cette contrée, où ils étaient principalement familiarisés au maniement des lances et des épées. Cependant, tout ceux qui le pouvaient tirèrent sur les démons en contrebas, sans se soucier de vraiment viser : les groupes de monstres étaient tellement compacts, qu'ils étaient impossible à manquer. Léanor et Sylna mirent toute leur maîtrise et leur talent en oeuvre, et commencèrent leur incroyable carnage. Chaque flèche faisait mouche, tuant ou blessant sérieusement la cible. Les deux amazones tiraient sans discontinuer, leurs arcs chantant une mortelle mélodie. Le rythme avec lequel elles décochaient leurs tirs aurait sidéré les gardes autour d'elles. Mais ceux-ci ne s'en souciaient point. Des démons commençaient à grimper la muraille à l'aide de leurs griffes, et les hommes s'acharnaient à les repousser, tuant chaque créature, ou bien la projetant en contrebas.

Heureusement pour les défenseurs, peu nombreux étaient les monstres capables de franchir le mur, et la plupart restaient en bas, sans savoir quoi faire. Ils s'amassaient au pied de la muraille, tentant vainement de s'élever vers les humains.

'Si forts, si nombreux, mais si stupides.' Finalement, nous avons une chance se mit à espérer Léanor.

Elle continuait de tirer volées après volées sur les démons impuissants, quand soudain une chose immense lui passa juste au-dessus de la tête, la forçant à se jeter au sol. Elle se remit aussi vite que possible sur pieds, armant immédiatement son arc et encochant une flèche. A coté d'elle un volatile venait d'atterrir, et il s'attaquait à un défenseur qui se protégeait comme il le pouvait derrière un petit bouclier rond. Ce qui était autrefois un vautour du désert était devenu un charognard mort-vivant. Ses ailes étaient décharnées et il leur manquait de nombreuses plumes, sa tête cadavérique n'était plus formée que d'un petit crâne et d'un énorme bec menaçant. Léanor avait vaguement entendu parler de ces démons, si dangereux lorsqu'ils réussissent à entourer leur proie. Sur une charge du gigantesque oiseau, l'homme tomba à terre et cria quand celui-ci le recouvrit, l'immobilisant au sol. Léanor tira, et la flèche transperça l'oiseau tout proche. Mais la blessure ne l'arrêta pas, il continua à frapper l'homme de son bec. Les gardes proches se jetèrent sur le démon, le frappant de leur lance pour lui faire lâcher sa victime. Un garçon n'ayant pas plus de seize ans bondit près de l'oiseau, et d'un coup d'épée rapide, il lui trancha la tête avant de recevoir un coup.

Les gardes écartèrent le cadavre du charognard. L'homme à terre se tortillait dans tous les sens sans émettre de son. Il se tenait le cou entre ses deux mains, celles-ci étaient rouges de sang, et le liquide coulait entre ses doigts serrés. Léanor put lire la terreur dans les yeux de l'homme, avant qu'un voile ne tombe et qu'il s'arrête finalement de bouger.

- Il est mort ? L'adolescent ayant tué le vautour regardait le cadavre de l'homme, incrédule. C'est pas juste ! Il devait pas mourir comme ça !

- Rien n'est juste, répondit un garde proche. Et beaucoup mourront comme cela cette nuit. Il n'était que le premier. Retournez vite à vos places ! Et attention au ciel !

Léanor reprit des flèches dans son carquois pour continuer à tirer sur les démons en contrebas. Elle pensait aux paroles du garde, à leur justesse. 'Il n'était que le premier'.
Un immense feu s'éleva au milieu des monstres attroupés devant la porte. Prudemment Léanor se pencha pour observer la scène. Elle reconnut immédiatement le résultat d'un trait d'immolation, une technique amazone que venait d'utiliser Sylna. Les démons regroupés devant la porte constituaient en effet la plus grande menace, car ils finiraient par la faire tomber, à force de s'acharner dessus. Elle devait aider à défendre ce point sensible, elle se mit donc elle aussi à tirer des flèches enflammées à cet endroit. Les créatures tombaient dans de grands cris, brûlées à mort par les flammes magiques. La défense tenait bon, les quelques monstres ayant réussit à grimper sur les murailles avaient été éliminés, et la porte était protégée autant que possible. Quelques projectiles enflammés avaient été projetés par-dessus le mur d'enceinte et des maisons commençaient à brûler. Mais personne ne pouvait s'en occuper, il restait juste à prier que les incendies ne se propagent pas trop vite.

Léanor aperçut alors six immenses démons. C'étaient de véritables montagnes de muscles, des brutes gigantesques portant chacune un lourd gourdin, et sans autre protection que leur épaisse peau. Ils se frayaient un chemin au milieu de la meute des monstres en broyant tout ce qui se trouvait devant eux. Léanor tira quelques flèches, mais celles-ci ne semblèrent pas leur faire le moindre mal. Ils allaient bientôt arriver devant la porte, et pénétrèrent dans les flammes la protégeant. La jeune amazone eut un hoquet de surprise quand elle vit le feu lécher le corps des démons sans les brûler. Ils ne semblaient pas incommodés par la fournaise dans laquelle ils se trouvaient, bien au contraire. Léanor se rappela les enseignements qu'elles avaient acquis auprès de Sylna : il existait des démons insensibles au feu, au froid ou à la foudre. Il n'y avait aucun doute que ceux-là en faisaient partie. Déjà leurs lourdes massues s'abattaient sur la porte qui craquait de manière inquiétante.

'Fzztld' souffla l'amazone. La flèche paralysante tirée par Léanor arriva une seconde après celle de sa soeur, répandant une couche de givre sur les créatures. S'ils aimaient tant le feu, ils devaient être sensibles au froid, c'était évident. Les gigantesques monstres se trouvèrent immobilisé par les flèches magiques, figés en statues de glace. Cependant l'un des démons, bien que ralenti, continuait à abattre son arme sur la porte déjà bien endommagée. Les flammes s'étaient éteintes, et d'autres démons s'approchèrent des portes. Il fallait tuer ces immenses brutes au plus vite ! Sinon...

Un craquement, suivi d'un grand bruit de fracas coupa court aux réflexions de Léanor. Elle sentit un filet de sueur descendre dans son dos. 'Mince, ça, c'est pas bon, vraiment pas bon'. La porte venait de tomber, les démons allaient entrer dans la ville.

La jeune amazone vit que Sylna continuait à tirer des flèches paralysantes afin de ralentir l'entrée des monstres dans la ville. Des gardes se précipitaient en bas de la muraille pour tenter de contenir les démons, et ils engagèrent le combat avec les quelques créatures ayant échappées aux flèches paralysantes. Malgré la panique, la défense semblait pouvoir tenir. Léanor ne resta pas à contempler la situation et descendit quatre à quatre un escalier afin d'aider les gardes à arrêter la marée qui ne tarderait pas à s'y engouffrer. Sylna faisait de son mieux, mais les monstres étaient trop nombreux, et malgré ses tirs glacés, certains réussissaient à franchir la porte.

La jeune fille grimpa sur une caisse et posa à coté d'elle deux carquois en réserve. Elle se mit ensuite en position et passa à l'attaque. Elle tirait par intermittence, quand elle était certaine de ne pas risquer de toucher de gardes. Devant elle, une vingtaine d'hommes faisaient bloc. Ils avaient formé deux lignes compactes et se servaient de leurs longues piques à merveille. Les démons s'y empalaient les uns après les autres, sans aucune chance d'atteindre leur cible. Sylna ralentissait leur entrée dans la ville, et une seule porte était tombée, ce qui formait un goulot d'étranglement où les monstres se bousculaient, se gênant mutuellement. Ils ne parvenaient à se dégager que les uns après les autres, rendant plus facile la tâche des défenseurs.

Un mouvement attira l'oeil de Léanor. Une forme fantomatique s'était brièvement révélée sur le fond noir du ciel, à une dizaine de mètres de Sylna. Celle-ci était concentrée sur l'attroupement à la porte et tirait sans discontinuer. Elle ne pouvait pas voir la menace qui lui arrivait dans son dos. Avec la distance, Léanor n'aurait aucune chance de toucher la cible, surtout qu'elle ne la voyait plus, mais il lui fallait absolument attirer l'attention de son maître et des gardes proches d'elle sur le danger qui les approchait.

'Fldrn'. Le trait enflammé traversa les airs, et explosa soudainement en plein vol dans une gerbe de flammes, dévoilant la quinzaine de spectres qui étaient sur le point d'attaquer la puissante amazone par surprise. Sylna se retourna, et immédiatement elle prit ces nouveaux ennemis pour cible. Elle décochait un grand nombre de flèches à chaque tir pour empêcher ces esprits démoniaques d'avancer. De petites traînées rosées descendirent alors lentement du ciel, serpents de lumière attirés par la chaleur du corps des humains. Malgré le vacarme de la bataille, Léanor put entendre les cris des trois gardes qui ne fuirent pas et se retrouvèrent pris dans les flammes magiques crachées par les spectres. Ils se tordirent de douleur quelques instants, avant de tomber inanimés, sans doute morts. Sylna avait esquivé l'attaque et reculait tout en continuant à tirer.

L'emplacement de la muraille où avait lieu ce combat était maintenant vide de défenseurs et déjà quelques démons franchissaient le mur. Léanor commença à courir pour aider à protéger cet endroit, mais alors qu'elle traversait la rue, elle vit le deuxième battant de la porte de la ville lentement tomber. Un rugissement démoniaque lui glaça le sang, elle s'arrêta net et déglutit péniblement. Les six immenses démons que Sylna immobilisaient étaient à nouveau libres, et les uns après les autres, ils pénétrèrent dans la ville. Les gardes reculèrent, impressionnés, terrifiés par ces montagnes de muscles. L'un d'entre eux laissa tomber sa pique et détalla vers le palais, cédant à la panique. Après un moment d'hésitation, les autres gardes rassemblèrent leur courage. Ils serrèrent les rangs et après avoir relevés leurs lances, ils chargèrent vaillamment.
Le froid s'insinue sous mes fourrures et je ne sens plus mes pieds. Mais je dois avancer, mes compagnons ont besoin de moi. La caverne scintille de mille feux glacés qui me font mal aux yeux. Où sont-ils donc ? Le danger rode, je le sens, mes fidèles loups aussi, leurs grognements se font de plus en plus fort.

- Olof ! Montor ! Sylna ! Où êtes-vous ?

L'écho se répercute à l'infini sur les parois bleues de la grotte de glace, mais mon cri reste sans réponse. Ils étaient pourtant à mes cotés un instant auparavant, j'en suis sûr. Un horrible pressentiment m'assaille soudain. Montor, je dois aller l'aider, il est en danger, je le sais. Je commence à courir, mais je tombe, mes jambes m'ont trahi. Péniblement je me relève, le froid mord mes paumes malgré mes épais gants. Où est passé mon bouclier ? Et mon cimeterre ? Je les avais pourtant... Peu importe, je dois avancer. Mes loups m'aident à me relever.

- Que serais-je sans vous, mes amis ?

J'entends alors un bruit de lutte, je rassemble mes dernières forces, je me précipite. Ils sont juste derrière le croisement, pourquoi ne m'ont-ils pas répondu ?

Montor est là, à quinze mètres de moi, en plein combat avec une troupe de Yétis. Il est seul, où sont donc Olof et Sylna ? Se sont-ils perdus comme moi ? Sont-ils tombés dans le lac à moitié gelé au bord duquel Montor se trouve ? Mon ami, ce fier paladin, se bat si bien que je reste sans voix, immobile. De sa main nue, il arrête les coups de griffes des géants blancs, et il les décapite avec une facilité déconcertante. Son épée runique semble voler autour de lui, impossible à arrêter. Mes loups se couchent à coté de moi et admirent le spectacle.

Les horribles créatures arrivent sans arrêt, mais elles ne peuvent rien face à la grâce guerrière de mon compagnon. Il n'a plus de casque, son bouclier semble même inutile. Il est si fort... Je devrais y aller, je le sais, mais pourquoi ? Une force invisible m'empêche d'intervenir, je dois regarder. Pourtant je ne veux pas, une peur sourde s'empare soudain de moi

- Mes loups, allez l'aider, courrez à ses cotés.

Mais ils restent là, ils se sont endormis. Derrière le paladin, je les vois alors arriver, affreux minotaures armés d'une hache double dans chaque main. Non ! Pas eux !

- Montor !

Mon avertissement n'est qu'un murmure, je n'arrive pas à crier. J'essaie encore, mais je reste sans voix. Il doit se sauver avant qu'ils n'arrivent, cependant je sais qu'il est déjà trop tard. Je veux y aller, mais je ne peux pas bouger, je suis assis à califourchon sur un bloc de glace flottant au milieu du petit lac, à seulement dix mètres du combat. Où sont donc mes fidèles loups ? Je n'arrive pas à les voir, et je ne réussis pas à concentrer l'énergie de la nature pour les invoquer. Que se passe-t-il ? J'essaie aussi fort que je peux mais je me sens vide, impuissant. Je dois y aller ! J'essaie d'avancer en poussant l'eau avec mes mains, mais cela ne donne rien et je recule même un peu.

- Montor !

Cette fois mon hurlement fait trembler l'air sous sa puissance. La caverne se met à vibrer et des morceaux de glace tombent dans l'eau à coté de moi, tout va s'effondrer ! Mais je ne peux quitter mon ami des yeux. Les seigneurs lunaires sont arrivés à coté de lui et l'entourent immédiatement. Non... Je ne veux pas voir cela.... L'épée de Montor est arrachée par le premier coup d'un des démons et tombe au sol à quelques pas de lui. Il essaye de parer le second avec son bouclier, mais celui-ci se fend en deux. La hache poursuit sur sa lancée et tranche le bras du paladin malgré l'armure le protégeant.

- Noooon !

Je ne peux rien faire, cela me rend fou de désespoir. Son autre bras tombe à l'assaut suivant, mais Montor ne bronche pas. Je ne comprends plus rien...

Une main se pose sur mon épaule.

- Fiseult...

Olof est à mes cotés, juché lui aussi sur un bloc de glace au milieu de l'eau.

- Olof, pourquoi es-tu là, pourquoi ne te bats-tu pas avec lui ? Que se passe-t...


- FISEULT !

Le druide sursauta en s'éveillant et Olof lui attrapa le bras pour s'assurer qu'il ne tombe pas. Ils avaient chevauché toute la nuit dans le désert, profitant du froid régnant. Mais surtout ils avaient voulu arriver aussitôt que possible à Lut Gholein, intrigués et inquiétés par le message de Célaine. Et à présent le barbare se félicitait de ce choix.

- Que se passe-t-il ? Fiseult se réveillait péniblement et pensait encore à son cauchemar.

- Rassemble tes esprits pendant que je me prépare, il va y avoir de l'action. Le druide reconnut immédiatement le sourire de son compagnon.

Olof mit pied à terre et se dirigea vers le dromadaire qui transportait leur équipement.

Ils étaient arrêtés au sommet d'une dune. Devant eux, Lut Gholein la magnifique se dressait dans le désert. La vue était saisissante : des flammes ravageaient de nombreuses maisons et Fiseult aperçut une foule attroupée au pied des murailles. Ils arrivaient au beau milieu d'une bataille...
La technique des gardes était impeccable, Léanor devina facilement qu'ils étaient tous des soldats de métiers très bien entraînés. La jeune amazone sentit son coeur faire un bond en voyant l'énergie et la ferveur des valeureux combattants. Ils dégageaient une aura de puissance qui lui donnait l'impression qu'elle-même était devenue invincible. Elle se sentait plus forte, plus rapide, plus précise, son corps était empli d'une douce chaleur qui lui faisait oublier sa peur et sa fatigue. Lorsqu'elle prit ses flèches dans son carquois, Léanor ne doutait plus de l'issue du combat. Jamais les démons ne pénétreraient plus avant dans la cité, ils périraient tous devant elle !

Les gardes attaquèrent ensemble une des énormes créatures qui avait défoncé la porte. Celle-ci leva son gigantesque gourdin, mais deux hommes réussirent à planter leurs piques dans son bras, l'empêchant de porter son coup. D'autres pointes s'enfoncèrent aussitôt dans son torse et une de ses jambes, mais le monstre ne se mit à hurler que lorsqu'une flèche de glace lui creva un oeil. Dans un dernier sursaut de rage, il dégagea son bras des piques qui l'immobilisaient et fit tourner sa massue autour de lui dans un mouvement aussi brutal que désespéré. Les gardes s'étaient reculés précipitamment, mais l'un d'eux, agile et rapide, s'approcha en esquivant le coup et mit fin à l'agonie de la bête en l'empalant de toute sa force.

Trois autres des immenses démons arrivèrent alors au contact du groupe de gardes. Des flèches étaient fichées par endroit dans leur épaisse peau, mais ils ne les remarquaient même pas. Les hommes tentèrent de les contrer en utilisant la technique qu'ils venaient juste d'utiliser, et cela faillit fonctionner. Deux créatures virent leur bras arrêtés nets par les piques, mais contre la troisième, un jeune garde sans doute effrayé par l'incroyable férocité de son ennemi ne mit pas assez de conviction dans son geste. Il ne réussit qu'à dévier le coup et son arme lui fût arrachée des mains. Le gourdin, long d'un bon mètre et hérissé de pointes en fer lui effleura le visage sans le toucher. L'homme commença à tituber en arrière, mais il n'eut pas le temps d'apprécier sa chance. Le monstre avança d'un pas, et malgré la flèche qui l'atteint alors à la tempe, il fit parcourir à son arme la trajectoire inverse. Le garde plaça certes ses bras en opposition, mais cette protection était totalement futile, et son crâne explosa sous la violence du coup.

Le combat commença alors à tourner à l'avantage des démons. Un groupe de gardes réussit certes à se débarrasser d'un des gigantesques monstres, mais l'autre reçu l'aide du troisième qui était totalement libre. Les gardes faisaient de leur mieux et tentaient tant bien que mal de s'opposer à la fureur des deux démons. Cependant, ils tombaient les uns après les autres sous la force des massues. Sans bouclier, et avec seulement les habits sans protection des gardes de la ville, chaque coup était fatal.

Léanor voyait bien la détresse des défenseurs, mais elle ne pouvait pas les aider. Ses projectiles ne servaient pas à grand-chose contre de telles montagnes de muscles, et si elle tirait des flèches paralysantes, elle risquait de tuer les gardes alentours. Mais surtout, une foultitude de démons mineurs entraient maintenant par les portes grandes ouvertes, ou escaladaient les remparts. Sur la muraille, de nombreux hommes avaient péri et ceux qui restaient n'arrivaient plus à contenir les assauts successifs. Léanor se concentraient donc en partie sur ces cibles faciles pour éviter aux gardes d'être complètement submergés. Par intermittence, elle tirait aussi des traits paralysants sur les deux énormes monstres situés en retrait par rapport au combat. Les gardes éprouvaient déjà les pires difficultés contre deux, ils n'auraient plus aucune chance contre quatre. Une chose étonnait la jeune fille : elle maîtrisait très bien son sort, mais un des deux monstres réussissait encore à lentement avancer. Elle était cependant trop occupée pour s'attarder là-dessus et s'en inquiéter.

Les cadavres des démons jonchaient l'entrée de la ville, mais d'autres continuaient à entrer, inlassablement, comme si la porte donnait directement sur les enfers. Les doigts de l'amazone commençaient à lui faire mal. Sur les murailles, quelques groupes de gardes résistaient encore, mais ils n'en avaient plus pour très longtemps. Dans un hurlement qui semblait faire trembler la terre, la quatrième créature géante s'effondra, finalement vaincue par les gardes. Il ne restait plus que trois d'entre eux sur les vingt qui défendaient la porte quelques minutes auparavant. L'impression de puissance que ressentait Léanor avait progressivement disparue à la mort de chacun d'entre eux, et le désespoir commençait à la gagner. Où était Sylna ? Elle avait tant besoin de sa soeur ici ! Elle chassa ses pensées négatives de son esprit et se concentra sur le combat. Même seule, elle se battrait, jusqu'au bout !

Les gardes allaient attaquer les deux démons gelés. Léanor se baissa pour ramasser un nouveau carquois, mais sa main ne rencontra que la poussière de la rue. La panique germa dans son ventre en une petite boule douloureuse, qui se propagea immédiatement dans son corps, comme une flamme au sein d'un buisson sec. Tous ses muscles se tétanisèrent, elle arrêta de respirer et son coeur s'interrompit entre deux battements. L'amazone regarda affolée autour d'elle, à la recherche d'un carquois ou de quelques flèches. Il y en avait ! Il fallait qu'il y en ait ! Mais elle était placée près d'une torche et dû rapidement se rendre à l'évidence, tous les carquois étaient vides.

Léanor commença à courir dans la rue, essayant de se rappeler où elle avait mis des munitions de réserve. Malheureusement, elle ne connaissait pas la ville, et il faisait encore jour lorsqu'elle les avait placés. Elle était perdue et paniquée. Elle savait que les démons allaient bientôt faire tomber les dernières résistances, il fallait absolument qu'elle se dépêche. En passant à coté d'un magasin de parfums et de savons elle se rappela l'endroit, car l'échoppe si atypique l'avait surprise. Il y avait une rue parallèle, et dans celle-là elle avait laissé deux carquois pleins. La jeune fille courut vers l'entrée d'une ruelle qui lui permettait d'y aller. Celle-ci était entièrement obscure, aucune torche n'y avait été placée et la lune avait comme par hasard choisi ce moment pour se cacher. Léanor hésita et jeta un coup d'oeil derrière elle. Un seul garde était encore vivant, il fuyait, poursuivi par de nombreuses créatures et arrivait dans sa direction. Elle n'avait pas le choix et s'engagea à l'aveuglette dans le sombre chemin.

La jeune fille avançait à tâtons vers la lumière qui émanait de la rue en face d'elle. La ruelle ne faisait que trente mètres de long et l'amazone en était au deux tiers quand une petite créature apparut à son extrémité, devant elle. Sa mâchoire était garnie de longues dents aiguisées qui luisaient de manière inquiétante. Ses pattes repliées étaient longues et musclées. Léanor avait tué beaucoup de ses semblables, de petits démons sauteurs, rapides mais très faibles. Il s'arrêta comme s'il avait senti sa présence. Un deuxième arriva, et il s'arrêta au coté de son congénère. Ils fixaient les ténèbres, humant l'air, cherchant à comprendre ce qui les attirait par là. La jeune fille se tenait immobile et retenait sa respiration, attentive à ne pas faire le moindre bruit. Ils ne pouvaient pas la voir, elle devait absolument rester silencieuse. Sans flèche, elle était désarmée et ne pourrait pas se défendre. Derrière elle, dans la rue qu'elle venait de quitter, elle entendit soudain un bruit de chute puis le hurlement d'agonie d'un homme. Elle sursauta, et dans son mouvement elle cogna un objet qui tomba au sol.

Non... Léanor gémit en voyant les trois créatures s'engager dans la ruelle. Ainsi, sa vie finissait ici, dans une sombre ruelle, sans qu'elle puisse se battre. C'était si injuste ! Près d'elle, une autre ombre noire atterrit, prête à la tuer. L'amazone lâcha son arc devenu inutile et arracha une planche à une caisse contre laquelle elle se tenait. Elle n'abandonnerait pas, jamais ! Tenant sa dérisoire arme à deux mains, elle l'abattit de toutes ses forces contre son proche ennemi.
Le morceau de bois se fendit sur le dos de l'ombre, qui poussa tout d'abord un hoquet de surprise avant de s'exclamer :

- Non mais ça va pas ! Fais gaffe !

Iranya ! Léanor reconnut immédiatement la voix de la jeune Viz Jaq'taar et ressentit un soulagement incroyable. Elle qui croyait la mort si près, voilà qu'elle s'éloignait de manière inattendue. Jamais la jeune fille n'aurait pensé être aussi contente de voir sa rivale. Elle regretta son geste et s'apprêtait à s'excuser, quand elle entendit les deux petits démons arriver. Le grattement rapide de leurs pattes sur le sol hérissa les cheveux de l'amazone. Elle n'arrivait plus à les voir et commençait à reculer.

- Bouge pas.

Léanor sentit Iranya se déplacer et perçut le bruit net d'une lame pénétrant de la chair. Un petit cri étouffé lui permit de comprendre qu'une des bêtes venait de mourir. La deuxième sauta par-dessus l'assassin et frôla l'amazone avant d'atterrir à deux mètres d'elle. Léanor tomba à la renverse de surprise et rampa précipitamment loin du monstre. Celui-ci se précipita sur elle, et la jeune fille put brièvement entrevoir un reflet sur les longues dents du monstre, alors qu'il lui bondissait dessus. Il s'arrêta en plein vol à quelques centimètres de son visage et l'amazone sentit la puanteur de son haleine de mort. De la bave lui coulait dessus, mais Léanor n'arrivait pas à bouger, elle ne comprenait pas ce qu'il se passait. Elle eut le démon face à elle pendant seulement deux petites secondes, mais jamais elle n'oublierait cet horrible instant. Elle se trouvait sans défense, allongée par terre sur le dos, dans une obscurité presque totale, et elle était assez près de l'horrible créature pour qu'en allongeant le cou celle-ci puisse la mordre. Une lueur démoniaque luisait dans ses yeux et sa mâchoire tremblait, produisant un crissement à peine audible.

Iranya acheva le démon empalé sur sa griffe et le jeta au sol, attentive ensuite au moindre bruit.

- Ramasse ton arc, il ne faut pas qu'on reste là.

- Je...oui, bien sur. Léanor reprit aussitôt ses esprits. Je dois trouver des flèches, je n'en ai plus.

La jeune amazone se saisit de son arme posée au sol, et suivit l'assassin qui se déplaçait comme une panthère dans la nuit, évitant des obstacles qu'elle-même voyait difficilement. Elles débouchèrent dans une rue qui était parfaitement éclairée par des torches placées à intervalles réguliers. A leur droite, les jeunes filles virent quelques hommes regroupés qui se battaient avec l'énergie du désespoir contre une meute de démons les entourant. Iranya courut immédiatement à leur rescousse. Du sang coulait de ses griffes et laissait une traînée rouge derrière elle. Son visage était impassible, grave et fermé, elle était toute entière absorbée par la lutte et le combat à venir. Une puissante explosion la fit néanmoins se retourner. Au bout de la rue se trouvait le palais, et des flammes s'échappaient des fenêtres du rez-de-chaussée. L'assassin hésita un instant, elle pensait à Célaine qui se trouvait là-bas et se demandait ce qu'elle devait faire. Les combats faisaient rage dans toute la ville à présent, mais le palais restait l'endroit à protéger à tout prix, car toutes les femmes et les enfants y étaient réfugiés. Un garde hurla à la mort derrière elle. Iranya prit alors sa décision : son maître lui avait donné des consignes, et de plus elle ne devait sûrement pas avoir besoin de son aide. Ces hommes par contre... Elle serra les poings et entra dans la mêlée, de nouveau concentrée, mais tout de même inquiète.

Elle entama une danse virevoltante au sein de la troupe de monstres, taillant, tranchant, empalant tout ce qui passait à sa portée. Elle esquivait les assauts qui arrivaient de toute part, et sentait sans les voir les coups venant dans son dos. Ces créatures là étaient faibles, mais nombreuses, et la fatigue commençait à se faire sentir. Depuis le début de la bataille, elle courrait à travers la ville à la poursuite des démons, et enchaînait les combats sans se reposer. Sa parfaite condition physique lui permettait de tenir, malgré des bras et des jambes qui devenaient de plus en plus lourds. Elle avait pour l'instant réussit à ne pas se faire blesser, le seul coup reçu étant celui de cette imbécile d'amazone. Les démons devaient maintenant tous être entrés dans la ville, mais leur nombre avait grandement diminué. Cependant, ils restaient incontestablement en supériorité face aux humains et la bataille n'avait pas encore penché en leur défaveur, malheureusement.

Alors qu'elle venait de planter sa griffe dans le crâne d'un démon, celui-ci attrapa son bras et déséquilibra la Viz Jaq'taar avant de mourir. Elle se reprit immédiatement, mais malgré leur manque total de tactique, ses ennemis semblèrent en profiter pour l'attaquer simultanément. Iranya fut contrainte de parer deux coups et ne put éviter un sabre qui lui taillada l'épaule. Elle grimaça sous l'effet de la douleur et voulut contre-attaquer le grand démon, mais avec les dangereux mouvements de ses quatre bras armés, il obligea l'assassin à reculer. Elle se trouvait maintenant en bien mauvaise posture. Une vipère maléfique de taille humaine la chargea alors, et l'assassin eut le réflexe de croiser ses griffes devant elle pour parer le coup, ce qui lui sauva la vie. Et entendit le sifflement d'une lame fendant l'air et plongea sur le coté pour l'éviter. Elle enchaîna par une roulade parfaite, mais glissa sur le sable au moment de se relever et se retrouva à genou. Le démon aux quatre sabres la dominait de toute sa taille, ses armes levées sur le point de s'abattre sur la frêle humaine à terre. Il chancela alors et émit un grognement lugubre avant de s'affaler, trois flèches plantées au milieu de son dos.

La vipère attaqua à nouveau la Viz Jaq'taar sans se préoccuper du cadavre du démon, mais elle ne put parcourir la moitié de la distance les séparant, avant qu'une flèche ne lui transperce la tête. Iranya finit de se relever et jeta un regard vers l'amazone située à une vingtaine de mètres de là.

- Merci, pensa-t-elle. Puis elle se tourna vers les autres créatures diaboliques encore présentes, et attaqua à nouveau.

Malgré leur nombre, les démons ne purent absolument rien contre la puissance des deux jeunes filles, et en à peine deux minutes ils ne furent plus que des cadavres inertes allongés dans la rue. Quatre hommes avaient survécu à ce combat. L'un d'entre eux était Junrod, l'ami d'enfance d'Iranya. Il tenait dans ses mains une hache et était blessé à une jambe. L'apprenti forgeron regardait son ancienne camarade avec incrédulité, la détaillant de haut en bas. Elle était en sueur et couverte de sang. Sa blessure à l'épaule semblait superficielle, mais laisserait à n'en point douter une belle cicatrice. Il restait bouche bée devant le carnage qu'elle venait d'accomplir.

- Merci pour votre aide, vous nous avez sans nul doute sauver la vie, dit un des autres hommes, un garde du palais d'une trentaine d'années.

- C'était tout naturel. Mais la bataille n'est pas finie, dépêchons-nous d'aller au palais, répondit Iranya.

Tous acquiescèrent, et sans gaspiller plus de temps en paroles inutiles, ils se mirent à courir vers le grand bâtiment.
Ils arrivaient sur la place du marché, prêt du palace, quand une troupe de monstres déboucha d'une autre rue située non loin. Immédiatement ils prirent les humains pour cible. Le petit groupe s'apprêtait à recevoir la charge quand Léanor reconnut les ennemis et avertit ses compagnons :

- Faites très attention aux deux énormes brutes armées d'une massue, je les ai vu à l'oeuvre, ils sont affreusement féroces.

- Oui, j'en ai déjà combattus autrefois, ils sont très dangereux, confirma le garde qui avait déjà pris la parole.

- Dans ce cas, occupez-vous des autres, je me charge de ces deux là. Dans les yeux d'Iranya brillait une lueur vive. Elle était sérieuse, et semblait si sûre d'elle-même que personne n'osa la contredire.

Les géants menaient la charge contre les humains. La Viz Jaq'taar s'écarta un peu du groupe pour attirer à elle ses deux adversaires. Ils étaient si stupides qu'ils obliquèrent aussitôt vers cette proie qui s'approchait d'eux, délaissant les cinq autres combattants. Les quelques démons qui tentèrent aussi de s'approcher d'Iranya furent promptement abattus par Léanor, alors que les hommes avançaient à leur tour vers la meute terrifiante des créatures de l'enfer. La jeune assassin n'était nullement impressionnée par la taille de ses opposants. Certes elle savait qu'un seul de leurs coups lui serait sans doute fatal, mais leur lenteur lui permettrait de les esquiver sans difficulté. L'un des deux semblait moins fort et moins rapide que l'autre, aussi Iranya décida-t-elle de s'occuper d'abord de lui. Il était toujours délicat de se battre contre plusieurs adversaires. Plus vite elle en aurait éliminé un, mieux cela serait.

Elle tourna rapidement autour des deux monstres, évitant facilement un coup de massue bien trop lent pour l'atteindre. La Viz Jaq'taar réussit ainsi à placer sa première cible entre elle et l'autre démon, et l'attaqua de manière fulgurante. Elle savait qu'elle ne pouvait les vaincre en un seul coup, leur peau était bien trop épaisse pour cela. Elle ne chercha donc pas à atteindre un organe vital, mais planta rapidement sa griffe dans le bras nu du démon, utilisant la technique préférée de son maître, les griffes du tigre. Ce félin est la plupart du temps capable de terrasser n'importe quel animal d'un seul coup, mais il préfère souvent affaiblir sa proie avant de lui porter le coup fatal. Elle répéta cette attaque une seconde fois, visant à nouveau le bras du démon. Enfin, après avoir encore évité la massue, elle attaqua la gigantesque créature en utilisant toute sa puissance, retrouvant naturellement le geste des griffes dragon. Ses armes se plantèrent simultanément aux endroits où elle avait déjà frappé, et Iranya sentit l'énergie de tout son corps passer dans ses deux griffes, libérée en une fraction de seconde dans cette attaque parfaite. Le bras du géant fut sectionné net dans un jaillissement de sang qui éclaboussa l'assassin. La créature hurla de douleur et s'effondra au sol, agonisant rapidement alors que tout son sang quittait son corps et se répandait sur la terre poussiéreuse du marché.

Indifférent au sort de son semblable, le deuxième démon se rua sur l'adolescente. Iranya ne relâcha pas une seule seconde son attention, malgré la facilité avec laquelle elle avait réglé son compte à son précédent ennemi. Elle essaya immédiatement d'utiliser la même technique et attaqua le géant au bras. Elle se fendit parfaitement pour utiliser toute son allonge, cependant elle ne réussit pas à le toucher. La sensation était très étrange : elle avait bien visé et sa griffe n'avait pas été bloquée. C'était plutôt comme si elle avait attaqué un être sans consistance, une créature éthérée qui n'offrait pas la moindre résistance physique. Elle était néanmoins bien réelle, comme le prouva le souffle d'air qui accompagna le coup de massue horizontal qu'Iranya évita de justesse en se baissant.

La jeune assassin était troublée par cet élément inattendu, mais de se décontenança pas. Elle se remit en position offensive, et sans laisser au démon l'occasion de refrapper, elle lui porta un double coup en y mettant toute sa rage et toute sa détermination. Malheureusement, l'attaque des griffes du dragon fût tout aussi inefficace, et la Viz Jaq'taar se trouva de plus emportée par son élan, ce qui lui fit perdre son équilibre une fraction de seconde. Le géant ne manqua pas l'occasion et frappa l'humaine qui s'était inconsciemment mise à sa portée. Iranya comprit instantanément qu'elle ne pourrait pas éviter la massue et devrait encaisser le choc. Ses réflexes et son agilité lui sauvèrent la vie : elle sauta en arrière et tendit les bras en avant pour prendre appui sur l'arme de son adversaire. Elle accompagna au maximum le mouvement de la massue avant qu'elle ne s'écrase sur son torse, et fut projetée au loin. Elle atterrit à quinze pas de là sur un étal qu'elle défonça entièrement. Elle se releva péniblement en grimaçant. Son ventre et son dos lui faisaient très mal, mais elle n'avait probablement rien de cassé, réalisa-t-elle avec soulagement. Iranya commença à chercher un moyen pour vaincre ce monstre si puissant. Elle fit un pas vers lui mais chancela, la douleur lui arrachant un gémissement.

- Laisse fillette. Celui-là il est pour moi.

A côté d'elle se tenait un homme en armure. Il faisait sans aucun doute plus de deux mètres et portait une masse énorme. Ses jambières, sa plaque ornée et ses gantelets de guerre étaient d'un magnifique gris aux reflets tantôt verts, tantôt orangés, et paraissaient d'une solidité à toute épreuve. L'armure faisait probablement un bon pouce d'épaisseur, même plus au niveau du torse, et l'ensemble pesait largement plus de cent livres. Autant ces éléments étaient bien accordés et se complétaient parfaitement, autant le casque juraient avec le reste. Comme posé sur le corps d'un magnifique homme de fer, un masque ignoble semblait apprécier l'incongruité de sa position, et il le montrait avec un grand sourire hilare. Le visage aux traits exagérés était doré, hormis pour les lèvres d'un éclatant bleu océan. Deux courtes cornes recourbées comme celle d'un bélier achevaient de donner un air ridicule au casque, leur couleur mauve seyant habituellement à merveille les coiffes des bouffons et saltimbanques de passage. Mais jamais personne n'avait dû se moquer de la tenue du combattant, tant l'impression de force et de puissance qu'il dégageait était grande. La manière dont il tenait sa lourde arme ne laisse de plus planer aucun doute sur ses capacités à la manier.

L'homme jeta une fiole de verre contenant un liquide rouge à la jeune fille.

- Bois ça pendant que je m'occupe de c'te brute.

Il avança alors calmement vers le gigantesque démon qui approchait, et prit sa masse à deux mains, armant son coup. Le géant fut sur lui l'instant d'après, lui aussi prêt à frapper. Ni l'un, ni l'autre ne cherchèrent à esquiver ou à se protéger. La massue de la créature infernale toucha l'homme au niveau du cou avec une violence inouïe. N'importe qui aurait été décapité par une telle attaque, mais le guerrier ne broncha même pas. Presque simultanément, sa masse heurta le ventre du démon, dans un vif éclair de lumière. Le géant hurla, visiblement blessé par l'assaut. Comment avait-il pu le toucher ? se demanda Iranya. L'homme releva sa masse, et l'abattit à nouveau sur son adversaire affaibli. Le monstre tenta aussi de le frapper, mais encore une fois son coup n'eut aucun effet. Il tomba à genou, entièrement dominé par la force pure du guerrier. Un troisième coup de masse lui défonça l'épaule jusqu'au sternum, et il tomba à terre, mort.

Iranya finit de boire la potion laissée par l'homme et se sentait déjà mieux. Elle se demanda soudain comment les autres gardes et Léanor s'en sortaient, et regarda anxieusement autour d'elle. Elle était prête à aller à leur rescousse, quand elle s'aperçut avec stupeur qu'il ne restait plus un seul démon vivant. Leurs cadavres jonchaient le sol du marché, et les combattants s'étaient regroupés autour d'un homme portant des peaux de bêtes. L'adolescente frémit en voyant que des chiens se nourrissaient des cadavres des monstres. - Non, ce n'étaient pas des chiens, mais des loups. - Un sourire traversa le visage d'Iranya quand elle comprit enfin.

- Ca va fillette ? Pas trop de mal ? s'enquit le guerrier en s'approchant.

- Je ne suis pas une fillette, Olof ! Sinon oui, ça va, mais on a failli vous attendre.

- Hein, tu me connais ?

- Je vous ai déjà vu une fois, mais ce n'est pas le moment de discuter. Dépêchons-nous d'aller au palais, Célaine à peut-être besoin de nous.

Ils rejoignirent Léanor, Fiseult, Junrod et les trois autres hommes, et ensemble ils se dirigèrent ensuite vers le somptueux bâtiment.
Dès qu'elle posa le pied sur la première marche du parvis, un mauvais pressentiment s'empara d'Iranya. Son instinct lui hurlait qu'un malheur était arrivé. Sans prendre aucune précaution contre un éventuel danger, l'adolescente gravis l'escalier en courant et s'engouffra dans l'entrée.

Un combat avait eu lieu ici, un combat d'une violence que la jeune fille imaginait difficilement. Elle reconnaissait à peine l'immense hall. La plupart des tapisseries murales avaient brûlé, tout comme les tapis dont certains se consumaient encore. La fumée omniprésente créait des halos rouges fantomatiques et répandait une odeur de cendres chaudes, ce qui donnait à la pièce une atmosphère pensante et malsaine. Les meubles étaient éparpillés sans ordre, certains ayant brûlé, d'autres gisant en morceaux contre les murs, sans doute projetés là avec force par une des explosions qui avaient laissé les traces noires sur le sol. Des six immenses lustres qui émerveillaient inévitablement les invités, seuls deux étaient encore accrochés, les autres n'étaient plus que mille morceaux de cristal éparpillés dans la pièce.

Et au milieu de tout ce chaos, des corps gisaient étendus.

- Célaine ! Iranya appela son maître, priant pour recevoir une réponse.

Les autres entrèrent derrière elle, s'exclamant à la vision du palais ravagé. La jeune fille avança lentement dans la grande entrée, ses yeux se posant tour à tour sur chaque cadavre, à la recherche de sa tutrice. Des gardes, ce n'étaient que des gardes ! Après avoir vu tant de morts cette nuit-là, Iranya ne ressentit que peu de honte à cette égoïste pensée. La Viz Jaq'taar n'était pas parmi les victimes. Elle s'était battue et devait probablement poursuivre le ou les assaillants. Sans doute un mage en fait, se dit Iranya en réalisant que seuls des sorts de feu extrêmement puissants avaient pu faire de tels ravages. Ils ne pouvaient plus rien faire ici, et devaient ressortir se battre contre les démons qui restaient dehors. La jeune assassin s'approcha de Léanor pour lui dire. Celle-ci était immobile et fixait une table renversée. Iranya allait poser la main sur son épaule, mais son geste resta en suspend. Elle ne dit pas un mot, et après quelques secondes elle s'approcha de la table et s'agenouilla.

- Iranya...

Elle ne répondit pas à l'amazone, elle ne l'entendit même pas. Derrière la table, deux corps étaient allongés. Cain gisait, mort, sa robe grise teintée de rouge, un trou sanglant à la place du coeur. Mais Iranya le remarqua à peine. Elle passa lentement la main dans les cheveux roussis de l'autre cadavre. Le visage n'était plus vraiment reconnaissable, tant il avait été ravagé par le feu. Il n'y avait plus d'yeux, et le nez n'était plus qu'une petite bosse noire. Une mare de sang coagulé entourait le cadavre et Iranya avait les genoux dedans, mais peu lui importait. Contrairement au visage, le corps avait l'air intact, prêt à s'animer et à se battre. Les mains tenaient encore fermement deux griffes.

Rien, il n'y avait plus rien à faire. Célaine était morte et Iranya se sentait vide, tellement impuissante et inutile. Ses forces l'avaient abandonnée et elle regardait sans y croire vraiment le corps inerte de sa tutrice. Etait-ce réel ? La jeune fille ne parvenait pas à accepter ce qu'elle voyait. Elle repensait à leur première rencontre, une soirée peu de temps après la mort de ses parents. Elle lui avait fait une telle impression, elle était si belle et semblait si forte ! Iranya s'était jurée ce soir là que jamais plus elle ne pleurerait, et qu'elle-même deviendrait capable de se battre. Célaine était revenue peu après lui donner cette possibilité, mais maintenant qu'elle touchait au but, son maître s'en était allé, envoyé dans l'autre monde par un mage inconnu. C'était si injuste ! L'adolescente retenait avec peine ses larmes.

Pourquoi devait-elle mourir si tôt ? Iranya se rendait brutalement compte qu'elle n'était pas prête à vivre sans elle. Célaine était devenue comme sa nouvelle mère, veillant sur elle, la grondant, la guidant, l'aimant à sa manière. Et il lui restait encore tant de choses à lui apprendre... Pour la deuxième fois dans sa vie, Iranya se retrouvait seule, abandonnée. Et pourquoi ? Pourquoi l'attaque de cette nuit ? Que voulait donc le mage qui avait tué son maître ? Mais peu importait en fait, Célaine n'était plus, et aucune réponse ne lui rendrait jamais la vie. Iranya se moquait à présent de la bataille au dehors et des personnes qui la regardaient. Qu'ils la laissent seule ! Rien n'avait plus d'importance pour elle de toute façon. La jeune fille caressait doucement les cheveux de sa tutrice.

Une douleur aiguë lui déchira les entrailles quand un souvenir lui traversa l'esprit. L'explosion qu'elle avait entendue tout à l'heure, les flammes qui s'échappaient du palais, c'était lors du combat qui avait... Mais alors, si elle était venue ici au lieu d'aider les hommes dehors, peut-être aurait-elle pu la sauver ! La jeune fille était pétrifiée par cette pensée : si elle avait fait un autre choix, Célaine serait encore vivante. Iranya serrait les dents, le sentiment de culpabilité lui faisant mal au plus profond d'elle-même. Elle s'en voulait de ne pas avoir été là. Elle se haïssait, élève indigne qui avait abandonné son maître. Elle détestait ces gardes trop faibles qu'elle avait du aider, ces démons qui l'avaient retardée. La jeune fille se mit à en vouloir à tout le monde, aveuglée par la peine infinie qui consumait son coeur. Puis finalement une seule pensée s'imposa, éclipsant toute les autres. Avec son avant-bras elle essuya la larme qui avait coulé sur son visage fatigué. Elle passa une dernière fois la main dans la chevelure de sa tutrice et se leva. Sa tristesse s'était évanouie, son désespoir et sa résignation avait été remplacés par un sentiment bien plus fort : la soif de vengeance.

Léanor s'apprêtait à réconforter la jeune fille, mais elle s'arrêta lorsqu'elle vit son regard. Il était si froid et décidé, malgré des yeux rouges de chagrins. Ses poings étaient serrés et sa voix ne tremblait pas quand elle s'adressa à l'amazone.

- Est-ce qu'il y a des survivants qui ont vu ce qu'il s'est passé, et qui a fait cela ?

- Non, je ne crois pas, tout le monde ici est mort. Le druide est descendu voir dans le harem comment vont ceux qui s'y sont réfugiés. Je suis vraiment désolée pour Célaine...

L'amazone ne savait pas quoi ajouter, mais elle était sincère et cela toucha Iranya. Pendant un bref instant, elle sourit.

- Merci.

- On devrait aller aider dehors, ils ont besoin de nous.

- Va s'y, moi j'ai autre chose à faire.

Iranya tourna les talons vers l'escalier menant aux niveaux inférieurs.

- Bien, je comprends...

Léanor ne voulait pas contrarier la Viz Jaq'taar. Elle comprenait sa peine, et elle-même était sous le choc. Elle imaginait sa réaction si elle avait vu Sylna allongée ici au lieu de Célaine, elle n'aurait pas pu le supporter. Mais la bataille continuait, elle devait encore se battre. Quand la jeune amazone ressortit du palais, elle remarqua que la lune était encore plus rouge et malveillante qu'auparavant.
Iranya croisa Fiseult dans un couloir en compagnie de ses trois loups, alors qu'il retournait visiblement vers la sortie.

- Tout va bien par là, par chance aucun démon n'est descendu.

- Savent-ils ce qui s'est passé en haut ?

- Non, ils n'ont pas osé bouger depuis le début de la bataille. J'étais la première personne à venir les voir, et je les ai effrayé d'ailleurs.

Habillé de peaux de bêtes et suivi par ses loups, rien d'étonnant à cela, pensa Iranya.

- Il n'y a rien à craindre pour eux, je vais défendre l'entrée, continua le druide. Sais-tu où sont passées Célaine et Sylna ? Je ne les ai pas vu. Je ne sais pas où est passé Cain non plus. Il a apparemment quitté le harem en marmonnant des paroles bizarres.

- Que disait-il ?

La jeune fille eut du mal à formuler cette question, une boule lui ayant noué la gorge lorsque Fiseult s'était enquit de Célaine. Mais elle devait savoir ce qu'avait dit le vieil homme.

- Ils n'ont pas bien compris, il était tranquillement assis, puis il s'est levé en s'exclamant quelque chose comme « le réveil des Horadrims », et il est immédiatement sortit. Je me demande où il est.

- Tu le trouveras près du troisième pilier à gauche en sortant de l'escalier, avec Célaine, répondit l'adolescente de manière absente. Elle reprit sa marche et passa à coté de l'homme sans dire un mot de plus.

- Que veux-tu dire ? Sont-ils...

Mais la Viz Jaq'taar ne répondit pas et continua son chemin vers les caves du palais. Elle réfléchissait et tout s'éclairait au fur et à mesure, les pièces du puzzle s'assemblaient une à une. Elle devinait maintenant la raison de tout cela, le but de leur ennemi, elle n'avait pas un seul instant à perdre.

La jeune assassin pénétra peu après dans la pièce qui leur était réservée, à son maître et à elle. Elle referma derrière elle et se dirigea vers le coffre.

- Tu m'avais dis que tu me les donnerais quand je serais assez expérimentée pour les utiliser...

Iranya ouvrit la malle, souleva le double fond et contempla à nouveaux les deux magnifiques griffes

- ... c'est une promesse que tu ne pourras jamais tenir.

Elle défit l'une après l'autre les lanières de ses propres armes, et les posa à terre à coté d'elle.

- Je suis loin d'être aussi forte que toi, mais je dois les prendre maintenant pour devenir suffisamment puissante.

Elle approcha les mains des deux serres runiques pour les saisir, mais de petits éclairs jaillirent de l'arme argentée, tandis que l'autre griffe se mit à briller d'une intense lumière jaune, dégageant une chaleur qui aurait à n'en point douter brûlé la jeune fille si elle l'avait touchée. Iranya recula précipitamment sous l'effet de la surprise.

- Que... Pourquoi me rejètent-elles ? Est-ce qu'elles ne me jugent pas encore assez digne de les porter ? Mais je le suis !

Iranya avait crié ces derniers mots, libérant dans ces paroles à son maître invisible toute la rage qui emplissait son coeur.

- Sans elles, je n'y arriverai pas, il est trop fort ! Mais je dois le tuer ! Je dois le tuer... je dois le tuer...

Sa phrase avait fini dans un murmure. Elle s'était tant entraînée, elle avait tant fait pour pouvoir se battre, et voilà qu'au moment où elle en avait le plus besoin, elle était rejetée par les serres runiques comme une vulgaire gamine.

- Il va faire de Sanctuary un enfer... Je ne peux pas abandonner. Je te vengerai Célaine, je le tuerai, je te le jure !

En prononçant ces mots, Iranya sut qu'elle disait la pure vérité. Elle venait de graver cette promesse dans son coeur avec le feu de son honneur. Elle était libérée de tous ses doutes, de toutes ses craintes. Sans aucune hésitation, la jeune Viz Jaq'taar plongea ses mains dans le coffre et empoigna les deux griffes magiques.

Elle hurla aussitôt. Sa main gauche la brûlait atrocement alors que la droite était tétanisée par le froid et parcourue de décharges continuelles. La douleur était intolérable et la jeune Viz Jaq'taar tomba à terre. Elle n'arrivait pas à contrôler son corps et se contorsionnait au sol, se tordant convulsivement, arquant son dos et ses jambes battant dans le vide. Jamais elle n'aurait pensé qu'on puisse autant souffrir. Son cri s'arrêta quand elle n'eut plus d'air, et elle se mit à haleter entre ses dents fermement serrées. Plus rien n'existait autour d'elle. Seule sa souffrance était réelle, elle emplissait tout son être. Mais une pensée résistait, plus puissante que la douleur même :

- Je n'abandonnerai pas, jamais !

Son unique volonté lui permettait de garder les poings fermées sur les deux griffes. La jeune fille lutta ainsi deux longues minutes, une éternité, avant de finalement s'évanouir.
Les premiers rayons du soleil pénétraient dans le bureau de Jehrin par une fenêtre donnant sur l'océan bleu azur. Pour toute la ville, la nuit sanglante était terminée et l'aube tant attendue se levait sur la première journée de deuil. Le maître des lieux n'était pas dans la pièce : aussitôt que Sylna était venue lui annoncer la fin de la bataille et leur victoire, le petit homme avait commencé à s'affairer et à organiser le triste rassemblement des corps. Il y avait beaucoup à faire et les plaies de la cité mettraient longtemps à cicatriser. Des quartiers entiers avaient brûlé et quelques maisons continuaient encore de se consumer. Certes, le prix avait été très lourd, très peu d'hommes ayant survécu au long affrontement et pas une famille n'avait été épargnée, mais ils avaient vaincu et là étaient le plus important. Pour toute la population de Lut Gholein, il fallait maintenant enterrer avec honneur les combattants qui étaient tombés en les protégeant, et commencer à reconstruire.

Sylna et sa soeur Léanor, ainsi que Fiseult et Olof savaient par contre que pour eux le combat n'était pas encore terminé. Ils avaient réussi à éliminer jusqu'au dernier les démons qui avaient assailli la ville, mais cette victoire avait un goût bien amer. Les quatre combattants avaient les traits tirés et les visages sombres. La tristesse et la fatigue s'étaient abattues d'un seul coup sur leurs épaules lorsqu'ils avaient pénétré dans cette pièce épargnée par les tourments de la nuit passée. Les deux amazones étaient presque tombées sur les moelleux canapés. Olof avait posé son casque sur le bureau, dévoilant une face partagée entre rage et peine, bien différente de celle affichée par son masque hilare.

- Cain, Célaine, comment est-ce possible ? murmura Fiseult.

- Je ne sais pas, jamais je n'aurais pensée que cela arriverait. On ne pouvait pas prévoir... Sylna était effondrée.

- Le message de Célaine nous pressait de venir, mais si nous avions su, nous aurions pu arriver encore plus rapidement, dit le druide.

- Vous ne pouviez pas savoir. Même nous, nous ignorions que Lut Gholein était assiégée.

- C'était quoi ce bordel ! explosa soudain Olof. On a tué les trois démons majeurs, j'ai moi-même défoncé le crâne de Baal. Nous avons renvoyé toutes ces maudites bestioles en enfer, elles ont rien à foutre ici !

La colère du colosse leur fit baisser les yeux, comme s'ils avaient été pris en faute.

- Et maintenant elles se ramènent, attaque une ville, font des massacres et tue Célaine et ce bon vieux Cain ! Je veux savoir ce qui se passe et qui a fait ça !

- Pendant que je me battais, j'ai vu un homme, dis alors Sylna. Je pensais bien qu'il était important, mais j'étais trop occupée pour m'en occuper. C'était un mage, je n'ai aucun doute la-dessus. Je l'ai vu se téléporter sur la muraille, puis disparaître dans la nuit...

- Qui c'était, et qu'est ce qu'il voulait ? Olof avait baissé la voix, mais sa rage grondait toujours.

- Je pense que je peux répondre à ta cette question.

Dans l'embrasure de la porte se tenait Iranya. Elle semblait fraîche et en pleine forme, miraculeusement remise de son éprouvante nuit. Les quatre combattants remarquèrent aussitôt qu'elle était équipée de grandes serres qui luisaient magnifiquement dans la lumière matinale. Olof et Fiseult les reconnurent, mais ne dirent rien et la laissèrent continuer.

- Je ne sais pas qui est à l'origine de tout cela, mais je sais ce qu'il veut : il compte ressusciter les Horadrims.

- Comment cela ? Ils la regardaient, peu convaincus.

- Il a volé l'anneau de vie et possède probablement le bâton horadrim. Cain parle du « réveil des Horadrims » avant de mourir et qu'on ne lui arrache le coeur. Le coeur du dernier des horadrims, l'organe de la vie ! Tout cela me paraît très cohérent.

- Quelle idée un mage démoniaque pourrait-il avoir à ressusciter les Horadrims, alors qu'ils ont toujours combattus les trois ? C'est illogique ! Sylna était toujours sceptique.

- D'autre part, renchérit Fiseult, les momies contre lesquelles nous nous sommes battus autrefois étaient déjà les dépouilles des anciens Horadrims mort-vivants.

- Il y a une grande différence entre un mort-vivant et un être ressuscité. Et je suppose que la personne qui ramène un homme à la vie doit pouvoir le contrôler. S'il s'agit de l'ensemble de l'ordre des mages les plus puissants ayant jamais existés, ceux qui ont créé les pierres d'âme, les premiers hommes à avoir défié et vaincu les démons majeurs, alors l'intérêt de les avoir à son service est évident.

- Et terrifiant... ajouta Fiseult.

- Mouais, je suis pas convaincu. Enfin moi ce que je veux surtout, c'est savoir où je peux le trouver ce magot ! Après, on verra... Olof regardait sa masse avec un rictus carnassier sans équivoque.

- Pour un rituel aussi important, il faut sans doute un lieu empli d'une puissante magie noire, dit Iranya. Je pense qu'il va aller à la chambre de Tal Rasha.

- Ca se tient. Il ne faut pas perdre un instant. Si jamais ce que tu dis est vrai, nous devons l'arrêter avant qu'il n'ait réussit son sortilège !

- Peut-on encore passer par le sanctuaire des arcannes pour y aller ? demanda Fiseult. Cela nous ferait gagner beaucoup de temps.

- Non, le portail des caves du palais a bien évidemment été détruit par les gardes il y a sept ans. Il va falloir s'enfoncer dans le désert, répondit Iranya. Ce n'est pas si loin que cela quand on connaît le chemin, environ deux jours de trajet. Pouvez-vous vous occuper des montures, de l'eau et des provisions ? Je vais chercher un plan qui nous mènera au Canyon des Mages.

Ils acquiescèrent, l'acceptant implicitement comme leur égale. En une nuit, l'apprentie Viz Jaq'taar avait beaucoup mûrie et faisait désormais preuve d'une assurance calme et décidée. Elle n'était plus une enfant, mais venait définitivement de devenir adulte

Un quart d'heure plus tard, ils sortaient de la ville, menant à grand peine leurs dromadaires affolés au milieu des cadavres de démons qui jonchaient encore l'entrée principale. Ils voyagèrent ensuite aussi vite que possible, n'économisant pas leurs montures, chevauchant en dormant. Ils ne s'arrêtèrent les deux jours suivant que lorsque le soleil approchait du zénith car les bêtes n'auraient pas pu résister longtemps sous l'assommante chaleur. Leur avance était très rapide, aucun obstacle n'entravant leur progression. Quand ils poursuivaient Diablo sept ans auparavant, Olof, Montor, Fiseult et Célaine avait du affronter des légions de créatures infernales invoquées par le démon majeur afin de les retarder. Ce n'était pas le cas à présent, l'homme qu'ils pourchassaient ne possédait pas tant de pouvoir. De plus, ils ne cherchaient pas leur chemin, la carte donnée par Jehrin les guidant directement au Canyon des Mages. Ils n'étaient pas certains que le mage y serait, mais aucun d'entre eux ne songea un seul instant à rebrousser chemin.
Ils parlaient peu, économisant leur salive car l'heure n'était pas aux bavardages inutiles. Les cinq guerriers étaient tout entiers concentrés sur leur objectif : rattraper le mage noir avant qu'il n'accomplisse son rituel maléfique. Lui faire payer ses crimes et venger tout les morts de Lut Gholein. Leur volonté à tous était ferme, mais de la troupe qui s'enfonçait dans le désert, Iranya était sans conteste la personne qui désirait le plus le tuer de ses propres mains.

Après deux journées entières de voyage, ils arrivèrent enfin au bord d'une falaise surplombant le Canyon des Mages. Cette vallée encaissée était située loin de toutes les routes de commerces, et impossible à deviner avant d'y arriver, cachée comme elle l'était. D'où ils étaient, les cinq combattants pouvaient contempler l'ensemble du lieu mythique. Les imposantes ouvertures des sept tombeaux étaient facilement visibles, et au centre du canyon, une faible lumière rouge scintillant. Malgré les années écoulées, le portail menant au sanctuaire des arcannes qu'avait crée un apprenti sorcier fou était toujours existant.

- Allons par là, dit Fiseult en désignant une direction longeant la corniche. Mon loup a trouvé un endroit où nous pourrons descendre.

Peu après, ils se trouvaient tous arrêtés devant une ouverture béante dans la paroi. Les premières marches d'un escalier taillé dans la pierre s'enfonçaient dans l'obscurité inquiétante de la tombe. Deux colonnes brisées encadraient l'entrée, et le linteau la surplombant semblait sur le point de s'effondrer.

- Etes-vous sûr que c'est celui-là ? demanda Sylna, circonspecte.

- Oui, je n'ai aucun doute là-dessus, lui répondit Fiseult. Je me souviens de cet endroit, et ce sigle gravé ici est la marque du tombeau de Tal Rasha.

- Ouais, ça me rappelle quelque chose aussi, confirma Olof. Je me souviens aussi que ce tombeau est un véritable labyrinthe. On avait bien mit trois heures à tourner dans ces couloirs sans fin avant de tomber sur un simple asticot...

- Et Tirael aussi, tout de même ! Enfin bon, il va falloir que l'on explore à nouveau cette tombe, alors allons-y sans plus tarder, le temps nous est compté.

Sur ces paroles du druide, ils entrèrent les uns à la suite des autres. Olof ouvrait le chemin comme à son habitude, accompagné par les loups de Fiseult. Celui-ci suivait avec Sylna, et les deux jeunes filles formaient l'arrière-garde. Fiseult avait allumé une torche et éclairait leur marche. Le sol était recouvert d'une épaisse couche de poussière accumulée au cours des années.

- Là ! s'exclama Léanor. Des traces de pas !

Les marques du passage récent d'un homme étaient nettement visibles, formant une ligne qui était facile à suivre. Les cinq aventuriers sentirent leur moral remonter : ils avaient pris le bon chemin, le mage était bien passé par ici peu auparavant.

- Ah, bah ça va moins compliqué que je le craignais, on va pas tourner comme des imbéciles. Tant mieux ! dit Olof en s'engageant dans le couloir.

- Fais attention tout de même mon ami, le prévint Fiseult. Tout cela me paraît bien facile...

Ils ne rencontrèrent cependant aucune résistance pendant quelques minutes. Ils traversaient prudemment de grandes salles contenant des rangées de sarcophages tous ouverts. Les traces de pas continuaient, formant une ligne bien droite. Celui qui les avait laissé savait apparemment où il allait. Un doute venait de germer dans l'esprit d'Iranya. Et s'ils faisaient fausse route ? Plus elle y pensait, plus elle en avait la conviction : tout cela ne collait pas. L'adolescente n'arrivait pas à mettre le doigt sur ce qui la gênait vraiment, mais elle se sentait très mal à l'aise. Elle n'avait pas peur de marcher dans la pénombre de la tombe, mais son intuition lui disait qu'ils allaient dans un piège. Dans ce cas, où était le mage ? Où pourrait-il faire son rituel ? Cette tombe était tout de même le lieu où le seigneur de la destruction avait été enfermé pendant des décennies. Quel autre endroit recelait suffisamment de magie pour effectuer la cérémonie démoniaque ? La jeune fille se concentra, rassemblant tous ses souvenirs, essayant de se rappeler ce que lui avait raconté Célaine. Elle y touchait presque, elle en était certaine. Un endroit magique, entièrement souillé... L'illumination se fit soudain dans son esprit, elle eu la révélation du lieu. La Viz Jaq'taar sourit, car plus aucun doute ne subsistait plus.

Elle allait dire sa découverte à ses compagnons, mais se retint au dernier moment. S'ils venaient, elle ne serait encore qu'au second plan, inutile. Mais c'était son maître qui était mort ! Elle voulait tuer son meurtrier de ses propres mains, accomplir elle-même sa vengeance. Elle devait donc les quitter sans qu'ils ne s'en rendent compte. Mais si elle échouait contre le mage, si elle était vaincue ? L'avenir de Sanctuary était en jeu après tout ! C'était être bien égoïste que de vouloir l'affronter seule, en avait-elle le droit ?

Elle en était là de ses réflexions quand Olof pénétra dans une nouvelle salle obscure. Les loups se mirent aussitôt à grogner, leurs babines retroussées dévoilant de longs crocs mortels.

- Attention, il doit... mais Sylna n'eut pas besoin de finir sa phrase.

Des cliquetis se firent entendre, qui se rapprochaient. Puis un premier squelette apparût à la lumière de la torche, suivi par une multitude de ses semblables. Ils se mouvaient grâce à une faible magie démoniaque, qui les poussaient à attaquer tout être vivant. Ceux qui arrivaient étaient armés de simples sabres et de petits boucliers ronds, mais d'autres possédaient des arcs car des flèches enflammées commençaient à fendre l'air en direction des humains.

Les trois loups sautèrent sur les plus proches mort-vivants, la bave aux lèvres, toutes griffes dehors. Pendant ce temps, Olof prit une grande inspiration, qu'il libéra dan un puissant cri.

- EEEOOOOORRRRRRRGGGGG !

Le combat commença. Et malgré leur nombre, les squelettes n'avaient aucune chance.
Le chemin était facile à suivre, car Fiseult avait allumé toutes les torches accrochées aux murs qu'ils avaient trouvées. Iranya s'arrêta néanmoins un instant, et elle en profita pour reprendre son souffle après sa course. Mais surtout, elle attendait sa poursuivante. Les pas qu'elle entendait derrière elle depuis son départ approchaient.

- Où est-ce que tu vas ? demanda Léanor en arrivant.

L'amazone l'avait sentie partir et essayait de rattraper l'assassin depuis qu'elle avait faussé compagnie au groupe. La jeune Viz Jaq'taar rageait d'avoir été aperçue de la sorte. Elle avait pourtant profité du début de l'affrontement avec les squelettes pour se glisser hors de la salle.

- Ca ne te regarde pas. Retourne avec les autres, et dis-leur de ne pas s'inquiéter pour moi, je vous rejoindrai.

- C'est ça, compte là-dessus ! Je suis pas stupide, si tu t'en vas sans prévenir, c'est que tu as une bonne raison. Et la seule possible, c'est que l'on ne va pas dans la bonne direction et que tu veux affronter seule le mage qui a tué Célaine. Dis-moi si je me trompe.

Iranya était vraiment horripilée par cette fille blonde qui réussissait à toujours être là où il ne fallait pas. Mais elle avait raison, et avoir été si facilement percée à jour agaçait encore plus la jeune Viz Jaq'taar qui ne savait pas quoi répondre.

- Je te comprends, continua Léanor. J'aurais fait la même chose si ça avait été ma soeur à la place de Célaine.

- Alors ne t'en mêle pas et laisse moi m'en occuper !

- J'aimerais bien, mais je ne peux pas te laisser partir comme cela à la mort. Si ton maître a été vaincu, que comptes-tu faire seule ? Non, tu as trop peu de chance d'y arriver, il te faut de l'aide.

- Tu veux dire que...

- Oui, je t'accompagne, que tu le veuille ou non. A Lut Gholein on s'en sortait pas trop mal ensemble, et moi aussi je veux prouver de quoi je suis capable. Oh, et ne t'inquiète pas, je te laisserais le finir ce foutu mage.

Iranya fixait la jeune amazone avec incrédulité. Elle ne s'attendait pas du tout à cette réponse. L'offre était inattendue, mais sincère sans l'ombre d'un doute.

- Merci, répondit-elle dans un sourire. Finalement, tu es peut-être quelqu'un de pas si mal que ça.

- Humpf, toi pas contre... Mais le sourire qu'elle lui retournait démentait ses paroles.

- Allons-y, dit Iranya en se mettant à marcher.

- Comment sais-tu où nous devons aller, si on ne doit pas suivre les traces ?

- C'est simple, le mage n'est pas dans ce tombeau.

- Hein ?

- Le tombeau de Tal Rasha est empli de l'énergie démoniaque du seigneur de la destruction, Baal. C'est sans conteste le lieu le plus puissant de la région, mais à cause de la nature même de la magie présente, je suis sûre qu'il est impossible de s'en servir pour ramener des hommes à la vie. Ce serait le contraire à l'esprit de destruction qui règne en maître ici. Il faut une autre source de magie. Et je n'en connais qu'une seule autre dans les environs qui puisse être suffisamment forte.

- Et c'est ?

- Le sanctuaire des arcannes. Il a été crée par la magie d'un fou, mais c'était un homme. Cette énergie doit être beaucoup plus facilement contrôlable. C'était pourtant si évident, mais nous avons été berné par ces traces, et je suis certaine que nous aurions tourné longtemps ici sans nous en rendre compte. Il voulait sûrement gagner du temps pour effectuer son rituel, mais nous allons l'en empêcher. Le portail y menant est tout près, dans le canyon. Allons-y.

Les deux filles sortirent du sombre tombeau et se dirigèrent d'un pas rapide vers le milieu du canyon, où se trouvait le portail rouge. Elles ne savaient pas ce que faisaient les autres, mais pas un instant la pensée qu'ils puissent être en difficulté ne leur traversa l'esprit. Après tout, ils étaient les trois héros qui avaient vaincu Baal, les combattants les plus forts existant sur cette terre. Iranya se retourna plusieurs fois, mais elle ne vit personne sortir de la tombe. Elle se demanda fugacement comment ils réagiraient quand ils comprendraient ce qu'elles avaient fait. Mais cette question n'arrêta pas la jeune assassin : elle avait fait son choix. Elle devait se prouver à elle-même qu'elle était devenue digne de Célaine, que ses sept années d'entraînement lui avaient permis d'atteindre son but. Elle ne fuirait plus le danger, elle ne se cacherait pas derrière plus fort qu'elle. La vengeance était à elle seule : c'était sa tutrice qui était morte. Mais plus que cela, elle devait aussi exorciser la perte de ses parents, enfin accepter l'impuissance de la petite fille qu'elle avait été, et qui voyait pour la dernière fois son père souriant entrer dans le palais. Iranya savait désormais qu'elle ne trouverait la tranquillité de son âme qu'au bout de ses griffes.

Les deux filles atteignirent enfin le portail. Le calme absolu du désert n'était perturbé que par le faible grésillement de la porte magique. Dans le sable, nulle trace de pas n'était visible.

- J'ai l'impression que personne n'est passé ici, dit Léanor

- C'est pareil pour moi, mais ne nous y fions pas. On ne sait pas ce qui peut nous attendre de l'autre coté.

- Oh si, à peu près : c'est démoniaque, c'est à tuer.

Malgré sa tentative pour faire de l'humour, l'amazone arborait un air sérieux et concentré. Une flèche était déjà encochée sur la corde de son arc.

- Pour quelle raison es-tu venue avec moi ? lui demanda soudain Iranya. Tu sais que cela risque d'être très dangereux et qu'on pourrait ne pas en revenir...

- Je n'ai pas peur du danger. Et j'ai toujours vécue dans l'ombre de ma soeur. C'est la guerrière la plus puissante de mon peuple, le modèle pour toutes les novices. Je veux montrer de quoi je suis moi aussi capable.

- Nous sommes pareil en fait, réalisa Iranya. Elle comprenait parfaitement les sentiments de la blonde amazone. Tu es prête ? demanda-t-elle.

- Je t'en prie, passe devant, lui répondit Léanor. S'il y a un comité d'accueil...

- Bien sûr.

- L'une après l'autre, Iranya et Léanor franchirent le portail, qui les avala dans un tintement mystérieux.
Pendant un court instant, Iranya se sentit mal et crût qu'elle allait vomir. Le lieu magique où elle venait de pénétrer défiait toutes les lois de la physique et perturbait ses sens. Le portail menait sur une plateforme carrée entourée de piliers sans aucune utilité, car il n'y avait ni mur, ni plafond. Mais surtout, la grande dalle ne reposait sur rien et flottait dans les airs, entourée de toute part par un vide noir étoilé comme un ciel nocturne sans nuage. Léanor apparût soudain à ses cotés, visiblement elle aussi gênée par l'apparence du sanctuaire.

- C'est fabuleux... murmura-t-elle. Effrayant, mais magnifique.

- Célaine m'en avait parlé, mais jamais je n'aurais put imaginer cela. Il faut vraiment le voir pour comprendre.

- Que... que se passe-t-il si jamais on tombe ? Léanor s'était approchée du bord et regardait le ciel au-dessous d'eux.

- Je préfère ne pas le découvrir, répondit simplement Iranya, elle aussi intriguée cependant.

Sur un pupitre près d'elles était ouvert un vieux grimoire qui tombait presque en poussière.

- Le journal d'Horazon. Et ces sigles au sol sont les marques des différents tombeaux du canyon, dit Iranya.

- Es-tu toujours certaine que c'est ici qu'est venu le mage ? C'est étonnant qu'aucun démon ne nous ait accueilli, remarqua la jeune amazone.

- C'est sans doute une dernière ruse pour faire croire qu'il n'est pas là. Il ne doit plus avoir beaucoup de démons avec lui et cherche à nous éviter. Mais ça ne prendra pas. Le sanctuaire est constitué de quatre branches partant d'une plateforme centrale. Il est peut-être là-bas pour canaliser le maximum d'énergie.

- Dans ce cas, avançons.

Les deux jeunes filles s'engagèrent prudemment sur l'unique escalier qui descendait de leur promontoire. Le chemin était plutôt étroit, aussi préféraient-elles marcher l'une derrière l'autre afin ne pas risquer de se gêner. Elles prenaient petit à petit confiance et commencèrent à augmenter leur allure, malgré le vide infini qui s'étendait de chaque côté d'elle à moins d'un mètre. Elles venaient d'arriver sur une nouvelle dalle assez large pour qu'elles se sentent à l'aise, quand tout l'univers qui les entourait se mit à lentement bouger. D'abord de manière presque imperceptible, les étoiles commencèrent à se déplacer, et leur mouvement gagna progressivement en vitesse. Elles n'avaient pas la course circulaire habituelle des astres, mais semblaient toutes attirées par un point et convergeaient dans sa direction.

- Là-bas, je suis absolument certaine qu'il est là-bas, s'exclama Iranya. Et nous n'avons plus de temps à perdre, il est en train de rassembler toute la magie environnante.

Bien qu'elles risquaient de chuter dans le vide au moindre faux pas, les deux adolescentes se mirent à courir sur l'étroit chemin de marbre. Elles n'avaient plus peur et se concentraient entièrement sur leur objectif. Une lumière qui était différente de toutes les étoiles devenait visible : à la fois plus proche et plus puissante.

Elles durent cependant continuer leur course pendant deux longues minutes avant de pouvoir distinguer de quoi il s'agissait vraiment. A maintenant une centaine de mètres d'elles, un homme était agenouillé au centre d'une dalle ornée de motifs circulaires colorés. Il était apparemment en pleine incantation, et ses mains levées au dessus de sa tête n'étaient plus que deux boules de lumière dans lesquelles venaient se jeter les étoiles. Autour de lui, une douzaine de démons s'agitaient. Des hommes à la tête de chèvre, armés de haches avaient aperçu les deux jeunes filles et se précipitaient dans leur direction.

- Mince, il n'y a aucun moyen de les éviter, il va falloir les éliminer d'abord, constata Iranya.

- Oui, c'est... derrière nous aussi ! s'exclama Léanor

Iranya se retourna et constata avec stupeur qu'une autre troupe de ces démons allait les attaquer à revers. Et au-dessus de ce groupe, elle pouvait aussi apercevoir les formes fantomatiques de quelques spectres.

- Non, ça ne va pas finir comme cela. Rien ni personne ne m'arrêtera si près du but !

Dans les yeux verts d'Iranya brillaient une lueur vive, témoin de sa volonté et de sa rage.

- Léanor, occupe-toi de ceux qui arrivent derrière, retarde les au maximum. Moi je prends les autres.

Un premier trait enflammé tiré par l'amazone fût la seule réponse qu'elle obtint, mais il ne lui en fallait pas plus. Elle s'avança de quelques pas et réfléchit à la manière dont elle allait combattre. L'agencement du lieu la désavantageait grandement. Elle devrait faire face et ne pourrait pas être mobile comme elle en avait l'habitude. Certes, ses adversaires ne se présenteraient que deux par deux devant elle, mais ce n'était qu'une maigre compensation, bien insuffisante.

La Viz Jaq'taar sourit soudain en se rappelant son entraînement. Elle avait appris une technique qui lui serait de la plus grande utilité. Si elle réussissait à l'effectuer... car elle ne l'avait pratiquée avec succès qu'une seule fois.

- Mon ombre, je vais avoir besoin de ton aide, murmura Iranya.

Elle se concentra, fit le vide de toutes ses sensations, se focalisant sur son ombre immatérielle, et lui transmit sa force spirituelle afin de lui donner consistance.

Iranya n'eut pas besoin d'ouvrir les yeux pour savoir qu'elle avait échoué. Elle ne savait pas ce qu'il lui avait manqué, mais une triste frustration emplit son coeur. Elle voulait venger son maître, mais elle n'arrivait pas à mettre en pratique son enseignement. Etait-elle donc si faible, avait-elle gaspillé ces sept années d'entraînement ? Non, elle avait déjà prouvé de quoi elle était capable ! La jeune fille se jura à nouveau qu'elle n'échouerait pas.

Les démons n'étaient plus qu'à une trentaine de mètres, ce qui lui laissait juste assez de temps pour une deuxième et dernière tentative. Elle se concentra à nouveau, entra dans son moi intérieur et focalisa son énergie.

- Tu seras fière de moi, je te le promets, Célaine, pensa Iranya, et elle transmit à nouveau son essence spirituelle au domaine des ombres.

Cette fois-ci, la jeune Viz Jaq'taar la sentit s'écouler, aspirée par un néant invisible. Elle se vidait de ses forces mystiques, qui abandonnaient son coeur et son âme et se déversaient dans l'abîme obscur, en réponse à l'ordre muet de son sortilège. L'adolescente ne lutta pas, et accepta sans peur de donner son énergie spirituelle, consciente que le moindre doute risquait de bloquer l'invocation. Celle-ci ne dura qu'une seule seconde, mais cela parût bien plus à Iranya, qui se retrouva légèrement fatiguée par le sort. Mais elle releva la tête, confiante et sûre de sa réussite. Rien ne lui barrerait le chemin et le mage paierait bientôt pour son crime. Quand elle rouvrit les yeux, ses jambes manquèrent cependant de la trahir.

Non, ce n'est pas possible, murmura-t-elle dans un soupir.
- Célaine !

Devant la jeune Viz Jaq'taar se tenait sa tutrice. Elle lui tournait le dos, mais Iranya n'avait pas besoin de voir son visage pour reconnaître la femme qui l'avait guidée toutes ces années. Cette posture droite et élégante, ces cheveux noirs coupés courts, cette tenue de combat usée, et ces griffes... Mais elle l'avait pourtant vue morte deux jours auparavant ! Iranya abandonna toute certitude quand elle s'avança vers l'assassin, le coeur serré. Celle-ci se retourna alors vers son élève.

Sa peau était grise et translucide, et dans ses yeux noirs ne brillait aucune étincelle de vie. Le visage était inexpressif, et ne montra aucun sentiment à la vue de la jeune fille. Elle était indifférente, absente.

- Oh, je comprends, dit Iranya, profondément déçue. Ce n'est que ton ombre.

Elle respira profondément, ravalant le fugace espoir qui venait juste de naître. Comment avait-elle fait cela, elle l'ignorait. Elle voulait créer son ombre, et avait à la place donné naissance à celle de Célaine. Mais la jeune fille ne se posa pas plus de questions sur ce qu'il venait de se passer. En effet, les démons arrivés à quelques pas d'elle la ramenèrent à la réalité et à son combat présent.

- Célaine, laisse moi combattre avec toi ! Aide-moi à venger ta mort !

Comme répondant à son appel, le maître d'ombre se mit en position et s'apprêta à recevoir la charge des premiers homme-chèvres. Iranya se plaça à ses côtés et se prépara aussi à contrer l'attaque imminente. Elle serra fermement les poings sur ses griffes et inspira calmement.

Le hurlement du premier démon, brandissant sa lourde hache, semblait bien faible à la jeune Viz Jaq'taar déterminée. Elle joignit ses deux griffes et bloqua aisément le coup pourtant violent, puis d'un mouvement rapide elle planta une griffe dans la gorge sans protection de son opposant. Il s'affala au sol, tandis qu'un autre démon chutait dans le vide, vaincu par l'ombre de Célaine.

Il en restait encore dix, et le combat était loin d'être gagné d'avance. Ils attaquaient en effet avec rage et sans aucunement se soucier de leur vie, ce qui les rendait d'autant plus dangereux. Iranya fût obligée de reculer pour éviter la hache de son nouvel adversaire, et contre-attaqua en profitant de l'ouverture. La bataille était acharnée, les deux assassins luttant sur le fil du rasoir, esquivant difficilement les armes sifflantes des démons infernaux. Elles étaient obligées d'utiliser toutes les ressources dont elles disposaient, afin d'espérer franchir le troupeau d'homme-chèvres qui les empêchaient de passer. Elles progressaient néanmoins, éliminant un à un leurs féroces ennemis. Derrière elle, Iranya pouvait toujours sentir la présence de Léanor et entendait par intermittence le bruit de son arc. Elle devait se hâter d'en finir, car l'amazone n'arriveraient sûrement pas à les retenir bien longtemps encore.

La jeune assassin enjamba le corps encore agité de soubresauts d'un démon mort et anticipa l'attaque de son adversaire. Il arrivait, les deux bras levés, prêt à assener un monstrueux coup de sa lourde arme. Iranya ne pourrait pas l'éviter ni le parer, mais son torse était sans protection et elle était bien plus rapide que lui. Elle s'élança en avant, consciente qu'elle n'avait pas le droit à la moindre erreur. Mais une main attrapa sa cheville et la fit trébucher, l'empêchant un instant d'avancer. Elle avait manqué son attaque ! Iranya aperçut avec horreur la hache qui s'abattait sur elle. Elle se retrouvait impuissante et ne pouvait plus rien faire.

L'ombre se jeta devant elle et d'un coup de griffe, elle dévia l'arme qui frôla la tête de la jeune fille et s'écrasa sur le sol, projetant des éclats de marbre blancs. Immédiatement, Iranya acheva le démon qui la retenait pour reprendre sa position, mais il était déjà trop tard. La créature située à coté de celle ayant failli la tuer profita du mouvement du maître d'ombre pour lui planter violemment sa hache dans le torse, où elle s'enfonça profondément.

- Noooon !

Iranya bondit sur lui et le décapita en mettent toute sa puissance dans ses griffes du dragon. Au sol, le maître d'ombre s'évanouit alors dans un grand sifflement aigu, la matière le formant disparaissant dans des volutes de fumées noires.

Iranya savait que c'était seulement une ombre, que Célaine était morte deux jours pauparavant. Cependant une rage indicible l'envahit, qu'elle accepta avec plaisir et délectation. Elle se laissa envahir par la haine, puis laissa éclater sa fureur trop longtemps contenue. Son coeur était lourd de chagrin et elle venait de trouver le parfait exutoire pour enfin se libérer du poids qui l'accablait. Sans plus réfléchir à ses actes, Iranya se laissa guider par son instinct primaire et attaqua les quatre démons qui se dressaient encore devant elle.

Ses coups fulgurants ne laissèrent aucune chance aux deux premières créatures, qui tombèrent rapidement sans avoir pu inquiéter la Viz Jaq'taar. Quant aux dernières, elles tentèrent en vain de la décapiter, et leurs coups trop lents fendirent l'air sans la toucher. Iranya s'était glissée sous leurs bras, et arriva à leur contact, les embrassant presque. Ils s'affalèrent simultanément, leurs poitrines saignant par trois trous presque invisibles.

La voie était maintenant libre, et au bout de l'étroit chemin se trouvait le mage honnit. Cet homme démoniaque qui avait assassiné la matriarche des amazones, qui avait organisé l'attaque de Lut Gholein et avait finalement tué Cain et Célaine. Iranya s'élança, obnubilée par sa vengeance. Dans ses yeux verts brillait une lueur malsaine, mais sinon rien sur son visage impassible ne trahissait le moindre sentiment. Elle était concentré sur l'homme agenouillé et le fixait intensément tandis qu'elle s'approchait en courant.

Tu vas payer, pensait-elle seulement.
Iranya pouvait maintenant voir que le mage marmonnait une incantation, elle ne l'entendait pas mais ses lèvres bougaient. Il était très vieux, de longs cheveux blancs tombaient en désordre sur son visage cadavérique. Ses bras décharnés tenaient en hauteur une sorte de sceptre doré, le bâton Horadrim, dont l'extrémité brillait magnifiquement, les minuscules étoiles du sanctuaire s'y agglutinant par milliers. Un petit tas noir, qu'Iranya supposa être le coeur de Cain, était posé devant lui. En transe comme il l'était, les yeux fermés, il n'avait pas conscience de l'arrivée de la jeune fille.

Iranya franchit les cinq derniers mètres qui les séparaient. Elle était presque à portée de bras quand le sol s'éclaira soudain. Des runes tracées sur le marbre s'illuminèrent à l'approche de l'assassin imprudente, et en une fraction de seconde elles libérèrent une puissante nova de foudre qui entoura le mage et s'étendit instantanément, frappant Iranya de plein fouet.

La jeune fille sentit l'électricité emplir son corps et hurla de douleur. Le courant parcourut tout son être, comme conduit vers un point précis, et Iranya tomba à terre. La souffrance qui l'accablait s'en alla aussi soudainement qu'elle l'avait envahit, et Iranya dut prendre une grande inspiration avant de réaliser qu'elle était encore bien vivante. Elle s'aperçut alors que sa griffe argentée luisait étrangement. Les ciselures qui la recouvraient étaient maintenant des traits de lumière vive et la jeune fille ne pouvait empêcher sa main gauche de trembler sous la puissance contenue dans l'arme. Elle l'avait protégée ! comprit Iranya. Elle ne savait pas vraiment ce qu'il s'était passé, mais elle savait qu'elle devait la vie à l'ancienne griffe de Célaine.

Face à elle, le mage venait d'ouvrir les yeux. Le déclenchement de son sort de protection l'avait ramené à la réalité et il avait interrompu son invocation. Son regard un instant dans le vague se posa sur l'assassin, et la compréhension se lut sur son visage.

- Que vos âmes ressuscitent selon ma volonté !

Il prononça immédiatement cette phrase, qui devait marquer la fin de son rituel, et il abattit le bâton Horadrim qu'il tenait sur le coeur noir posé au sol.

Iranya n'hésita pas et plongea vers lui, étendant son bras. Elle réussit in extremis à placer sa griffe pour bloquer le coup. La magie contenue dans le bâton fut aussitôt libérée au contact de l'arme et produisit une déflagration d'énergie pure qui projeta la jeune fille et le vieux mage. Iranya retomba lourdement sur la plateforme de marbre, une de ses jambes pendant dans le vide. Elle avait faillit tomber dans le néant du sanctuaire. Mais Iranya ne réalisa ceci que distraitement, car elle était toujours concentrée sur le combat à livrer. Elle se releva immédiatement en grimaçant : son bras gauche était cassé et lui faisait très mal, mais elle serra juste les dents et fixa le mage allongé à l'opposé de la grande dalle. Tant qu'elle aurait la force de se battre, elle n'aurait de cesse de le tuer.

Elle se précipita sur lui alors qu'il se mettait péniblement sur pied. La voyant arriver, l'homme prépara un sort pour se défendre. Ses mains se mirent à luire et se transformèrent en deux boules de feu, qu'il lança avec force sur la Viz Jaq'taar. Iranya les esquiva d'une roulade sur le coté, cependant ce mouvement fût malheureux car pendant un bref instant tout son poids reposa sur son bras blessé. La jeune fille gémit mais résista néanmoins à la douleur. Elle avait connu bien pire lorsqu'elle avait combattu la volonté de ses deux griffes, et il lui en faudrait désormais bien plus pour l'arrêter. Elle se remit aussitôt debout et reprit sa course. Elle arriva sur le mage alors que celui-ci se préparait à lancer un nouveau sort, mais la jeune fille fût la plus prompte, et sa griffe dorée s'abattit sur l'homme. Le coup se trouva bloqué à quelques centimètres du visage par une barrière d'énergie qui étincela brièvement. Un bouclier magique protégeait le magicien des attaques qui lui étaient portées ! Cependant Iranya n'abandonna pas, bien au contraire. Elle frappa, encore et encore, et malgré sa protection, elle obligea le vieillard à reculer, l'acculant au bord du vide.

Le mage libéra enfin le sort qu'il avait préparé lorsque l'assassin l'attaquait. L'air ambiant se fit plus chaud, et Iranya se retrouva soudain située au milieu d'un mur de feu. Elle était la proie des flammes, et commença à sentir ses habits prendre feu. Elle ne pouvait plus respirer et se protégea le visage de ses bras. La fournaise était intolérable. Puis de la même façon qu'elle l'avait déjà ressentit auparavant lorsqu'elle avait été touchée par la nova de foudre, la chaleur sembla abandonner son corps pour se réfugier dans sa griffe dorée. Bien qu'elle se trouva toujours au milieu du brasier, elle pouvait maintenant y résister. Il ne lui faudrait néanmoins pas s'y attarder longtemps. Elle rassembla son énergie, et frappa le mage de toutes ses forces. Encore une fois, elle ne parvint pas à le toucher, mais elle entendit au milieu du crépitement des flammes un petit claquement sec. La jeune assassin en comprit la signification dans les yeux affolés de son opposant.

Son coup suivant visait le coeur du mage sans défense.

Léanor s'approcha d'Iranya, qui était assise à coté du cadavre de leur ennemi. Ainsi, elles avaient réussi, et l'immense péril qui menaçait Sanctuary venait d'être écarté. Comment Iranya avait-elle pu vaincre un mage aussi puissant, cela surprenait l'amazone. Certes elle connaissait la force de caractère de la Viz Jaq'taar, mais cet homme avait tout de même tué son maître ! Bien qu'elle n'en ait rien laissé paraître, Léanor doutait fort de leurs chances de succès lorsqu'elles avaient pénétré dans le sanctuaire des arcannes. Elles n'étaient que deux adolescentes après tout ! Elle-même avait failli être dépassée par les démons et les spectres qui l'avaient attaquée, et il ne restait plus dans son carquois que trois simples flèches. Et les créatures infernales étaient arrivées si près d'elle que l'amazone avait pu sentir la mort poser son regard sur elle. Mais avoir été au bord de la défaite décuplait le sentiment de triomphe à présent. Léanor se sentait incroyablement légère, et plus vivante que jamais auparavant.

Iranya se leva et se tourna vers elle. Malgré la sérénité de son doux visage, on pouvait lire dans ses yeux une profonde tristesse. Elle venait d'accomplir sa vengeance, mais toujours dans son coeur resterait l'amertume d'avoir perdu Célaine. Elle savait que jamais elle ne pourrait entièrement effacer cette douleur, ce qui occultait la satisfaction d'avoir enfin tué le meurtrier de son maître.

- Tiens, dit-elle, tu sauras sans doute quoi en faire.

Iranya tendit à Léanor une bague en or, surmontée d'un magnifique rubis.

- C'est l'anneau de vie ! Merci Iranya. Je le rapporterai à Lycander pour la nouvelle matriarche. Est-ce tout ce qu'il restait ?

- Oui, le coeur a été détruit, et le bâton Horadrim a du tomber dans le vide à cause de l'explosion.

- Tant mieux, comme cela il n'y a plus rien à craindre, répondit Léanor. Je me de demande quel était son nom, ajouta-t-elle en regardant le cadavre du vieil homme.

- On ne le saura sûrement jamais, mais il ne mérite de toute façon rien de plus que l'anonymat de la mort.

Sur ces mots, les deux jeunes filles commencèrent à se diriger vers la sortie du sanctuaire. Léanor exprima alors tout haut une pensée qui venait de la frapper :

- Sylna et les autres risquent de ne pas être content quand on leur expliquera pourquoi on est parti sans eux...

Iranya esquissa un petit sourire et dirigea un regard malicieux vers sa camarade.

- On est vivantes, on a tué le mage et récupéré l'anneau de vie. Auraient-ils fait mieux ?

Léanor se mit à rire.

En effet ! Comment auraient-ils pu mieux faire?
Une nouvelle exclamation de la foule assemblée sur les quais accompagna le saut de la créature. Ces cris n'étaient pas l'expression de l'admiration ou de la joie, les coeurs n'étaient pas encore prêts pour cela. Il faudrait bien plus qu'une semaine pour que se ferment les cicatrices de la bataille qui avait ravagé Lut Gholein, et que la population puisse surmonter le chagrin qui accompagnait la mort de tant d'être chers. Non, les visages tournés vers la mer n'étaient pas joyeux, mais plutôt soulagés et pour beaucoup arboraient un sourire hargneux. Quelques poings se dressaient, des hommes et des femmes laissant éclater leur rancoeur, défiant le ciel ou bien leur destin. Ils avaient survécu, malgré les épreuves, et ils étaient prêts à recommencer, disaient-ils. Le pouvaient-ils vraiment, alors que presque tout ceux qui les avaient protégé étaient morts ? Peu importait en fait, ils avaient juste besoin de crier, de lever leur poing, pour croire que finalement ils étaient victorieux et que la vie pouvait repartir. Ils avaient un avenir, et cela seul comptait pour l'instant.

Un autre de ces magnifiques animaux sauta à nouveau hors de l'eau, et desserrant son énorme mâchoire, il envoya en l'air le rorqual blanc. Le démon marin totalement désarticulé retomba lourdement, en partie assommé. Il songea peut-être à fuir maintenant qu'il était libre, pour trouver un improbable abri sous-marin où il serait protégé. Vu sa nature, il envisagea sans doute de se battre, encore, de refaire couler le sang et donner la mort. Mais l'eau était déjà rouge de son propre sang, et la mort à venir était la sienne. Il ne pût pas se mettre à nager que des dents pénétrèrent déjà sa chair tendre, et sans pouvoir résister, il se trouva attirer vers le fond. L'animal était beaucoup trop fort.

Iranya observait la scène, un peu à l'écart de la foule attroupée. La jeune fille était à la fois émerveillée, captivée, et un peu dégoûtée. Voir ces géants de quatre, cinq mètres de long bondir hors de l'eau et retomber dans des gerbes magnifiques la laissait sans voix. Leur corps lisses, noirs tachés de blancs, étaient merveilleux, et malgré leur taille immense et leur force brutale, ils se mouvaient avec grâce et élégance. Des baleines tueuses. Iranya n'en avait jamais vu, et elle ne pouvait détacher ses yeux du spectacle qu'elles leur offraient. Elles jouaient pourtant avec les démons, et cela révulsait Iranya. Des morceaux de chair flottaient ça et là, témoins de leur cruel massacre. Pour la jeune fille, la mort devait être donnée rapidement, sans supplices inutiles, même à ces créatures infernales qui avaient tué tant de marins. Mais cela semblait plaire à la foule, qui appréciait ce juste retour des choses. Les orques étaient arrivés à l'aube. Et depuis lors, elles tuaient inlassablement les rorquals blancs qui infestaient les eaux claires du port. Comme Cain l'avait prédit, les démons ne survivraient plus longtemps. Les navires allaient pouvoir revenir, et Lut Gholein revivre.

Iranya regarda encore longtemps les jeux mortels des baleines tueuses. Une douce brise marine caressait son visage, et faisait onduler ses longs cheveux noirs. Elle ne pensait à rien et appréciait le moment présent. Elle était calme et sereine, en paix avec elle-même. Elle n'oublierait pas tout ce qui venait d'arriver, car en quelques semaines elle était devenue une autre. Ce passage avait été douloureux et triste, Célaine lui manquerait à jamais, mais elle savait qu'elle avait enfin atteint son but. Son enfance était réellement terminée, sa vie de Viz Jaq'taar ne faisait que commencer.

Comme lassés soudain par le spectacle mortel des bourreaux des mers, les villageois quittèrent progressivement les quais, réalisant que l'immensité de la tache pour reconstruire leur ville et leurs vies réclamait qu'ils s'y attellent sans plus tarder. Iranya ne les suivis pas, mais s'assit au bord d'un ponton, les pieds juste au dessus du niveau de la mer. Elle n'avait pas peur, elle se savait qu'elle ne craignait rien des géants marins. Malgré le bruit omniprésent des vagues battant régulièrement la rive, Iranya perçut le frôlement de pas légers qui s'approchaient d'elle. Elle ne se retourna pas.

Léanor s'assit a cote de la jeune assassin, et ensemble elle regardèrent en silence les jeux mortels des orques sous le ciel pastel du matin levant. Et restèrent ainsi, appréciant sur leur visage le souffle du vent portant les frais embruns sale de l'océan. La tranquillité de l'âme après les combats, telle est la vraie nature du repos du guerrier. Ces instants privilégiés, les deux adolescentes les vivaient pour la première fois de leur existence, et elles en savouraient pleinement la calme harmonie. Elles ne pensaient pas au futur et à ses incertitudes, ni au passe et ses regrets, seul comptait pour elles la simple plénitude du présent. Cet instant dura sans qu'aucune d'elles ne veuillent le rompre, conscientes de l'unicité d'une telle communion avec la vie. Le carnage des baleines tueuses se termina enfin, et sans saluer leurs deux dernières spectatrices, elles s'en allèrent simplement, laissant derrière elles un port dont l'eau teintée de rouge serait vite purifiée par les courants. Seules les ombres fantomatiques des épaves à peine visibles peuplant désormais le fond de la baie pourraient témoigner des combats qui avaient pris part en ce lieu.

- Qu'allez vous faire maintenant ? demanda Iranya, se résolvant à regret a briser le silence.

- Je ne sais pas très bien, je crois que Sylna et moi allons rester quelques temps. Il n'y aura de toute façon pas de navires qui accosteront ici avant quelques semaines. Nous pourrions peut être visiter les tombeaux, vérifier que plus rien de démoniaque n'y trouve encore refuge.

- Je suppose que ce serait une bonne idée, je comptais faire cela aussi, avant de quitter cette ville. Je ne vais pas y rester longtemps, ce n'est plus ici qu'est mon avenir.

- Où comptes-tu aller ? lui demanda Léanor

- Je ne sais pas, je pensais suivre le chemin pris par Célaine il y a 7 ans, le chemin de Diablo, de Tristram à Kurast, puis aller à Harogath.

- Tu devrais venir chez nous, à Lycander, je suis certaine que tu serais étonnée par la beauté de nos îles !

Iranya sourit à cette remarque de la jeune amazone. Oui, elle irait sans doute voir cette contrée de guerrière, un jour.

- Que vont faire Olof et Fiseult ?

- Il rentre chez eux, répondit Léanor, la femme d'Olof devrait bientôt accoucher, et il tient à y aller !

- C'est rare qu'un homme veuille assister a cela, remarqua Iranya.

- Oh, il dit qu'il n'a toujours pas digéré le fait que nous les ayons laisse derrière, mais je crois qu'il veut surtout s'assurer qu'elle ne lui donnera pas une cinquième fille !

Les deux adolescentes échangèrent un grand sourire sur ce fait qu'avait "innocemment" dévoilé Fiseult peu auparavant.

- Il est des choses sur auxquelles on ne peut rien, aussi fort ou habile soit-on, ajouta Léanor.

- Mais d'autres pour lesquelles il faut se battre pour assurer la pérennité de ce monde !

Iranya se releva en disant ces mots, son visage prenant un instant un masque impassible et grave. Puis aussitôt elle redevient souriante et elle tendit la main à l'amazone pour l'aider à se lever.

- Aller, vient Léa, il ne faudrait pas qu'il s'en aille sans que nous ne lui ayons reparlé du bonheur qu'il aura de vivre avec six femmes chez lui ! Elles partir toutes les deux d'un rire joyeux et naturel.
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